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Sorti du Grand Bazar grisé par le monde, assommé par le bruit, l’estomac rempli d’un kebap de poulet pris à la va-vite assis sur le bord du trottoir, je me suis dirigé vers un lieu que les guides touristiques indiquent mais ne recommandent pas forcément. Il s’agit du caravansérail de la sultane Valide. Intrigué par ce bâtiment que la carte indique comme étant d’une taille respectable, j’ai tenté de savoir avant de partir à quoi cela pouvait ressembler. J’avoue que j’ai été assez surpris, mais sans me laisser guider par un a priori négatif, je me suis laissé porter jusqu’au détour de Tarakçılar Caddesi, et je me suis engouffré dans le passage du Valide Han. Le terme han désigne en turc moderne une auberge, mais la première signification est bien caravansérail. En réalité, chaque rue est lardée de ces “han” qui sont en fait des cours intérieures dans lesquelles on accède par de grandes portes cochères.
Entrer dans le Valide Han est assez surprenant. On enquille dans un premier passage et on se retrouve dans une toute petite cour intérieure où s’entassent des cartons de textiles dans un désordre argumenté. Je dois avouer que dans un premier temps, j’ai vérifié l’endroit où j’étais, dans un deuxième temps, je me suis senti désarmé et déçu que ce ne soit que ça. Un second passage couvert ouvre la cour et donne sur une espèce de place occupée par des voitures. Vraiment désarmant. J’ai eu beau regarder autour de moi, tenté un instant de faire demi-tour passablement exaspéré d’avoir perdu mon temps… et puis j’avise un escalier que je me souviens avoir déjà vu. Je monte et je me retrouve dans un long couloir crasseux et sombre, bordé d’un côté de petites portes basses et de l’autre d’arches donnant sur l’extérieur. Je commence à comprendre ; je suis au premier étage du caravansérail et ce qui se trouve autour est tout simplement immense.
C’est en fait un bâtiment carré dont l’espace intérieur est occupé par un autre bâtiment assez petit mais beaucoup plus récent. Les portes que je vois défiler sont en fait les cellules de cet ancien hôtel pour voyageurs et commerçants datant du XVIème siècle et qui porte le titre de la mère du sultan (valide, ou validé). L’endroit est glauque, sombre et je suis tenté un instant de faire demi-tour, peu rassuré tout de même avant de me faire rattraper par un homme en costume, lunettes épaisses sur le nez qui me harangue en turc, ne sachant s’il m’engueule ou tente de communiquer. C’est alors qu’il s’approche de moi et me montre le toit, puis le bout du couloir et dit « Bosphorus, Bosphorus » en gesticulant et en parlant à toute vitesse. Peu convaincu, je continue la visite du caravansérail qui n’est décidément pas un lieu avenant jusqu’au bout du couloir, puis je fais demi-tour, mais l’homme m’a rejoint et sort de sa poche un énorme trousseau de clés avec lequel il ouvre une porte devant nous. Un escalier se trouve derrière la porte, dans lequel il nous invite à nous engouffrer et nous arrivons derrière une autre porte. J’entends sa voix derrière moi insister pour que je monte… Au bout de l’escalier, la surprise est totale. Je suis sur le toit du han, sur les mamelons des arches centenaires que notre hôte nous invite à fouler sans peur. Effectivement, de là où nous sommes, nous avons vue sur le Bosphore et la Corne d’Or ; un point de vue unique, magique, tandis qu’à ce moment-là, je n’avais pas encore la moindre idée de ce à quoi pouvait ressembler cette partie d’Istanbul. Arrêt total, soufflé par le grandiose, face aux anciennes geôles byzantines… Pendant que je prends mon grand bol d’air stambouliote avec le reste du monde à pic à quelques mètres de moi, vertige chevillé au corps, il fume sa cigarette, l’air songeur, comme s’il prenait, un fois de plus, le temps d’admirer sa ville…
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Il m’explique que le bâtiment qui se trouve au centre du han est en fait une mosquée, mais l’absence de minaret s’explique par le fait que c’est une mosquée chiite. Les hommes qui travaillent ici sont pour la plupart des Iraniens. Il m’indique le nom de chacune des mosquées qu’on voit ici. Yeni Camii, Rüstem Paça, Süleymaniye, Nuruosmaniye…
Le bonhomme nous emmène ensuite dans un local qui se trouve sur le toit et nous montre un ancien métier à tisser qui ne fonctionne plus. Il explique en quelques mots que l’industrie textile chinoise a détruit les emplois de ceux qui travaillaient ici, mais aucune amertume ne transpire dans ses mots, c’est comme ça, c’est tout. Explication de texte en turc, avec mon fils, comme toujours fasciné… (non, ce n’est pas moi le type épais qu’on voit de dos).
Une expérience qui restera pour moi unique en son genre.
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Tags de cet article: Istanbul, Turquie
Salut Romuald, détail amusant de cette vidéo, la marque du métier à tisser. Nebiolo est Italien et l’emploi lié à cette machine a d’abord émigré d’Italie vers la Turquie avant de se voir soufflé par les marchés Asiatiques. C’est peut être ça qui rend le bonhomme aussi philosophe vis à vis de la situation.
A noter que Nebiolo était une marque qui répliquait des métiers à tisser de fabrication Allemande et Anglaise, aujourd’hui ça serait une vraie guerre des brevets. Bref, tout cela bouge sans cesse.
Je note la concordance d’état qui semble rimer encore et encore : Pas d’a priori négatif, magique et prendre son temps.
Une précision qui vient à point nommé.
Pour le reste, c’est un état d’esprit. Je ne sais plus qui disait “N’emporte que des souvenirs, ne laisse rien derrière toi…” Ne pas laisser d’empreinte.
Un proverbe pathan dit aussi “Vivre, errer, mourir, être oublié”. Je ne dis pas autre chose. 🙂