Jul 29, 2010 | Histoires de gens, Livres et carnets |
Nasr Eddin Hodja ne prend pas de vacances. Au contraire, il est toujours d’attaque…

Photo © Turkish Cultural Foundation
Nasr Eddin a été invité par un marchand qui voudrait se targuer dans la ville de l’avoir eu à sa table. Le Hodja a accepté car la femme de cet homme a la réputation d’être très belle et de faire admirablement la cuisine.
A la fin d’un succulent repas, quand on en est à se laver les mains, le marchand interpelle son hôte :
— Ô Nasr Eddin ! Toi qui as des lumières sur toute chose, dis-moi si à ton avis il y a des excuses qui blessent plus que l’offense.
Nasr Eddin ne répond pas mais sans crier gare il lui administre une formidable claque sur le cul.
— Par Allah ! fais l’autre en sursautant, tu as perdu la tête !
— Je te présente mes excuses, dit Nasr Eddin l’air confus, j’ai cru que c’était les fesses de ton épouse.
Sublimes paroles et idioties de Nasr Eddin Hodja,
trad. J.-L. Maunoury, Phébus Libretto, 1990
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May 4, 2010 | Sur les portulans |
La grotte qui restera dans l’ombre
En 2000, une grotte de grande importance a été découverte — on dit inventée, et le découvreur devient inventeur — entre Bergerac et Sarlat-la-Canéda, sur le commune de Le Buisson-de-Cadouin. La grotte de Cussac renferme plus de cent cinquante gravures du Gravettien. L’âge des gravures — on y trouve également quelques rares traces de ponctuation de couleur — remonte à 25 000 ans et sa spécificité consiste en l’association des gravures et de sépultures aménagées dans les bauges à ours (cavités de trois à quatre mètres de diamètre, creusées par les ours dans l’argile meuble pour leur hibernation). Contrairement à d’autres grottes, l’accès en aurait été comblé après les inhumations, ce qui étaie l’idée que ce lieu était une sépulture ; la présence de gravures sur les murs renforce la présupposition que cette forme d’art est associée sinon à une religion, au moins à des croyances certainement chamaniques (voir Clottes et Lewis-Williams).
Cette grotte est encore sous surveillance scientifique car tous les relevés n’ont pas encore été effectués à ce jour. De plus, de fortes émanations de dioxyde de carbone en interdisent l’accès et pour cette raison, ce chef-d’œuvre ne pourra certainement jamais être ouvert au public.

La ville de lumière
Non loin de la légendaire péninsule du Yucatán, près de la petite ville de Tapijulapa coule une rivière laiteuse, d’une vague couleur turquoise, portant le nom prédestiné d’Azufre (souffre). Cette rivière provient des confins de la terre et lorsqu’on en remonte le cours d’eau vers sa source, une affreuse odeur d’œuf pourri saisit à deux kilomètres à la ronde, à tel point qu’aucune avancée n’est possible sans masque à gaz. La rivière prend sa source dans une grotte nommée Villa Luz (ville de lumière), en raison des grandes cavités qui lui confèrent une source lumineuse non négligeable, et elle est alimentée par une vingtaine de sources sulfurées dont on ne connait pas l’origine, puits pétrolifère ou proximité avec le volcan El Chichón…? Ici, la faune microbienne transforme l’hydrogène sulfuré en acide sulfurique et se nourrit de cet environnement particulièrement hostile. D’affreuses bactéries blanches collées aux parois pendouillent en se repaissant de cet air particulièrement nocif qui ne contient plus à certains endroits que 9,6% d’oxygène. Ces concrétions sont appelées prosaïquement « stalactites de morves » et contribuent à l’appellation d’une des caves de « paradis de morve ». La présence de lumière dans cette grotte à l’atmosphère particulièrement irrespirable (les cavités à l’air libre ont été creusées par le gaz, augmentant rapidement le volume de la grotte) est à l’origine de cette vie étrange qui s’est développée ici, comme par exemple Poecilia Mexicana, une sorte de Molly qui prend une coloration rouge vif en raison du fort taux d’hémoglobine lui permettant de capturer le peu d’oxygène des lieux, ou une espèce de diptère chironomide, envahissant la grotte à raison de dix individus par centimètre carré. L’espèce adulte ne se nourrit pas, puisant ses réserves accumulées à l’état larvaire. Une partie de la population est de couleur verte, l’autre de couleur rouge, sans raison apparente, ou connue en tout cas. D’autre part, fait étrange, deux couloirs inaccessibles fourmillent d’un bourdonnement intense, et on imagine que c’est le diptère qui en est à l’origine, mais à l’endroit où on peut l’observer, il reste silencieux.

Une civilisation révélée grâce au poison
En 1996, Robert Duane Ballard, le découvreur des épaves du Titanic et du Bismark, se lance dans un projet qui consiste à comprendre les origines de la Mer Noire. On savait depuis que certains relevés avaient été faits dans le bassin que plusieurs couches d’eau différentes se superposaient. La première plongeant à 200 mètres est une couche oxygénée. Le seconde, entre ‑200 et ‑600 mètres est une couche mixte fluctuante. La troisième sous 600 mètres est totalement anoxique (privé d’oxygène). Il y a des milliers d’années, la Mer Noire était un lac d’eau douce faisant environ les deux tiers de sa taille actuelle, une oasis féconde entourée par un paysage de steppes sèches. Avec les images satellites, on voit bien la limite de l’ancien lac. Il y a environ 12000 ans, la fin de la période glaciaire fait monter le niveau des océans. La Mer de Marmara se forme et il y a environ 7500 ans, ouvre une brèche dans une langue de terre qu’on appelle le Bosphore. En 1998, deux scientifiques, William Ryan et Walter Pitman découvrent, après avoir trouvé des restes de coquillages d’eau douce que le phénomène n’a pas été graduel mais au contraire d’une rare violence. Une cascade impétueuse se met alors en branle et déverse l’eau salée dans la cuvette avec un débit estimé à deux cents fois celui des chutes du Niagara. Le niveau de l’eau aurait monté de 15 cm/jour et aurait refoulé les riverains des rivages d’un kilomètre par jour jusqu’à ce que le niveau de l’eau monte jusqu’à 180 mètres au-dessus du niveau initial.
Les résidus trouvés sur les rivages par l’expédition Ballard ont mis en évidence qu’une activité commerciale a fleuri sur ces rives pendant 3000 ou 4000 ans. Des restes d’habitations de bois et de boue ont été découverts en dehors de la zone anoxique sulfurée, à quelques centaines de mètres du rivage, ce qui indique clairement que la nappe se déplace, tuant les poissons et noircissant les filets des pêcheurs. La particularité de cette couche empêchant la prolifération de la vie et notamment des espèces perceuses de bois comme le taret, est qu’elle permet la conservation des matières organiques et donc du bois. L’expédition a pu ainsi mettre à jour les restes de navires datant de l’empire romain et de l’empire byzantin datant de 1500 ans. Aucun autre milieu n’aurait pu amener jusqu’à notre époque de tels vestiges.

Photo © Caucas
Rivages de la Mer Noire à Sinop, Turquie
Ce déluge d’eau salée a balayé des populations vers de nouvelles terres, expulsant des milliers de personnes en étoile qui auraient colporté le récit de cette invasion d’eau. C’est très certainement de là que viennent les récits bibliques du Déluge (le Mont Ararat ne se trouve qu’à 200 kilomètres des rives de la Mer Noire), mais également le passage du Déluge de l’Épopée de Gilgamesh ou encore le mythe de l’Atlantide.
Localisation Google Maps de la grotte de Cussac, de Villa Luz et du lieu des recherches de l’expédition Ballard.
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Mar 25, 2010 | Histoires de gens, Livres et carnets |
Nasr Eddin Hodja est un personnage mythique de la culture musulmane, dont les innombrables aventures qu’on lui prête ont été traduites, voire écrites dans des dizaines de langues. Ayant rarement des vertus morales, ses historiettes sont la plupart du temps drôles, voire coquines. Le Hodja est associé à la ville turque de Akşehir, où il a sa tombe, réputée n’être qu’un canular.

Nasr Eddin, un jour, est de passage dans une petite ville dont l’imam vient de mourir. Les habitants, prenant le voyageur pour un saint homme, lui demandent de prononcer le sermon du vendredi. Il monte en chaire et interpelle la nombreuse assistance :
— Chers frères, savez-vous de quoi je vais vous parler ?
— Non, non, font les fidèles, nous ne le savons pas.
— Comment ? s’écrie Nasr Eddin en colère, vous ne savez pas de quoi je vais vous parler dans ce lieu consacré à la prière ! Je n’ai rien à faire avec de tels mécréants.
Et le voilà qui descend de la chaire et quitte la mosquée.
Impressionnées par cette sortie qui les confirme dans leur conviction que l’homme est d’une grande piété, les gens s’empressent d’aller rattraper le Hodja et le supplient de revenir prêcher. Il remonte alors en chaire :
— Chers frères, vous savez peut-être à présent de quoi je vais vous parler ?
— Oui, oui, répondent en chœur les fidèles, nous le savons !
— Fils de chiens ! tonne Nasr Eddin. Par deux fois, vous m’importunez pour que je prenne la parole, et vous prétendez savoir ce que je vais dire !
Il quitte alors de nouveau les lieux, laissant derrière lui l’assemblée stupéfaite : que faut-il donc répondre pour qu’un tel saint accepte de répandre ses lumières ?
Une des personnes de l’assistance propose que si la question est encore posée, les uns crient : « Oui, oui, nous le savons ! », et les autres : « Non, non, nous ne le savons pas ! » L’idée est retenue, et l’on court chercher le Hodja, qui monte en chaire pour la troisième fois :
— Chers frères, savez-vous enfin de quoi je vais vous parler ?
— Oui, oui, répondent certains, nous le savons !
— Non, non, crient d’autres, nous ne le savons pas !
— A la bonne heure, conclut Nasr Eddin. Dans ces conditions, que ceux qui savent le disent aux autres.
Sublimes paroles et idioties de Nasr Eddin Hodja,
trad. J.-L. Maunoury, Phébus Libretto, 1990
Je dédie ce billet à mon grand-père, qui, j’en suis certain, l’aurait beaucoup fait rire.
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