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Une odeur de cuir ou de thé noir

Une odeur de cuir ou de thé noir

Recol­ler les mor­ceaux de sou­ve­nirs pour recons­truire une réa­li­té qui m’é­chappe au fur et à mesure que le temps passe, se rem­plit de nou­veaux évé­ne­ments, incon­trô­lables, chas­sant petit à petit mon enfance dans les recoins de mon esprit. En écri­vant, j’es­père retrou­ver le goût et les sen­sa­tions qui m’ont ani­mé jusque là, qui sont comme un code barre que je peux lire et relire à l’en­vi pour faire remon­ter à la sur­face les bribes de temps qui se sont décol­lées de moi comme la mue d’un ser­pent. J’at­trape ici une odeur de cuir, au pas­sage, d’un por­te­feuille qui avait été gar­dé dans une boîte à chaus­sures en car­ton, les meilleures pour conser­ver les odeurs… Dans la boîte, une sacoche en cuir clair, et dedans plu­sieurs por­te­feuilles râpés dans les­quels je redé­couvre toute la vie de mon grand-père qu’il conser­vait bien pré­cieu­se­ment à l’a­bri des regards ; carte de famille nom­breuse, carte d’agent des ser­vices publics de l’élec­tri­ci­té et du gaz, per­mis de conduire un seul volet ; des mor­ceaux d’un pas­sé loin­tain qu’il a empor­té avec lui. Je trouve même un vieux billet de 100 francs, un des plus récents uti­li­sés ici, orange, avec la tête d’un Cézanne éche­ve­lé sur une des faces. Il gar­dait tou­jours un billet coin­cé ici, en cas de besoin impé­rieux. Tout mon grand-père, ça, pré­ve­nant jus­qu’au bout des ongles. Celui-ci a été oublié, per­du pen­dant des années et ne vaut plus rien aujourd’­hui ; il ne vaut que par la valeur qu’une per­sonne de sa famille lui don­ne­ra, alors je le garde pré­cieu­se­ment, sans pli, et je le confie à mon fils qui, pour l’ins­tant, n’en a pas grand-chose à faire, et qui d’i­ci quelques années pour­ra se rendre compte que c’est dans ces petits objets qu’on trouve les sen­sa­tions d’un pas­sé qui brûle les doigts. Je remonte dou­ce­ment le fil du temps, dans un pas­sé à la fois sombre et lumi­neux, gar­ni des fes­tons du pré­sent récent et des guir­landes du pas­sé encore vivace. Tout en com­pul­sant le cor­pus des objets et des sou­ve­nirs qu’il me reste, j’es­saie vai­ne­ment de trou­ver un sens à ce que je cherche au quo­ti­dien, mais il me semble que je ne fais que suivre mes envies, je n’at­tends rien, si ce n’est peut-être ten­ter déses­pé­ré­ment de m’ac­cro­cher à ce qu’il me reste de sou­ve­nirs avant qu’ils ne s’ef­facent pour tou­jours ; alors je couche tout ceci sur le papier, pour ne pas oublier, pour ne pas que mon fils et après lui d’autres n’ou­blient pas, et puis s’ils veulent oublier, ils effa­ce­ront tout pour pas­ser à autre chose. Je serai alors deve­nu comme mon grand-père ; un fan­tôme qui erre et dont on célèbre encore par­fois le sou­ve­nir dans les réunions fami­liales. Tout ceci me semble tel­le­ment triste en réa­li­té, tel­le­ment triste que je pré­fère encore me ter­rer dans le pré­sent pour ne pas som­brer. Allez, j’emmène avec moi en voyage qui veut bien me suivre, pour mois­son­ner le plai­sir de n’être plus soi par moment, pour recueillir dans une gourde les quelques gouttes d’eau qui coulent encore à la fon­taine du vil­lage, pour le désir de se trans­por­ter ailleurs sans vou­loir res­ter ce qu’on est et espé­rer dans ces voyages, rêvés ou réels, sen­tir encore l’o­deur des citrons de Men­ton ou celle d’un thé noir à la ter­rasse d’un café d’Istanbul.

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Le récit du Gange à la lumière du Râmâyana

Le récit du Gange à la lumière du Râmâyana

La lec­ture est un souffle qui nous trans­porte sur des rivages dont on ne voit pas tou­jours les contours, mais finit tou­jours par nous faire tou­cher terre, et cer­tains livres arrivent là un peu par hasard, sans qu’on en com­prenne vrai­ment la raison.

Lors de ce voyage en Thaï­lande, je me suis plon­gé à corps per­du dans la lec­ture d’un livre sacré : le Râmâya­na. Épo­pée fon­da­men­tale dans la reli­gion hin­doue, c’est un long poème rela­tant la voie de Rama, au sens de par­cours. Quel rap­port entre la Thaï­lande et le Râmâya­na ? Une longue his­toire à laquelle les gens sont atta­chés dans tout le bas­sin de l’A­sie du sud-est, et ce, jus­qu’à Bali, îlot hin­douiste au cœur du plus grand pays musul­man du monde. Pour­tant la Thaï­lande est majo­ri­tai­re­ment boud­dhiste, mais le boud­dhisme et l’hin­douisme ne sont pas très éloi­gnés, puisque le Boud­dha Sha­kya­mu­ni, Sid­dhār­tha Gau­ta­ma, est un per­son­nage dont l’exis­tence est attes­tée ; né sur la route de Kapi­la­vas­tu, à Lum­bi­ni exac­te­ment, entre 1029 et 383 av; J.-C. dans l’ac­tuel Népal, il passe une grande par­tie de sa vie en Inde du Nord. La dif­fu­sion de la pen­sée qui devien­dra reli­gion majo­ri­taire en Asie du sud-est (de la Chine au Japon, et de la Mon­go­lie à la Malai­sie) prend donc ses sources en Inde, et même au cœur de la reli­gion hin­douiste. Aucun para­doxe dans tout cela. Le boud­dhisme, long­temps consi­dé­ré comme une reli­gion déviante de la part des hin­dous, a été au centre d’une longue période ico­no­claste, pen­dant laquelle les visages du Boud­dha ont été buri­nés, les têtes fra­cas­sées, les corps pilon­nés. Aujourd’­hui, les intri­ca­tions des deux reli­gions ne sont plus consi­dé­rées que comme naturelles…

Il faut noter éga­le­ment que l’ac­tuelle dynas­tie régnante de Thaï­lande (l’ac­tuel roi Bhu­mi­bol Adu­lya­dej, Rama IX, est le sou­ve­rain qui a régné le plus long­temps jus­qu’à pré­sent puis­qu’il est sur le trône depuis plus de 70 ans), les Cha­kri, portent tous le nom dynas­tique de Rama, depuis 1782, et que le pre­mier sou­ve­rain de la dynas­tie, Rama Ier (Bud­dha Yod­fa Chu­la­loke) a réécrit l’é­po­pée du Râmâya­na pour la trans­po­ser dans le contexte thaï­lan­dais sous le nom de Rama­kien.

Alors ce fameux Râmâya­na, que j’ai retrou­vé dans les danses bali­naises des palais d’Ubud ou dans les ruines de Pram­ba­nan, sur les murs des temples thaï­lan­dais ou dans les ruelles sombres de Bang­kok où l’on arrive encore à trou­ver de très beaux masques en bois à l’ef­fi­gie du roi Ramā et de sa femme Sītā, du singe Hanumān et du démon Rāvaṇa, et encore à plu­sieurs reprises dans les masques et les repré­sen­ta­tions en terre cuite du Suan Pak­kad Palace, qu’est-ce exac­te­ment ? C’est un récit mytho­lo­gique autour d’un per­son­nage qui a peut-être exis­té, un poème fai­sant par­tie de la tra­di­tion orale hin­douiste et dans lequel est rela­tée la vie pour le moins tour­men­tée du prince Ramā qui n’est autre que le sep­tième ava­tar du dieu Vish­nu. Mis à part le fait que le récit qu’en livre Serge Démé­trian au tra­vers de la ver­sion qu’il a rédi­gée est d’une lec­ture tout à fait agréable, le Râmâya­na est un mythe au tra­vers duquel sont mis en lumière les quatre buts de la vie pour tout hin­douiste (Puruṣār­tha), c’est à dire :

  • Dhar­ma : le sens du devoir et de la jus­tice, le sens moral, la loi et la ver­tu, c’est ce qui est à l’o­ri­gine de l’har­mo­nie universelle.
  • Artha : injus­te­ment tra­duit par­fois sous le terme de richesse, il s’a­git plu­tôt de faire en sorte de main­te­nir ses moyens de sub­sis­tances et de les faire évo­luer, ce qui implique la sécu­ri­té finan­cière plu­tôt que l’enrichissement.
  • Kama : la recherche du plai­sir, de l’é­mo­tion esthé­tique, de la beau­té. Il n’y a dans ce terme aucune conno­ta­tion sexuelle. Le Kama qui vio­le­rait le Dhar­ma et l’Ar­tha empê­che­rait d’at­teindre le Moksha.
  • Mok­sha : la libé­ra­tion finale, la déli­vrance du cycle des réin­car­na­tions, mais on peut y entendre éga­le­ment le fait de se réa­li­ser soi-même et de s’é­man­ci­per des tutelles extérieures.

Selon la tra­di­tion, ce livre a été écrit par le poète indien Vâl­mî­ki, lequel se met lui-même en scène dans le récit puis­qu’il devient le pré­cep­teur des deux enfants de Ramā. La rédac­tion du livre est esti­mée de manière assez peu sure entre 500 et 100 avant J.-C. et com­porte sept par­ties distinctes :

  1. Bâla­kân­da (बालकाण्डम्) ou le Livre de la jeunesse
  2. Ayod­hyâ­kân­da (अयोध्याकाण्डम्) ou le Livre d’Ayodhyâ
  3. Ara­nya­kân­da (अरण्यकाण्डम्) ou le Livre de la forêt
  4. Kish­kind­hâ­kân­da (किष्किन्धाकाण्डम्) ou le Livre de Kish­kind­hâ (le royaume des singes)
  5. Sun­da­ra­kân­da (सुन्दरकाण्डम्) ou le Livre de Sun­da­ra (un autre nom d’Hanuman)
  6. Yud­dha­kân­da (युद्धकाण्डम्) ou le Livre de la guerre (de Lanka)
  7. Utta­ra­kân­da (उत्तरकाण्डम्) ou le Livre de l’au-delà

Si la lec­ture de ce très grand livre m’a empor­té pen­dant une bonne par­tie de mes vacances, elle m’a per­mis éga­le­ment d’a­voir un sujet de dis­cus­sion sup­plé­men­taire avec plu­sieurs per­sonnes tout à fait éton­nées que je puisse ne serait-ce que connaître les noms de Phra Ramā et de Sītā. J’y ai éga­le­ment trou­vé le très beau récit de la dérive du Gange que je repro­duis ici, issu du pre­mier livre (Bâla­kân­da), qui nous per­met de com­prendre pour­quoi le Gange est un fleuve si impor­tant dans la reli­gion hin­doue. C’est une épo­pée dans l’é­po­pée, un récit flo­ris­sant et mer­veilleux qui donne le ton du reste du livre. On est empor­té comme dans le flot des ondes légères de la rivière Gangâ…

Ramaya­na — Le départ de Rama. Wat Phra Khaew. Bangkok

Le len­de­main, Râma, Lak­sha­ma, Vish­vâ­mi­tra et leurs com­pa­gnons par­tirent donc vers Mithi­lâ. Ils retra­ver­sèrent le Gange ; au cré­pus­cule, Râma inter­ro­gea Vish­vâ­mi­tra : « Pour­quoi, grand sage, Gan­gâ, la très sainte rivière, coule-t-elle à tra­vers les Trois Mondes, avant de se mêler à l’Océan ? »
Vish­vâ­mi­tra, en réponse à la curio­si­té de Râma, com­men­ça ainsi :

« Au nord de notre vaste pays, Râma, s’é­lève l’Hi­mâ­laya, la reine des mon­tagnes. Hima­vat, le puis­sant esprit qui l’a­nime, avait deux filles, Gan­gâ, l’ai­née, et Ûma, la cadette. Gan­gâ était un fleuve capable de puri­fier tous les êtres de leurs péchés les plus sombres. Connais­sant ce don mer­veilleux, les dieux prièrent Hima­vat de leur prê­ter Gan­gâ pour un temps : ses eaux lave­raient le fir­ma­ment entier de ses souillures. Le père de Gan­gâ accep­ta. Mon­tée au ciel, Gan­gâ brilla à tra­vers la voûte étoi­lée, là où tu peux la voir aujourd’­hui encore. »

Vish­vâ­mi­tra leva la main vers le fir­ma­ment et dési­gna à Ramâ le Gange céleste, la Voie lac­tée, avant de reprendre :

« Pen­dant ce temps, Saga­ra, un autre roi de la dynas­tie solaire, un de tes ancêtres, pri­vé d’en­fants, se diri­gea vers l’Hi­mâ­laya en com­pa­gnie de ses épouses. Saga­ra sou­hai­tait ren­con­trer Bhri­gu, le grand sage. Arri­vé devant lui, le roi se pros­ter­na et implo­ra sa béné­dic­tion pour que lui naissent des héri­tiers. Bhri­gu, satis­fait de la sou­mis­sion du roi d’Ayod­hyâ, décla­ra ; “Tes épouses seront mères, mais de manière dif­fé­rente. L’une met­tra au monde un seul fils : il pro­lon­ge­ra ta lignée ; l’autre don­ne­ra nais­sance à soixante mille fils. A elles de choi­sir le sort qui leur agréé.”
La pre­mière des deux épouses royales avoua qu’elle serait heu­reuse avec un seul fils ; la seconde pré­fé­ra l’autre voie. Bhri­gu les bénit, et Saga­ra revint satis­fait dans sa capitale.
Le temps accom­pli, une des reines enfan­ta le fils pro­mis ; il s’ap­pe­la Asa­mañ­ja. L’autre accou­cha d’une boule de la gros­seur d’une cale­basse. A l’in­té­rieur dor­maient soixante mille semences humaines qui devinrent autant d’en­fants mâles. Une armée de nour­rices prit soin de tous ces fils de Saga­ra. Des années pas­sèrent. Si les soixante mille devinrent tous de beaux princes, Asa­mañ­ja, lui, à l’âge adulte, mon­tra des signes de folie. Son passe-temps favo­ri était d’at­tra­per des petits enfants et de les jeter dans la rivière ; il riait en les voyant se débattre et périr noyés.
Haï par le peuple, ce dément cruel fut ban­ni de la cité. Au sou­la­ge­ment des citoyens, son fils Amshu­mân ne res­sem­blait en rien à son père : cou­ra­geux, plein de droi­ture, il par­lait avec douceur.
Vers la fin de son règne, le vieux roi Saga­ra déci­da d’ac­com­plir le sacri­fice du che­val1. Le prince Amshu­mân devait sur­veiller de près le che­val choi­si pour la céré­mo­nie. Mais Indra2, chan­gé en démon, s’empara du cour­sier. Le roi Saga­ra fut déses­pé­ré. Il appe­la ses soixante mille fils et leur par­la ain­si : “La perte de l’of­frande n’est pas seule­ment un obs­tacle majeur au bon dérou­le­ment du sacri­fice, elle repré­sente pour nous tous un péché, une honte. Par­tez retrou­ver le che­val ; n’é­par­gnez aucun effort.”
Ses vaillants soixante mille fils par­cou­rurent le monde de long en large, mais le qua­dru­pède était introu­vable. Ils com­men­cèrent alors à fouiller tous les recoins, à retour­ner la Terre en tous sens. Ils cau­sèrent nombre d’en­nuis aux ani­maux et aux hommes et ne réus­sirent qu’à élar­gir les limites de l’O­céan. Penauds, ils revinrent à Ayodhyâ.
“Il nous faut l’a­ni­mal coûte que coûte. Cher­chez-le dans les mondes d’en bas, leur enjoi­gnit Saga­ra, des­cen­dez, si néces­saire, jus­qu’aux pro­fon­deurs des enfers.”
Les princes par­tirent aus­si­tôt, déci­dés à rame­ner le che­val, fût-ce au péril de leur vie. De leurs armes, ils se mirent à creu­ser un trou long de trois lieues sur trois. Sourds aux cris et aux pro­tes­ta­tions des ser­pents et autres rep­tiles des régions sou­ter­raines, ils avan­çaient dans les entrailles de la Terre et par­vinrent au Rasâ­ta­la, le qua­trième enfer. Là, ils aper­çurent dans un coin Kapi­la, le grand sage, assis en médi­ta­tion, et le che­val du sacri­fice qui pais­sait alen­tour. C’é­tait Indra qui, à des­sein, avait caché l’a­ni­mal en ce lieu. Les princes se pré­ci­pi­tèrent sur le sage en criant : “Voi­là donc le voleur qui se dit ermite !”
Kapi­la, trou­blé dans sa médi­ta­tion, ouvrit les yeux ; à l’ins­tant même, les soixante mille guer­riers furent trans­for­més en autant de poi­gnées de cendre, brû­lés par le cour­roux de l’ascète.
Pen­dant ce temps, Saga­ra atten­dait tou­jours ses fils. Trou­blé par leur retard, il s’a­dres­sa à son petit-fils, Amshu­mân : “Je suis inquiet ; mes soixante mille fils s’at­tardent. Tu es cou­ra­geux : va et découvre si quelque mal­heur ne leur serait pas arrivé.”
Amshu­mân prit ses armes et des­cen­dit vaillam­ment dans le trou béant par lequel avaient dis­pa­ru ses oncles.
Le che­min s’en­fon­çait de plus en plus ; il le condui­sit au qua­trième enfer. Là, Amshu­mân décrou­vrit le che­val du sacri­fice pais­sant comme si de rien n’é­tait, par­mi soixante mille petits tas de cendre. Amshu­mân res­ta figé de dou­leur : était-ce là ce qui res­tait de ses mal­heu­reux oncles ? Garu­da, l’aigle divin, se tenait, comme par hasard, per­ché sur un arbre tout proche.
“Noble prince, lui expli­qua l’oi­seau, tu contemples les restes de tes propres oncles. Ils ont été réduits en cendres par le regard cour­rou­cé de Kapi­la. Sache cette véri­té : les âmes des fils de Saga­ra ne connaî­tront pas la paix si Gan­gâ ne des­cend pas de la voûte céleste pour laver et puri­fier leurs cendres.”
Amshu­mâ emme­na le che­val, le condui­sit en hâte à la sur­face de la terre et rap­por­ta au roi les mots mêmes de Garu­da. Saga­ra accom­plit le sacri­fice tant dési­ré, mais peu après mou­rut incon­so­lé : pour­rait-on jamais entraî­ner le Gange divin au fond des enfers ?
Amshu­mân suc­cé­da à Saga­ra sur le trône d’Ayod­hyâ. Bien que toute sa vie il eût réflé­chi et prié sans cesse, il ne put décou­vrir le moyen de faire des­cendre le Gange du ciel.
Le fils d’Am­shu­mân pour­sui­vit les efforts de son père, mais en vain ; lui aus­si quit­ta le monde des vivants sans avoir réus­si à sau­ver les âmes de ses ancêtres.
Son fils, Bag­hî­ra­tha, lui suc­cé­da sous l’om­brelle blanche de la royau­té. Bag­hî­ra­tha était un vaillant jeune homme ; il réso­lut de ten­ter l’im­pos­sible. Il renon­ça à sa famille, lais­sa le royaume au soin de ses ministres, et s’en vint dans la soli­tude pour pra­ti­quer des aus­té­ri­tés. Juché sur un pic de l’Hi­mâ­laya, il se tint des années durant au milieu de quatre feux ; un cin­quième, le Soleil, brû­lait au-des­sus de sa tête. Ces ascèses, accom­plies dans un noble but, contrai­gnirent Brah­mâ, le Créa­teur, à se mon­trer aux yeux de Baghîratha.
“Je suis satis­fait de tes efforts, Bag­hî­ra­tha, décla­ra le Père des mondes : quel est ton désir ?”
Les mains jointes, celui-ci répon­dit : “Si j’ai pu conten­ter le Créa­teur, que les fils de Saga­ra reçoivent l’eau de Gan­gâ ; une fois les cendres puri­fiées par le divin fleuve, les âmes de mes aïeux gagne­ront enfin la paix céleste. Je te prie éga­le­ment de m’ac­cor­der un fils, car j’ai renon­cé à ma famille et la race des Iksh­vâ­ku menace de s’éteindre.
— Qu’il soit fait selon ton désir, approu­va Brah­mâ, mais je t’a­ver­tis : Gan­gâ, en déva­lant des cieux, risque d’a­néan­tir le monde, ce que je ne per­met­trait jamais. Sol­li­cite donc le secours de Shiva.”
Bag­hî­ra­tha, sans hési­ter, reprit ses ascèses. Il res­ta si long­temps sans nour­ri­ture et sans eau qu’il réus­sit à gagner la bien­veillance du Grand Dieu, Shi­va. Celui-ci fit son appa­ri­tion et décla­ra à Bag­hî­ra­tha : “Gan­gâ peut arri­ver, je pro­té­ge­rai le monde.”
Les dieux envoyèrent alors Gan­gâ des cieux sur la Terre. Telle une colonne de cris­tal liquide, Gan­gâ cou­lait à tra­vers les espaces ; la gigan­tesque cata­racte de lumière bous­cu­lait les étoiles. Un bruit de plus en plus assour­dis­sant accom­pa­gnait la chute.
Gan­gâ s’ap­pro­chait de la Terre et les immor­tels com­men­çaient à s’in­quié­ter lorsque Shi­va inter­vint. Il prit des pro­por­tions immenses et, cou­pant la route de Gan­gâ, reçut sans bron­cher le fleuve sur la tête. Shi­va était appa­ru si vite que Gan­gâ n’a­vait pas eu le temps de chan­ger de direc­tion ; la rivière se per­dit donc dans les che­veux emmê­lés du Grand Dieu, où elle erra plu­sieurs années. La Terre res­pi­ra, sou­la­gée. Mais Bag­hî­ra­tha était déses­pé­ré. Il implo­ra Shi­va de libé­rer Gan­gâ, pri­son­nière de sa che­ve­lure. Emu de com­pas­sion à l’é­gard de Bag­hî­ra­tha, qui ne son­geait qu’aux âmes de ses soixante mille aïeux, Celui-aux-trois-yeux per­mit au divin fleuve de quit­ter sa pri­son pour des­cendre sur terre.
Gan­gâ sui­vait, en dan­sant, le char de Bag­hî­ra­tha. L’eau lim­pide scin­tillait comme par­cou­rue de mil­lions d’é­clairs. Par­fois, le fleuve se gon­flait en tour­billons d’é­cume, hauts comme des mon­tagnes ; l’ins­tant d’a­près, il glis­sait dou­ce­ment, puis on le voyait s’é­cra­ser contre des rochers ou s’en­fon­cer dans quelque gouffre. Gan­gâ écla­bous­sait joyeu­se­ment de ses perles humides le peuple des dieux accou­rus pour l’admirer.
Gan­gâ cou­lait ain­si par jeu, soit dans l’es­pace, soit sur la Terre, lors­qu’elle abî­ma par mégarde l’au­tel du sacri­fice où Jah­nu, un grand sage, se pré­pa­rait à offi­cier. Celui-ci, pour lui don­ner un leçon, prit le gigan­tesque tor­rent dans la paume de sa main et le but d’un seul trait. Gan­gâ dis­pa­rut encore une fois. La tris­tesse de Bag­hî­ra­tha fut indi­cible ; il pleu­rait de désespoir !
Alors les dieux et les sages célestes, s’ap­pro­chant de Jah­nu, le prièrent de par­don­ner sa faute à Gan­gâ. Apai­sé, le sage consen­tit à ce que Bag­hî­ra­tha arrive au bout de ses peines ; il per­mit à l’im­mense fleuve de cou­ler par ses oreilles. Et les dieux, joyeux, bénirent ain­si Gan­gâ retrou­vée : “Sor­tie du corps de Jah­nu comme du sein d’une mère, tu por­te­ras désor­mais le nom de Jâh­na­vî, fille de Jahnu.”
Gan­gâ ne ren­con­tra plus aucun obs­tacle sur sa route. Elle des­cen­dit, à la suite de Bag­hî­ra­tha, dans le trou pro­fond creu­sé par les fils de Saga­ra ; elle péné­tra dans l’en­fer nom­mé Rasâ­ta­la. Là, avec son eau sanc­ti­fiée par le tou­cher divin de Shi­va, Bag­hî­ra­tha put s’ac­quit­ter des rites funé­raires de ses soixante milles aïeux. Puri­fiées, ren­dues légères, leurs âmes bien­heu­reuses s’é­le­vèrent dans les cieux.

Depuis ce jour, ter­mi­na Vish­vâ­mi­tra, le fleuve Gange s’ap­pelle éga­le­ment Bag­hî­ra­thî en sou­ve­nir de Bag­hî­ra­tha, celui qui n’é­par­gna aucune peine pour sau­ver les siens. »
Pen­dant ce récit, le Soleil, entou­ré d’un nuage de poudre d’or, avait glis­sé len­te­ment vers l’horizon.
« Le roi du jour se couche, mur­mu­ra Vish­vâ­mi­tra ; diri­geons nos prières du soir vers Gan­gâ, le divin fleuve, conduit par ton ancêtre du séjour des immor­tels sur la terre des hommes. »

Notes :

1 — Ash­va­med­ha. Sacri­fice réser­vé au roi, lui per­met­tant d’as­su­rer sa pros­pé­ri­té et la lon­gé­vi­té de sa lignée.
2 — Indra, roi des dieux, sei­gneur du ciel.

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Le long du Mékong avec Louis de Car­né à bord de la canon­nière 27

Le long du Mékong avec Louis de Car­né à bord de la canon­nière 27

Ils étaient six, six hommes par­tis sur les traces d’Hen­ri Mou­hot, celui qui mit au jour les ruines d’Ang­kor en 1861, ou plu­tôt qui fit redé­cou­vrir au monde les temples que les Khmers ne ces­sèrent d’ho­no­rer du fin fond de la forêt cam­bod­gienne… Par­tis d’Ang­kor, ils ont remon­té le Mékong, fleuve nour­ri­cier pre­nant sa source en Chine et se jetant dans la Mer de Chine non loin de Hô Chi Minh-Ville. Ils étaient six, mais l’ex­pé­di­tion dure près de trois ans et le chef de l’ex­pé­di­tion, Ernest Dou­dart de Lagrée, meurt avant la fin du voyage qui se ter­mine dans le Yun­nan chi­nois. Ils étaient six, comme sur cette pho­to deve­nue célèbre. De gauche à droite : Louis de Car­né, Lucien Jou­bert, Capi­taine Ernest Dou­dart de Lagrée, Clo­vis Tho­rel, Lieu­te­nant Louis Dela­porte et Lieu­te­nant Fran­cis Gar­nier. Dela­porte est celui qui ramè­ne­ra les plus beaux des­sins d’Ang­kor encore vierge de toute pré­sence humaine. Ils sont fiers et beaux ces hommes qui ont dû mau­dire les dieux d’a­voir mis sur terre cet envi­ron­ne­ment aus­si hostile…

Membres de la Mission d'exploration du Mékong

Des enfants vêtus de jaune et quelques vieilles habi­tuées du sanc­tuaire, à en juger par la fami­lia­ri­té avec laquelle elles trai­taient leur dieu, désha­billèrent de son écharpe la petite sta­tue de Boud­dha, lui ver­sèrent de l’eau sur la tête, l’é­pon­gèrent avec soin, et lui remirent enfin sa che­mise rouge ; les cym­bales, les gongs et les grosses caisses nous réveillèrent en sur­saut, et la foule enva­hit le han­gar dont nous n’oc­cu­pions que le plus petit espace pos­sible. On allu­ma des cierges, on brû­la de vieux chif­fons et longues mèches. Les assis­tants fai­saient toute sorte de gestes, por­taient la main à leur front et bai­saient la terre, puis l’ar­ro­saient à l’aide d’une gar­gou­lette dont cha­cun était muni. Cela n’empêchait pas de cau­ser, de rire, de fumer ; nul res­pect, nul recueille­ment, aucun signe de pié­té inté­rieure n’ap­pa­rais­sait sur tous ces visages, si ce n’est sur les traits du vieux bonze, chef de la pagode.

Louis de Car­né, jeune homme vaillant pro­mis à un brillant ave­nir, reste à l’é­cart du reste du groupe, jamais véri­ta­ble­ment inté­gré, sus­pec­té d’a­voir été pis­ton­né par un ami­ral en vue pour cette expé­di­tion. Pour­tant, le jeune homme, seul civil du groupe, accom­plit conscien­cieu­se­ment sa mis­sion. Char­gé de la par­tie des­crip­tive du voyage et des ren­sei­gne­ments com­mer­ciaux, il rap­porte un texte beau­coup moins connu que celui de Fran­cis Gar­nier (Voyage d’ex­plo­ra­tion en Indo-chine, effec­tué pen­dant les années 1866, 1867 et 1868). En réa­li­té, ce ne sont que des notes qu’il finit par publier en plu­sieurs par­ties dans la Revue des Deux Mondes, sous le titre L’ex­plo­ra­tion du Mékong. Louis de Car­né, épui­sé par les fièvres contrac­tées lors de l’ex­pé­di­tion, s’é­teint à Plo­me­lin en 1871, à l’âge de 27 ans. C’est son père, Louis-Marie de Car­né, qui ter­mi­ne­ra la mise en forme de ses notes de voyage et se char­ge­ra de la publi­ca­tion de ses articles en livre, sous le titre Voyage en Indo-Chine et dans l’empire chi­nois en 1872.

Il pleu­vait tou­jours, et nous étions pour la plu­part sans chaus­sures. Nos pieds étaient meur­tris par les pierres, per­cés par les épines, sai­gnés par les sang­sues ; la fièvre pâlis­sait les visages et, symp­tôme effrayant, la gaie­té com­men­çait à s’é­va­nouir. Mal­gré la pesan­teur étouf­fante de l’air, après quelques heures de marche dans pareilles condi­tions, le froid nous sai­sis­sait en tra­ver­sant des tor­rents dont l’eau était ordi­nai­re­ment gla­ciale. Quelle ne fut donc pas notre sur­prise, en entrant pour la cen­tième fois dans l’un de ces innom­brables affluents du Mékong, de res­sen­tir aux jambes une cha­leur assez forte pour nous faire éprou­ver une impres­sion dou­lou­reuse ! Nous venions de décou­vrir un source d’eau ther­male sul­fu­reuse à quatre-vingt-six degrés centigrades […]

Le texte est dis­po­nible aux édi­tions Magel­lan et Cie, dans la col­lec­tion Heu­reux qui comme…

Articles publiés dans la Revue des Deux Mondes (allez savoir pour­quoi les numé­ros 6 et 7 sont introuvables):

Pho­to d’en-tête © Ciao­Ho (floa­ting mar­ket. Nga­nam town, Soc­trang pro­vince, Viet­nam. Jan 26th. 2014)

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Un récit qui donne un beau visage

Un récit qui donne un beau visage

Encore un billet sau­vé des terres de l’oubli…

Tout a com­men­cé le jour où j’ai ouvert un livre de Jorge Luis Borges, un livre pré­fa­cé par l’auteur lui-même, El informe de Bro­die. Sans avoir per­sé­vé­ré dans la lec­ture de ce recueil de nou­velles, je me suis plon­gé dans la pré­face (que je n’aime pas lire en règle géné­rale, pour me plon­ger tout de suite dans la lec­ture), un texte court et dont la tour­nure m’a tout de suite inter­pel­lé. Voi­ci un extrait de ces mots:

Les der­niers contes de Kipling ne sont pas moins laby­rin­thiques et angois­sants que ceux de Kaf­ka ou ceux de James et leur sont, sans aucun doute, supé­rieurs ; mais en 1885, à Lahore, Kipling avait com­men­cé à écrire une série de récits brefs, d’une langue et d’une forme très simples, qu’il ras­sem­ble­rait dans un recueil en 1890. Beau­coup d’entre eux – In the House of Sud­dhoo, Beyond the Pale, The Gate of the Hun­dred Sor­rows – sont des chefs‑d’œuvre laco­niques ; je me suis dit un jour que ce qu’avait ima­gi­né et réus­si un jeune homme de génie pou­vait, sans outre­cui­dance, être imi­té par un homme de métier, au seuil de la vieillesse. Le pré­sent volume, que mes lec­teurs juge­ront, est le fruit de cette réflexion.

Je recom­mande cha­leu­reu­se­ment la lec­ture de ce livre, et sur­tout de la pré­face. C’est une mine d’or dans un salon. Ces mots, je le disais, m’ont inter­pel­lé, pour la simple et bonne rai­son que j’ai lu les contes de Kipling dont Borges parle. Ras­sem­blés en France et de manière très par­cel­laire dans un volume nom­mée L’homme qui vou­lut être roi (au Royaume-Uni aug­men­té et nom­mé Indian tales), ce recueil fait selon moi par­tie des plus beaux ouvrages qu’il m’ait été don­né de lire. J’en veux pour preuve ce magni­fique poème, L’Envoi:

And they were stron­ger hands than mine
That dig­ged the Ruby from the earth
More cun­ning brains that made it worth
The large desire of a King;
And bol­der hearts that through the brine
Went down the Per­fect Pearl to bring.

Lo, I have wrought in com­mon clay
Rude figures of a rough-hewn race;
For Pearls strew not the market-place
In this my town of banishment,
Where with the shif­ting dust I play
And eat the bread of Discontent.
Yet is there life in that I make,
Oh, Thou who kno­west, turn and see.
As Thou hast power over me,
So have I power over these,
Because I wrought them for Thy sake,
And breathe in them mine agonies.

Small mirth was in the making. Now
I lift the cloth that cloaks the clay,
And, wea­ried, at Thy feet I lay
My wares ere I go forth to sell.
The long bazar will praise but Thou
Heart of my heart, have I done well?

Hôpi­tal déser­té de Pove­glia à Venise — Pho­to © Rebec­ca Bathory

Borges, un vision­naire ayant per­du la vue. J’ai retrou­vé sa trace un peu plus loin, dans un livre que j’ai ache­té il y a bien long­temps uni­que­ment parce que je trou­vais la cou­ver­ture aus­si intri­gante que le nom de l’auteur. Il s’agit de L’invention de Morel d’Adol­fo Bioy Casares. Racon­ter cette his­toire sera faire insulte à son auteur, car il s’agit réel­le­ment d’un texte excep­tion­nel. Borges y est encore pré­sent car il est l’auteur de la pré­face, une autre pré­face étonnante.

Ste­ven­son, vers 1882, obser­vait que les lec­teurs bri­tan­niques dédai­gnaient un peu les péri­pé­ties roma­nesques et pen­saient qu’il était plus habile d’écrire un roman sans sujet, ou avec un sujet infime, atro­phié. (…) Telle est, sans doute, l’opinion com­mune en 1882, en 1925 et même en 1940. Quelques écri­vains (par­mi les­quels il me plaît de comp­ter Adol­fo Bioy Casares) croient rai­son­nable de n’être pas d’accord. (…) En espa­gnol, les œuvres d’imagination rai­son­née sont peu fré­quentes et même très rares. Nos clas­siques pra­ti­quèrent l’allégorie, les exa­gé­ra­tions de la satire ou bien, par­fois, la pure inco­hé­rence ver­bale ; par­mi les œuvres récentes, et je n’en vois pas, sinon tel conte des Forces étranges ou tel autre de San­tia­go Dabove : tom­bé dans un injuste oubli. L’invention de Morel (dont le titre fait filia­le­ment allu­sion à un autre inven­teur insu­laire, à Moreau) accli­mate sur nos terres et dans notre langue un genre nouveau.

Quelle audace de sa part quand il finit par:

J’ai dis­cu­té avec son auteur les détails de la trame, je l’ai relue : il ne me semble pas que ce soit une inexac­ti­tude ou une hyper­bole de la qua­li­fier de parfaite.

A la lec­ture de l’invention de Morel, on tombe dans un monde étrange, une île moite et soli­taire, sur laquelle s’ébat (ou plu­tôt tente de sur­vivre) un homme en fuite, seul, arpen­tant des endroits autre­fois somp­tueux mais désor­mais à l’abandon. J’avoue que suivre le fil de l’aventure ne m’a pas été facile, car l’auteur brouille les cartes du début à la fin.

Je mon­tai l’escalier : c’était le silence, le bruit soli­taire de la mer, une immo­bi­li­té tra­ver­sée de fuites de mille-pattes. J’eus peur d’une inva­sion de fan­tômes, une inva­sion de poli­ciers étant moins vrai­sem­blable. Je pas­sai des heures, ou peut-être des minutes, der­rière les rideaux, affo­lé à l’idée de la cachette que j’avais choi­sie (…). Puis, je me ris­quai à visi­ter soi­gneu­se­ment la mai­son, mais mon inquié­tude per­sis­tait : n’avais-je pas enten­du, tout autour de moi, ces pas clairs qui se dépla­çaient à dif­fé­rentes hauteurs ?

Le décor est plan­té, il s’y passe quelque chose de tota­le­ment irréel, dans une ambiance ter­ri­ble­ment ten­due alors qu’un seul per­son­nage évo­lue dans un décor situé entre Shi­ning et Apo­ca­lypse now.

C’est dans ces moments d’extrême angoisse que j’ai ima­gi­né ces expli­ca­tions vaines et injus­ti­fiables. L’homme et le coït ne sup­portent pas de trop longues intensités.

Pho­to d’en-tête © Mass­mo Relsig

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Le paquet-mes­sage de Rudyard Kipling

Le paquet-mes­sage de Rudyard Kipling

Exhu­mé des terres anciennes de l’é­cri­ture, quelques mots sur­gis du passé :

J’ai trou­vé ces mots, dans l’His­toire de la lec­ture d’Alber­to Man­guel.

Alors qu’il m’écoutait lire un poème de Kipling, “Bise­sa” (dans L’homme qui vou­lut être roi), Borges m’interrompit après une scène où une veuve hin­doue envoie à son amant un mes­sage com­po­sé de plu­sieurs objets embal­lés ensemble. Il en sou­li­gna la jus­tesse poé­tique et se deman­da à haute voix si Kipling avait inven­té ce lan­gage concret et cepen­dant symbolique.

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Un numé­ro ren­voyait à une note en fin d’ouvrage :

A l’époque, ni Borges ni moi ne savions que le “paquet-mes­sage” de Kipling n’était pas une inven­tion. D’après Ignace J. Gelb (The His­to­ry of Wri­ting, Chi­ca­go, 1952), au Tur­kes­tan orien­tal, une jeune femme envoya à son amant un mes­sage consis­tant en une poi­gnée de thé, une feuille d’herbe, un fruit rouge, un abri­cot sec, un mor­ceau de char­bon, une fleur, un mor­ceau de sucre, une aile de fau­con et une noix. Le mes­sage signi­fiait : “Je ne peux plus boire de thé, je suis aus­si pâle que l’herbe sans toi, je rou­gis quand je pense à toi, mon cœur brûle comme le char­bon, ta beau­té est celle d’une fleur, ta dou­ceur celle du sucre, mais ton cœur est-il de pierre ? Je vole­rais vers toi si j’avais des ailes, je suis à toi telle une noix dans ta main.”

Un peu plus loin, une cita­tion que je ne peux lais­ser pas­ser, d’Ezechiel Martí­nez Estrada :

Lire est une des formes les plus déli­cates de l’adultère.

Pho­to d’en-tête © Pepe Pont

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