Une demi-heure après, leur thé ingur­gi­té, mes trois visi­teurs pre­naient congés. Je m’ac­ti­vai dehors à cas­ser du bois pour le feu. Sou­dain, venant du bois, des coups de fusil reten­tirent dans le loin­tain ; un d’a­bord, puis un autre. Des coqs de bruyère s’en­vo­lèrent, effrayés par le bruit. Au som­met d’un pin, un geai fit entendre sa plainte. Ensuite, tout rede­vint calme. J’é­cou­tai lon­gue­ment pour voir si per­sonne n’ap­pro­chait, mais rien ne vint plus bri­ser le silence.

Untitled

Sur le bas Ienis­seï, la nuit tombe de très bonne heure. Ren­tré à l’in­té­rieur de la cabane, je fis du feu dans le poêle et com­men­çai à faire cuire ma soupe, sans ces­ser de guet­ter le moindre bruit venant du dehors. Je sen­tais, invi­sible, impal­pable, la pré­sence de la mort qui rôdait autour de moi, prête à tout moment à se décou­vrir sous un aspect impré­vi­sible : l’homme, la bête, le froid, l’ac­ci­dent, la mala­die… Face à elle j’é­tais seul, n’ayant pour seul recours que la vigueur de mes bras et de mes jambes, la pré­ci­sion de mon tir, la viva­ci­té de mon esprit, et la Pro­vi­dence divine ! Plon­gé dans ces sombres réflexions, je ne m’a­per­çus pas du retour de l’é­tran­ger. Comme la veille, il appa­rut tout à coup sur le seuil. A tra­vers la buée, je dis­tin­guai d’a­bord les yeux rieurs qui se déta­chaient sur le fin visage. Il entra dans la cabane et, avec un grand bruit, dépo­sa dans un coin trois fusils.
— Deux che­vaux, trois fusils, deux selles, deux boîtes de bis­cuits, un demi-paquet de thé, un sachet de sel, cin­quante car­touches, deux paires de bottes, énu­mé­ra-t-il en riant. Bonne chasse aujourd’hui.

Fer­dy­nand Ossen­dows­ki, Bêtes, hommes et dieux
A tra­vers la Mon­go­lie inter­dite, 1920–1921
Edi­tions Phe­bus Libretto

Ain­si com­mence le grand roman fan­tôme d’aventures…

Après

Tags de cet article: , ,