Il y a longtemps que je voulais lire Typhon, un petit livre écrit par Joseph Conrad en 1900. Typhon, c’est un peu le Graal du roman maritime, mais contrairement à ce que pourrait penser, ce n’est pas un simple livre d’aventures maritimes, ni un livre catastrophe, mais bien plutôt un simple livre qui parle d’hommes sur un bateau. Le mauvais temps est à l’origine de cette ambiance poisseuse et les hommes qui cohabitent sur la nef chahutée par les flots et le vent vont se retrouver pris ensemble dans la tourmente.
Des lueurs pareilles à de longues flammes pâles tremblaient sur les surfaces polies du métal ; les énormes têtes des manivelles émergeaient tour à tour du parquet de chauffe en un éclair de cuivre et d’acier — et disparaissaient, tandis que les bielles aux jointures épaisses, pareil à des membres de squelette, semblaient les attirer, puis les rejeter avec une précision fatale. Et tout au fond, dans une demi-clarté, d’autres bielles allaient et venaient, s’esquivant délibérément, des traverses dodelinaient de la tête, des disques de métal glissaient sans frottement l’un contre l’autre, lents et calmes dans un tournoi de lueurs et d’ombres.
Le typhon, s’il est un des personnages principaux du livre, n’est même pas présent à l’extérieur du bateau mais bel et bien à l’intérieur, dans l’ambiance terriblement lourde entre les hommes d’équipage et les deux cents coolies qui y ont embarqué pour retourner au pays. Typhon est une pièce majeure, une des pièces maîtresses de l’œuvre de Conrad, trop court pour être un roman, trop long pour être une nouvelle, un pur joyau.
Une petite flamme brilla de nouveau sur le verre et le métal du baromètre au chef branlant. Les yeux de Mac Whirr s’y fixèrent. Il les fermait à demi pour concentrer son attention, comme épiant un signe imperceptible. Avec sa face grave, il ressemblait à un bonze difforme et botté en train de consulter un idole et lui brûlant au nez de l’encens. Il n’y avait pas d’erreur ; il n’avait jamais vu de sa vie le baromètre aussi bas.
Joseph Conrad, Typhon
Folio Gallimard
Traduction d’André Gide