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Istanbul - avril 2012 - jour 3 - 072 - Valide Han (Çakmakçılar Yokuşu Tarakçılar Cad) - Tour de Galata

Sor­ti du Grand Bazar gri­sé par le monde, assom­mé par le bruit, l’es­to­mac rem­pli d’un kebap de pou­let pris à la va-vite assis sur le bord du trot­toir, je me suis diri­gé vers un lieu que les guides tou­ris­tiques indiquent mais ne recom­mandent pas for­cé­ment. Il s’a­git du cara­van­sé­rail de la sul­tane Valide. Intri­gué par ce bâti­ment que la carte indique comme étant d’une taille res­pec­table, j’ai ten­té de savoir avant de par­tir à quoi cela pou­vait res­sem­bler. J’a­voue que j’ai été assez sur­pris, mais sans me lais­ser gui­der par un a prio­ri néga­tif, je me suis lais­sé por­ter jus­qu’au détour de Tarak­çı­lar Cad­de­si, et je me suis engouf­fré dans le pas­sage du Valide Han. Le terme han désigne en turc moderne une  auberge, mais la pre­mière signi­fi­ca­tion est bien cara­van­sé­rail. En réa­li­té, chaque rue est lar­dée de ces “han” qui sont en fait des cours inté­rieures dans les­quelles on accède par de grandes portes cochères.

Entrer dans le Valide Han est assez sur­pre­nant. On enquille dans un pre­mier pas­sage et on se retrouve dans une toute petite cour inté­rieure où s’en­tassent des car­tons de tex­tiles dans un désordre argu­men­té. Je dois avouer que dans un pre­mier temps, j’ai véri­fié l’en­droit où j’é­tais, dans un deuxième temps, je me suis sen­ti désar­mé et déçu que ce ne soit que ça. Un second pas­sage cou­vert ouvre la cour et donne sur une espèce de place occu­pée par des voi­tures. Vrai­ment désar­mant. J’ai eu beau regar­der autour de moi, ten­té un ins­tant de faire demi-tour pas­sa­ble­ment exas­pé­ré d’a­voir per­du mon temps… et puis j’a­vise un esca­lier que je me sou­viens avoir déjà vu. Je monte et je me retrouve dans un long cou­loir cras­seux et sombre, bor­dé d’un côté de petites portes basses et de l’autre d’arches don­nant sur l’ex­té­rieur. Je com­mence à com­prendre ; je suis au pre­mier étage du cara­van­sé­rail et ce qui se trouve autour est tout sim­ple­ment immense.

C’est en fait un bâti­ment car­ré dont l’es­pace inté­rieur est occu­pé par un autre bâti­ment assez petit mais beau­coup plus récent. Les portes que je vois défi­ler sont en fait les cel­lules de cet ancien hôtel pour voya­geurs et com­mer­çants datant du XVIème siècle et qui porte le titre de la mère du sul­tan (valide, ou vali­dé). L’en­droit est glauque, sombre et je suis ten­té un ins­tant de faire demi-tour, peu ras­su­ré tout de même avant de me faire rat­tra­per par un homme en cos­tume, lunettes épaisses sur le nez qui me harangue en turc, ne sachant s’il m’en­gueule ou tente de com­mu­ni­quer. C’est alors qu’il s’ap­proche de moi et me montre le toit, puis le bout du cou­loir et dit « Bos­pho­rus, Bos­pho­rus » en ges­ti­cu­lant et en par­lant à toute vitesse. Peu convain­cu, je conti­nue la visite du cara­van­sé­rail qui n’est déci­dé­ment pas un lieu ave­nant jus­qu’au bout du cou­loir, puis je fais demi-tour, mais l’homme m’a rejoint et sort de sa poche un énorme trous­seau de clés avec lequel il ouvre une porte devant nous. Un esca­lier se trouve der­rière la porte, dans lequel il nous invite à nous engouf­frer et nous arri­vons der­rière une autre porte. J’en­tends sa voix der­rière moi insis­ter pour que je monte… Au bout de l’es­ca­lier, la sur­prise est totale. Je suis sur le toit du han, sur les mame­lons des arches cen­te­naires que notre hôte nous invite à fou­ler sans peur. Effec­ti­ve­ment, de là où nous sommes, nous avons vue sur le Bos­phore et la Corne d’Or ; un point de vue unique, magique, tan­dis qu’à ce moment-là, je n’a­vais pas encore la moindre idée de ce à quoi pou­vait res­sem­bler cette par­tie d’Is­tan­bul. Arrêt total, souf­flé par le gran­diose, face aux anciennes geôles byzan­tines… Pen­dant que je prends mon grand bol d’air stam­bou­liote avec le reste du monde à pic à quelques mètres de moi, ver­tige che­villé au corps, il fume sa ciga­rette, l’air son­geur, comme s’il pre­nait, un fois de plus, le temps d’ad­mi­rer sa ville…

Istanbul - avril 2012 - jour 3 - 086 - Valide Han (Çakmakçılar Yokuşu Tarakçılar Cad) Sûleymaniye Camii

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ALBUM PHO­TO

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Il m’ex­plique que le bâti­ment qui se trouve au centre du han est en fait une mos­quée, mais l’ab­sence de mina­ret s’ex­plique par le fait que c’est une mos­quée chiite. Les hommes qui tra­vaillent ici sont pour la plu­part des Ira­niens. Il m’in­dique le nom de cha­cune des mos­quées qu’on voit ici. Yeni Camii, Rüs­tem Paça, Süley­ma­niye, Nuruosmaniye…

Istanbul - avril 2012 - jour 3 - 085 - Valide Han (Çakmakçılar Yokuşu Tarakçılar Cad) Yeni Camii

Le bon­homme nous emmène ensuite dans un local qui se trouve sur le toit et nous montre un ancien métier à tis­ser qui ne fonc­tionne plus. Il explique en quelques mots que l’in­dus­trie tex­tile chi­noise a détruit les emplois de ceux qui tra­vaillaient ici, mais aucune amer­tume ne trans­pire dans ses mots, c’est comme ça, c’est tout. Expli­ca­tion de texte en turc, avec mon fils, comme tou­jours fas­ci­né… (non, ce n’est pas moi le type épais qu’on voit de dos).

Une expé­rience qui res­te­ra pour moi unique en son genre.

Épi­sode sui­vant : La rose et la tulipe, car­net de voyage à Istan­bul 13 : une mos­quée au-des­sus du monde, Rüs­tem Paşa Camii

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