Quinze jours dans le désert avec Alexis de Tocqueville

Quinze jours dans le désert avec Alexis de Tocqueville

Le jeune homme porte le doux nom de Alexis-Hen­ri-Charles Clé­rel, il est vicomte de Toc­que­ville. On le connait pour avoir écrit de très belles pages per­ti­nentes sur la Révo­lu­tion Fran­çaise et si on le consi­dère comme un des pères de la socio­lo­gie moderne, il a for­te­ment influen­cé les esprits libé­raux et l’ex­pan­sion colo­nia­liste. C’est à ce titre que le gou­ver­ne­ment fran­çais l’en­voie aux Etats-Unis dans ce qu’ils ont d’embryonnaires pour en étu­dier le sys­tème car­cé­ral. Il en revient fina­le­ment, en plus de son rap­port, avec un livre sur les ins­ti­tu­tions amé­ri­caines qui, encore aujourd’­hui, reste une réfé­rence en ce qui concerne les études poli­tiques amé­ri­caines et la phi­lo­so­phie politique.

Ce qui m’in­té­resse dans ces neuf mois pas­sés sur le sol amé­ri­cain, c’est cet autre petit livre qu’il en rap­porte : Quinze jours dans le désert, un livre que j’a­vais depuis long­temps sur mes éta­gères et que je me suis déci­dé à prendre à bras le corps un soir de néant. Toc­que­ville rédige ces quelques pages à par­tir des notes qu’il a prises pen­dant son voyage sur le vapeur qui le ramène en Europe. D’un écrit racon­tant ces quinze jours pas­sés dans le désert en 1831, des quelques ren­contres qu’il y fera, il rap­porte, à mon sens, un des plus beaux textes écrit sur les immen­si­tés vides et leur indi­cible gran­deur, un texte qui pal­pite, qui vibre au rythme des bat­te­ments du cœur.

Trona Pinnacles, Mojave Desert, California

Tro­na Pin­nacles, Mojave Desert, Cali­for­nia © Steve Berar­di

Le désert était là tel qu’il s’of­frit sans doute il y a six mille ans aux regards de nos pre­miers pères ; une soli­tude fleu­rie, déli­cieuse, embau­mée ; magni­fique demeure, palais vivant, bâti pour l’homme, mais où le maître n’a­vait pas encore péné­tré. Le canot glis­sait sans efforts et sans bruit ; il régnait autour de nous une séré­ni­té, une quié­tude uni­ver­selles. Nous-mêmes, nous ne tar­dâmes pas à nous sen­tir comme amol­lis à la vue d’un pareil spec­tacle. Nos paroles com­men­cèrent à deve­nir de plus en plus rares, bien­tôt nous n’ex­pri­mâmes nos pen­sées qu’à voix basse. Nous nous tûmes enfin, et rele­vant simul­ta­né­ment les avi­rons, nous tom­bâmes l’un et l’autre dans une tran­quille rêve­rie pleine d’i­nex­pri­mables charmes.
D’où vient que les langues humaines qui trouvent des mots pour toutes les dou­leurs, ren­contrent un invin­cible obs­tacle à faire com­prendre les plus douces et les plus natu­relles émo­tions du cœur ? Qui pein­dra jamais avec fidé­li­té ces moments si rares dans la vie où le bien-être phy­sique vous pré­pare à la tran­quilli­té morale et où il s’é­ta­blit devant vos yeux comme un équi­libre par­fait dans l’u­ni­vers ; alors que l’âme, à moi­tié endor­mie, se balance entre le pré­sent et l’a­ve­nir, entre le réel et le pos­sible, quand, entou­ré d’une belle nature, res­pi­rant un air tran­quille et tiède, en paix avec lui-même au milieu d’une paix uni­ver­selle, l’homme prête l’o­reille aux bat­te­ments égaux de ses artères dont chaque pul­sa­tion marque le pas­sage du temps qui pour lui semble s’é­cou­ler goutte à goutte dans l’é­ter­ni­té. Beau­coup d’hommes peut-être ont vu s’ac­cu­mu­ler les années d’une longue exis­tence sans éprou­ver une seule fois rien de sem­blable à ce que nous devons de décrire. Ceux-là ne sau­raient nous com­prendre. Mais il en est de plu­sieurs, nous en sommes assu­ré, qui trou­ve­ront dans leur mémoire et au fond de leur cœur de quoi colo­rer nos images et sen­ti­ront se réveiller en nous lisant le sou­ve­nir de quelques heures fugi­tives que le temps ni les soins posi­tifs de la vie n’ont pu effacer.
Nous fûmes tirés de notre rêve­rie par un coup de fusil qui reten­tit tout à coup dans les bois. Le bruit sem­bla d’a­bord rou­ler avec fra­cas sur les deux rives du fleuve ; puis il s’é­loi­gna en gron­dant jus­qu’à ce qu’il fut entiè­re­ment per­du dans la pro­fon­deur des forêts envi­ron­nantes. On eût dit un long et for­mi­dable cri de guerre que pous­sait la civi­li­sa­tion dans sa marche.
Un soir en Sicile, il nous arri­va de nous perdre dans un vaste marais qui occupe main­te­nant la place où jadis était bâtie la ville d’Hy­mère ; l’im­pres­sion que fit naître en nous la vue de cette fameuse cité deve­nue un désert sau­vage fut grande et pro­fonde. Jamais nous n’a­vions ren­con­tré sur nos pas un plus magni­fique témoi­gnage de l’ins­ta­bi­li­té des choses humaines et des misères de notre nature. Ici c’é­tait bien encore une soli­tude, mais l’i­ma­gi­na­tion, au lieu d’al­ler en arrière et de cher­cher à remon­ter vers le pas­sé, s’é­lan­çait au contraire en avant et se per­dait dans un immense ave­nir. Nous nous deman­dions par quelle sin­gu­lière per­mis­sion de la des­ti­née, nous qui avions pu voir les ruines d’empires qui n’existent plus et mar­cher dans des déserts de fabrique humaine, nous, enfants d’un vieux peuple, nous étions conduits à assis­ter à l’une des scènes du monde pri­mi­tif et à voir le ber­ceau encore vide d’une grande nation. Ce ne sont point là les pré­vi­sions plus ou moins hasar­dées de la sagesse. Ce sont des fait aus­si cer­tains que s’il étaient accom­plis. Dans peu d’an­nées ces forêts impé­né­trables seront tom­bées. Le bruit de la civi­li­sa­tion et de l’in­dus­trie rom­pra le silence de la Sagi­naw. Son écho se tai­ra… Des quais empri­son­ne­ront ses rives, ses eaux qui coulent aujourd’­hui igno­rées et tran­quilles au milieu d’un désert sans nom seront refou­lées dans leur cours par la proue des vais­seaux. Cin­quante lieues séparent encore cette soli­tude des grands éta­blis­se­ments euro­péens et nous sommes peut-être les der­niers voya­geurs aux­quels il ait été don­né de la contem­pler dans sa pri­mi­tive splen­deur, tant est grande l’im­pul­sion qui entraîne la race blanche vers la conquête entière d’un nou­veau monde.
C’est cette idée de des­truc­tion, cette arrière-pen­sée d’un chan­ge­ment pro­chain et inévi­table qui donne sui­vant nous aux soli­tudes de l’A­mé­rique un carac­tère si ori­gi­nal et une si tou­chante beau­té. On les voit avec un plai­sir mélan­co­lique, on se hâte en quelque sorte de les admi­rer. L’i­dée de cette gran­deur natu­relle et sau­vage qui va finir se mêle aux superbes images que la marche triom­phante de la civi­li­sa­tion fait naître. On se sent fier d’être homme et l’on éprouve en même temps je sais quel amer regret du pou­voir que Dieu nous a accor­dé sur la nature. L’âme est agi­tée par des idées, des sen­ti­ments contraires, mais toutes les impres­sions qu’elle reçoit sont grandes et laissent un trace profonde.

Alexis de Toc­que­ville, Quinze jours dans le désert
Folio Gallimard

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Dans la vapeur blanche des jours sans vent (car­net de voyage en Tur­quie — 15 août) : La Cap­pa­doce vue des airs et les cités sou­ter­raines de Tat­la­rin et Derinkuyu

Dans la vapeur blanche des jours sans vent (car­net de voyage en Tur­quie — 15 août) : La Cap­pa­doce vue des airs et les cités sou­ter­raines de Tat­la­rin et Derinkuyu

Épi­sode pré­cé­dent : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (car­net de voyage en Tur­quie — 14 août) : Çavuşin, Ava­nos, Mus­ta­fa­paşa et en dehors des routes tracées

Bul­le­tin météo de la jour­née (mer­cre­di) :

10h00 : 25°C / humi­di­té : 49% / vent 4 km/h
14h00 : 29°C / humi­di­té : 21% / vent 11 km/h
22h00 : 23°C / humi­di­té : 34% / vent 6 km/h

Ce matin est un jour par­ti­cu­lier. Je me lève à 4h00 dans la nuit turque pour faire quelque chose que je n’ai encore jamais fait. Dans un pre­mier temps, je cède à la grande faran­dole des tou­ristes en sui­vant leur mou­ve­ment, et dans un deuxième temps, je vais mon­ter dans une mont­gol­fière pour par­cou­rir la Cap­pa­doce depuis les airs. Je ne cache pas que chez moi, le ver­tige est une don­née aléa­toire. Inca­pable de pré­voir quand ça va se déclen­cher, je garde à la fois le — très bon — sou­ve­nir d’un jeune homme qui mar­chait au bord des falaises des gorges de l’Ar­dèche et le très mau­vais du jeune homme un peu plus âgé qui trans­pi­rait toute l’eau de son corps au pied des colosses de pho­no­lite de Bort-les-Orgues, comme en haut du bar­rage sur lequel avait tra­vaillé mon grand-père. Une ter­reur panique, tota­le­ment irra­tion­nelle s’é­tait alors empa­ré de moi et moi qui suis géné­ra­le­ment d’un natu­rel à ne pas me lais­ser sub­mer­ger par les émo­tions, j’a­vais dû me résoudre à faire demi-tour tel­le­ment les scé­na­rios catas­trophes com­men­çaient à prendre forme de manière tota­le­ment absurde. Même his­toire dans l’es­ca­lier métal­lique qui des­cend au centre du Gouffre de Padi­rac quelques années plus tard. Du coup, je n’ar­rive pas à savoir si mon­ter dans une mont­gol­fière est réel­le­ment une bonne idée. Mais j’ai réser­vé ma place, je dois partir.

Je des­cends à la récep­tion où je trouve un couple de jeunes Fran­çais habillés comme s’ils allaient à l’hip­po­drome de Long­champ. Ça sent le voyage de noces de bonne famille, petit ber­mu­da à motif et col Mar­tine. Le mini­bus vient me cher­cher vers 4h30 juste à l’en­trée de l’hô­tel, même pas un pas à faire. Je dors encore à moi­tié et dans l’obs­cu­ri­té je n’ar­rive pas à com­prendre quel che­min nous pre­nons ni où nous arri­vons, tou­jours est-il que je me retrouve dans un champ immense où les pre­miers bal­lons sont en train d’être gon­flés. Les mini­bus déversent tous ceux qui partent ce matin et je constate avec une cer­taine sur­prise et effa­re­ment aus­si que plus de la moi­tié des gens pré­sents ici sont des Chi­nois. Des tables sont ins­tal­lées en plein milieu du champ dans la pénombre de l’aube, des crois­sants et du café sur des nappes en papier, décor sur­réa­liste si l’on ne sait pas ce qu’il se trame ici. Dans une demi-heure, tout ce petit monde sera en l’air, même les Chi­nois qui eux ont le droit à des nouilles déshy­dra­tés au lieu des crois­sants et qui n’ar­rivent pas à se décol­ler du buffet.

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Pen­dant que les esto­macs se rem­plissent, je reste à côté des bal­lons cou­chés dans les phares des 4x4, à deux pas des flammes qui me chauffent le visage dans cette atmo­sphère encore un peu fraiche. Le jour se lève petit à petit, de manière presque pal­pable et déjà quelques uns des bal­lons sont debout, amar­rés, n’at­ten­dant plus que leur car­gai­son humaine. On me dirige vers les deux bal­lons sur les­quels est écrit en gros Cihan­gi­roğ­lu Bal­loons, sans oublier évi­dem­ment de me faire pas­ser devant un type avec un lec­teur de carte ban­caire qui réclame le prix non négli­geable du vol et que par décence, je tai­rai. On nous invite à mon­ter dans le bal­lon encore atta­ché en nous don­nant deux ou trois conseils pour l’at­ter­ris­sage, mais abso­lu­ment rien en cas de pro­blème. Cela dit, la ques­tion peut être vite élu­dée puis­qu’au cas où le bal­lon tombe, il n’y a pas grand chose à faire, sinon attendre que la nacelle touche le sol et espé­rer que le corps d’un autre amor­tisse sa propre masse. Pour ma part, je me retrouve coin­cé entre un vieux Chi­nois plus grand que moi et sa gre­luche qui a moins de la moi­tié de son âge. J’é­voque ce pas­sage main­te­nant pour évi­ter d’en repar­ler plus parce que ça reste pour moi un des moments les plus désa­gréables de ces vacances. Le type a pas­sé son temps à m’é­cra­ser les pieds, à prendre exac­te­ment les mêmes pho­tos que moi, me pous­sant par­fois pour que je rate mes pho­tos. J’ai haï le peuple chi­nois dans son ensemble pen­dant toute la durée du vol, en me disant que ce type n’é­tait qu’une raclure avec sa catin qu’il avait dû payer pour se marier et qu’il sera très content de reve­nir dans son pays pour faire des soi­rées dia­po avec ses col­lègues de tra­vail en se gar­ga­ri­sant d’a­voir dépen­sé si peu pour cette petite excur­sion. Je me suis quand-même mar­ré quand j’ai vu que le bal­lon le plus haut dans le ciel ce matin-là, était lar­dé d’i­déo­grammes chi­nois. Je me suis dit que ça devait être cultu­rel, tou­jours pas­ser devant les autres, faire mieux, plus, etc. Je me suis encore plus mar­ré quand le pilote du bal­lon nous a dit qu’il était mon­té trop haut et qu’il aurait du mal à redes­cendre… J’ai tou­jours un peu de mal avec ces gens qui ne font aucun effort pour connaître les habi­tants et dans le regard des­quels se lit la peur d’être sub­mer­gé par un autre peuple que le leur. Page tournée.

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Le bal­lon s’en­vole tout dou­ce­ment et je com­mence à être pris d’an­goisse, tout sim­ple­ment parce que j’ai peur d’a­voir le ver­tige, mais tout semble se pas­ser très sage­ment ; je ne sais pas pour­quoi mais rien ne vient, le fait qu’il n’y ait aucun bruit autre que celui du brû­leur et la dou­ceur du dépla­ce­ment de cet étrange aéro­stat me rem­plit de bien être. Les pre­mières choses que je vois sous mes pieds sont des tombes musul­manes dans un cime­tière ouvert, puis très vite, c’est la ville entière de Çavuşin qui appa­raît. Je ne suis vrai­ment pas si loin que ça de mon point de départ et je découvre alors cette petite ville que je ne visi­te­rai que plus tard. L’air est encore gris, le soleil encore caché der­rière l’ho­ri­zon et le bal­lon prend de plus en plus de hau­teur. De là-haut, on découvre tout un tas de recoins tro­glo­dytes qu’on n’i­ma­gine même pas et dont on a peine à ima­gi­ner qu’on puisse y accé­der facilement.

Le mieux est encore de regar­der ce que ça donne en vidéo pour se rendre compte. Une vidéo de 11′24″ réglée au mil­li­mètre avec la très belle musique d’Omar Faruk Tek­bi­lek (From emp­ti­ness) sur l’al­bum Fata Morgana,

Le bal­lon passe à proxi­mi­té du pla­teau de Çavuşin et laisse voir cette pierre si belle tein­tée de cou­leurs spec­trales et à son pied, des ver­gers, des champs culti­vés où ne voit pas trop bien com­ment un trac­teur pour­rait accé­der. Nous sommes main­te­nant suf­fi­sam­ment hauts pour voir un bel hori­zon déga­gé. La han­tise de ce genre de jour­née serait de décol­ler dans les nuages. L’air se réchauffe dou­ce­ment et le soleil pointe le bout de son nez der­rière les mon­tagnes. C’est un ins­tant bref, mais qu’on a l’a­van­tage de vivre quelques secondes avant ceux qui sont res­tés à terre. Un moment pri­vi­lé­gié, de pure grâce, pen­dant lequel per­sonne ne parle, tout le monde se tient extrê­me­ment silen­cieux de peur peut-être de déran­ger l’astre dans son exer­cice mati­nal. Le spec­tacle est magni­fique, au-delà de ce qu’on peut ima­gi­ner et je com­prends mieux main­te­nant pour­quoi ces nuées de bal­lons ont trou­vé dans cette région un lieu pro­pice à la ballade.

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Sous mes pieds, des mou­tons énormes des­sinent des formes mou­vantes sur la terre sèche par leurs dépla­ce­ments. Les che­mi­nées des fées se dressent comme des doigts poin­tés vers nos âmes envo­lées et les pics de tuf sont autant d’a­ver­tis­se­ments qui disent de ne pas venir s’y frot­ter. Dans l’air pur et silen­cieux, on peut entendre les brû­leurs chauf­fer l’air des autres ballons.

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Le bal­lon monte haut et le pilote, Nigel, un amé­ri­cain venu ici exer­cer ses talents d’aé­ros­tier, nous annonce dans son anglais mâché que nous nous trou­vons actuel­le­ment à 1500 mètres d’al­ti­tude. Une simple ram­barde en osier tres­sé me sépare d’un vide qui pour­rait me ter­ro­ri­ser, mais je n’é­prouve qu’une simple dou­ceur, emmi­tou­flé dans mes ori­peaux d’é­té, le regard per­du à l’ho­ri­zon devant le spec­tacle qui ne cesse de bou­ger de quelques mil­li­mètres dans le vide. Des deux côtés, je peux voir clai­re­ment les contours des deux prin­ci­pales mon­tagnes qui entourent la Cap­pa­doce, le Hasan dağı et l’Erciyes dağı, et juste au-des­sous, les innom­brables petites val­lées creu­sées par l’eau qui s’est infil­trée depuis des mil­liers d’an­nées, dans les­quelles cer­tains bal­lons s’a­ven­turent pour aller voir au plus près. Cette mul­ti­tude de bal­lons est un spec­tacle à la fois gros­sier et impres­sion­nant. J’i­ma­gine que ce bal­let inces­sant qui crible les lieux de ces masses gon­flées d’air doit cer­tai­ne­ment aga­cer les habi­tants de la région pen­dant la haute sai­son. L’in­con­vé­nient de ces grosses bau­druches, c’est qu’il faut bien qu’elles se posent quelque part, et comme le dit très bien Nigel, we go where the wind takes us… Ce qui veut dire aus­si qu’on atter­rit là où on peut et là où le vent veut bien ces­ser de pos­sé­der la toile. Par­fois, on atter­rit dans des champs de par­ti­cu­liers. Mais c’est la ran­çon de la gloire.

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Le bal­lon redes­cend tout dou­ce­ment sans qu’on se rende vrai­ment compte de la vitesse ou de la dis­tance et en peu de temps, on se retrouve au ras du sol, en train de frô­ler des arbustes, des buis­sons, quelques pics de tuf qui ne demandent qu’à vio­len­ter la nacelle et plu­sieurs fois Nigel se retrouve à balan­cer de l’air chaud pour remon­ter au der­nier moment. Ce type est un as, il connaît son aéro­stat et le manœuvre au cen­ti­mètre comme s’il avait la direc­tion assis­tée sur une grosse cylin­drée. Le soleil rasant déchire les vagues de pierre blanche qu’on pour­rait croire tendre comme de la gui­mauve. Dans mes yeux, après Çavuşin, on passe près de la cita­delle de pierre natu­relle d’Üçhi­sar, on sur­vole la val­lée des pigeon­niers (Güver­cin­lik Vadi­si), cer­tai­ne­ment la plus connue des val­lées des envi­rons et enfin Göreme, avec son bourg ramas­sé dans sa val­lée, sur les toits duquel nous pou­vons poser nos regards indis­crets et silen­cieux ; nous pas­sons ici comme des cor­beaux mes­sa­gers qu’au­cun regard ne vient troubler.

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Dans un pre­mier champs, nous avions cru que le bal­lon finis­sait sa course, mais à peine la nacelle posée, la voi­ci sou­le­vée à nou­veau et nous repar­tons un peu plus loin. Deuxième essai, cette fois-ci est la bonne, la nacelle se pose vio­lem­ment après avoir arra­ché un buis­son d’é­pi­neux. Le voyage se ter­mine là. Nigel nous demande d’at­tendre que la nacelle soit bien posi­tion­née sur la remorque du camion qui nous a cou­ru après pour nous retrou­ver dans les champs de Göreme. Le bal­lon s’é­crase au sol et immé­dia­te­ment, une armée d’hommes en bleu s’af­faire à replier la car­casse dégon­flée. Nigel fume un clope, appa­rem­ment fier de lui, puis nous buvons un coup d’une espèce de pétillant sans alcool — rama­dan oblige — que je suis loin de pré­fé­rer à une bonne coupe de cham­pagne pour ce bap­tême de l’air hors du com­mun. Il est à peine 8h00 du matin et la jour­née est loin d’être ter­mi­née. Le mini­bus me ramène à l’hô­tel, où je prends à nou­veau un déjeu­ner copieux, avant d’al­ler dor­mir un peu pour rat­tra­per cette nuit un peu courte.

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Après une bonne douche — voler dans les airs rem­plit de pous­sière — je reprends la voi­ture pour me diri­ger vers une petite ville qui se trouve bien après Nevşe­hir en allant vers l’ouest, ville que je tra­verse en essayant de trou­ver un dis­tri­bu­teur d’argent de la banque par­te­naire de la mienne, mais j’ai beau tour­ner, entrer dans les petites rues encom­brées et pous­sié­reuses, je n’ar­rive pas à trou­ver l’a­gence. La route jus­qu’à Tat­la­rin me réserve quelques sur­prises. C’est une petite route de cam­pagne qui n’ar­rête pas de tour­ner autour du tra­cé des champs et j’y ren­contre des femmes bien élé­gantes, voi­lées, assises sur un trac­teur, d’autres dans des car­rioles tirées par des ânes souf­fre­teux, trois hommes assis sur la même moto pous­sive, des ven­deurs de patates sur le bord de la route, loin de tout, au beau milieu de rien, à dix kilo­mètres de la pre­mière maison.

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 150 - Route de Tatlarin

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 152 - Route de Tatlarin

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 156 - Cité souterraine de Tatlarin

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 166 - Cité souterraine de Tatlarin

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 172 - Tatlarin

La petite ville de Tat­la­rin est per­due, rude et pauvre. C’est une petite ville de cam­pagne en dehors des cir­cuits tou­ris­tiques et lorsque je me gare devant la cité sou­ter­raine (Tat­la­rin yeraltı şeh­ri), qui est d’ailleurs très bien indi­quée (en turc), je me pose tout à coup la ques­tion de savoir si c’est ouvert. Par chance, je vois un type pos­té devant l’en­trée, ou plu­tôt, qui dort dans un recoin. C’est un grand bon­homme mous­ta­chu, racé, en cos­tume, che­mise impec­ca­ble­ment repas­sée, et chaus­sures de villes bri­quées, un spec­tacle un peu déton­nant dans ce décor pous­sié­reux et d’une pau­vre­té mani­feste. Il m’emmène d’a­bord dans l’é­glise de la cité. La pre­mière par­tie est inté­gra­le­ment recou­verte de pein­tures splen­dides, une cru­ci­fixion abî­mée recou­vrant la nef, la seconde est beau­coup plus sobre. Quelques vieilles ampoules à incan­des­cence illu­minent les par­ties les plus belles, lais­sant le reste dans une pénombre qui tranche avec la lumi­no­si­té du dehors.

Les deux pho­tos de l’in­té­rieur de cette église sont dis­po­nibles sur CNRS édi­tions.

Le guide referme la porte der­rière moi, lais­sant cette église du XIè siècle dans l’obs­cu­ri­té des siècles, là où il m’a été impos­sible de prendre la moindre pho­to à cause des inter­dic­tions écrites par­tout. Par­fois, je me mau­dis de voir que je ne peux rap­por­ter que des sou­ve­nirs gra­vés dans ma mémoire au lieu de faire comme ceux qui ne res­pectent pas les règles. Au moins ai-je ma conscience pour moi.
Il m’emmène dans une deuxième salle fer­mée par une porte blin­dée ; le cœur de l’an­tique cité creu­sée dans le roc.

Dans son Ana­base, Xéno­phon, au VIè siècle av. J.-C. décri­vait déjà ces habi­ta­tions rupestres.

Les habi­ta­tions étaient sous terre. Leur ouver­ture res­sem­blait à celle d’un puits, mais l’in­té­rieur était spa­cieux. Il y avait pour le bétail des entrées creu­sées en terre ; les gens des­cen­daient par une échelle. Dans ces habi­ta­tions, il y avait des chèvres, des mou­tons, des vaches, de la volaille et les petits de ces ani­maux. Tout le bétail était nour­ri de foin à l’in­té­rieur. Il y avait aus­si du blé, de l’orge, des légumes et du vin d’orge dans des cra­tères. Les grains d’orge même nageaient à la sur­face et il y avait dedans des cha­lu­meaux sans noeuds, les uns plus grand les autres plus petits. Quand on avait soif, il fal­lait prendre ces cha­lu­meaux entre les lèvres et aspi­rer. Cette bois­son était très forte, si l’on y ver­sait pas d’eau. Elle était fort agréable quand on en avait pris l’habitude.

XÉNO­PHON, Ana­base, livre IV, cha­pitre V, tra­duc­tion P. Cham­bry, éd. Garnier

Si les habi­ta­tions affleu­rant sur les falaises de Tat­la­rin étaient visibles, l’en­trée de cette cité n’a été décou­verte qu’en 1975, en rai­son des ébou­lis qui mas­quaient son entrée. Depuis son ouver­ture en 1991, on peut admi­rer l’en­fi­lade de salles qui la com­posent. Les cou­loirs, par­fois pas plus hauts qu’un petit mètre, per­mettent d’at­teindre au plus pro­fond ces salles. La pre­mière semble être une salle de vie, large, spa­cieuse, avec une échelle qui per­met de rejoindre un sys­tème de ven­ti­la­tion qui remonte jus­qu’à la sur­face. Cel­lier, chambres, tout y est. On y voit même des toi­lettes. On peut éga­le­ment encore voir les meules qui ser­vaient à fer­mer les issues en cas d’at­taques, ce qui rend le lieu fon­ciè­re­ment oppres­sant. Un tout petit cou­loir qui tourne à angle droit par deux fois où je rampe der­rière mon guide m’emmène dans une seconde salle dont le pla­fond est à peine plus haut que moi. Il m’in­dique une bouche d’aé­ra­tion qui conti­nue pen­dant une tren­taine de mètres : l’ou­ver­ture fait 70cm de haut, mais là, c’est trop pour moi, je m’en­gouffre avec ma lampe torche, et avec le gou­lot qui se res­sert, je suis pris d’une crise d’an­goisse. Impos­sible de me retour­ner, je fais demi-tour le cul en l’air, à toute vitesse, la lampe torche coin­cée entre les dents… Mon guide se marre comme une baleine en mar­mon­nant quelques mots en turc. Je finis par me mar­rer aus­si, pas bien cer­tain que ce soit à cause de mon geste ou que ce soit un rire ner­veux. Je sors d’i­ci avec un cer­tain empressement.

Depuis l’es­pla­nade du par­king, je regarde la vie du vil­lage s’é­brouer ten­dre­ment avec l’in­dis­cré­tion du point de vue en hau­teur ; un camion char­gé de sacs de jute, qui doublent sa hau­teur, une jeune femme joue avec ses enfants dans la cour de sa mai­son. Cer­taines des mai­sons sont creu­sées dans le roc et n’af­fleurent que par les voûtes à moi­tié enfouies sous la terre.

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 180 - Nevşehir

Je reprends mon che­min vers Nevşe­hir sur une route défon­cée, un autre che­min que celui de l’al­ler, un revê­te­ment fait de pierres noires qui criblent le bas de caisse de la voi­ture dans un bruit de gre­naille aga­çant. Dans les champs, des courges spa­ghet­tis et des tour­ne­sols immenses. De retour aux abords de Nevşe­hir, je m’ar­rête quelques ins­tants sur les contre­forts d’un quar­tier aban­don­né où je peux voir clai­re­ment une église ortho­doxe avec son plan en croix grecque, aban­don­née elle aus­si, meur­trie par l’his­toire. Ici devaient vivre les popu­la­tions grecques dépla­cées. Le quar­tier n’a visi­ble­ment jamais été réinvesti.

Je prends la route qui des­cend vers le sud, vers la ville de Derin­kuyu où se trouve une autre cité sou­ter­raine (Derin­kuyu yeraltı şeh­ri). Celle-ci est plus impres­sion­nante encore, elle s’é­tend sur 9 étages et des­cend à plus de 35 mètres sous le sol plat d’une ville au creux d’une val­lée ; c’est la plus grande de Tur­quie, ce qui fait qu’elle est éga­le­ment plus fré­quen­tée que celle de Tat­la­rin, mais tant pis, le dépla­ce­ment vaut le coup.

Cette cité avait une capa­ci­té maxi­male de 50 000 per­sonnes mais en abri­tait en moyenne 10 000, ce qui est abso­lu­ment énorme. On pense qu’un tun­nel caché devait rejoindre l’autre grande cité sou­ter­raine de Cap­pa­doce, celle de Kay­maklı, dis­tante de 9km de celle-ci. Un puits cen­tral per­met la cir­cu­la­tion de l’air, prin­ci­pal point de sur­vie des habi­tants. On trouve au der­nier sous-sol une immense salle capi­tu­laire, qui fai­sait office de monas­tère. L’am­biance y est oppres­sante quand on sait qu’on a toutes ces tonnes de rochers au-des­sus de nos têtes. La des­cente est éprou­vante pour les nerfs, la remon­tée, un soulagement.

Billet d'entrée - Derinkuyu yeraltı şehri

Billet d’en­trée — Derin­kuyu yeraltı şehri

Plan de coupe de la cité souterraine de Derinkuyu

Plan de coupe de la cité sou­ter­raine de Derinkuyu

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 187 - Cité souterraine de Derinkuyu

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 190 - Cité souterraine de Derinkuyu

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 196 - Cité souterraine de Derinkuyu

Je ne cache pas que je me sens mieux à l’ex­té­rieur, sous le soleil piquant. Tout près de la sor­tie de la cité, se trouve une grande et belle église ortho­doxe construite en croix grecque. Per­sonne ne se trouve dans l’en­clos autour, sauf une petite fille que j’ai vu deux minutes aupa­ra­vant qui avait essayé de me vendre une pou­pée en laine. Ce qui m’a éton­né chez elle, c’est son air farouche, ses che­veux blonds et ses grands yeux bleus mali­cieux. Cer­tai­ne­ment une gitane comme il en reste tant ici, au milieu des popu­la­tions, vivant dis­crè­te­ment leur vie nomade. Lorsque j’entre dans l’en­clos, je la sur­prends hon­teuse en train de pis­ser contre le mur l’église.

Par le trou de la ser­rure de la grande porte en bronze, j’ar­rive à sai­sir l’in­té­rieur de l’é­glise déla­brée. Piliers ouvra­gés, fenêtres en forme de croix, c’est un lieu obs­cur et mys­té­rieux, mais encore char­gé d’é­mo­tions et de spi­ri­tua­li­té. Dom­mage que je ne puisse y entrer. Le sol est en revanche par­fai­te­ment arasé.

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 198 - Derinkuyu

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 204 - Derinkuyu

Je quitte la ville un peu trop vite à mon goût, n’ayant pas eu le temps de prendre le temps. Je m’ex­ta­sie devant le chant du muez­zin cra­ché par des hauts-par­leurs accro­chés aux poteaux d’é­clai­rage et devant une ancienne église recon­ver­tie en mos­quée. Ici, les mai­sons sont clai­re­ment de style grec, faites avec ses pierres blanches qu’on voit par­tout. A la sor­tie de la ville, je m’ar­rête dans une sta­tion essence aban­don­née pour pis­ser. Bien éle­vé, je vais dans les toi­lettes, enfin, ce qu’il en reste.

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 211 - Route de Derinkuyu

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 213 - Route de Derinkuyu

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 215 - Nevşehir

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 214 - Nevşehir

Je repasse par Nevşe­hir, je m’ar­rête encore, je prends en pho­to des barres d’im­meubles modernes lais­sées en jachère et qui pour le coup semblent aus­si incon­grues que ces mai­sons encore debout mais aban­don­nées. Les temps anciens et la moder­ni­té de cette région ne sont fina­le­ment que deux facettes d’une même identité.

Un peu affa­mé, je rejoins Göreme où je m’ar­rête pour man­ger un peu au Cap­pa­do­cia Kebap Cen­ter, recom­man­dé par le Rou­tard. Ser­vice fran­che­ment désa­gréable, nour­ri­ture dégueu­lasse et chiche, c’est dans ce « res­tau­rant » que j’ai vu des Fran­çais s’in­sur­ger et quit­ter la table parce que le ser­veur refu­sait de leur ser­vir du vin, en plein rama­dan. Mau­dits Fran­çais qui col­portent notre répu­ta­tion dans le monde entier… Un ins­tant, je me suis pris à avoir honte de par­ler la même langue que ces gens.

Je repasse par l’hô­tel pour souf­fler un peu. Abdul­lah m’ac­cueille une fois encore avec ses grands bras dont il m’en­lace pour m’embrasser ; il m’in­vite à m’as­seoir sur la ter­rasse et me fait appor­ter un jus d’a­bri­cot (kayısı suyu) du jar­din. Ses abri­cots sont encore un peu jeunes et pas assez sucrés, mais j’a­dore son inten­tion et je lui demande de venir s’as­seoir avec moi. Nous échan­geons quelques mots en anglais, lui en turc ; avec les gestes, nous finis­sons par nous com­prendre. A l’ombre de la ter­rasse, un petit vent frais rafraî­chit ma peau cuite de soleil. Abdul­lah me demande où je vais après. Je lui dit que j’ai­me­rais bien voir la val­lée que j’ai vu des­cendre au pied de la cita­delle. Il me dit que c’est la Val­lée Blanche (Bağlı Dere) et m’in­dique en bre­douillant quelques mots d’an­glais, puis en deman­dant à Bukem de l’ai­der, com­ment m’y rendre. Je ne com­prends pas tout, mais après avoir gobé mon jus, je me remets en route.

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 216 - Bağlıdere Vadisi

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 218 - Bağlıdere Vadisi

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 223 - Bağlıdere Vadisi

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 232 - Bağlıdere Vadisi

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 236 - Bağlıdere Vadisi

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 238 - Bağlıdere Vadisi

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 242 - Bağlıdere Vadisi

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 245 - Bağlıdere Vadisi

Je me retrouve à prendre un che­min dont je ne sais pas où il peut me mener, sur les pla­teaux qui sur­plombent les petites val­lées de tuf creu­sé. Je trouve sur ces che­mins des poi­riers por­tant de tout petits fruits, des abri­co­tiers sur les­quels je me sers fru­ga­le­ment, dont les fruits regor­geant de sucre me font oublier le jus d’Ab­dul­lah. Je trouve des plantes por­tant des gousses gon­flées d’air, des fleurs d’un bleu pro­fond, deux tor­tues qui rentrent leurs membres sous leur cara­pace quand elles me voient arri­ver vers elle, des hiron­delles qui découpent le ciel, une terre aux cou­leurs ocres et vertes tota­le­ment incon­grues… Je ne sais pas où se trouve exac­te­ment la Bağlı Dere mais peu importe, je suis bien ici et je ter­mine cette jour­née en jouis­sant de cet ins­tant pré­cieux, four­bu de fatigue, rom­pu jus­qu’aux os, dans la lumière du soleil déclinant.

C’est ce soir là que je fais la connais­sance de Biş­ra, la jeune ser­veuse de chez Özlem, où je déguste une fan­tas­tique tes­ti kebap, cuit et ser­vi dans son pot en terre fen­du en deux que le patron vient lui-même appor­ter avec sa manique et le manche du mar­teau avec lequel il fen­dille l’ou­ver­ture avec toute la théâ­tra­li­té dont il est capable. Biş­ra est une belle jeune fille à qui je ne don­ne­rais pas plus de vingt-ans et avec qui j’é­chan­ge­rai quelques mots lorsque je revien­drai en mai de l’an­née d’après.

C’est ce soir là que je me rends compte que tant qu’on dit mer­ci (teşekkür ede­rim) quand les plats arrivent, on nous répond cette étrange for­mule : Afiyet olsun, qu’on peut vite tra­duire par bon appé­tit, mais qui pré­cise qu’on puisse appré­cier ce qui vient de nous être ser­vi. Il ne faut donc pas s’é­ton­ner qu’on nous le répète à chaque fois qu’on remer­cie pour l’ar­ri­vée d’une cor­beille de pain ou d’une bière.

Voir les 249 pho­tos de cette jour­née sur Fli­ckr.

Loca­li­sa­tion sur Google Maps :

Épi­sode sui­vant : Car­net de voyage en Tur­quie : Les val­lées aux églises de Çavuşin et la route des thermes de Bayramhacı 

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