Épisode précédent : La rose et la tulipe, carnet de voyage à Istanbul 5 : Divan Yolu Caddesi et Çemberlitaş
Dans le quartier de Kadırga, à deux pas de l’hôtel, je passe le soir venu devant un bâtiment avec une grande porte verte flanquée d’un palmier défraichi et encore ouverte alors qu’il est presque 21 heures. En venant du bas de la rue, rien n’indique qu’on est en face d’une des plus belles mosquées d’Istanbul. Construite sur le flanc d’une des collines de la ville, son complexe s’étend sur tout un pâté de maison qu’on peut à peu près apprécier lorsqu’on descend Katip Sinan Camii Sokak, seule rue qui donne une belle perspective sur l’ensemble, même si on voit plus les cheminées de la medrese que la cour de la mosquée elle-même. Son plan est tout à fait particulier puisque, comme dans une autre mosquée que je visiterai plus tard du côté d’Eminönü, il faut monter une grande volée de marches pour se retrouver dans la cour, face au şardivan. Face aux murs latéraux de l’entrée, sur le parvis, sont agenouillés de jeunes garçons qui se balancent en ânonnant des textes dont je n’arrive pas à reconnaître la langue. Tantôt debout, tantôt assis, ils expriment par ce balancement leur ferveur. Troublé par leurs gestes, je finis par me demander s’ils ne sont pas juifs, alors j’émets des hypothèses hasardeuses, me disant qu’ils viennent peut-être ici par qu’il y a peu de synagogues en ville, mais je me raisonne vite : nous sommes dans une medrese, une école coranique, et ils ne sont là que pour apprendre les versets du Coran et les réciter. D’ailleurs, l’homme que j’avais vu la veille leur parler a un aspect sévère et le charisme d’un homme d’église. Veste verte posée sur les épaules, chachia noire, barbe blanche taillée en pointe sur un visage anguleux, il n’a rien de sympathique. C’est pourtant lui qui surveille les allées et venues des quelques personnes qui y entrent.
Il me demande avec un air intéressé d’où je viens et je crois percevoir dans ses yeux un sourire de bienvenue que je le croyais incapable de faire avec la bouche. Il m’explique avec quelques mots d’un anglais très beau, légèrement roulé, en me montrant le portail opposé au mirhab, quelque chose que je n’arrive pas à saisir. Il me dit « lamek » plusieurs fois, mais je ne comprends pas et j’ose à peine lui faire comprendre, d’après ce que je sais, que si c’est bien de La Mecque dont il me parle, elle se trouve exactement de l’autre côté, vers le mirhab, mais ce serait insolent de ma part. Il voit bien que je ne saisis pas, alors il monte sur la pointe des pieds et pointe un petit rectangle noir encadrée d’une sorte de soleil dorée qui se trouve juste au-dessus de la porte et me redit lamek. Je finis par comprendre, à partir de ce que j’avais lu, que c’est un des trois fragments de la pierre noire de la Ka’aba de La Mecque qui se trouve enchâssé ici. Un autre se trouve au-dessus du mirhab, et le dernier sur le frontispice du minbar. Il me sourit en voyant que j’ai fini par comprendre.
La mosquée a été construite entre 1570 et 1572 à l’emplacement d’une église byzantine, par celui dont on ne peut qu’entendre parler ici, Mimar Sinan, le grand architecte de Soliman. D’extérieur, le bâtiment parait plutôt modeste mais son intérieur est d’une grande beauté, soutenue par des milliers de carreaux de faïence bleue d’Iznik, notamment sur l’ogive du mihrab. La salle de prière est très peu profonde, un peu plus de 13 mètres et l’espace s’envole à plus de 25 mètres avec la coupole, ce qui donne un effet saisissant. Les espaces latéraux reposent sur deux demi-coupoles chacun, ce qui aère l’espace et lui confère une forme tout à fait particulière. De même, la présence de vitraux polychromes donne à l’ensemble une parfaite harmonie de couleurs. Le bénéficiaire de cette mosquée était un certain Sokollu Mehmet Paşa, également connu sous le nom de Mehmet pacha Sokolović. Grand vizir de Soliman et de ses successeurs, il fut enlevé à sa famille encore adolescent sur les terres de la Serbie orthodoxe et converti de force à l’islam (pratique du devşirme), et devint un des personnages les plus importants de la vie politique de cette période de l’Empire Ottoman.
Une visite virtuelle de la cour et de la mosquée est disponible sur le site 360cities.net et permet de bien se rendre compte de l’exception du lieu :
____________________________
Album Photo
Épisode suivant : La rose et la tulipe, carnet de voyage à Istanbul 7 : Le Grand Bazar (Kapalıçarşı) et la mosquée Bayezid II (Beyazıt Camıı)
Tags de cet article: Istanbul, mosquée, Turquie