Reve­nons un peu en arrière. Constan­tin V fut l’un des empe­reurs les plus craints de la période byzan­tine. Réso­lu­ment ico­no­claste, il per­sé­cu­ta moines et moniales de la pire façon qui soit, mis­sion­nant des expé­di­tions puni­tives au sein même des monas­tères, obli­geant les gens d’é­glise à toutes sortes d’exac­tions qui font froid dans le dos. Nous sommes dans une époque sombre. Léon III l’I­sau­rien, son père, fut celui qui ame­na en terre de Constan­ti­nople l’i­déo­lo­gie ico­no­claste et en fit une nou­velle poli­tique théo­lo­gique, au terme du siège qui oppo­sa le Cali­fat Omeyyade à la Nou­velle Rome et qui se ter­mi­na dans un bain de sang. Son esprit radi­cal le por­tant à sou­te­nir les idées de son père, il se fit très rapi­de­ment des enne­mis dans le camp des chré­tiens, géné­rant de nom­breuses réac­tions et des sobri­quets lui tom­bèrent vite sur le dos. La légende reste tenace, mais on ne sait réel­le­ment si les évé­ne­ments qui lui valurent le sur­nom de « Copro­nyme » (Κοπρώνυμος), ce qui veut dire lit­té­ra­le­ment « nom de merde », ont réel­le­ment eu lieu. Voi­ci la rela­tion des faits inter­ve­nus le jour de son bap­tême par le Min­sou­ra­tor Léontios.

Constan­tin V Copro­nyme et son père Léon III l’Isaurien

[…] Enfin, on m’ap­por­ta un encen­soir tout fumant. Le prince impé­rial fut alors plon­gé dans l’eau gla­cée de son bap­tême, conti­nuant comme un for­ce­né à se convul­ser et à écla­bous­ser de par­tout, au risque d’é­chap­per aux mains qui le tenaient. L’hymne sacré s’é­le­va d’une seule voix du Baptistère :

Tu es bap­ti­sé au nom du Seigneur,
Sois notre frère en Jésus-Christ…

A peine ces pre­mières paroles eurent-elles été pro­non­cées, et alors qu’elles nous reve­naient, reprises comme en écho, par toute la Grande-Église, qu’on vit le patriarche se recu­ler, ses traits défi­gu­rés par l’é­pou­vante. Aus­si­tôt après avoir sor­ti l’en­fant de l’eau, il ne le por­tait plus à bout de bras qu’a­vec dégoût. On aurait dit que d’un ins­tant à l’autre il allait le lâcher. Il se tour­na d’a­bord vers l’empereur sans ces­ser sa gri­mace, puis vers l’as­sis­tance dans le but d’en récla­mer une aide ou de la prendre à témoin, sup­pliant qu’on l’en débar­ras­sât. Seuls quelques-uns l’en­ten­dirent mur­mu­rer, pour lui-même : « Mon Dieu, quelle hor­reur ! Satan a fait son œuvre. Voi­là qui pré­sage les plus grands maux pour les chré­tiens ! Cet enfant souille­ra l’Église ! »
Intri­gué, et sans qu’on eût com­pris sur-le-champ les rai­sons de ce désar­roi, cha­cun à son tour se pen­cha, incli­nant sa lampe au-des­sus de la conque de marbre. A la sur­face de l’eau noire flot­taient de minus­cules étrons. L’en­fant venait de défé­quer dans les fonts bap­tis­maux. Qui put ima­gi­ner une chose pareille ? […]

Réfu­ta­tion par le Min­sou­ra­tor Léon­tios, chef des thu­ri­fé­raires, des accu­sa­tions diverses dont il fut l’ob­jet à la suite des inci­dents qui mar­quèrent le bap­tême de Constan­tin, dit « le Copronyme ».

Le règne de l’empereur, pour­tant fin stra­tège et chef mili­taire hors pair au point que l’on prê­ta à son fan­tôme cer­taines vic­toires contre les Bul­gares, fut pas­sa­ble­ment tour­men­té. La per­sonne de l’empereur fut elle-même sou­mise à l’at­tri­bu­tion d’un autre sur­nom ; « Cabal­li­nos », c’est-à-dire à peu de choses près, le che­val­lin. Ama­teur de courses de che­vaux dans l’Hip­po­drome, il aimait éga­le­ment s’a­don­ner à divers plai­sirs dans les écu­ries… Un de ses passe-temps, dit-on, était de s’as­per­ger le corps de l’u­rine de ses juments et de s’en­duire de leurs excré­ments… Res­pec­tant peu les pré­ceptes de la reli­gion, il conver­tit l’é­glise Sainte-Euphé­mie en dépôt de fumier et y ins­tal­la cer­tains de ses che­vaux, et il était de noto­rié­té publique que s’en­ga­geait fré­quem­ment des courses pour­suites entre les stalles, qui se ter­mi­naient dans la litière souillée et puante des ani­maux, le corps maigre de l’empereur enfour­chant celui du pre­mier pale­fre­nier qu’il trouvait…

Atteint du char­bon, une plaie béante lui dévo­rant la cuisse, il finit sa vie tour­men­tée en cam­pagne et dans un état de déla­bre­ment et de folie terrible.

Le simple contact d’une jam­bière de métal ou d’une étoffe lui était comme un fer rouge appli­qué sur sa plaie. Il allait donc à demi nu, ce qui n’é­tait pas, disait-on, tout à fait pour lui déplaire. […] La pous­sière noire qui tom­bait de ses pus­tules emplis­sait à la fois d’hor­reur et de com­pas­sion les sol­dats que ses faits d’arme conti­nuaient à lui gar­der fidèles et qui le véné­raient à l’é­gal d’un dieu. […] Consu­mé par une fièvre ardente, Constan­tin de temps à autre se pre­nait à hur­ler : « Je suis brû­lé vivant par un feu inextinguible. »

Frag­ment de « vie, mort et légendes de Constan­tin V » par un ano­nyme du XIIème siècle.

Constan­tin mou­rut dans d’a­troces souf­frances le 14 sep­tembre 775, soit disant en ser­rant contre son cœur l’i­cône de la Vierge Théo­to­kos qu’il avait pas­sé sa vie à persécuter.

Tous les textes sont extraits de l’Ico­no­claste, d’Alain Nadaud
Edi­tions Quai Vol­taire, 1989

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