Le 8ème Jebt­sun­dam­ba Khu­tuk­tu, Bog­do Khan et Boud­dha vivant

Le 8ème Jebt­sun­dam­ba Khu­tuk­tu, Bog­do Khan et Boud­dha vivant

Son nom de céré­mo­nie mon­gole est, en toute sim­pli­ci­té, Agvaan­luv­san­choy­jin­dan­zan­vaan­chig­bal­sam­buu. Né en 1870 et mort en 1924, il est le hui­tième et der­nier Jebt­sun­dam­ba Khu­tuk­tu à avoir régné et à avoir por­té le titre de Bog­do Khan (Bogd Jiv­zun­dam­ba Agvaan­luv­san­choi­ji­nyam­dan­zan­van­chüg), c’est-à-dire la troi­sième per­sonne la plus impor­tante du boud­dhisme tibé­tain, après le Dalaï et le Pan­chen. Le der­nier Jebt­sun­dam­ba, Jam­pal Nam­dol Cho­kye Gyalt­sen, iden­ti­fié à l’âge de 4 ans, est né à Lhas­sa. En 1959, il s’est enfui à Dha­ram­sa­la où il a vécu en exil jus­qu’à sa mort en 2012. Le der­nier Boud­dha vivant est mort il y a 3 ans…

Le 9ème Jebtsundamba Khutuktu : Jetsun Dhampa Dorjee Chang Jampel Namdrol Choekyi Gyaltsen

Le 9ème Jebt­sun­dam­ba Khu­tuk­tu : Jet­sun Dham­pa Dor­jee Chang Jam­pel Nam­drol Choe­kyi Gyaltsen

Celui qui ten­ta de le remettre sur son trône, c’est le baron Roman Fio­do­ro­vitch von Ungern-Stern­berg, plus connu sous son petit nom de « baron fou », dont j’ai déjà racon­té les aven­tures sur ce blog au tra­vers du livre écrit par le géo­logue Fer­dy­nand Ossen­dows­ki. Ce seront fina­le­ment les tibé­tains com­mu­nistes qui gar­dèrent le 8ème Jebt­sun­dam­ba Khu­tuk­tu comme chef de leur gou­ver­ne­ment jus­qu’à sa mort en 1924. Par la suite, ils décré­tèrent à la fon­da­tion de la Répu­blique popu­laire mon­gole, qu’il n’y aurait plus d’autre réin­car­na­tion. Fin de l’his­toire signée par décret. Ce per­son­nage impor­tant pour les boud­dhistes tibé­tains porte éga­le­ment le titre de Boud­dha vivant.

Jebtsundamba Khutuktu

Le 8ème Jebt­sun­dam­ba Khu­tuk­tu et sa famille

Voi­ci l’é­trange légende que rap­porte Fer­dy­nand Ossen­dows­ki à son pro­pos, puis­qu’il a fait par­tie des rares per­son­nages à avoir pu le côtoyer :

Le Boud­dha vivant ne meurt pas. Son âme passe quelque fois dans celle d’un enfant qui naît le jour de sa mort, par­fois se trans­met chez un autre homme pen­dant la vie même du Boud­dha. Cette nou­velle demeure mor­telle de l’es­prit sacré de Boud­dha appa­raît presque tou­jours dans la your­ta de quelque famille pauvre thi­bé­taine ou mon­gole. Il y a à ceci une rai­son poli­tique. Si le Boud­dha fai­sait son appa­ri­tion dans une riche famille prin­cière, le risque serait grand que, hono­rée de la sorte, cette famille refuse d’o­béir au cler­gé, comme cela s’est déjà pro­duit par le pas­sé. Au contraire, une famille pauvre et incon­nue qui hérite du trône de Gen­gis Khan, et acquiert de ce fait une incom­men­su­rable richesse, se sou­met tou­jours volon­tiers aux lamas. Seuls trois ou quatre Boud­dhas vivants furent d’o­ri­gine pure­ment mon­gole ; les autres étaient thibétains.

Fer­dy­nand Ossen­dows­ki, Bêtes, hommes et dieux
A tra­vers la Mon­go­lie inter­dite, 1920–1921
Edi­tions Phe­bus Libretto

Pho­to d’en-tête © Jona­than E. Shaw (Palais d’hi­ver du Bog­do Khan à Ulaan­baa­tar, Mongolie)

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La plus belle et la plus grande col­lec­tion de livre de Flo­rence, le renou­veau de la biblio­thèque publique

La plus belle et la plus grande col­lec­tion de livre de Flo­rence, le renou­veau de la biblio­thèque publique

On arrive au cœur de cette grande biblio­thèque après avoir fran­chi les portes de l’é­glise aus­tère de San Loren­zo à Flo­rence, là où est enter­ré le grand Côme de Médi­cis. Un fois arri­vé dans le cloître de la basi­lique à la façade inache­vée, on accède au lieu par un esca­lier à trois volées des­si­né par un cer­tain Michel-Ange. En fait d’une biblio­thèque publique, telle que l’a sou­hai­té celui qui en fut l’in­ven­teur et le prin­ci­pal pour­voyeur, Nic­colò Nic­co­li, ce n’est plus aujourd’­hui qu’un musée aus­tère, une immense salle de lec­ture vide à l’ac­cès payant où sont ran­gés les 3000 manus­crits qui consti­tuent le fonds d’o­ri­gine. 7000 autres manus­crits sont conser­vés dans des col­lec­tions pas fran­che­ment publiques. On y trouve plus de 125 000 livres impri­més, des manus­crits de Vir­gile datant du Vème siècle, quelques codex célèbres comme le Codex Amia­ti­nus, le Codex de Flo­rence et le Codex Squar­cia­lu­pi et sur­tout les Codex 0171 à 0176 qui ne sont ni plus ni moins que des textes du Nou­veau Tes­ta­ment écrits en onciales grecques datant du IVème siècle.

Les manus­crits de textes antiques étaient oné­reux, mais pour le col­lec­tion­neur avide, aucun prix ne sem­blait trop éle­vé. La biblio­thèque de Nic­co­li était célèbre par­mi les huma­nistes d’I­ta­lie et d’ailleurs, et bien que Nic­co­li fût soli­taire, ombra­geux et obtus, il ouvrait volon­tiers ses portes aux éru­dits qui vou­laient consul­ter ses col­lec­tions. A sa mort, en 1437, à l’âge de soixante-treize ans, il lais­se­ra ain­si huit cents manus­crits, consti­tuant de loin la plus grande et la plus belle col­lec­tion de Florence.
Pre­nant modèle sur Salu­ta­ri, Nic­co­li avait pré­ci­sé ce qu’il vou­lait voir adve­nir de ces textes. Pétrarque et Boc­cace espé­raient pré­ser­ver, après leur mort, l’in­té­gra­li­té de la col­lec­tion de manus­crits qu’ils avaient acquis ; mal­heu­reu­se­ment, ceux-ci avaient été ven­dus, dis­per­sés ou sim­ple­ment négli­gés. (Nombre de pré­cieux codex que Pétrarque avait mis tant de peine à ras­sem­bler et qu’il avait appor­tés à Venise pour for­mer le cœur de ce qui devait être une nou­velle biblio­thèque d’A­lexan­drie furent entre­po­sés, puis oubliés dans un palais humide où ils tom­bèrent en pous­sière.) Nic­co­li ne vou­lait pas voir l’œuvre de sa vie subir le même sort. Il rédi­gea un tes­ta­ment dans lequel il exi­gea que les manus­crits soient conser­vés ensemble, inter­dit leur vente ou leur dis­per­sion, fixa des règles strictes pour leur emprunt et leur retour, nom­ma un comi­té de conser­va­teurs et lais­sa une somme d’argent pour la construc­tion d’une biblio­thèque. Celle-ci devait être amé­na­gée dans un monas­tère, mais sans être, selon la volon­té expresse de Nic­co­li, une biblio­thèque monas­tique fer­mée au monde et réser­vée aux moines. Les livres devaient être acces­sibles non seule­ment aux reli­gieux, mais « à tous les citoyens culti­vés », omnes cives stu­dio­si[note]. Plu­sieurs siècles après la fer­me­ture et l’a­ban­don de la der­nière biblio­thèque romaine, Nic­co­li res­sus­ci­tait ain­si le concept de biblio­thèque publique.

[Note] En véri­té, Nic­co­li n’a­vait pas les moyens de ses ambi­tions : à sa mort, il était cou­vert de dettes. Mais cette dette fut annu­lée par son ami, Côme de Médi­cis, en échange du droit de dis­po­ser de la col­lec­tion. La moi­tié des manus­crits allèrent à la nou­velle biblio­thèque de San Mar­co, où ils furent conser­vés dans le mer­veilleux bâti­ment conçu par Miche­loz­zo ; l’autre moi­tié consti­tua le prin­ci­pal fonds de la grande biblio­thèque Lau­ren­tienne de la ville. Même si on lui doit sa créa­tion, l’i­dée d’une biblio­thèque publique n’é­tait pas propre à Nic­co­li. Salu­ta­ti l’a­vait aus­si appe­lé de ses vœux.

Ste­phen Green­blatt, Quat­tro­cen­to
Flam­ma­rion, 2013

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Nic­colò Nic­co­li et le camée de Polyclète

Nic­colò Nic­co­li et le camée de Polyclète

Les petites his­toires font par­fois les grandes et lors­qu’elles arrivent jus­qu’à nos oreilles chastes et cré­dules, elles prennent par­fois la cou­leur des légendes. Nic­colò Nic­co­li, un éru­dit flo­ren­tin qu’on peut dire huma­niste, est connu pour avoir fon­dé une des plus grandes col­lec­tions de livres sous forme de biblio­thèque publique qui a ali­men­té la très célèbre Biblio­thèque Lau­ren­tienne de Flo­rence mais éga­le­ment pour être à l’o­ri­gine de l’é­cri­ture cur­sive répu­tée sous le nom d’« ita­lique de la Can­cel­la­res­ca » ou « ita­lique de la Chan­cel­le­rie ». On trouve dans un livre édi­té en 1859 à Flo­rence (Vite de uomi­ni illus­tri del seco­lo XV, Fio­ren­ti­no Ves­pa­sia­no da Bis­tic­ci) un épi­sode qui revêt une colo­ra­tion toute par­ti­cu­lière, illus­trant la trans­mis­sion du patri­moine à tra­vers les âges.

Repla­çons tout ceci dans le contexte. Rome, au début de la Renais­sance, n’est encore qu’une petite ville pro­vin­ciale mal famée. Comp­tant 1 200 000 habi­tants en 260 après J.-C., on ne trouve plus que 30 000 habi­tants au VIIIè siècle. Sa gran­deur pas­sée n’est plus qu’un songe, qui ne se reflète plus que dans les ruines à demi-enter­rées d’une ville fan­tôme. Les rares habi­ta­tions sont faites à par­tir de pierres de rem­ploi, de celles qui jadis fai­saient la majes­té de ses rues pavées et de ses mai­sons cos­sues. Des bustes antiques affleurent sous quelques cen­ti­mètres de terre, des cha­pi­teaux de colonnes et des rin­ceaux gisent au milieu des métopes et des tym­pans bri­sés ; toute une ville attend qu’on la découvre et les gamins jouent dans un vaste ter­rain vague, autre­fois capi­tale d’un empire s’é­ten­dant de l’Écosse aux cata­ractes du Nil et des contre­forts du Por­tu­gal au Golfe Persique…

Ami du grand huma­niste Le Pogge qui fut à l’o­ri­gine de la redé­cou­verte du long poème de Lucrèce, de rerum natu­ra, Nic­colò Nic­co­li est décrit en pleine chasse au tré­sor bien involontaire :

« Un jour, alors que Nic­colò sor­tait de chez lui, il vit un gar­çon qui por­tait autour du cou une cal­cé­doine dans laquelle était gra­vé un por­trait de la main de Poly­clète. Une œuvre remar­quable. Il s’en­quit du nom du père du gar­çon et, l’ayant appris, envoya quel­qu’un lui deman­der s’il accep­te­rait de lui vendre la pierre : le père y consen­tit volon­tiers, comme s’il ne savait pas ce que c’é­tait et n’y était pas atta­ché. Nic­colò lui fit por­ter cinq flo­rins en échange, et le bon­homme esti­ma qu’il en avait reti­ré le double de sa valeur. » Dans ce cas, au moins, la dépense se révé­la un très bon inves­tis­se­ment. « Du temps du pape Eugène vivait à Flo­rence un cer­tain Maes­tro Lui­gi le Patriarche, qui s’in­té­res­sait beau­coup à ce genre d’ob­jet, et il deman­da à Nic­colò la per­mis­sion de voir la cal­cé­doine. Ce der­nier la lui fit par­ve­nir, et elle lui plut tant qu’il la gar­da, et envoya à Nic­colò deux cents ducats d’or. Il insis­ta tel­le­ment que Nic­colò, n’é­tant pas un homme riche, la lui céda. Après la mort de ce patriarche, la pierre pas­sa au pape Paul, puis à Laurent de Médicis. »

Ste­phen Green­blatt, Quat­tro­cen­to
Flam­ma­rion, 2013
Note pp.345–346

Et voi­là comme une petite pièce réus­sit à tra­ver­ser les âges, grâce au bon goût d’un petit gar­çon et de son père, qui, un peu igno­rant, ne se dou­tait pas qu’il était assis sur un bon tas d’or…

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Du Camp et Flau­bert en Orient

Du Camp et Flau­bert en Orient

Voi­ci de quoi illus­trer la désin­vol­ture de ce drôle de bon­homme une peu dan­dy qu’é­tait Maxime du Camp, par­ti sur les routes orien­tales pour flam­ber ses deniers entre Le Caire et Bey­routh. On disait l’homme fan­tasque, for­tu­né, un peu léger, et c’est avec lui que Gus­tave Flau­bert est par­ti sur les routes. Cen­sé en rap­por­ter des pho­to­gra­phies pour une mis­sion confiée par le Minis­tère de l’Ins­truc­tion Publique, voi­ci ce que nous apprend Flau­bert dans une lettre écrite à sa mère en octobre 1850 :

“Maxime a lâché la pho­to­gra­phie à Bey­routh. Il l’a cédée à un ama­teur fré­né­tique : en échange des appa­reils, nous avons acquis de quoi nous faire à cha­cun un divan comme les rois n’en ont pas : dix pieds de laine et soie bro­dée d’or. Je crois que ce sera chic !”

Flau­bert et Du Camp en orient, c’est une conjonc­tion à l’o­ri­gine de la pro­duc­tion de trois grandes œuvres. Tout d’a­bord le Voyage en Orient de Flau­bert lui-même, le ras­sem­ble­ment de plu­sieurs textes qui ne sont que ses cor­res­pon­dances et ses car­nets lors de ce long voyage et qu’on trouve aujourd’­hui sous ce titre aux édi­tions Folio Gal­li­mard. En fait de voyage en orient, c’est une excur­sion avec plus de 600 kg de maté­riel en Égypte, au Liban et en Pales­tine, en Tur­quie et en Grèce.

Du côté de Maxime Du Camp, on trouve plu­sieurs choses comme par exemple ses Mémoires d’un sui­ci­dé dans lequel il raconte son expé­rience éprou­vante du voyage en Égypte, mais éga­le­ment Le Nil : Égypte et Nubie, son jour­nal de voyage, à par­tir duquel on peut croi­ser les infor­ma­tions déli­vrées par Flau­bert dans ses cor­res­pon­dances. Et enfin, on en arrive à l’œuvre magis­trale : 2 albums et 168 pho­to­gra­phies du voyage en Égypte, en Nubie et en Syrie, l’ou­vrage qui recense la plu­part des pho­to­gra­phies prises par Du Camp lors de cette expédition.

On pour­ra éga­le­ment lire ce très bel article sur Flau­bert et les arts visuels, ain­si que le livre dont on sait qu’il ins­pi­ra Flau­bert pour ce voyage : Nou­veau manuel com­plet d’ar­chéo­lo­gie, ou Trai­té sur les anti­qui­tés grecques, étrusques, romaines, égyp­tiennes, indiennes, etc. par Karl Otfried Mül­ler.

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