Episode précédent : La rose et la tulipe, carnet de voyage à Istanbul 9 : Yerebatan Sarnıcı, domaine de Méduse
Difficile de passer devant sans être frappé par sa majesté, son immense stature, ses six interminables minarets qui semblent déchirer le ciel. La Mosquée Bleue, qu’on appelle ainsi en raison des milliers de carreaux de faïence provenant d’Iznik qui en parent l’intérieur et dont la dominante de couleur créé un ensemble bleu, se voit de loin et attire nécessairement le regard. Ses façades sont de marbre, de ce marbre qu’on retrouve partout dans la ville sous de multiples formes, dans tous les lieux publics, sur les places, les fontaines, les pavements des magasins, et même jusque dans les toilettes publiques, à Beyazit, où des dalles de marbre séparent les cabines des toilettes à la turque et à la Süleymaniye où le marbre occupe richement le moindre espace dans les toilettes souterraines de la mosquée. Ce marbre veinée de gris et de bleu, d’une exceptionnelle finesse, n’est pas là par hasard. La région n’a pas l’air spécialement pourvue en minéraux, et il faut en réalité aller du côté d’une île au nom étrange, Proconnèse (île aux chevreuils en grec), qu’en turc on appelle Marmara Adası et qui donna son nom à la mer qui borde Istanbul. Marmara, c’est tout simplement le marbre, celui qui affleure et donne sa majesté à l’Istanbul ottomane en la parant de blanc, un blanc qui éblouit et donne mal à la tête lorsque le soleil s’y réfléchit.
Entrer dans la mosquée construite au XVIIème siècle sur les restes dévastés de l’ancien palais de Constantinople par sultan Ahmet Ier qui lui donna son nom (et qui ne donna que ça à son empire, vu son règne sans couleur), c’est un peu entrer dans un temple aux dimensions pharaoniques, où l’espace semble écrasant. Elle est plus récente que ses consœurs construites par Mimar Sinan, mais construite sur le même plan, avec ses tympans intérieurs copiés, comme presque toutes les autres, sur l’aspect extérieur d’Ayasofya (Sainte-Sophie), voisine de quelques dizaines de mètres.
La mosquée bleue est belle, très belle, splendide avec ses piliers colossaux, taillés dans des blocs gigantesques de marbre bleu supportant aux quatre coins de la coupole une structure qui donne le tournis. Le moindre espace est quadrillé de carreaux de faïence et de peintures sur le stuc des ornementations, conférant à la masse légère une impression de léger fouillis floral, soutenu par des vitraux colorés qui égayent l’intérieur un peu sombre. Sultanahmet est toutefois victime de son succès et les milliers de touristes qui s’y rendent s’y comportent mal ; quelques femmes y entrent sans se couvrir la tête ou les bras, des hommes portent bermudas ou short à l’intérieur, et pire que tout, certains pensent qu’ils sont chez eux et parlent à voix haute ou rigolent sans se préoccuper du silence nécessaire à la prière des gens qui sont là pour les raisons principales qui font qu’on se rend dans une mosquée. Je n’ai vu ça nulle part ailleurs dans les autres mosquées d’Istanbul, certainement parce que la masse des vulgaires touristes doit s’arrêter là, pensant avoir vu ce qu’il fallait voir de la ville et que par conséquent, ce n’était pas la peine d’aller voir d’autres lieux de culte. Trop de bruit, trop de gens mal élevés pour que je puisse apprécier le lieu à sa juste valeur et m’imprégner de l’impression de majesté liée à son imposante stature. Tant pis, j’y retournerai en hiver, sous la neige et je m’y agenouillerai pour entendre le souffle divin en attendant l’adhan, l’appel… lorsque tout le monde sera parti.
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