Le long du Mékong avec Louis de Car­né à bord de la canon­nière 27

Le long du Mékong avec Louis de Car­né à bord de la canon­nière 27

Ils étaient six, six hommes par­tis sur les traces d’Hen­ri Mou­hot, celui qui mit au jour les ruines d’Ang­kor en 1861, ou plu­tôt qui fit redé­cou­vrir au monde les temples que les Khmers ne ces­sèrent d’ho­no­rer du fin fond de la forêt cam­bod­gienne… Par­tis d’Ang­kor, ils ont remon­té le Mékong, fleuve nour­ri­cier pre­nant sa source en Chine et se jetant dans la Mer de Chine non loin de Hô Chi Minh-Ville. Ils étaient six, mais l’ex­pé­di­tion dure près de trois ans et le chef de l’ex­pé­di­tion, Ernest Dou­dart de Lagrée, meurt avant la fin du voyage qui se ter­mine dans le Yun­nan chi­nois. Ils étaient six, comme sur cette pho­to deve­nue célèbre. De gauche à droite : Louis de Car­né, Lucien Jou­bert, Capi­taine Ernest Dou­dart de Lagrée, Clo­vis Tho­rel, Lieu­te­nant Louis Dela­porte et Lieu­te­nant Fran­cis Gar­nier. Dela­porte est celui qui ramè­ne­ra les plus beaux des­sins d’Ang­kor encore vierge de toute pré­sence humaine. Ils sont fiers et beaux ces hommes qui ont dû mau­dire les dieux d’a­voir mis sur terre cet envi­ron­ne­ment aus­si hostile…

Membres de la Mission d'exploration du Mékong

Des enfants vêtus de jaune et quelques vieilles habi­tuées du sanc­tuaire, à en juger par la fami­lia­ri­té avec laquelle elles trai­taient leur dieu, désha­billèrent de son écharpe la petite sta­tue de Boud­dha, lui ver­sèrent de l’eau sur la tête, l’é­pon­gèrent avec soin, et lui remirent enfin sa che­mise rouge ; les cym­bales, les gongs et les grosses caisses nous réveillèrent en sur­saut, et la foule enva­hit le han­gar dont nous n’oc­cu­pions que le plus petit espace pos­sible. On allu­ma des cierges, on brû­la de vieux chif­fons et longues mèches. Les assis­tants fai­saient toute sorte de gestes, por­taient la main à leur front et bai­saient la terre, puis l’ar­ro­saient à l’aide d’une gar­gou­lette dont cha­cun était muni. Cela n’empêchait pas de cau­ser, de rire, de fumer ; nul res­pect, nul recueille­ment, aucun signe de pié­té inté­rieure n’ap­pa­rais­sait sur tous ces visages, si ce n’est sur les traits du vieux bonze, chef de la pagode.

Louis de Car­né, jeune homme vaillant pro­mis à un brillant ave­nir, reste à l’é­cart du reste du groupe, jamais véri­ta­ble­ment inté­gré, sus­pec­té d’a­voir été pis­ton­né par un ami­ral en vue pour cette expé­di­tion. Pour­tant, le jeune homme, seul civil du groupe, accom­plit conscien­cieu­se­ment sa mis­sion. Char­gé de la par­tie des­crip­tive du voyage et des ren­sei­gne­ments com­mer­ciaux, il rap­porte un texte beau­coup moins connu que celui de Fran­cis Gar­nier (Voyage d’ex­plo­ra­tion en Indo-chine, effec­tué pen­dant les années 1866, 1867 et 1868). En réa­li­té, ce ne sont que des notes qu’il finit par publier en plu­sieurs par­ties dans la Revue des Deux Mondes, sous le titre L’ex­plo­ra­tion du Mékong. Louis de Car­né, épui­sé par les fièvres contrac­tées lors de l’ex­pé­di­tion, s’é­teint à Plo­me­lin en 1871, à l’âge de 27 ans. C’est son père, Louis-Marie de Car­né, qui ter­mi­ne­ra la mise en forme de ses notes de voyage et se char­ge­ra de la publi­ca­tion de ses articles en livre, sous le titre Voyage en Indo-Chine et dans l’empire chi­nois en 1872.

Il pleu­vait tou­jours, et nous étions pour la plu­part sans chaus­sures. Nos pieds étaient meur­tris par les pierres, per­cés par les épines, sai­gnés par les sang­sues ; la fièvre pâlis­sait les visages et, symp­tôme effrayant, la gaie­té com­men­çait à s’é­va­nouir. Mal­gré la pesan­teur étouf­fante de l’air, après quelques heures de marche dans pareilles condi­tions, le froid nous sai­sis­sait en tra­ver­sant des tor­rents dont l’eau était ordi­nai­re­ment gla­ciale. Quelle ne fut donc pas notre sur­prise, en entrant pour la cen­tième fois dans l’un de ces innom­brables affluents du Mékong, de res­sen­tir aux jambes une cha­leur assez forte pour nous faire éprou­ver une impres­sion dou­lou­reuse ! Nous venions de décou­vrir un source d’eau ther­male sul­fu­reuse à quatre-vingt-six degrés centigrades […]

Le texte est dis­po­nible aux édi­tions Magel­lan et Cie, dans la col­lec­tion Heu­reux qui comme…

Articles publiés dans la Revue des Deux Mondes (allez savoir pour­quoi les numé­ros 6 et 7 sont introuvables):

Pho­to d’en-tête © Ciao­Ho (floa­ting mar­ket. Nga­nam town, Soc­trang pro­vince, Viet­nam. Jan 26th. 2014)

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Un récit qui donne un beau visage

Un récit qui donne un beau visage

Encore un billet sau­vé des terres de l’oubli…

Tout a com­men­cé le jour où j’ai ouvert un livre de Jorge Luis Borges, un livre pré­fa­cé par l’auteur lui-même, El informe de Bro­die. Sans avoir per­sé­vé­ré dans la lec­ture de ce recueil de nou­velles, je me suis plon­gé dans la pré­face (que je n’aime pas lire en règle géné­rale, pour me plon­ger tout de suite dans la lec­ture), un texte court et dont la tour­nure m’a tout de suite inter­pel­lé. Voi­ci un extrait de ces mots:

Les der­niers contes de Kipling ne sont pas moins laby­rin­thiques et angois­sants que ceux de Kaf­ka ou ceux de James et leur sont, sans aucun doute, supé­rieurs ; mais en 1885, à Lahore, Kipling avait com­men­cé à écrire une série de récits brefs, d’une langue et d’une forme très simples, qu’il ras­sem­ble­rait dans un recueil en 1890. Beau­coup d’entre eux – In the House of Sud­dhoo, Beyond the Pale, The Gate of the Hun­dred Sor­rows – sont des chefs‑d’œuvre laco­niques ; je me suis dit un jour que ce qu’avait ima­gi­né et réus­si un jeune homme de génie pou­vait, sans outre­cui­dance, être imi­té par un homme de métier, au seuil de la vieillesse. Le pré­sent volume, que mes lec­teurs juge­ront, est le fruit de cette réflexion.

Je recom­mande cha­leu­reu­se­ment la lec­ture de ce livre, et sur­tout de la pré­face. C’est une mine d’or dans un salon. Ces mots, je le disais, m’ont inter­pel­lé, pour la simple et bonne rai­son que j’ai lu les contes de Kipling dont Borges parle. Ras­sem­blés en France et de manière très par­cel­laire dans un volume nom­mée L’homme qui vou­lut être roi (au Royaume-Uni aug­men­té et nom­mé Indian tales), ce recueil fait selon moi par­tie des plus beaux ouvrages qu’il m’ait été don­né de lire. J’en veux pour preuve ce magni­fique poème, L’Envoi:

And they were stron­ger hands than mine
That dig­ged the Ruby from the earth
More cun­ning brains that made it worth
The large desire of a King;
And bol­der hearts that through the brine
Went down the Per­fect Pearl to bring.

Lo, I have wrought in com­mon clay
Rude figures of a rough-hewn race;
For Pearls strew not the market-place
In this my town of banishment,
Where with the shif­ting dust I play
And eat the bread of Discontent.
Yet is there life in that I make,
Oh, Thou who kno­west, turn and see.
As Thou hast power over me,
So have I power over these,
Because I wrought them for Thy sake,
And breathe in them mine agonies.

Small mirth was in the making. Now
I lift the cloth that cloaks the clay,
And, wea­ried, at Thy feet I lay
My wares ere I go forth to sell.
The long bazar will praise but Thou
Heart of my heart, have I done well?

Hôpi­tal déser­té de Pove­glia à Venise — Pho­to © Rebec­ca Bathory

Borges, un vision­naire ayant per­du la vue. J’ai retrou­vé sa trace un peu plus loin, dans un livre que j’ai ache­té il y a bien long­temps uni­que­ment parce que je trou­vais la cou­ver­ture aus­si intri­gante que le nom de l’auteur. Il s’agit de L’invention de Morel d’Adol­fo Bioy Casares. Racon­ter cette his­toire sera faire insulte à son auteur, car il s’agit réel­le­ment d’un texte excep­tion­nel. Borges y est encore pré­sent car il est l’auteur de la pré­face, une autre pré­face étonnante.

Ste­ven­son, vers 1882, obser­vait que les lec­teurs bri­tan­niques dédai­gnaient un peu les péri­pé­ties roma­nesques et pen­saient qu’il était plus habile d’écrire un roman sans sujet, ou avec un sujet infime, atro­phié. (…) Telle est, sans doute, l’opinion com­mune en 1882, en 1925 et même en 1940. Quelques écri­vains (par­mi les­quels il me plaît de comp­ter Adol­fo Bioy Casares) croient rai­son­nable de n’être pas d’accord. (…) En espa­gnol, les œuvres d’imagination rai­son­née sont peu fré­quentes et même très rares. Nos clas­siques pra­ti­quèrent l’allégorie, les exa­gé­ra­tions de la satire ou bien, par­fois, la pure inco­hé­rence ver­bale ; par­mi les œuvres récentes, et je n’en vois pas, sinon tel conte des Forces étranges ou tel autre de San­tia­go Dabove : tom­bé dans un injuste oubli. L’invention de Morel (dont le titre fait filia­le­ment allu­sion à un autre inven­teur insu­laire, à Moreau) accli­mate sur nos terres et dans notre langue un genre nouveau.

Quelle audace de sa part quand il finit par:

J’ai dis­cu­té avec son auteur les détails de la trame, je l’ai relue : il ne me semble pas que ce soit une inexac­ti­tude ou une hyper­bole de la qua­li­fier de parfaite.

A la lec­ture de l’invention de Morel, on tombe dans un monde étrange, une île moite et soli­taire, sur laquelle s’ébat (ou plu­tôt tente de sur­vivre) un homme en fuite, seul, arpen­tant des endroits autre­fois somp­tueux mais désor­mais à l’abandon. J’avoue que suivre le fil de l’aventure ne m’a pas été facile, car l’auteur brouille les cartes du début à la fin.

Je mon­tai l’escalier : c’était le silence, le bruit soli­taire de la mer, une immo­bi­li­té tra­ver­sée de fuites de mille-pattes. J’eus peur d’une inva­sion de fan­tômes, une inva­sion de poli­ciers étant moins vrai­sem­blable. Je pas­sai des heures, ou peut-être des minutes, der­rière les rideaux, affo­lé à l’idée de la cachette que j’avais choi­sie (…). Puis, je me ris­quai à visi­ter soi­gneu­se­ment la mai­son, mais mon inquié­tude per­sis­tait : n’avais-je pas enten­du, tout autour de moi, ces pas clairs qui se dépla­çaient à dif­fé­rentes hauteurs ?

Le décor est plan­té, il s’y passe quelque chose de tota­le­ment irréel, dans une ambiance ter­ri­ble­ment ten­due alors qu’un seul per­son­nage évo­lue dans un décor situé entre Shi­ning et Apo­ca­lypse now.

C’est dans ces moments d’extrême angoisse que j’ai ima­gi­né ces expli­ca­tions vaines et injus­ti­fiables. L’homme et le coït ne sup­portent pas de trop longues intensités.

Pho­to d’en-tête © Mass­mo Relsig

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Le paquet-mes­sage de Rudyard Kipling

Le paquet-mes­sage de Rudyard Kipling

Exhu­mé des terres anciennes de l’é­cri­ture, quelques mots sur­gis du passé :

J’ai trou­vé ces mots, dans l’His­toire de la lec­ture d’Alber­to Man­guel.

Alors qu’il m’écoutait lire un poème de Kipling, “Bise­sa” (dans L’homme qui vou­lut être roi), Borges m’interrompit après une scène où une veuve hin­doue envoie à son amant un mes­sage com­po­sé de plu­sieurs objets embal­lés ensemble. Il en sou­li­gna la jus­tesse poé­tique et se deman­da à haute voix si Kipling avait inven­té ce lan­gage concret et cepen­dant symbolique.

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Un numé­ro ren­voyait à une note en fin d’ouvrage :

A l’époque, ni Borges ni moi ne savions que le “paquet-mes­sage” de Kipling n’était pas une inven­tion. D’après Ignace J. Gelb (The His­to­ry of Wri­ting, Chi­ca­go, 1952), au Tur­kes­tan orien­tal, une jeune femme envoya à son amant un mes­sage consis­tant en une poi­gnée de thé, une feuille d’herbe, un fruit rouge, un abri­cot sec, un mor­ceau de char­bon, une fleur, un mor­ceau de sucre, une aile de fau­con et une noix. Le mes­sage signi­fiait : “Je ne peux plus boire de thé, je suis aus­si pâle que l’herbe sans toi, je rou­gis quand je pense à toi, mon cœur brûle comme le char­bon, ta beau­té est celle d’une fleur, ta dou­ceur celle du sucre, mais ton cœur est-il de pierre ? Je vole­rais vers toi si j’avais des ailes, je suis à toi telle une noix dans ta main.”

Un peu plus loin, une cita­tion que je ne peux lais­ser pas­ser, d’Ezechiel Martí­nez Estrada :

Lire est une des formes les plus déli­cates de l’adultère.

Pho­to d’en-tête © Pepe Pont

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Moka au bar dans le port de Hong Kong, au prin­temps, en atten­dant que le brume du matin se dis­sipe (semaine #2)

Moka au bar dans le port de Hong Kong, au prin­temps, en atten­dant que le brume du matin se dis­sipe (semaine #2)

Des livres par­tout, dans des car­tons qui ne sont pas encore débal­lés, depuis toutes ces années, des livres que tu ne liras pas parce que tu n’en as plus rien à faire. Les livres t’ac­com­pagnent mais tu deviens de plus en plus dif­fi­cile, avec l’âge, avec le temps qui passe et la vie qui prend des formes aux­quelles tu ne t’at­ten­dais pas, alors tu regardes tout ce maté­riel d’un air un peu hau­tain en te disant que tu vas bien finir par faire le tri et bazar­der tout ce qui est super­flu. Des livres que tu ne liras plus jamais et qui ne ser­vi­ront pas à la pos­té­ri­té. Ton fils vou­dra peut-être pio­cher dedans et navi­guer comme toi, en d’autres temps, tu cher­chais dans la biblio­thèque de tes grands-parents de quoi te nour­rir, même si en fin de compte, la lec­ture, pour toi, ça ne signi­fiait pas grand-chose. Faut-il lui lais­ser le choix ? Lui per­mettre cette porte ouverte au risque de t’en­com­brer pour rien ? Il fera ses propres choix, lira ce qu’il veut, s’il lit, pio­che­ra dans les meilleurs que tu auras gar­dés comme dans un sanc­tuaire. Les autres, tu vas les jeter, les don­ner, ça n’a plus d’im­por­tance pour toi. Seuls quelques uns valent vrai­ment la peine que tu te pré­oc­cupes d’eux. En regar­dant la liste de tout ce que tu as lu ces der­nières années, tu te rends compte que tu ne te sou­viens même pas de cer­tains. Ils se sont comme effa­cés de ta mémoire, dis­pa­rus, tom­bé dans l’a­bîme (ou dans l’a­byme si on a vécu avant 1990), ils ne sont plus rien pour toi et ne te rap­pelles même plus une époque, ou des odeurs, ou des lumières. Ils sont tom­bés du côté de l’obscurité.

Imman­qua­ble­ment, tu finis­sais par feuille­ter les albums de pho­tos qui remon­taient à la nuit des temps, à ta nuit des temps, à une his­toire anté­di­lu­vienne au regard de la tienne et qui semble aujourd’­hui encore plus loin­taine, comme la vie d’un autre, un illustre incon­nu dont tu connais par­fai­te­ment la bio­gra­phie à force d’a­voir éplu­ché les docu­ments archi­vés dans les biblio­thèques du savoir uni­ver­sel. Tu deviens Sha­kes­peare à tes propres yeux, tu ne sais même pas s’il a exis­té et tu finis par fan­tas­mer sa vie parce que tu ne sais pas lire les sources tel­le­ment diver­gentes qu’elles finissent par embru­mer ton juge­ment, comme ta vue d’ailleurs. Ton regard se trouble. Des larmes te montent dans les yeux et tu ne sais plus. Ton his­toire se perd.

Tu retrouves par­mi les pages des albums cette pho­to qui a été prise en Guyane en 1983, comme cette même pho­to dont tu ne sais pas quoi dire. C’est ton grand-père à l’âge de 57 ans, avec ses belles che­mises tou­jours bien repas­sées (c’est ta grand-mère qui les lui repas­saient). Il porte un pares­seux, un aï, et tu es bien en peine de trou­ver une réponse à cette ques­tion ; que fait-il avec un pares­seux dans les bras ? Tu n’en sais rien du tout et cela te plonge dans l’a­bîme encore une fois. Ta grand-mère n’y était pas, elle est bien en peine elle aus­si de te répondre. Et ton grand-père a dis­pa­ru en 2010, il n’est plus là pour te répondre, car au fond, il était bien le seul à savoir. Le drame dans cette his­toire, c’est que tu avais déjà posé la ques­tion à ton grand-père, plu­sieurs fois peut-être, mais tu as oublié, tu en as per­du le sens. Encore une fois.
Tu le sens bien embê­té de por­ter l’a­ni­mal dont on sait que les griffes sont tran­chantes comme des rasoirs. Tu le sens à la fois embê­té et pas très ras­su­ré, mais regarde comme son regard est vif ! C’est le regard que tu lui ver­ras jus­qu’à ses der­niers jours, tan­dis qu’il lut­tait de toutes ses forces contre la mala­die, à bout de souffle.

Pépé…

Paresseux - Guyane

Il est temps de remettre un peu d’ordre dans tes affaires, de ran­ger ton bureau, de trier tout ce que tu as rame­né de Thaï­lande, des Fisher­man’s friend qu’on ne trouve que là-bas, goût cerise, citron, man­da­rine, mais aus­si des sachets entiers d’é­pices pour pré­pa­rer le Laab Nam­tok, cette salade de porc épi­cée aux herbes fraîches, des cen­taines de bâtons d’en­cens, de cette même sorte que les boud­dhistes uti­lisent à outrance dans les temples pour s’at­ti­rer les bonnes grâces du sort, et un kilo de les­sive dont je ne connais ni l’emballage, ni le nom, cette les­sive dont le par­fum embaume les arrière-cours des rues de Phan­gan. Le reste, ce ne sont que des pho­tos et des vidéos, quelques notes et des che­roots pour les soi­rées chaudes à venir.

Tu reprends dou­ce­ment tes marques, et ces jours de mars res­semblent aux jours des prin­temps que tu aimes tant, quand le soleil est encore bas dans le ciel à midi et que tu comptes les heures en tour­nant les pages d’un livre d’O­li­vier Ger­main-Tho­mas ou de Nico­las Bouvier.

Le soir arrive dans cette belle jour­née un peu mou­ve­men­tée. Tu regardes quelques jours en arrière et tu pour­rais te dire que les jours de la semaine der­nière avaient une bien meilleure saveur que ces jours-ci, mais non, tu as le mérite de recon­naître qu’on n’a pas vrai­ment le droit à la mélan­co­lie qui vient après le retour. En plus, tu as la chance d’a­voir de belles jour­nées avec toi, le renou­veau du prin­temps, de nou­velles odeurs que tu avais presque oubliées. Arri­vé au soir, tu te pré­pares un Bloo­dy Mary bien épi­cé au tabas­co et poi­vré, tout en com­men­çant à lire le récit d’un fou par­ti en Chine en train ; tu te demandes sim­ple­ment quand est-ce que toi, tu sau­te­ras le pas pour ce genre d’aventures.

Fan Ho, celui qui, jeune gar­çon pho­to­gra­phiait Hong Kong comme d’autres pho­to­gra­phient Paris dans les grandes lar­geurs, a éga­le­ment pris de nom­breux cli­chés de sa ville en cou­leur.

Fan Ho - Marché de Hong Kong

Fan Ho — Mar­ché de Hong Kong

Istan­bul te manque, mais cette pri­va­tion, et tu le sais bien, est la seule chose qui peut te désac­cou­tu­mer de ce que tu y as vécu. Créer en toi le phé­no­mène de manque est le seul moyen pour que tu puisses y retour­ner serei­ne­ment. La der­nière fois déjà, tu ne res­sen­tais plus le même attrait, tu n’en as par­lé à per­sonne. Le temps n’é­tait pas idéal, il a sou­vent plu et tu as décou­vert Istan­bul enva­hie par les hordes de tou­ristes fran­çais, ad nau­seam… Vit encore en toi le chant du muez­zin, expé­rience ultime qui t’a défi­ni­ti­ve­ment sou­dé à la ville. Les gens que tu y as ren­con­tré te manquent aus­si… Emin, Meh­met, Sum­ru, Sıtkı… Com­bien de jours, de semaines encore, avant que tu n’y retournes…

Nous mar­chons en silence. Sou­dain, s’é­lève un appel venant de toutes les mai­sons et des rues de la vieille ville, un seul cri qui se répète comme un tir de mitraillette : Allah Akh­bar ! Allah Akh­bar ! Allah Akh­bar !  Les lam­pa­daires s’é­teignent ; on voit à peine les visages ; l’i­vresse des mots se pro­page comme un feu pous­sé par le mis­tral tan­dis que des groupes se forment et convergent vers la place. Des femmes habillées en noir comme des nonnes rejoignent le cou­rant mon­tant : Allah Akh­bar ! Puis le chant du muez­zin se mêle aux cris ; il saute par-des­sus les toits et nous enve­loppe. L’is­lam est une reli­gion de l’i­vresse. Une lourde exal­ta­tion s’empare de la foule comme si elle était saoule. Elle l’est : de mots et de pas­sion pour Dieu. Contre cette pul­sion abso­lue, aucun ratio­na­lisme ne peut jamais avoir de prise, aucun canon ne pour­ra arrê­ter ces flots en furie qui se réveillent à la tom­bée du jour. Nous ne sommes plus des indi­vi­dus faits d’hé­si­ta­tion et d’é­qui­libre, nous sommes un mou­ve­ment una­nime en marche vers les sources.

Oli­vier Ger­main-Tho­mas, La ten­ta­tion des Indes

Turquie - jour 1 - Istanbul - 33 - Eminönü, Yeni Camii

Eminönü, Yeni Camii (Mos­quée nou­velle) — 27 juillet 2012 à Istanbul

Tu te rap­pelles ces der­niers jours du mois de juillet 2012, lorsque tu es par­ti un jour avant tes col­lègues, per­sua­dés que la semaine se ter­mi­nait plus tôt… Le soir même tu étais déjà à nou­veau dans les rues d’Is­tan­bul à écou­ter l’ezan reten­tir au-des­sus des flots outre­mer du Bos­phore. Il fai­sait une cha­leur incroyable, sèche, et tu buvais du thé sur la place d’E­minönü en reni­flant les effluves âcres des maque­reaux que le ser­veur t’ap­por­tait entre deux tranches de pain, le fameux balık ekmek qui te laisse d’aus­si bons sou­ve­nirs, mais moins encore que le Turşu suyu. Tout te revient, là, ce matin, tan­dis que devant ton écran d’or­di­na­teur tu tentes de retrou­ver ces sen­sa­tions et que tu te perds en te tar­ti­nant une tranche de pain au maïs d’une époisse cou­lante… Ne t’in­ter­dis rien, tu as bien rai­son. Il te suf­fit sim­ple­ment de t’a­jus­ter entre les sou­ve­nirs vivants et la sen­sa­tion un peu piquante qu’il te manque quelque chose. Encore une fois, le vide créé le désir, et ce que tu essaies de main­te­nir vivant.

La nuit s’é­teint et les bruits de la ville reviennent à la réa­li­té, inexo­ra­ble­ment. La nuit s’é­teint et avec elle, ses rêves qui s’ef­facent à la moindre pau­pière qui s’ouvre. Il va fal­loir retrou­ver la vie du dehors, regar­der bou­ger les ombres qui s’a­gitent autour de toi, par­fois sans but.

Près d’un confluent, dans un remous un peu agi­té, on m’in­dique le lieu où la pre­mière femme de Chu­la­long­korn, sœur des reines actuelles, a péri mal­heu­reu­se­ment. C’é­tait la plus jolie et la plus aimée de ses jeunes sœurs, qu’il a toutes épou­sées, selon l’u­sage. Or, un jour qu’elle se ren­dait à Bang Pan In, traî­née par un remor­queur, c’é­tait au temps où les Sia­mois n’a­vaient pas encore l’ex­pé­rience de la vapeur et du remor­quage, son bateau-salon a été ren­ver­sé. Elle était entou­rée de sa cour et de ses ser­vi­teurs, de tout un peuple qui nage comme le pois­son ; mais per­sonne n’a­vait le droit de tou­cher à la reine. Scru­pu­leux obser­va­teurs de la loi, ils l’ont lais­sée se noyer sous leurs yeux plu­tôt que de mettre la main sur elle. Peut-être son sau­veur eût-il payé de la vie sa har­diesse ? Le roi cepen­dant, tout en res­pec­tant la cou­tume et la déplo­rant sans doute, a dégra­dé le man­da­rin qui commandait.

Isa­belle Mas­sieu, Thaï­lande
Magel­lan & Cie, col­lec­tion Heu­reux qui comme… , numé­ro 87 , (mars 2014)

Tu te rends compte en ren­trant chez toi, aux abords de la vaste plaine de Mon­tes­son, que ce qui te plaît dans ces allers et retours, c’est de pas­ser de l’ordre au désordre. Non pas au chaos, mais au désordre. Tu retrouves les saveurs des rues éche­ve­lées dans tes sou­ve­nirs, te sou­viens des fils élec­triques emmê­lés dans un inex­tri­cable fou­toir, des trot­toirs qui n’en sont pas et sur les­quels per­sonne ne marche car même pour faire quelques dizaines de mètres, il y a tou­jours un deux-roues dans la par­tie, rai­son pour laquelle on t’in­ter­pelle sans cesse pour te pro­po­ser taxi, tuk-tuk, sky­lab ou même moto-drop… toi qui vas à pied, jalan-jalan comme disent les Indo­né­siens en baha­sa… Ces mondes sont des mondes du désordre, tout tient de guin­gois, tout branle et cha­vire, et c’est ce qui te plaît, mais ce qui te plaît aus­si, c’est retrou­ver l’aus­tère rec­ti­tude de tes rues et de tes villes, les trot­toirs propres, les ave­nues droites et majes­tueuses, en com­pa­rai­son, tu trouves ta ville “fla­mande” tel­le­ment elle est éloi­gnée de ce que tu as connu là-bas, et tu te rends compte à quel point cela te convient, de pas­ser de l’un à l’autre, cha­cun nour­ris­sant en creux les défauts de l’autre. C’est ce qu’on appelle l’é­qui­libre, quelque chose de l’ordre de l’har­mo­nie, tu l’as trou­vé dans l’es­pace entre ces deux espaces.

Ici le sexe de cette jolie dan­seuse de Mathu­ra est pati­né à cause de l’hom­mage ren­du par tant de visi­teurs. Le poète grec qui disait que le marbre ne jouit pas n’é­tait jamais allé de ce côté-ci des mon­tagnes. Je sens la dan­seuse fré­mir au doux attou­che­ment. Le gar­dien ne dit rien, il est du pays.

Oli­vier Ger­main-Tho­mas, La ten­ta­tion des Indes

Voi­là, cette fois-ci tu peux fêter la fin de tes affaires, tout est réglé, les papiers, les actes, les tran­sac­tions ban­caires. Tout est ter­mi­né. Tu bois un fond de Cham­pagne qu’il res­tait au fri­go en ima­gi­nant une nou­velle vie, faite de beau­coup moins de contraintes, une vie légère et déta­chée. Tu en pro­fites pour fêter autre chose ; tu as repris des billets d’a­vion pour cet été. Et là, ton esprit vaga­bonde déjà vers de nou­veaux horizons…

Cocon doux. Tu te drapes de tes dési­rs, le petit matin t’en­ve­loppes aus­si dans ses voiles déli­cats ; la fièvre s’en est allée depuis quelques temps déjà et tu sens en toi une grande san­té t’en­va­hir ; la peur de retom­ber te titille de temps en temps, mais tu essaies de lais­ser ces pen­sées dans des Égyptes de l’es­prit… Voi­là. A la fin de cette semaine, tu vas lais­ser un peu les choses cou­ler. Tu vou­lais reprendre pied dans l’é­cri­ture, mais tu as d’autres choses à faire ; tou­jours autre chose à faire et le temps, cette his­toire de temps. La pro­chaine fois tu ne t’en­dor­mi­ras pas et tu pro­fi­te­ras bien mieux. Plus que jamais tu rejettes les râleurs, les incons­tants, les gei­gnards qui te hérissent le poil ; laisse-les dans leur marasme, qu’il s’a­pi­toient sur eux-mêmes s’ils ne savent faire autre chose. Ta route est devant toi, elle s’ouvre lorsque le ciel change de cou­leur au petit matin, entre la nuit et le jour, il n’y a qu’un écart de couleurs.

Une vieille femme m’ac­cueille. Nous ne pou­vons nous com­prendre mais mon état se com­prend aisé­ment. Elle me donne du lait chaud et me couche sur la terre de l’u­nique pièce. Je m’a­ban­donne ; je sens la fièvre monter.
Elle tire mon sac jus­qu’à sa mai­son puis me ras­sure avec son sou­rire éden­té. Elle me pose sa main noire et fri­pée sur le visage. Je me sens bien. Je n’ai plus peur ; elle est là avec ses seins vides qui pendent sous son sari déchi­ré, ses bra­ce­lets sur ses bras ridés, sa main aux veines gon­flées, ses doigts cal­leux qui touchent mon front brû­lant. Je lui dis mer­ci et mer­ci dans ma langue. Elle me répond dans la sienne avec des sortes de glous­se­ments car ma manière de par­ler la fait rire.

Oli­vier Ger­main-Tho­mas, La ten­ta­tion des Indes

Wat Chai Watthanaram - วัดไชยวัฒนาราม

Boud­dha déca­pi­té (mars 2016) — Thaï­lande — Phra Nakhon Si Ayut­thaya, Wat Chai Wat­tha­na­ram — วัดไชยวัฒนาราม

Voi­là. La semaine ne s’é­ter­nise pas. Elle se boucle comme on attache sa cein­ture sur un siège d’a­vion. Elle se replie dou­ce­ment comme une ser­viette à la fin du repas. Tout se calme, tout s’a­paise, retombe dans le silence. Tu laisses der­rière toi cette semaine pen­dant laquelle tu auras repris la plume et noir­ci des pages sur le car­net que tu as rame­né de Bang­kok. Recou­vert d’un tis­su de style “Sukho­thaï”, doré et ponc­tué de taches vio­lettes, de petites fleurs blanches qu’on pour­rait croire immor­telles, il contient toutes tes notes de voyage, modes­te­ment ras­sem­blées au même endroit. Tu regardes par la fenêtre et tu com­prends vite que ce matin, tu ne ver­ras pas le soleil se lever. L’ho­ri­zon est bou­ché par les brumes d’une nuit épaisse, éparse. Il te reste les odeurs de la Chao Phraya, le sou­ve­nir des nuits chaudes au bord de la rivière où le silence est de temps en temps bri­sé par le ron­ron d’un remor­queur tuber­cu­leux, mais vit en toi éga­le­ment le sou­ve­nir des autres pays, des autres ren­contres. Tu refermes tout cela comme une bou­lette de riz dans une feuille de pan­dan cuite à la vapeur. Un sou­rire te revient en mémoire, celui d’un jeune moine viet­na­mien per­du dans la jungle de Bang­kok, un sou­rire à la fois tendre et inno­cent, une simple ride sur le visage qui contient à elle seule toute l’é­nigme du monde possible.

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Moka au bar dans les petites rues sombres de Hong-Kong, sous le regard tendre d’un homme triste. Une femme de Thong Sala perd son regard dans la foule (semaine #1)

Moka au bar dans les petites rues sombres de Hong-Kong, sous le regard tendre d’un homme triste. Une femme de Thong Sala perd son regard dans la foule (semaine #1)

Regarde le matin se lever… On dirait un matin d’A­sie sous ses voiles de brumes, sous un ciel trem­pé. Tu retrouves tes marques dans ces matins savants où tu passes ton temps à dévo­rer les pages des écri­vains voya­geurs, où ton rem­plis ton car­net rouge de notes de lec­ture et de tra­vail qui sont écrites de la même encre, avec le même visage et les mêmes mains que tes car­nets de voyage, où tu prends des notes fré­né­tiques à chaque coin de rue pour ten­ter de figer, dans les courbes et les ron­deurs de ton écri­ture sau­vage, les impres­sions brutes et sans fio­ri­tures de ces ins­tants d’é­mo­tions inat­ten­dues, ines­pé­rées. Ce ne sont que des mots, mais tes mots à toi, pla­qués là, tu auras tout le temps plus tard de faire cet exer­cice de mémoire, de retra­vailler la forme et les détails, sans men­songe, sans tra­ves­tis­se­ment, avec la plus grande sin­cé­ri­té vis-à-vis de tes sen­ti­ments. Tu retrouves dans tes notes des noms qui semblent presque incon­grus, Dal­rymple, Cor­bin, Mas­si­gnon… Tu recol­le­ras les mor­ceaux ensemble un peu plus tard dans la soi­rée, lorsque le som­meil t’emportera déjà, et tu remet­tras ça au len­de­main, lors­qu’il sera temps de par­tir. Il sera déjà en fait trop tard, mais le “plus tard” n’a pas vrai­ment d’im­por­tance. L’ins­tant seul compte. Tu te sou­viens des heures abru­ties au milieu de la nuit, l’es­to­mac ron­gé par la faim et les intes­tins trop sol­li­ci­tés, des nuits où tu te réveilles trem­pé de sueur et défait par des rêves de femmes déjà empor­tées par la mort ou l’in­dé­li­ca­tesse de la mémoire qui s’es­tompe comme sous un buvard, ou sous une couette légère…

Fan Ho - Hong Kong Memoir

Lorsque Fan Ho, le petit ado­les­cent chi­nois de Hong-Kong, prend ces pho­tos, ce n’est qu’un gamin qui arpente les rues de sa ville et qui, à l’aide de son Rol­lei­flex, arrive à cap­tu­rer l’es­sence d’une ville mythique qui n’est plus aujourd’­hui que l’ombre d’elle-même. Atmo­sphère dra­ma­tique, pous­sée dans ses retran­che­ments, on y découvre l’A­sie rêvée, fan­tas­mée, telle qu’on nous la ven­dait sur les belles affiches des agences de voyage, des com­pa­gnies aériennes ou dans les livres d’a­ven­ture pour jeunes enfants. Nous sommes en 1950. Les pho­tos de l’homme aujourd’­hui âgé de 83 ans ont le charme sur­an­né d’une ville per­due et qui déjà subit les pré­mices de son chan­ge­ment et la tech­nique naïve d’un Depar­don qui se serait per­du au-delà des limites de la ferme du Garet. Quelques unes de ces pho­tos sur le site du South Chi­na Mor­ning Post, de Bored Pan­da, et de Desi­gn you trust.

La semaine a filé comme un bus qu’on a raté. Tous les matins, tu regardes ton visage bron­zé par les cieux cou­verts de l’A­sie tro­pi­cale, par les franges lumi­neuses qui ont enchan­té des réveils par­fois vio­lents, haras­sé par une cha­leur que tu accueillais avec bien­veillance en cou­pant déli­bé­ré­ment la cli­ma­ti­sa­tion avant de t’en­dor­mir. Les draps trem­pés, tu te levais tôt pour écou­ter le bruit des vagues depuis ton bal­con où tu t’al­lon­geais sur le hamac, vieux fan­tasme colo­nial de mai­son à gale­rie ouvra­gée. Tu as retrou­vé ton visage serein, les traits doux qui font dire aux autres que tu ne fais pas ton âge. Tout le monde s’in­quiète de savoir com­ment s’est pas­sé ton voyage. Bien, bien. Tout va bien. Un petit sou­rire figé sur ton visage, ce n’est pas de la moque­rie. Sim­ple­ment, tu es heu­reux. Il n’y a pas de retours dif­fi­ciles, il n’y a que des départs qu’on sou­haite à nouveau.

Vieille femme sur Thanon Talad Kao à Thong Sala

Depuis hier, ta grand-mère a 90 ans. Elle est belle comme une vieille femme que j’ai ren­con­trée dans le quar­tier chi­nois de Thong Sala sur Tha­non Talad Kao, le visage lisse et les yeux plis­sés par l’âge, belle d’a­voir trop aimé les siens et de s’en être inquiété.

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