May 12, 2013 | Carnets de route (Osmanlı lale) |
Il faut choisir son camp : être du côté de ceux qui subissent ou du côté de ceux qui s’emparent du monde et si on est dans le camp des seconds, rien ne nous empêche de parfois nous laisser porter par le chant du monde en imaginant qu’on puisse parfaitement, pour une fois, baisser la garde et se laisser happer. Dans mon cas, je me laisse totalement laminer, car c’est un bien, une nécessité. Il faudra pour réparer se laisser la possibilité de repartir.
Topkapı Sarayı Müzesi, Harem
mai 2013
Autant dire tout de suite que si j’avais pas mal préparé ce voyage, je me suis confronté à des imprévus, des mauvais mais surtout des bons et le programme auquel, avec une certaine discipline, je m’étais promis de ne pas déroger n’a pas été du tout respecté. Que ce soit en Cappadoce ou à İstanbul, je me suis laissé entourloupé par les gens, par la ville, les odeurs et les lieux, je n’ai presque rien fait de ce que j’avais prévu et cette fois en particulier, j’ai passé beaucoup plus de temps avec les gens qu’à voir des monuments ou des sites naturels.
Pardon à ceux à qui j’avais dit que j’écrirai, mais disons que toute la chaine qui permet d’envoyer des cartes postales est un peu trop compliquée à mon goût ; cartes postales laides et rares, peu d’endroits (à part la poste) pour acheter des timbres, pas de boîtes à lettres dans la rue et nécessité de se contraindre à se déplacer jusqu’à l’unique poste pendant ses horaires d’ouverture. Trop de paramètres, selon moi. Désolé, mais j’avais un monde à explorer…
A présent, me voici de retour, avec des mines d’or à l’intérieur, la peau légèrement bronzée par un soleil qui a voulu se faire discret à İstanbul, les pieds fatigués, une petite sciatique accrochée à la fesse gauche, des valises pleines de cochonneries à manger et de bibelots et plus que tout, une belle et saine fatigue qui va nécessiter quelques jours de travail pour que tout se remette dans l’ordre.
Peu importent les babioles qu’on ramène, peu importent les photos qu’on peut prendre par milliers, car ce qui est le plus important à ramener, c’est le sourire des gens qu’on rencontre, quelques minutes de bonheur passées avec des inconnus dans la rue, les embrassades et les larmes du départ, et surtout la sensation incomparable d’avoir — enfin — pu trouver dans le monde sa deuxième maison, un endroit où laisser son cœur, un endroit où commence un deuxième monde connu.
Aussi, en temps voulu, je vous parlerai d’Ümit, de Moris, d’Ömer, de Nihat, de Bişra, de Fatoş et Bukem, un peu moins de Soliman et de Serkan qui sont des escrocs, mais surtout de Mehmet, d’Emin, de Sumru et de Sıtkı.
PS : j’apprends à l’instant qu’un nouvel attentat a frappé le sud de la Turquie, à Reyhanli, précisément dans la région d’où est originaire Sıtkı.
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Apr 30, 2013 | Carnets de route (Osmanlı lale) |
Retour en terrain connu, en Cappadoce sur la terre des premiers chrétiens, là où la terre n’est que tuf, un pays qui disparaîtra un jour et qui taira à jamais ses refuges d’ermites qui se cachaient de leurs persécuteurs. Retour aussi dans la ville lumière à la porte de l’Orient, au bord du Bosphore, où le thé coule à flot au chant du muezzin. Retour à la maison, dans ce pays qui me devient de plus en plus étranger au fur et à mesure qu’il me devient familier, dans lequel je me sens vivre, où j’aime à me poser pour regarder la vie battre des paupières comme les ailes d’un papillon. Retour à la maison, pour en revenir une fois de plus dépossédé de moi-même, kidnappé par ses sourires enjôleurs.
Départ demain matin pour İstanbul, escale puis saut de puce jusqu’à l’aéroport de Kayseri (l’ancienne Césarée) dans la partie est de la Cappadoce, voiture de location à l’aéroport pour rejoindre Çavuşin où je serai logé pendant 5 jours. Le 6 mai, retour à Kayseri, retour à İstanbul pour 5 jours, dans un hôtel à deux pas de la mosquée de Beyazıt. Retour à Paris le 11 mai au soir.
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Apr 21, 2013 | Carnets de route (Osmanlı lale), Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Turquie) |
Épisode précédent : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Carnet de voyage en Turquie – 5 août) : Myra (Demre), Andriake, Lykia Yolu
Bulletin météo de la journée (lundi) :
- 10h00 : 36.7°C / humidité : 25% / vent 30 km/h
- 14h00 : 39.5°C / humidité : 18% / vent 19 km/h
- 22h00 : 35.0°C / humidité : 23% / vent 13 km/h
Certaines journées semblent faites pour ne rien faire, où tout se met en place d’une telle manière qu’on a l’impression qu’on n’arrivera pas à se coordonner avec l’ordre des événements et qu’il faut soit baisser les bras et se laisser porter, soit lutter contre des moulins.
Puisque je suis au bord de la mer, je décide de passer une matinée calme au bord de l’eau. La côte est cruellement découpée et les à‑pics de roches qui tombent dans la mer sont autant d’entraves à s’approcher de la mer et les quelques plages de sable sont vite prises d’assaut. En même temps, comme une petite plage privée se trouve au pied de l’hôtel, je n’ai qu’à traverser la route — très passagère — pour arriver sur la plage, qui n’a de plage que le nom, car c’est plutôt une enfilade de terrasses posées sur les rochers reliées entre elles par des volées d’escaliers dans tous les sens, jusqu’à la dernière plateforme où un escalier descend dans la mer après qu’on se soit brûlé les pieds sur les caillebotis.
L’eau est un agitée dans cette baie naturelle et l’eau est d’un beau bleu profond et je peux voir avec le masque des petits poissons qui viennent barboter près des rochers. Je passe ma matinée entre l’eau et l’ombre du parasol ; je bulle. Je commande des wraps que le garçon m’apporte en sautillant tellement le sol est chaud. Baignade, somnolence, etc.
L’après-midi, déjà bien avancée, molle, sans vigueur, je prends la voiture pour me rendre à Arycanda, une ancienne ville lycienne tranquille cachée, paraît-il, dans les pins de l’arrière pays, dans un petit bled du nom d’Aykiriçay que le GPS ne connaît pas, que les cartes ne connaissent pas et pour lequel je n’ai qu’une indication vague… pas loin de la route qui va d’Elmalı à Finike. En gros, je n’ai rien de plus que ça pour me repérer. Je roule jusqu’à une petite ville qui porte le doux nom de Kasaba, qui marque le point où tout commence à aller de travers. Des camions à la benne remplie de rochers énormes m’ont empêché soit de rouler à une allure correcte, soit de les doubler sur des routes à peine plus larges que le camion. J’ai traversé ensuite la petite ville de Karadağ (montagne noire) qui longe le lit d’une rivière large et asséchée qui doit être le printemps venu le lit d’un torrent de montagne assez violent et de là, j’ai tout perdu ; la possibilité que le GPS me donne quoi que ce soit à grignoter, les panneaux de direction qui ont commencé à se faire rares aux bifurcations, la carte qui restait muette à mes imprécations l’exhortant à me donner une semblant de réponse à ce que je cherchais… J’ai rencontré une tortue qui a traversé la route plus rapidement qu’un petit vieux avec une canne, j’ai traversé d’immenses forêts de résineux, fait demi-tour une, deux, trois fois… emprunté une route qui m’a emmené dans des exploitations agricoles, une route de montagne éprouvante sur laquelle j’ai fait demi-tour parce que je commençais à avoir le vertige, des panneaux virage dangereux tous les cinquante mètres et des routes qui tournent après des monticules de terre. Je traverse des tout petits villages perdus où des paysans vivent tranquillement et qui se sont amusés à me voir passer plusieurs fois avec ma voiture immatriculée à Izmir, à six heures de route d’ici, après Dağbağ (vignoble de montagne). Le route a été coupée plusieurs fois en raison de travaux destinés à construire des ponts au-dessus du torrent qui parfois a l’air d’être aussi large que la Seine à Paris ; les routes sont parfois littéralement déviées à l’intérieur du lit, sur les cailloux. J’imagine la tête du loueur de voiture quand je vais la lui rendre et quand il va se rendre compte que le bas de caisse est à refaire ; il va me blacklister dans toute la Turquie et je ne pourrais plus jamais louer de voiture dans ce pays. Je trouve des vendeurs de pastèques sur le bord des routes poussiéreuses qui ceignent des montagnes aux sommets recouverts de croûtes verdâtres. Sur le flanc de la montagne, au plus loin que je suis allé, la route s’est mise à serpenter dans des lacets qu’en d’autres pays on aurait fermé à la circulation tellement c’est dangereux, avec le vide pour seule compagnie à ma gauche. Vu comme les Turcs conduisent, je me dis que si croise quelqu’un, un de nous deux va se retrouver en dehors de la route…
Avec tous ces tours et ces détours, je finis par abandonner, il est trop tard et je ne pourrai jamais arriver à temps à Arycanda, si tant est que je finisse par trouver la route. Arycanda m’a échappé.
Sur la route du retour, je me suis arrêté dans un petite ville à la sortie de Kaş, dans la direction du site archéologique d’Isında, qui porte le nom de Belenli. Je n’ai pas trouvé le site archéologique, simplement un petit village discret au milieu duquel se trouve une mosquée flambant neuve, avec des coupoles de zinc ou de plomb, vers laquelle tout le monde se dirige à l’heure de la prière. Je vois en fait surtout des femmes, coran dans une main, enfant dans l’autre.
Je pensais n’avoir rien vu de la journée, mais j’ai en fait vu des tonnes de choses, qui sont simplement autres que ce que je pensais voir. La balade n’en était pas moins intéressante, puisque j’ai réussi à me perdre sur ces routes de montagnes hostiles, j’ai vu des villages que personne ne vient voir, j’ai vu des lits de rivière asséchés, des animaux, des montagnes… j’ai vu la Turquie de tous les jours, la Turquie de la montagne. Il faudrait penser, dans ces voyages, à refonder le rôle du regard. Tout y est ethnographie.
Le soir, arrivé à Kaş, je m’arrête dans un petit restaurant pour y prendre de quoi manger à emporter. C’est un tout petit restaurant dans la partie véritablement turque, tenu par une femme et son fils, à qui j’ai du mal à faire saisir l’idée qu’on puisse emporter sa nourriture, take away, mais loin d’avoir les deux pieds dans le même sabot, il sort son téléphone, se connecte sur Google translate et me demande d’écrire le mot. Lorsqu’il voit la traduction (götürmek) ses yeux s’éclairent et il file dans la cuisine. Je ressors avec une çoban salata, des mantı (ravioli ottomans farcis à la viande baignant dans la crème fraîche et saupoudrés de paprika) et une portion de frites (par contre, ne pas se tromper, porsiyon en turc signifie assiette) et je file m’acheter une bouteille de vin de cerise.
En arrivant à l’hôtel, je m’installe sur le balcon, pose la nourriture sur la petite table… et je me rends compte que je n’ai ni couverts, ni tire-bouchon… Ce n’était vraiment pas le jour… J’ai mangé mes mantı avec les doigts et j’ai enfoncé le bouchon dans la bouteille, m’éclaboussant au passage le pantalon d’un vin qui tâche à peine…
Il est temps d’aller se coucher.
Voir les lieux traversés sur Google Maps :
Voir les 15 photos de cette journée sur Flickr.
Épisode suivant : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Carnet de voyage en Turquie – 7 août) : Pamukkale, le château de coton et le martyrium de l’apôtre Philippe, Hiérapolis
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Apr 14, 2013 | Carnets de route (Osmanlı lale), Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Turquie) |
Épisode précédent : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Carnet de voyage en Turquie – 4 août) : Kaputaş plaji, Mavi Mağara, Kalkan (Antalya Fethiye Yolu)
Bulletin météo de la journée (dimanche) :
- 10h00 : 37.5°C / humidité : 25% / vent 26 km/h
- 14h00 : 40.4°C / humidité : 17% / vent 15 km/h
- 22h00 : 36.3°C / humidité : 25% / vent 19 km/h
Comme j’ai vu que la température allait peut-être grimper aujourd’hui, je n’ose pas mettre le nez dehors, mais finalement, il fait assez bon, ni plus ni moins que les jours précédents, tout ceci est tellement routinier à présent. Mais bon 38°C c’est quand-même chaud… Je monte dans la voiture où j’attrape une suée à peine assis, il doit faire plus de 50°C… A peine sorti de Kaş, je tombe sur un groupe de jeunes au bord de la route qui me font signe, ils sont huit au moins et ils m’indiquent la direction de Demre et je leur dit oui, c’est bien par là, mais ce n’était pas la question, ils voulaient que je les emmène, mais huit dans la voiture, ça ne va pas être possible alors je sors un gros bobard, comme quoi je quitte la route à cent mètres pour aller vers l’est. Déception de leur part, soulagement de la mienne.
Sur la route, c’est un étrange paysage composé de pierres érigées séparées par des touffes d’herbes, des arbustes drus. A Yavu, je tombe sur des chèvres qui sont enfermées sous une bâche bleue, dans un enclos ridicule sur une immense plaine nue. Le paysage en arrivant sur la grande ville n’est fait que d’un océan de serres, troué de temps en temps par le minaret d’une mosquée solitaire dans le morne paysage.
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Mar 29, 2013 | Carnets de route (Osmanlı lale), Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Turquie) |
Épisode précédent : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Carnet de voyage en Turquie – 3 août) : Üçağız, Kekova, Dochiste (Apollonia), Geyikova Adası, Kaleköy (Simena)
Bulletin météo de la journée (samedi) :
- 10h00 : 39.4°C / humidité : 58% / vent 7 km/h
- 14h00 : 40.1°C / humidité : 58% / vent 22 km/h
- 22h00 : 39.2°C / humidité : 76% / vent 4 km/h
Aujourd’hui, je me lève fourbu, la peau rougie, douloureuse et la tête me tourne. J’ai l’impression d’avoir trop pris le soleil et le manque d’habitude m’indique qu’il faut que je me pose, que le calme sera le bienvenu. Je n’irai pas beaucoup plus loin que la zone ombragée de la piscine une partie de la journée, et en soirée j’improviserai.
Il flotte dans les couloirs de l’hôtel une odeur de détergent au citron qui me fait penser aux bungalows de Majorque où j’étais allé avec ma mère adolescent. Le bâtiment lui-même est un monument un peu daté, très années 50, qui commence à faire hors d’âge. C’est un bloc de béton accroché à la montagne, sur le bord de la route, desservi par un escalier très large donnant sur des coursives ; celle du premier étage donne sur une terrasse ouverte qui fait toute la largeur du bâtiment. Il y a du marbre partout dans les halls, les corridors et sur la terrasse, mais pas dans les chambres où l’on trouve un carrelage imitant (mal) un parquet en bois lui-même hors d’âge. Le mobilier est simple, lourd, mais relativement moderne, la literie est dure mais c’est un gage de bonne nuit sans courbatures.
Il fait encore très chaud ce matin, je devrais être habitué. D’après la météo, demain et après-demain, les températures devraient être plus élevées de quelques degrés, mais au point où j’en suis, je ne sais pas si je pourrais faire la différence. (more…)
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