Je suis levé très tôt, en même temps que le soleil, peut-être même avant. La fatigue n’a plus de prise sur moi ; je me sens incroyablement léger, dégagé de toute contrainte, presque inconscient du monde environnant. Dans cette chambre immense où j’ai la sensation d’avoir finalement passé trop peu de temps, je commence à rassembler mes quelques affaires. Mais étrangement, j’ai la bougeotte et comme il est encore trop tôt pour aller déjeuner, je m’assieds sur le rebord de la fenêtre pour regarder les ballons percer le ciel frais du matin. Il est encore tôt… mais je chausse mes chaussures et je m’habille sommairement, je prends les clefs de la voiture et je sors de la chambre presque comme un voleur, passant devant le type avec un petit geste de la main et l’air satisfait du sale gamin qui va faire une connerie. Pour une connerie, c’est une sacrée connerie. Je file à toute vitesse vers Göreme sur la route poussiéreuse ; la voiture fait de dangereuses embardées dans les virages, me rappelant tout à coup que mon tacot a les pneus lisses. Je prends la direction du musée en plein air et je rejoins un panneau qui m’intrigue pour être passé plusieurs fois devant. Le panneau jaune indique Saklı Kilise, ce qui signifie « église cachée ». En me renseignant un peu sur le guide, j’apprends que cette église porte ce nom car un éboulement en avait caché l’entrée pendant plusieurs siècles, au-dessus de la vallée de Zemi qui rejoint la vallée des pigeonniers. Elle n’a été mise au jour qu’en 1957, révélant des fresques peintes directement sur le roc, exceptionnellement conservées du fait de leur isolement du monde extérieur et c’est cette église-là que je souhaite voir avant de quitter la Cappadoce.
La ville dort encore, il n’est que 7h00 et tout semble se réveiller doucement. Le soleil est déjà chaud, mais je supporte bien un petit pull qui me rappelle qu’on est quand-même dans les montagnes. Au point le plus bas d’Üçhisar, on est déjà à près de 1300 mètres au-dessus du niveau de la mer. Je m’engage sur le sentier qui emprunte un chemin derrière une ancienne église reconvertie en écuries ; le chemin monte sacrément et passe sur une crête un peu escarpée. D’ici je peux voir toute la vallée qui s’étend devant moi. Le coin est truffé d’églises dans la roche, mais je n’ai pas de carte suffisamment détaillée et exhaustive pour imaginer les visiter toutes un jour. Je m’engage sur le plateau de tuf où l’on trouve des champs cultivés, des abricotiers en nombre. Le soleil du matin rase ce paysage dont la blancheur éclatante est à la fois un supplice et un régal pour les yeux. Mon chemin s’étend sur quelques dizaines de mètres, mais alors que je m’attends à tomber sur une indication, sur un panneau qui pourrait m’aider, rien ne me laisse présager qu’il existe ici une église, et je me laisse finalement à croire que le mot « église cachée » ne soit finalement qu’un calembour indiquant qu’elle est tellement bien cachée qu’on ne peut la trouver. Je finis par descendre dans la vallée par un chemin hasardeux et tente de repérer les lieux depuis le contrebas mais je ne vois rien d’autre que des vignes, du tuf bien lisse et bien glissant. Il est pourtant dit sur le guide que quelques mètres sur le plateau donnent accès à une volée de marches abruptes qui descendent à l’église mais je ne vois rien et ça commence à m’énerver. Je décide alors de remonter sur le plateau par un chemin dans un goulet d’étranglement en passant mes pieds dans les creux entre les cônes de tuf. J’arrive à me débrouiller plutôt bien jusque là, jusqu’à ce que je me retrouve avec le pied bien coincé dans la roche. Et là, je commence à avoir peur. Je suis tout seul, personne ne sait que je suis là… Au mieux on retrouvera la voiture dans quelques jours et on se posera la question… Je n’arrive plus à monter et sous mes pieds il y a cinq bons mètres de vide, je ne peux pas me retourner et oser espérer sauter sans me casser quelque chose, mais de toute façon, ma chaussure est tellement bien encastrée que je ne peux pas bouger. Je commence à fatiguer, à m’essouffler et pour ne rien cacher, je commence à avoir franchement peur. Je commence à rire nerveusement en me disant que je suis un peu inconscient parfois, mais j’essaie de garder la tête froide et je commence à réfléchir pour me sortir de là. Et là, j’ai comme un coup de génie ; je dénoue mon lacet et arrive à retirer ma chaussure de mon pied endolori, que j’arrive finalement à poser plus bas. Après avoir récupéré la chaussure, je redescends tout doucement pour ne pas tomber et j’arrive finalement en contrebas. Après ce gros coup de trouille, je finis par remonter par où je suis descendu. Je dois me rendre à la réalité, je n’arriverai pas à trouver l’église cachée et quitter la Cappadoce sur cet échec me rend un peu amer.
Finalement, c’est quand je reviens sur mes pas que je vois sur le bord du précipice une volée de marches taillées dans le roc et qui descendent vers une excavation. Je n’en crois pas mes yeux, je suis passé devant peut-être trois ou quatre fois sans voir les marches. Voici une église qui mérite bien son nom. Évidemment, elle est fermée, comme souvent apparemment, mais ce que j’arrive à en voir me permet d’identifier les différentes scènes avec ma lampe torche (ustensile finalement indispensable en Cappadoce) : la Deisis, l’Annonciation, la Nativité, la Présentation de Jésus au temple, le Baptême, la Transfiguration, la Crucifixion du Christ, La Dormition de Marie et quelques saints. Les couleurs sont encore vives et la peinture pas trop abimée. J’aurais finalement trouvé cette belle église cachée et je reviens à l’hôtel fier de moi, même si j’ai presque failli ne pas en revenir vivant…
Je suis accompagné jusqu’à la voiture par des nuées de moustiques qui viennent de se réveiller et me dévorent les jambes. C’est mon dernier jour ici, je reprends l’avion dans la soirée pour Istanbul, mais j’ai le cœur gros et je n’ai pas vraiment envie de partir d’ici. C’est sans précipitation que je me douche et que je finis de boucler ma valise avant de descendre déjeuner sur la terrasse, une dernière fois. Le lieu est si magique que je sais qu’il y aura quoi qu’il en soit une deuxième fois.
Une fois le ventre plein, je laisse mes valises à l’accueil après avoir convenu d’un accord tout à fait intéressant avec Abdullah par l’intermédiaire de l’anglais rudimentaire de Fatoş. En fin de journée, je ramène la voiture — que je paie dans le prix de la chambre — et je pars avec et le propriétaire jusqu’à l’aéroport de Nevşehir qui me dépose là-bas. Seule contrepartie, je paie le plein d’essence arrivé près de l’aéroport. C’est plus qu’honnête. Nous nous serrons la main et je repars sur les routes, profiter un dernier instant des paysages. Je me dirige vers la vallée de Devrent et je m’arrête à un endroit que m’avait chaudement recommandé Adbullah : Paşabağ (le jardin du Pacha). Plutôt qu’un jardin, c’est un immense champ de cheminées de fée où tous les Turcs des environs semblent s’être donnés rendez-vous en famille. Certaines anciennes cellules des moines sont accessibles par la roche, mais sont littéralement envahis de petits enfants Turcs un peu bruyants et désordonnés. Un superbe terrain de jeu pour eux, mais je n’arrive pas vraiment à goûter l’endroit, que je trouve sans charme. Il y a, paraît-il, une église, que je n’ai pas vue, mais pour tout dire je ne m’éternise pas ici. A part quelques polychromies, une vallée solitaire et la présence d’un énorme lézard à la peau lardée de piquants, je ne retiens pas grand-chose de l’endroit. Je file et m’arrête sur un plateau d’où je peux voir la Cappadoce à 360° ; d’un côté, le plateau de Çavuşin avec ses jolies vallées, de l’autre la plaine qui s’étend jusqu’à Ortahisar et Ürgüp. C’est une terre accidentée, teintée de rouges là où poussent les vignes qui servent aux vins (réputés) d’Ürgüp, de jaune souffre là où la caillasse effleure, de roses là où sortent de terre les cônes de tuf, de blancs lorsque la terre est rincée par les pluies et la neige de l’hiver, de verts pâles là où poussent des touffes disparates et des buissons chétifs, parfois dans la terre aussi qui arbore ces étranges teintes qu’on trouve incroyables en ces lieux…
Je reprends la voiture pour aller voir la fameuse Pancarlık Kilisesi que j’ai failli voir il y a trois jours si je n’étais pas arrivé aussi tard… Je passe par la route qui part d’Ortahisar ; c’est une vieille route cabossée, étroite et poussiéreuse, pleine de trous. Je déplace des tonnes de poussière et de sable qui ne me font pas passer inaperçu sur cette route isolée. Rien de tel pour signaler sa présence. Je pense aussi que je finis de ruiner la voiture qui va en prendre un sacré coup dans les amortisseurs.
Cette fois-ci, c’est ouvert, mais le type qui garde l’église n’est vraiment pas débordé, à tel point qu’il dort, en toute simplicité. Je suis obligé de tousser, ce qui ne le réveille pas. Je lâche finalement un petit éclat de rire qui le bouscule ; il se met debout comme si de rien n’était et d’un sourire franc sous sa belle moustache poivre et sel, il me demande les 4TL de droits d’entrée — dört lira. L’église est toute simple, avec une dominante de couleurs vertes et ocres. La marche de l’autel est sculptée en onde, ce qui est extrêmement rare et qui symbolise certainement l’eau du baptême, et le chœur est une demi-coupole où est peint un Christ en majesté, ainsi que le tétramorphe et des séraphins. Les saints représentés le sont sous forme de bandes historiées.
Des ouvertures creusées dans la pierre laissent passer un petit courant d’air agréable, tandis que deux hommes sont vautrés sur les tapis à l’entrée de l’église, prenant un thé qui a dû refroidir depuis longtemps. Je profite de ces derniers instants, car je sais que je ne reviendrai pas tout de suite ; alors j’imprime dans mes souvenirs les couleurs et les formes de ce paysage dans lequel je me sens comme en terrain connu, les odeurs de tabac et d’eau de rose, d’herbes cuites par le soleil et de terre crayeuse, les chants des muezzin de la région qui sont comme des cantiques anciens dont la mélopée se retient comme une chanson entêtante.
Retour à Göreme pour déjeuner en plein milieu d’après-midi, au Maccan Café, sur le grand place près de la gare routière. J’y déjeune d’une coban salata faite à la commande et d’un menemem bien relevé avec un ayran pour éteindre le feu. Il est temps de partir ; je retourne à l’hôtel où attend le chauffeur. Ma valise attend sagement dans un coin et je sens déjà que quitter cet hôtel va être un vrai déchirement. C’est la première fois de ma vie que je pars un mois loin de chez moi, dans un pays étranger qui plus est, et ma déchirure se mesure à l’imprégnation de mon âme par ces terres étranges, empreintes de mysticisme et de religion aux contours un peu flous, d’histoire grecque relevée à la sauce ottomane, teintée de la douleur des déplacements de populations et d’une histoire récente pas toujours très drôle. Abdullah est là, ainsi que Fatoş. Bukem est absente aujourd’hui. Les adieux me déchirent le ventre, surtout lorsque je sais que ce n’est pas simplement une relation commerciale, et que derrière ce qu’on voit, des gens qui se plient en quatre pour leurs clients, ce n’est pas une vaine obséquiosité, mais quelque chose qu’on a, me semble-t-il par chez nous, définitivement perdu et dont le nom lui-même ressemble à une vaste blague au parfum suranné de naphtaline ; l’hospitalité. Tout a été fait pour me faciliter la vie, et cela, sans surcoût. Je me rappelle encore ces moments où en plein milieu de la nuit Abdullah me demandait de patienter un peu pour me préparer des tranches de pastèque alors que la fatigue m’étrillait ou lorsqu’il partageait avec moi ses noisettes (fındık) et ses abricots (kayısı) avant que je ne parte passer la journée dans la poussière. Il était hors de question que je sorte de son hôtel sans avoir pris une petite bouteille d’eau dont le meuble à l’entrée regorgeait. Ce n’est presque rien, mais c’est une relation instaurée qui ne souffre pas le refus, et dont j’ai vu sur place peu de Français se saisir…
Je monte à côté du chauffeur, ma valise dans le coffre, et après avoir embrassé Abdullah qui m’entoure littéralement dans ses bras puissants, mon nez fourré dans le tissu de sa chemise qui sent l’eau de rose, après avoir serré la main à Fatoş (oui, on n’embrasse pas les femmes comme ça…) et à un autre type qui était là mais dont je ne savais rien, je leur fais signe par la fenêtre. Abdullah se saisit d’une petite jarre remplie d’eau qu’il jette d’un mouvement de la main vers la voiture… il me dit que c’est une tradition pour souhaiter bonne route. Je trouve l’attention terriblement charmante et ma gorge se serre.
La voiture file vers Nevşehir que nous traversons à toute vitesse, les rues sont désertes et le soleil commence à décroître. Après avoir dépassé la ville, le chauffeur qui ne parle ni français ni anglais m’indique la rivière qui file le long de la route et me dit « Kızılırmak »…
Le fleuve rouge continue donc de m’accompagner jusqu’à l’aéroport. Nous dépassons Gülşehir, l’aéroport se trouve à la sortie de la ville, au milieu de rien. Ce n’est qu’un bâtiment tout en longueur où l’on ne sent pas une grosse activité. Dernier sursaut avant de passer les contrôles, je passe aux toilettes avec un petit sachet en plastique dans lequel j’avais récolté de la terre rouge de Cappadoce. Sortir des éléments minéraux, naturels ou vivants de Turquie est passible de prison, alors plutôt que de prendre des risques inutiles, je préfère me délester de cette poudre dans les entrailles de la terre avant de prendre l’avion.
Après les contrôles, je patiente dans une grande salle vitrée donnant sur la piste et derrière, de courtes montagnes érodées. L’embarquement est annoncé. Je me rends compte que l’aéroport de Nevşehir (Nevşehir Kapadokya Havaalanı) ne propose des vols que pour Istanbul, deux fois par jour avec Turkish Airlines. C’est vraiment le strict minimum, bien loin du gros aéroport de Kayseri. Une fois le vol parti, je pense que tout fermera jusqu’au lendemain midi. L’avion se poste devant les portes qui donnent directement sur le tarmac et lorsque les portes s’ouvrent, on nous invite à nous diriger vers l’avion à pied. C’est la première fois que je marche sur un tarmac et ce sera loin d’être la dernière. Le soleil se couche sur la piste dans une atmosphère irréelle de fin du monde comme on aimerait en vivre tous les soirs, le vent charriant une odeur salée d’herbes riches. Avant de m’engouffrer dans l’avion, je déguste cet instant tant que personne ne me presse. Le bonheur ne tient pas à grand-chose. Ce sont ces petits moments de transit qui vous extraient un moment de l’encroutement dans lequel on se vautre lorsqu’on prend ses aises dans une ville et qu’on a l’impression que le temps s’arrête.
Dans l’avion, puisque c’est Ramadan et que le soleil ne va pas tarder à se coucher, on me propose un plateau repas spécial ramadan, une boîte sur laquelle est inscrit iyi Ramazanlar (Bon Ramadan). Tout le monde a droit de goûter à ces petites douceurs, du riz au sésame, des galettes salées et de l’ayran. Le baklava finit de me faire fondre. L’avion est un A321 qui porte le nom de Sakarya, une province à proximité d’Izmit.
L’arrivée à Istanbul de nuit est magique. Le taxi m’emmène dans le quartier de Sultanahmet mais ne connait pas l’hôtel Sultan Hill. A proximité, comme c’est l’usage, il demande au premier venu où se trouve l’hôtel. C’est un petit hôtel derrière une façade de bois, une grande maison ottomane, dont la particularité est de se trouver juste derrière les murs de la Mosquée Bleue. Après avoir dîné, je monte sur la terrasse pour profiter de la vue… d’un côté Sultanahmet Camii, la superbe mosquée dont le muezzin a déjà chanté le dernier chant du jour, de l’autre la mer de Marmara, la pointe du Sérail, le tout dans une lumière brumeuse et surnaturelle. Avant d’aller me coucher, je fais un tour sur l’hippodrome, lieu de vie extraordinaire où tout le monde mange dans une ambiance bon enfant, au milieu des cris des enfants, des femmes qui rient et des hommes qui fument sous leurs moustaches. Istanbul est une ville qui se laisse prendre au creux de la main. Vivre le ramadan à Istanbul dans la chaleur des soirs brûlants est une expérience qu’on aimerait pouvoir étirer à l’infini et je me dis qu’il faudra que j’attende douze ans pour revivre un mois d’août dans les mêmes conditions. Istanbul en août 2024… Le rendez-vous est pris.
La chambre de ce petit hôtel en bois est toute petite mais je m’endors sans demander mon reste, en songeant déjà à cette heure tardive de la nuit (ou du matin) où le muezzin de Sultanahmet me réveillera avec son chant.
Il est encore tôt lorsque j’ouvre les yeux. Le calme matinal de la Cappadoce m’envahit et creuse en moi un abîme de bonheur sourd. Ni volets, ni rideaux, mon regard tombe sur les myriades de ballons qui envahissent la plaine dans la lumière du soleil levant. Un ballet silencieux emplit le ciel rougeoyant, des dizaines de bulles flottant dans un air frais, tandis que je reste la tête sur l’oreiller à admirer la succession de plateaux de tuf qui s’étend à perte de vue sur l’horizon. Je me suis endormi hier soir sur les pages d’Amin Maalouf ; ce ne serait pas étonnant que mes rêves aient vagabondé aux côtés de Saladin.
L’hôtel est intégralement en pierre volcanique, une pierre à la fois rugueuse et chaleureuse et je ne manque à aucun instant de poser ma main dessus pour en sentir la rugosité. Je me fais couler un bain chaud pour dérouiller mes muscles abimés par la descente de la vallée, avant de descendre déjeuner.
Je me rends à Çavuşin, à quelques kilomètres seulement de la sortie de Göreme en prenant la route vers Avanos, avec la ferme intention de marcher dans les grandes vallées que l’on voit du ciel et dans lesquelles se cachent des petites églises creusées à l’écart du monde dans le tuf de la montagne. C’est une randonnée qui s’envisage sur la journée, surtout si l’on veut prendre le temps. Je pensais, en ce mois d’août rencontrer pas mal de monde mais encore une fois, j’ai l’impression d’être seul au monde. Je n’aurai rencontré dans la Güllü Dere (la vallée aux roses, le mot dere désignant plus le lit d’un ruisseau asséché qu’une vallée à proprement parler) en tout et pour tout qu’un couple d’Allemands avec leur môme dans leur poussette (inutile de dire qu’ils ont vite fait demi-tour…) et un couple de Français avec leur fils avec qui j’ai fait un bout de chemin.
Çavuşin, ça signifie pour moi un bourg paisible, une grande place avec une épicerie, des camions et des remorques peinturlurés et sur les pare-brises, au-dessus des poignées de portes des voitures, sur les autocollants des pare-soleil, une inscription supposée attirer la chance, ici écrite en alphabet latin : Bismillahirrahmanirrahim. Mais c’est aussi la citadelle, avec ses habitations troglodytes, et tout en haut la basilique Saint-Jean Baptiste, qui a peut-être contenu un jour les reliques de l’Agneau de Dieu… Peut-être… Cette partie de la ville était encore habitée jusqu’en 1964, date à laquelle elle a été évacuée. En 1975, une grande partie de l’édifice s’est effondrée. Çavuşin c’est aussi une petite mosquée où j’ai rarement entendu le muezzin chanter et des petites églises dans la ville, ouvertes aux quatre vents, et des maisons grecques en pierre, décorées d’ornements en forme de coquillage ou d’étoiles. Sur la grande place, lorsqu’on continue le chemin sur la droite, on arrive en bordure d’un cimetière, un très vieux cimetière où par endroits ne subsistent plus que des stèles fichées en pleine terre, sans inscriptions, rongées par le vent et la poussière, d’autres sont amarrées sur la pente de la colline, tournées vers La Mecque. Au milieu des tombes musulmanes, des stèles chrétiennes surmontées d’une croix, dont une porte un nom pourtant bien turc : Ali Kara mort en 1952. Ali le noir.
Cette vallée porte le nom de Zindanönü et mène vers les trois vallées qui sont comme un Graal au terme de ce voyage ; Güllü Dere (la vallée aux roses), Kızıl Çukur (le fossé rouge) et Meskendir. On y voit d’énormes mamelons renflés de tuf blanc, des pics, des coulées d’oxydes qui ont coloré la roche de roses et de verts. Je retourne sur mes pas pour aller chercher la voiture que j’ai laissée dans le centre pour la garer sur un immense parking vide. Cela me vaudra de faire une rencontre surprenante avec la gendarmerie (jandarma) à mon retour.
Je m’engouffre dans la vallée ; il fait déjà chaud, le soleil est haut dans le ciel. Quelques arbres chétifs, des abricotiers surtout, promettent une ombre qu’il est de bon ton d’accepter. Le chemin se rétrécit, passe sous des arches de pierre creusées par la main de l’homme. J’arrive devant la première église, l’église des Trois Croix (Üç haçlı kilise), laquelle me laisse un peu perplexe. En dehors d’un écriteau, rien ne laisse penser qu’on est ici au pied d’une église, laquelle n’est visible depuis le chemin que par la présence d’une ouverture sur l’extérieur qui permet de voir une immense croix insérée dans une mandorle gravée au plafond, ouverture causée par l’effondrement d’une partie de la façade. L’accès se fait par une pente ardue et c’est pratiquement allongé sur le sol que j’arrive à escalader en mettant les pieds dans les encoches. J’avoue ne pas être totalement rassuré et la perspective de tomber cinq mètres plus bas ne m’enchante guère, mais le spectacle en vaut la peine. A l’intérieur, ce sont des gravures datant du VIIè siècle et des peintures ultérieures (fin IXè siècle) qui ornent ses parois, notamment une vision triomphante du Christ, entourée de chérubins tétramorphes et de séraphins, des éléments au plus proche de la tradition paléochrétienne et byzantine. C’est un travail d’une rare finesse, rongé par le temps, abîmé par des mains indélicates, hostiles à l’imagerie chrétienne. L’impression d’être coincé dans ce lieu totalement improbable, isolé du monde, donne une belle idée de la manière dont vivaient reclus les moines qui habitait ces trous de souris pour se protéger de leurs persécuteurs. Dans cette vallée pas complètement isolée au final, on trouve des terrasses cultivées, des ceps de vignes taillés, des petits abricotiers, tout un monde de cultures à l’abri du vent dans ces édens naturels.
Je descends de l’église par le goulet et manque de dévaler plus vite que prévu, mais heureusement que j’ai de bonnes chaussures. Un peu plus loin se trouve une autre église, l’église Saint-Jean (Ayvalı kilise), mais elle est malheureusement fermée en ce moment pour restauration. Le vallon se referme, le chemin devient de plus en plus étroit. Il y a des pigeonniers partout, et certaines falaises montrent des striures qui laissent penser que des ouvertures ont été creusées, mais rien n’est moins certain.
Le guide bleu dit qu’on peut faire demi-tour pour atteindre la vallée suivante, ou alors prendre le chemin de crête pour arriver de l’autre côté. C’est ici que je tombe sur un couple de Français avec leur fils d’une vingtaine d’années, visiblement pas très content d’être là, qui se demandaient s’ils allaient faire demi-tour ou tenter la crête. Lui regarde vers le haut et estime que c’est possible. Elle, pas très sportive, me dit que son mari a l’habitude de faire des treks et qu’il est content dès que ça grimpe. Le fils, lui, est beaucoup plus sur la réserve, et il souffle comme un ado à qui on demande de se lever un dimanche matin, et ne se voit pas du tout grimper. Allez, on va faire un bout de chemin ensemble. On s’entraide pour grimper dans les endroits les plus glissants, on se donne la main et on finit par se rendre compte qu’en étant monté si haut, on ne pourra plus redescendre de ce côté-là. Quitte ou double. D’autant que je n’ai pas vraiment l’impression que le chemin soit si praticable que ça. Tant pis, on y est. Le chemin devient de plus en plus étroit et raide, les gravillons glissent sous les chaussures. Lui monte à toute vitesse et derrière je traîne la patte pour essayer de le suivre. Une fois qu’il est sur la crête, il estime qu’on peut redescendre facilement de ce côté. On attend sa femme et son fils qui peinent. Une fois arrivé en haut, j’ai une surprenante vision, à la lisière de ces deux vallées, je vois devant moi toute la plaine de Göreme. Je reste là quelques instants et nous décidons avec les autres de nous séparer. Lui a envie de trotter, moi j’ai juste envie de prendre mon temps dans ce décor à couper le souffle, d’autant qu’un petit vent me rafraichit après la montée. Je ne sais pas combien de temps je reste assis là, sur la crête, avant de redescendre, mais je me laisse envahir par la douceur de cet air, de la fragrance d’herbes inconnues et rares, et surtout le silence… Un silence incomparable, mystique, presque d’inspiration divine. Je comprends pourquoi des hommes sont venus jusqu’ici pour se retirer du monde.
Il faut bien redescendre maintenant. Je pensais que ce serait plus simple de monter, mais ce n’est qu’une blague… alors que les Français sont descendus comme s’ils avaient un train à prendre, je me rends compte que je n’arriverai pas à aller au même rythme. Je descends quand-même une partie des goulets sur les fesses tellement ça glisse. Et puis soyons honnête, je suis un peu pris par le vertige… La vallée s’ouvre à nouveau, certains endroits sont littéralement brûlés par le soleil, il n’y a plus que de l’herbe sèche, des cailloux qui roulent sous les chaussures, paysage qui s’effrite sous mes pas et que je contribue largement à éroder. J’imagine sans difficulté ce que représenterait une averse dans ce paysage. L’eau qui n’est pas absorbée par le soleil doit ruisseler en torrents dans les goulets et se concentrer dangereusement. Dans cette vallée au nom évocateur, le fossé rouge (Kızıl Çukur), les falaises prennent des teintes colorées étranges, de rouge, de jaune vif couleur de souffre, de vert tendre, de rose doux.
Ici et là, on trouve des croix taillées dans les parois de la roche, des ouvertures creusées pour contenir une simple pièce minuscule dont on peut se poser la question de l’usage.
Je prends tout mon temps pour descendre et admirer ce paysage sensationnel… pour tomber sur un bar… Après cette descente improbable, tomber sur un bar avec une terrasse où se prélassent quelques personnes, dont les Français, en train de siroter un jus d’orange et de pamplemousse à l’ombre d’un parasol, cela a quelque chose de surréaliste. Le type qui monte ici à pied ses caisses de fruits me demande d’où je viens. Quand je lui dis que je suis passé la crête, il me félicite mais me dit qu’un chemin en contrebas est beaucoup plus facile pour relier les deux vallées. D’un côté, je me maudis, mais de l’autre, je n’aurais pas vu ce superbe spectacle à cheval entre les deux vallons. Je lui prends un grand jus et lui demande s’il connaît le chemin pour aller voir la Direkli Kilise, une des plus belles églises de la vallée, mais qui reste apparemment difficile à trouver. Il me dit qu’un Français lui en a demandé le chemin un peu plus tôt, mais il était tellement aimable qu’il l’a envoyé dans une autre direction. Il est en train de me dire que je suis plus aimable que l’autre et que peut-être je mérite de voir ça… Je verrai bien une fois sur place ce qu’il pensait de moi.
Avant de repartir, je prends le temps de visiter la petite église qui surplombe le bar, Haçlı kilise (église à la croix) où l’on trouve une très belle abside en forme de quart de sphère et des peintures exceptionnellement conservées. Une énorme croix est gravée au plafond de la nef. Je redescends le chemin en prenant soin de bien suivre les explications du tenancier du bar. Des pans entiers de rochers se sont effondrés, laissant place à des creux taillées, des pièces désormais éventrées, exposées aux quatre vents, patrimoine irrécupérable qui va s’éteindre avec la vallée. De nombreux pigeonniers parcourent les falaises à des hauteurs hallucinantes et on a du mal à s’imaginer comment font les propriétaires pour aller récupérer la fiente qui servira d’engrais. Certains sont peints de très jolis motifs arabes, quelques mots écrits à la peinture verte, couleur de l’islam, achèvent de donner un air tendre à ces petites niches. Des damiers, des fleurs, des motifs circulaires, contournent l’interdiction des représentations humaines ou animales dans l’art de l’islam.
En continuant ma descente, j’arrive devant l’église superbe. De dehors, une simple falaise, quelques ouvertures, rien qui ne laisse supposer le trésor qui se trouve derrière la paroi ; une église blanche, toute blanche, immaculée, plongée dans l’obscurité des siècles. Ici, aucune fresque, pas un seul récit biblique dessiné sur les murs, mais des colonnes ! Plus récente que les autres, elle a été construite en pleine période iconoclaste et c’est la raison pour laquelle aucune image n’y figure. L’espace dégagé est immense au vu de la structure de la roche. Une colonnade monte sur deux étages, avec des fenêtres donnant sur l’extérieur. Cette église aux colonnes (Direkli Kilise ouSütunlu Kilise) est un tel bijou qu’on pourrait sans complexe lui donner le titre de cathédrale de Cappadoce ! L’impression d’espace du lieu, sa blancheur, sa longueur, font de ce lieu un havre de paix incroyable, à des kilomètres de la vie des hommes. Un courant d’air mystique me parcourt l’échine, une sorte d’extase sensuelle qui me dit de ne plus partir d’ici. La magie opère complètement. Dehors il fait chaud, et ici il fait si bon que je me repose un peu avant de reprendre la route. Je me sens comme un pèlerin sur la route de Jérusalem, éreinté par la route, mais tellement heureux.
Au dehors, ce ne sont que pigeonniers peints… A ma grande surprise, sur l’un deux, je vois dessiné un cheval, et un homme !!! C’est à peine croyable ! Et puis sur un autre, un oiseau et un homme et une femme se faisant face ! Je n’en reviens pas. Certaines églises ont vu les visages de leurs représentations biffés, scarifiés, effacés, et ici dehors des musulmans peignent des êtres humains sur leurs pigeonniers… Je souris à cette idée parfaitement… iconoclaste. Plus loin, je tombe sur une église effondrée. Ici c’est sur quatre étages que sont construites les colonnades !!! Les hommes n’ont pas manqué d’audace. Les bâtisseurs (ou plutôt les excavateurs) se sont surpassés dans ces chefs‑d’œuvre souterrains… Plus j’avance vers le début de la vallée, plus il y a d’ombre, de plus en plus d’abricotiers s’enchevêtrent dans la vallée étroite. Des pieds de vigne portent sur eux de petites grappes d’un raisin sombre. La falaise fait des vagues blanches crémeuses, et certaines me font penser à des montagnes de polenta… La falaise haute est creusée de centaines de trous. La fin de la vallée est lardée de cônes de tuf.
J’arrive au bout de ma randonnée, épuisé, un peu triste presque de voir cet épisode se terminer, tellement il fut intense et riche en émotions spirituelles. Je n’aurai pas le temps de visiter la troisième vallée (Meskendir) qui vaut apparemment le coup aussi avec son tunnel et l’église aux raisins (Üzümlü Kilise). Mais rien ne m’empêchera de revenir un jour accomplir une seconde fois cette randonnée magique. Je rejoins ma voiture, seule sur le parking, je jette mon sac sur le siège passager, délace mes chaussures pour changer de chaussettes et histoire de m’aérer les pieds. J’entends une voiture s’arrêter à côté de moi, les portières claquent, bruits de chaussures… En relevant le nez, je suis surpris de voir un uniforme. Deux types armés, rangers et béret, me parlent en anglais. Sur le 4x4 qui est garé à côté est écrit en blanc « Jandarma ». C’est votre voiture ? Je lui répondrai bien quelque chose, mais non, je la joue humble, mieux vaut ne pas rigoler avec eux. Il me demande les papiers de la voiture. Évidemment je ne sais pas où ils sont, mais j’essaie quand-même le pare-soleil ; ils tombent sur le siège. Après avoir regardé l’état des pneus d’un air distrait, il me tend les papiers en me disant de ne pas garer ma voiture ici, il y a des voleurs qui s’en prennent aux voitures isolées. Je ne dis rien mais la voiture est passablement pourrie, c’est un tacot, une Renault Symbol (oui, je sais) hors d’âge, c’est une voiture de location immatriculée à Denizli et je n’y avais rien laissé du tout. Mais je les remercie et leur dit que de toute façon j’ai fini ma journée, que je rentre. Ils me saluent en touchant leur béret et je ne demande pas mon reste.
Je file vers Avanos où je me promène un peu dans le ville et où je retrouve les Français, douchés, changés, en train de boire une Efes Pilsen à la terrasse d’un café. Personnellement je sens la transpiration et j’ai de la poussière partout collée sur la peau, les chaussures dans un état lamentable ; ma journée n’est pas terminée. Je passe voir Mehmet dans son atelier ; il m’offre un thé. Son fils Oğuz est en train de creuser des motifs à main levée dans la terre “consistance cuir” des photophores qui seront bientôt cuits.
Quelque chose a attiré mon attention sur le guide touristique. A quelques kilomètres de là, on trouve des sources chaudes situées dans un complexe thermal, dans une toute petite ville portant le nom de Bayramhacı. Je n’ai pour me repérer que les vagues indications du guide. Le GPS n’est pas aussi fin pour trouver l’endroit et la nuit commence à tomber. Par chance, l’endroit est ouvert tard le soir. Je m’enfonce dans le paysage lunaire à l’est d’Avanos, sur la route qui se dirige vers Kayseri. La route est nue, plate, elle ne dit rien qui vaille. Tout ici me semble étranger, ne ressemble à rien de ce que je connais et l’idée de m’écarter des routes principales provoque toujours chez moi une sorte d’angoisse qui me décompose de l’intérieur. Mais il me semble que j’aime cette sensation puisque je la recherche, je me nourris de mes propres peurs et les transcende à chaque fois en passant à l’acte. Ce n’est pas une angoisse bloquante, mais la sensation de se construire grâce au saut dans l’inconnu. Un simple panneau sur le bord de la route indique la direction de Bayramhacı et me fait tourner brusquement. C’est une route poussiéreuse qui finit par se réduire à un simple chemin de terre. Le goudron disparaît tout bonnement sous les roues de la voiture. Le paysage change du tout au tout. Sur l’autre rive de ce qui me paraît être au premier abord un lac se trouve un paysage lunaire, un plateau de tuf coloré. En fait, je vais me rendre compte assez vite que c’est une retenue d’eau artificielle assez récente. Tellement récente qu’elle n’apparaît pas sur les cartes d’état-major, mais seulement sur les photos satellites. Le jour tombe, rendant l’atmosphère du lieu improbable. Je continue ma route et arrive dans le petit bourg de Bayramhacı, à l’entrée duquel se trouve un calicot au-dessus de la route : Bayramhacı Köyüne Hoş Geldiniz (Bienvenue dans le village de Bayramhacı). La ville est toute blanche, absolument déserte, les maisons de pierre blanche, des maisons grecques, sont ornées de grilles en fer forgé peint en bleu. Rien n’est indiqué, il n’y a de panneaux nulle part, si ce n’est pour indiquer des directions qui me semblent presque fantaisistes. J’arrive à la porte d’un hôtel qui pourrait bien être ma destination, mais tout semble fermé. L’endroit ne manque pas de charme, il donne sur le lac et après un bon rafraichissement pourrait avoir du charme. Le problème c’est l’isolement. Il faut vraiment se perdre pour arriver ici. Mais je ne désarme pas, je continue de chercher et je finis par trouver un panneau qui indique (un comble dans un endroit aussi reculé) Hot Springs. C’est un grand bâtiment peint en jaune au bout de la route. Un chien m’accueille en aboyant. Je prends un sac dans lequel je mets mon maillot de bain et une serviette et je me dirige vers la bâtisse.
Un type m’accueille dans un anglais balbutiant et me fait payer le droit d’entrée. 5TL. Il me dit que les cabines se trouvent au bord du bassin et me laisse entrer. C’est une immense piscine où nagent une dizaine de Turcs. Nagent ou barbotent plutôt. Évidemment, tous les regards se tournent vers moi. Sourire. Je m’engouffre dans la cabine et je mets mon maillot de bain. Il commence à faire un peu frais. Derrière le mur, on a une vue superbe sur le lac, le village tout blanc et sa mosquée au minaret jaune qui pourfend le ciel. Un paysage sublime vu d’un lieu improbable. Le bassin est divisé en deux parties ; un bassin à 35°C, l’autre, plus grand à 30°C. Se détendre là après une bonne journée de marche, c’est apparemment une idée que je ne suis pas le seul à avoir eu puisque peu de temps après, une dizaine de jeunes Français (et de Françaises) envahit le bassin. C’est certainement le seul endroit du coin où les femmes sont acceptées dans le même espace que les hommes. Bien évidemment, cela n’évite en rien aux hommes de se rincer l’œil au contact des belles étrangères et je soupçonne que le lieu soit réputé pour ça.
A l’intérieur du bâtiment se trouve le hammam. Un carré carrelé de plaques de ce très beau marbre blanc qu’on trouve partout s’ouvre sur un bassin noir dont on ne voit pas le fond, ce qui le rend assez inquiétant. Une forte odeur d’œuf pourri prend à la gorge, ce qui est signe que les sources sont chargées en souffre. L’endroit est étrange, énigmatique. On s’attendrait presque à voir surgir de là une bête visqueuse venant des entrailles de la terre. Il y a deux hommes au bord de la piscine, qui me regardent. J’essaie de rassembler toute la dignité dont je suis capable en entrant tout doucement dans l’eau dont la température oscille en 40 et 45°C, mais à un moment, je dois lâcher quelques mots de français, du style “putain qu’elle est chaude…” puisque le type le plus jeune me dit : « Vous êtes Français ? »
— Oui ! La surprise doit se lire sur mon visage. Vous aussi, lui demandé-je ?
— Non, nous sommes Belges. Je vous présente mon père, Mehmet.
Je dois avouer que je suis un peu surpris. Tous les deux vivent en Belgique, ils sont venus passer leurs vacances ici, et le fils m’explique qu’ils viennent souvent ici, lui depuis qu’il est tout petit, et qu’un peu plus haut, il y a une autre source chaude où l’eau jaillit à plus de 60°C. Le père ne parle pas un mot de français, pas plus qu’il ne parle flamand. Le fils me demande si j’apprécie les Turcs, ce à quoi je réponds que je les trouve tellement gentils… Et je rajoute qu’ils sont tellement plus agréables que les Français.
— Ça, ce n’est pas très compliqué… me dit-il en se marrant.
— Je suis bien d’accord avec vous. J’ai parfois honte de dire que je viens de France de peur qu’on me mette une étiquette “pas aimable” dans le dos.
Nous restons là à discuter au bord de la piscine où la chaleur est difficilement supportable.
Je retourne prendre un peu le frais dans la piscine extérieure, je prends mon temps, je flotte, je fais des bulles. Le temps s’est arrêté dans cette piscine chaude, perdue au milieu de la Cappadoce. La nuit est tombée désormais. Je retourne faire un tour dans le hammam ; le fils et son père sont partis, ils ont été remplacés par deux hommes et un bébé. Je ne sais pas pourquoi mais le plus grand des deux me parle tout de suite en français. Celui-ci vient de Trappes, dans les Yvelines. C’est bien le comble ça, de retrouver un Turc qui vit à côté de chez moi. Il m’explique qu’il met deux jours à venir ici en voiture et qu’il passe par la Grèce désormais et arrive en bateau, ça lui revient moins cher que de passer par la route, car dans ce cas il traverse la Bulgarie et n’arrête pas de se faire racketter par les autorités. Son frère est en train de manger un fruit sur le bord de l’eau, alors que le soleil n’est pas encore couché et que le muezzin n’a pas encore fait l’appel à la rupture du jeûne. Il me dit qu’il n’y a que les vieux qui font le ramadan…
Je finis de faire trempette dehors, sous un ciel étoilé et les puissants halogènes qui éclairent la piscine. Les françaises nagent tandis que les Turcs tentent de les imiter en bavant… C’est assez drôle de les regarder se côtoyer dans cet endroit. La situation est assez coquasse. Maintenant qu’il fait nuit, je retourne sur Avanos où je cherche un endroit pour dîner. Sur la route, je passe devant un panneau qui indique le passage de tortues… Je trouve un petit restaurant encore ouvert, Avanos Topkapı Restoran, à la décoration vert anis, où flotte une bonne odeur de viande marinée et grillée. Le corps détendu, fatigué, j’engouffre un Adana Kebap savoureux avec un verre de thé.
La ville est calme le soir, il fait doux dans ces montagnes. Le pont qui traverse le Kızılırmak est illuminé de bleu et la belle mosquée toute neuve resplendit dans la nuit. Il est tard, je suis rompu. A l’hôtel, c’est Abdullah qui tient la réception. Il me demande d’attendre cinq minutes et revient avec un sourire énorme et une assiette de pastèque coupée en morceaux. Nous mangeons ensemble notre pastèque sur le balcon, sous le ciel délicat de la Cappadoce, heureux comme s’il venait de neiger…
On dit que les voyages forment la jeunesse, mais que l’on ne s’y trompe pas, ils forment aussi l’imagination, une imagination folle, débordante, galopante… Les êtres dont il est question ici sont certainement les monstres décrits dans les Chroniques de Nuremberg, les Panotii ou Panotéens. Une longue tradition les fait traverser l’histoire, une tradition qui pourrait remonter aux écrits bibliques. Isidore de Séville les fait venir de Scythie, ce qui n’est pas une source anodine. En effet, on trouve dans la Bible, à l’évocation de Gog et Magog, des traces de ces êtres. Dans la Table des Nations, Magog est un des fils de Japhet, et le terme de Gog est utilisé de manière indifférenciée pour décrire Magog, terme qui désigne lui-même la direction du nord de l’Anatolie, ce qui fait dire à Isidore qu’on désigne là la Scythie… Dans le livre d’Ezechiel, le terme de Gog et Magog désigne l’ennemi eschatologique, qui deviendra dans l’Apocalypse de Jean la figure de deux personnages faisant partie de l’armée de Satan. Dans les premiers textes chrétiens, on assimile ensuite Gog et Magog aux Romains et à l’empereur, l’Antéchrist.
Mais revenons à nos Panotti que le Moyen-âge a affublé de plus de doigts que nous n’en avons, et par extension, a fait de ce peuple atteint de polydactylie les habitants des Antipodes (Opisthodactyles / Rückwärtsfüssler), connus également sous le nom… d’Antipodes…
Représentation de Panotéen. Hartmann Schedel (1440–1514), — Chroniques de Nuremberg (Schedel’sche Weltchronik), page XIIr
Les antipodes sont une race de monstres anthropomorphes qui ont le pied tourné vers l’arrière, les talons vers l’avant et huit orteils à chaque pied; ils sont censés courir plus vite que le vent. À l’époque où l’on croyait la terre plate, on pensait que des peuples marchaient à l’envers de l’autre côté du disque et qu’ils avaient les pieds placés de cette façon. Ces créatures auraient été observées par Alexandre le Grand lors de ses conquêtes. (source Wikipedia).
Voici ce qu’on peut lire à la suite du voyage autour du monde de Magellan :
Notre pilote nous dit qu’auprès de là était une île nommée Aruchete où les hommes et les femmes ne sont pas plus grands qu’une coudée et leurs oreilles sont aussi grandes qu’eux ; de l’une ils font leur lit et de l’autre ils se couvrent. Ils vont tondus et tout nus et courent fort. Ils ont la voix grêle et ils habitent dans des caves sous terre. Ils mangent du poisson et une chose qui naît entre les arbres et l’écorce qui est blanche et ronde comme dragée et qu’ils appellent ambulon. Là nous pûmes aller à cause des grands courants d’eau et plusieurs rocs y sont.
Antonio Pigafetta (XV-XVIè siècle)
Premier voyage autour du monde par Magellan, IV, « 21 décembre 1521 » in Umberto Eco, Histoire des lieux de légende
Le lien entre les Panotti de Pigafetta et Gog et Magog devient évident à la vision de ces deux représentations conservées à la bibliothèque de la mosquée Süleymaniye à Istanbul, sous le nom de Ahval‑i Kıyamet (Ye’cûc-Me’cûc. Süleymaniye Kütüphanesi).
Voici ce que nous en dit Fatih Cimok, dans son livre Anatolie Biblique, de la Genèse aux conciles, en rajoutant une petite couche d’Alexandre le Grand :
Dans la littérature chrétienne tardive, Alexandre le Grand, le dernier « empereur du monde », construit un mur de fer et de laiton dans les montagnes du Caucase pour empêcher Gog et Magog d’envahir le monde jusqu’à la fin des temps. Cette histoire apparaît également dans le Coran (18 et 21) et dans d’autres morceaux de la littérature islamique. Ils sont considérés comme vivant nus et mesurant environ un mètre de haut. Ils ont de longues oreilles : pour dormir, ils se couchent sur l’une et se recouvrent de l’autre comme couverture. L’histoire dit qu’ils ont léché le mur de fer et de laiton jusqu’à ce qu’il devienne aussi fin qu’une coquille d’œuf et l’ont laissé ainsi en disant « demain, nous passerons à travers ! ». Mais ils ont oublié de dire « inşallah ! » et retrouvèrent donc le lendemain le mur aussi épais qu’au début. Ils envahiront le monde le jour du Jugement Dernier, boiront toute l’eau du Tigre et de l’Euphrate et massacreront tous les habitants de la Terre. En peinture, ils sont souvent représentés comme des Scythes, des Tartares ou des Huns.
En bref, le Panotéen, c’est le pur étranger qu’on affuble des plus inconciliables tares.
Autre source concernant le texte de Pigafetta…
Berthold Laufer, “Columbus and Cathay, and the Meaning of America to the Orientalist,” Journal of the American Oriental Society, vol. 51, no. 2 (June 1931), pp. 87–103.
From p. 96: “Pigafetta who accompanied Magalhaens on the first voyage round the world records a story told him by an old pilot from Maluco: The inhabitants of an island named Aruchete are not more than a cubit high, and have ears as long as their bodies, so that when they lie down one ear serves them for a mattress, and with the other they cover themselves. This is also an old Indo-Hellenistic creation going back to the days of the Mahâbhârata (Karnapravarana, Lambakarna, etc.) and reflected in the Enotocoitai of Ctesias and Megasthenes. As early as the first century B. C. the Long-ears (Tan-erh) also appear in Chinese accounts; their ears are so long that they have to pick them up and carry them over their arms.”
Ce matin est un jour particulier. Je me lève à 4h00 dans la nuit turque pour faire quelque chose que je n’ai encore jamais fait. Dans un premier temps, je cède à la grande farandole des touristes en suivant leur mouvement, et dans un deuxième temps, je vais monter dans une montgolfière pour parcourir la Cappadoce depuis les airs. Je ne cache pas que chez moi, le vertige est une donnée aléatoire. Incapable de prévoir quand ça va se déclencher, je garde à la fois le — très bon — souvenir d’un jeune homme qui marchait au bord des falaises des gorges de l’Ardèche et le très mauvais du jeune homme un peu plus âgé qui transpirait toute l’eau de son corps au pied des colosses de phonolite de Bort-les-Orgues, comme en haut du barrage sur lequel avait travaillé mon grand-père. Une terreur panique, totalement irrationnelle s’était alors emparé de moi et moi qui suis généralement d’un naturel à ne pas me laisser submerger par les émotions, j’avais dû me résoudre à faire demi-tour tellement les scénarios catastrophes commençaient à prendre forme de manière totalement absurde. Même histoire dans l’escalier métallique qui descend au centre du Gouffre de Padirac quelques années plus tard. Du coup, je n’arrive pas à savoir si monter dans une montgolfière est réellement une bonne idée. Mais j’ai réservé ma place, je dois partir.
Je descends à la réception où je trouve un couple de jeunes Français habillés comme s’ils allaient à l’hippodrome de Longchamp. Ça sent le voyage de noces de bonne famille, petit bermuda à motif et col Martine. Le minibus vient me chercher vers 4h30 juste à l’entrée de l’hôtel, même pas un pas à faire. Je dors encore à moitié et dans l’obscurité je n’arrive pas à comprendre quel chemin nous prenons ni où nous arrivons, toujours est-il que je me retrouve dans un champ immense où les premiers ballons sont en train d’être gonflés. Les minibus déversent tous ceux qui partent ce matin et je constate avec une certaine surprise et effarement aussi que plus de la moitié des gens présents ici sont des Chinois. Des tables sont installées en plein milieu du champ dans la pénombre de l’aube, des croissants et du café sur des nappes en papier, décor surréaliste si l’on ne sait pas ce qu’il se trame ici. Dans une demi-heure, tout ce petit monde sera en l’air, même les Chinois qui eux ont le droit à des nouilles déshydratés au lieu des croissants et qui n’arrivent pas à se décoller du buffet.
Pendant que les estomacs se remplissent, je reste à côté des ballons couchés dans les phares des 4x4, à deux pas des flammes qui me chauffent le visage dans cette atmosphère encore un peu fraiche. Le jour se lève petit à petit, de manière presque palpable et déjà quelques uns des ballons sont debout, amarrés, n’attendant plus que leur cargaison humaine. On me dirige vers les deux ballons sur lesquels est écrit en gros Cihangiroğlu Balloons, sans oublier évidemment de me faire passer devant un type avec un lecteur de carte bancaire qui réclame le prix non négligeable du vol et que par décence, je tairai. On nous invite à monter dans le ballon encore attaché en nous donnant deux ou trois conseils pour l’atterrissage, mais absolument rien en cas de problème. Cela dit, la question peut être vite éludée puisqu’au cas où le ballon tombe, il n’y a pas grand chose à faire, sinon attendre que la nacelle touche le sol et espérer que le corps d’un autre amortisse sa propre masse. Pour ma part, je me retrouve coincé entre un vieux Chinois plus grand que moi et sa greluche qui a moins de la moitié de son âge. J’évoque ce passage maintenant pour éviter d’en reparler plus parce que ça reste pour moi un des moments les plus désagréables de ces vacances. Le type a passé son temps à m’écraser les pieds, à prendre exactement les mêmes photos que moi, me poussant parfois pour que je rate mes photos. J’ai haï le peuple chinois dans son ensemble pendant toute la durée du vol, en me disant que ce type n’était qu’une raclure avec sa catin qu’il avait dû payer pour se marier et qu’il sera très content de revenir dans son pays pour faire des soirées diapo avec ses collègues de travail en se gargarisant d’avoir dépensé si peu pour cette petite excursion. Je me suis quand-même marré quand j’ai vu que le ballon le plus haut dans le ciel ce matin-là, était lardé d’idéogrammes chinois. Je me suis dit que ça devait être culturel, toujours passer devant les autres, faire mieux, plus, etc. Je me suis encore plus marré quand le pilote du ballon nous a dit qu’il était monté trop haut et qu’il aurait du mal à redescendre… J’ai toujours un peu de mal avec ces gens qui ne font aucun effort pour connaître les habitants et dans le regard desquels se lit la peur d’être submergé par un autre peuple que le leur. Page tournée.
Le ballon s’envole tout doucement et je commence à être pris d’angoisse, tout simplement parce que j’ai peur d’avoir le vertige, mais tout semble se passer très sagement ; je ne sais pas pourquoi mais rien ne vient, le fait qu’il n’y ait aucun bruit autre que celui du brûleur et la douceur du déplacement de cet étrange aérostat me remplit de bien être. Les premières choses que je vois sous mes pieds sont des tombes musulmanes dans un cimetière ouvert, puis très vite, c’est la ville entière de Çavuşin qui apparaît. Je ne suis vraiment pas si loin que ça de mon point de départ et je découvre alors cette petite ville que je ne visiterai que plus tard. L’air est encore gris, le soleil encore caché derrière l’horizon et le ballon prend de plus en plus de hauteur. De là-haut, on découvre tout un tas de recoins troglodytes qu’on n’imagine même pas et dont on a peine à imaginer qu’on puisse y accéder facilement.
Le mieux est encore de regarder ce que ça donne en vidéo pour se rendre compte. Une vidéo de 11′24″ réglée au millimètre avec la très belle musique d’Omar Faruk Tekbilek (From emptiness) sur l’album Fata Morgana,
Le ballon passe à proximité du plateau de Çavuşin et laisse voir cette pierre si belle teintée de couleurs spectrales et à son pied, des vergers, des champs cultivés où ne voit pas trop bien comment un tracteur pourrait accéder. Nous sommes maintenant suffisamment hauts pour voir un bel horizon dégagé. La hantise de ce genre de journée serait de décoller dans les nuages. L’air se réchauffe doucement et le soleil pointe le bout de son nez derrière les montagnes. C’est un instant bref, mais qu’on a l’avantage de vivre quelques secondes avant ceux qui sont restés à terre. Un moment privilégié, de pure grâce, pendant lequel personne ne parle, tout le monde se tient extrêmement silencieux de peur peut-être de déranger l’astre dans son exercice matinal. Le spectacle est magnifique, au-delà de ce qu’on peut imaginer et je comprends mieux maintenant pourquoi ces nuées de ballons ont trouvé dans cette région un lieu propice à la ballade.
Sous mes pieds, des moutons énormes dessinent des formes mouvantes sur la terre sèche par leurs déplacements. Les cheminées des fées se dressent comme des doigts pointés vers nos âmes envolées et les pics de tuf sont autant d’avertissements qui disent de ne pas venir s’y frotter. Dans l’air pur et silencieux, on peut entendre les brûleurs chauffer l’air des autres ballons.
Le ballon monte haut et le pilote, Nigel, un américain venu ici exercer ses talents d’aérostier, nous annonce dans son anglais mâché que nous nous trouvons actuellement à 1500 mètres d’altitude. Une simple rambarde en osier tressé me sépare d’un vide qui pourrait me terroriser, mais je n’éprouve qu’une simple douceur, emmitouflé dans mes oripeaux d’été, le regard perdu à l’horizon devant le spectacle qui ne cesse de bouger de quelques millimètres dans le vide. Des deux côtés, je peux voir clairement les contours des deux principales montagnes qui entourent la Cappadoce, le Hasan dağı et l’Erciyes dağı, et juste au-dessous, les innombrables petites vallées creusées par l’eau qui s’est infiltrée depuis des milliers d’années, dans lesquelles certains ballons s’aventurent pour aller voir au plus près. Cette multitude de ballons est un spectacle à la fois grossier et impressionnant. J’imagine que ce ballet incessant qui crible les lieux de ces masses gonflées d’air doit certainement agacer les habitants de la région pendant la haute saison. L’inconvénient de ces grosses baudruches, c’est qu’il faut bien qu’elles se posent quelque part, et comme le dit très bien Nigel, we go where the wind takes us… Ce qui veut dire aussi qu’on atterrit là où on peut et là où le vent veut bien cesser de posséder la toile. Parfois, on atterrit dans des champs de particuliers. Mais c’est la rançon de la gloire.
Le ballon redescend tout doucement sans qu’on se rende vraiment compte de la vitesse ou de la distance et en peu de temps, on se retrouve au ras du sol, en train de frôler des arbustes, des buissons, quelques pics de tuf qui ne demandent qu’à violenter la nacelle et plusieurs fois Nigel se retrouve à balancer de l’air chaud pour remonter au dernier moment. Ce type est un as, il connaît son aérostat et le manœuvre au centimètre comme s’il avait la direction assistée sur une grosse cylindrée. Le soleil rasant déchire les vagues de pierre blanche qu’on pourrait croire tendre comme de la guimauve. Dans mes yeux, après Çavuşin, on passe près de la citadelle de pierre naturelle d’Üçhisar, on survole la vallée des pigeonniers (Güvercinlik Vadisi), certainement la plus connue des vallées des environs et enfin Göreme, avec son bourg ramassé dans sa vallée, sur les toits duquel nous pouvons poser nos regards indiscrets et silencieux ; nous passons ici comme des corbeaux messagers qu’aucun regard ne vient troubler.
Dans un premier champs, nous avions cru que le ballon finissait sa course, mais à peine la nacelle posée, la voici soulevée à nouveau et nous repartons un peu plus loin. Deuxième essai, cette fois-ci est la bonne, la nacelle se pose violemment après avoir arraché un buisson d’épineux. Le voyage se termine là. Nigel nous demande d’attendre que la nacelle soit bien positionnée sur la remorque du camion qui nous a couru après pour nous retrouver dans les champs de Göreme. Le ballon s’écrase au sol et immédiatement, une armée d’hommes en bleu s’affaire à replier la carcasse dégonflée. Nigel fume un clope, apparemment fier de lui, puis nous buvons un coup d’une espèce de pétillant sans alcool — ramadan oblige — que je suis loin de préférer à une bonne coupe de champagne pour ce baptême de l’air hors du commun. Il est à peine 8h00 du matin et la journée est loin d’être terminée. Le minibus me ramène à l’hôtel, où je prends à nouveau un déjeuner copieux, avant d’aller dormir un peu pour rattraper cette nuit un peu courte.
Après une bonne douche — voler dans les airs remplit de poussière — je reprends la voiture pour me diriger vers une petite ville qui se trouve bien après Nevşehir en allant vers l’ouest, ville que je traverse en essayant de trouver un distributeur d’argent de la banque partenaire de la mienne, mais j’ai beau tourner, entrer dans les petites rues encombrées et poussiéreuses, je n’arrive pas à trouver l’agence. La route jusqu’à Tatlarin me réserve quelques surprises. C’est une petite route de campagne qui n’arrête pas de tourner autour du tracé des champs et j’y rencontre des femmes bien élégantes, voilées, assises sur un tracteur, d’autres dans des carrioles tirées par des ânes souffreteux, trois hommes assis sur la même moto poussive, des vendeurs de patates sur le bord de la route, loin de tout, au beau milieu de rien, à dix kilomètres de la première maison.
La petite ville de Tatlarin est perdue, rude et pauvre. C’est une petite ville de campagne en dehors des circuits touristiques et lorsque je me gare devant la cité souterraine (Tatlarin yeraltı şehri), qui est d’ailleurs très bien indiquée (en turc), je me pose tout à coup la question de savoir si c’est ouvert. Par chance, je vois un type posté devant l’entrée, ou plutôt, qui dort dans un recoin. C’est un grand bonhomme moustachu, racé, en costume, chemise impeccablement repassée, et chaussures de villes briquées, un spectacle un peu détonnant dans ce décor poussiéreux et d’une pauvreté manifeste. Il m’emmène d’abord dans l’église de la cité. La première partie est intégralement recouverte de peintures splendides, une crucifixion abîmée recouvrant la nef, la seconde est beaucoup plus sobre. Quelques vieilles ampoules à incandescence illuminent les parties les plus belles, laissant le reste dans une pénombre qui tranche avec la luminosité du dehors.
Plan de la cité souterraine de Tatlarin
Plan des églises de Tatlarin
La Crucifixion de l’église de Tatlarin, peinte face à l’abside in La Cappadoce de Catherine Jolivet-Lévy
Église de Tatlarin — Deux des saints martyrs peints dans la voûte de la nef — Philikas et Théodoritos in La Cappadoce de Catherine Jolivet-Lévy
Les deux photos de l’intérieur de cette église sont disponibles sur CNRS éditions.
Le guide referme la porte derrière moi, laissant cette église du XIè siècle dans l’obscurité des siècles, là où il m’a été impossible de prendre la moindre photo à cause des interdictions écrites partout. Parfois, je me maudis de voir que je ne peux rapporter que des souvenirs gravés dans ma mémoire au lieu de faire comme ceux qui ne respectent pas les règles. Au moins ai-je ma conscience pour moi.
Il m’emmène dans une deuxième salle fermée par une porte blindée ; le cœur de l’antique cité creusée dans le roc.
Dans son Anabase, Xénophon, au VIè siècle av. J.-C. décrivait déjà ces habitations rupestres.
Les habitations étaient sous terre. Leur ouverture ressemblait à celle d’un puits, mais l’intérieur était spacieux. Il y avait pour le bétail des entrées creusées en terre ; les gens descendaient par une échelle. Dans ces habitations, il y avait des chèvres, des moutons, des vaches, de la volaille et les petits de ces animaux. Tout le bétail était nourri de foin à l’intérieur. Il y avait aussi du blé, de l’orge, des légumes et du vin d’orge dans des cratères. Les grains d’orge même nageaient à la surface et il y avait dedans des chalumeaux sans noeuds, les uns plus grand les autres plus petits. Quand on avait soif, il fallait prendre ces chalumeaux entre les lèvres et aspirer. Cette boisson était très forte, si l’on y versait pas d’eau. Elle était fort agréable quand on en avait pris l’habitude.
XÉNOPHON, Anabase, livre IV, chapitre V, traduction P. Chambry, éd. Garnier
Si les habitations affleurant sur les falaises de Tatlarin étaient visibles, l’entrée de cette cité n’a été découverte qu’en 1975, en raison des éboulis qui masquaient son entrée. Depuis son ouverture en 1991, on peut admirer l’enfilade de salles qui la composent. Les couloirs, parfois pas plus hauts qu’un petit mètre, permettent d’atteindre au plus profond ces salles. La première semble être une salle de vie, large, spacieuse, avec une échelle qui permet de rejoindre un système de ventilation qui remonte jusqu’à la surface. Cellier, chambres, tout y est. On y voit même des toilettes. On peut également encore voir les meules qui servaient à fermer les issues en cas d’attaques, ce qui rend le lieu foncièrement oppressant. Un tout petit couloir qui tourne à angle droit par deux fois où je rampe derrière mon guide m’emmène dans une seconde salle dont le plafond est à peine plus haut que moi. Il m’indique une bouche d’aération qui continue pendant une trentaine de mètres : l’ouverture fait 70cm de haut, mais là, c’est trop pour moi, je m’engouffre avec ma lampe torche, et avec le goulot qui se ressert, je suis pris d’une crise d’angoisse. Impossible de me retourner, je fais demi-tour le cul en l’air, à toute vitesse, la lampe torche coincée entre les dents… Mon guide se marre comme une baleine en marmonnant quelques mots en turc. Je finis par me marrer aussi, pas bien certain que ce soit à cause de mon geste ou que ce soit un rire nerveux. Je sors d’ici avec un certain empressement.
Depuis l’esplanade du parking, je regarde la vie du village s’ébrouer tendrement avec l’indiscrétion du point de vue en hauteur ; un camion chargé de sacs de jute, qui doublent sa hauteur, une jeune femme joue avec ses enfants dans la cour de sa maison. Certaines des maisons sont creusées dans le roc et n’affleurent que par les voûtes à moitié enfouies sous la terre.
Je reprends mon chemin vers Nevşehir sur une route défoncée, un autre chemin que celui de l’aller, un revêtement fait de pierres noires qui criblent le bas de caisse de la voiture dans un bruit de grenaille agaçant. Dans les champs, des courges spaghettis et des tournesols immenses. De retour aux abords de Nevşehir, je m’arrête quelques instants sur les contreforts d’un quartier abandonné où je peux voir clairement une église orthodoxe avec son plan en croix grecque, abandonnée elle aussi, meurtrie par l’histoire. Ici devaient vivre les populations grecques déplacées. Le quartier n’a visiblement jamais été réinvesti.
Je prends la route qui descend vers le sud, vers la ville de Derinkuyu où se trouve une autre cité souterraine (Derinkuyu yeraltı şehri). Celle-ci est plus impressionnante encore, elle s’étend sur 9 étages et descend à plus de 35 mètres sous le sol plat d’une ville au creux d’une vallée ; c’est la plus grande de Turquie, ce qui fait qu’elle est également plus fréquentée que celle de Tatlarin, mais tant pis, le déplacement vaut le coup.
Cette cité avait une capacité maximale de 50 000 personnes mais en abritait en moyenne 10 000, ce qui est absolument énorme. On pense qu’un tunnel caché devait rejoindre l’autre grande cité souterraine de Cappadoce, celle de Kaymaklı, distante de 9km de celle-ci. Un puits central permet la circulation de l’air, principal point de survie des habitants. On trouve au dernier sous-sol une immense salle capitulaire, qui faisait office de monastère. L’ambiance y est oppressante quand on sait qu’on a toutes ces tonnes de rochers au-dessus de nos têtes. La descente est éprouvante pour les nerfs, la remontée, un soulagement.
Billet d’entrée — Derinkuyu yeraltı şehri
Plan de coupe de la cité souterraine de Derinkuyu
Je ne cache pas que je me sens mieux à l’extérieur, sous le soleil piquant. Tout près de la sortie de la cité, se trouve une grande et belle église orthodoxe construite en croix grecque. Personne ne se trouve dans l’enclos autour, sauf une petite fille que j’ai vu deux minutes auparavant qui avait essayé de me vendre une poupée en laine. Ce qui m’a étonné chez elle, c’est son air farouche, ses cheveux blonds et ses grands yeux bleus malicieux. Certainement une gitane comme il en reste tant ici, au milieu des populations, vivant discrètement leur vie nomade. Lorsque j’entre dans l’enclos, je la surprends honteuse en train de pisser contre le mur l’église.
Par le trou de la serrure de la grande porte en bronze, j’arrive à saisir l’intérieur de l’église délabrée. Piliers ouvragés, fenêtres en forme de croix, c’est un lieu obscur et mystérieux, mais encore chargé d’émotions et de spiritualité. Dommage que je ne puisse y entrer. Le sol est en revanche parfaitement arasé.
Je quitte la ville un peu trop vite à mon goût, n’ayant pas eu le temps de prendre le temps. Je m’extasie devant le chant du muezzin craché par des hauts-parleurs accrochés aux poteaux d’éclairage et devant une ancienne église reconvertie en mosquée. Ici, les maisons sont clairement de style grec, faites avec ses pierres blanches qu’on voit partout. A la sortie de la ville, je m’arrête dans une station essence abandonnée pour pisser. Bien élevé, je vais dans les toilettes, enfin, ce qu’il en reste.
Je repasse par Nevşehir, je m’arrête encore, je prends en photo des barres d’immeubles modernes laissées en jachère et qui pour le coup semblent aussi incongrues que ces maisons encore debout mais abandonnées. Les temps anciens et la modernité de cette région ne sont finalement que deux facettes d’une même identité.
Un peu affamé, je rejoins Göreme où je m’arrête pour manger un peu au Cappadocia Kebap Center, recommandé par le Routard. Service franchement désagréable, nourriture dégueulasse et chiche, c’est dans ce « restaurant » que j’ai vu des Français s’insurger et quitter la table parce que le serveur refusait de leur servir du vin, en plein ramadan. Maudits Français qui colportent notre réputation dans le monde entier… Un instant, je me suis pris à avoir honte de parler la même langue que ces gens.
Je repasse par l’hôtel pour souffler un peu. Abdullah m’accueille une fois encore avec ses grands bras dont il m’enlace pour m’embrasser ; il m’invite à m’asseoir sur la terrasse et me fait apporter un jus d’abricot (kayısısuyu) du jardin. Ses abricots sont encore un peu jeunes et pas assez sucrés, mais j’adore son intention et je lui demande de venir s’asseoir avec moi. Nous échangeons quelques mots en anglais, lui en turc ; avec les gestes, nous finissons par nous comprendre. A l’ombre de la terrasse, un petit vent frais rafraîchit ma peau cuite de soleil. Abdullah me demande où je vais après. Je lui dit que j’aimerais bien voir la vallée que j’ai vu descendre au pied de la citadelle. Il me dit que c’est la Vallée Blanche (Bağlı Dere) et m’indique en bredouillant quelques mots d’anglais, puis en demandant à Bukem de l’aider, comment m’y rendre. Je ne comprends pas tout, mais après avoir gobé mon jus, je me remets en route.
Je me retrouve à prendre un chemin dont je ne sais pas où il peut me mener, sur les plateaux qui surplombent les petites vallées de tuf creusé. Je trouve sur ces chemins des poiriers portant de tout petits fruits, des abricotiers sur lesquels je me sers frugalement, dont les fruits regorgeant de sucre me font oublier le jus d’Abdullah. Je trouve des plantes portant des gousses gonflées d’air, des fleurs d’un bleu profond, deux tortues qui rentrent leurs membres sous leur carapace quand elles me voient arriver vers elle, des hirondelles qui découpent le ciel, une terre aux couleurs ocres et vertes totalement incongrues… Je ne sais pas où se trouve exactement la Bağlı Dere mais peu importe, je suis bien ici et je termine cette journée en jouissant de cet instant précieux, fourbu de fatigue, rompu jusqu’aux os, dans la lumière du soleil déclinant.
C’est ce soir là que je fais la connaissance de Bişra, la jeune serveuse de chez Özlem, où je déguste une fantastique testi kebap, cuit et servi dans son pot en terre fendu en deux que le patron vient lui-même apporter avec sa manique et le manche du marteau avec lequel il fendille l’ouverture avec toute la théâtralité dont il est capable. Bişra est une belle jeune fille à qui je ne donnerais pas plus de vingt-ans et avec qui j’échangerai quelques mots lorsque je reviendrai en mai de l’année d’après.
C’est ce soir là que je me rends compte que tant qu’on dit merci (teşekkür ederim) quand les plats arrivent, on nous répond cette étrange formule : Afiyet olsun, qu’on peut vite traduire par bon appétit, mais qui précise qu’on puisse apprécier ce qui vient de nous être servi. Il ne faut donc pas s’étonner qu’on nous le répète à chaque fois qu’on remercie pour l’arrivée d’une corbeille de pain ou d’une bière.
La Phrygie fait partie des anciennes régions de l’actuelle Turquie, située à l’ouest d’Ankara, au sud de Bursa et au nord de Konya. Les origines du peuple phrygien demeurent incertaines, même si ce qu’on sait d’eux, c’est qu’ils ont réoccupé d’antiques sites hittites comme Hattusa (Hattuşaş), Alacahöyük ou Alişar, situés un peu plus à l’est de cette aire géographique. Globalement on attribue à la Phrygie l’espace situé entre la Lydie et la Cappadoce et une histoire s’étalant entre le XXè et le VIIè siècle av. J.-C.
Dans la Table des Nations, le peuple phrygien est associé à Méshek (Moshek), le sixième fils de Japhet (Gn 10:2; 1 Ch 1:5) et l’on pense qu’ils ont participé aux grandes destructions liées aux mystérieux Peuples de la mer. Sa capitale est la ville de Gordion, fondée par un personnage dont on ne sait que la légende ; Gordias. Le roi phrygien, selon certains mythes grecs et selon des textes assyriens du VIIè siècle av. J.-C, aurait dédié un chariot, symbole de royauté, sur lequel il aurait lié autour du timon un nœud d’une complexité extrême que seul le futur maître de l’Asie pourrait défaire ; le fameux nœud gordien désignant par analogie un problème complexe. Celui qui défit le nœud, toujours selon la légende aurait été Alexandre le Grand, qui de son épée le trancha net, certainement un peu énervé de n’avoir pu réussir à le dénouer selon les méthodes traditionnelles ; en effet, pour défaire un nœud, il faut en trouver au moins une des extrémités, mais celui de Gordias était un nœud rentré. Toujours selon la légende. On imagine parfaitement que cette légende soit venue s’agglomérer au fait qu’Alexandre ait conquis l’Asie, lequel n’a certainement pas eu besoin de cette histoire de nœud à trancher pour accomplir ses exploits. On imagine aussi Arthur découpant le rocher à la disqueuse pour s’emparer d’Excalibur.
Tumulus de Gordion lors de son excavation en 1957
Un autre Phrygien célèbre n’est autre que le fils de Gordias, portant le nom de Midas (Mita). La légende raconte que la ville de Gordion est mise à sac par les armées des Cimmériens et que le bon tyran se suicide en buvant du sang de Taureau (Pline l’Ancien rapporte que le sang de taureau frais coagule et durcit rapidement lorsqu’il est encore frais). La légende la plus connue parlant de Midas est celle selon laquelle il aurait rencontré le satyre Silène ivre mort, l’aurait recueilli le temps de cuver son vin et l’aurait ramené auprès de Dionysos, son compagnon de boisson et accessoirement fils adoptif du satyre. En récompense, le dieu lui aurait donné la possibilité de réaliser son vœu le plus cher : Midas, un peu vénal, voulut transformer tout ce qu’il touchait en or et fut exaucé, mais lorsqu’il se rendit compte que sa nourriture et sa boisson se transformaient également en or, il implora Dionysos de le guérir. Il invita le roi à se laver les mains dans la rivière Pactole (Πακτωλός), un petit torrent de montagne aux propriétés aurifères appelé aujourd’hui Sart Çayı, également à l’origine de la richesse du mythique Crésus.
Façade de la tombe de Midas, planche tirée de G. Semper, Der Stil, Munich, 1860
La ville de Gordion présente également un immense tumulus funéraire dont le riche contenu atteste que la richesse de Midas n’est pas qu’une légende, même si on attribue de manière quasiment certaine cette tombe à son père. A l’intérieur de cet édifice funéraire, on trouve également des éléments de maintien d’époque, en bois dans un état de conservation remarquable, d’arbres dont on ne trouve plus aujourd’hui trace dans la région.
L’archéologue Federico Halbherr devant le mur du Code de Gortyne (écrit en boustrophédon) vers 1900
La langue qu’ont adopté les Phrygiens est lisible sans être parfaitement comprise et provient des principautés hittites et plus antérieurement du phénicien, tout en adoptant des similitudes avec l’alphabet grec. La particularité de cette graphie consiste dans son écriture en boustrophédon. Ce mot barbare venant du grec βουστροφηδόν signifie littéralement « bœuf qui tourne », sous-entendu le mouvement que fait le bœuf lorsqu’il laboure le champ, qui une fois arrivé à l’extrémité, repart dans l’autre sens. Une inscription en boustrophédon présente la caractéristique de présenter une première ligne écrite à l’endroit et d’une seconde ligne commençant de la droite et partant vers la gauche, en adoptant de plus un renversement des lettres en miroir, la troisième repart de gauche à droite et écrite à l’endroit, et ainsi de suite.
Quant au bonnet phrygien porté par les révolutionnaires français, il semble que son origine remonte à l’existence d’une tiare en pointe portée par le dieu hittite de l’orage, dont la pointe s’est affaissée au cours du temps et qui s’est répandue sur le pourtour méditerranéen. Les Grecs, peu au fait de cette origine, colportèrent cette légende qui veut que le roi Midas qui portait cette tiare, le faisait pour masquer les oreilles d’âne qui lui avaient poussé sur la tête. Autant préciser que le terme « Phrygien » dans la bouche d’un Grec ancien n’est pas porté par la sympathie…
Sources : Fatih Cimok, Anatolie biblique, de la Genèse aux Conciles
A Turizm Yayınları, İstanbul, 2010
Localisation sur Google Maps (les noms antiques sont suivis de leur nom turc moderne) :