Nov 11, 2019 | Archéologie du quotidien |
Couleurs de l’automne intérieur
Un automne avec James Lee Burke
11 novembre, on commence à entrer dans le dur. L’automne ne se cache plus, la lumière rasante du soleil disparaît à 14h30 derrière le toit de la maison des voisins, laissant ainsi le jardin dans une semi-ombre terrifiante, qui dit aussi que les beaux jours sont derrière nous. J’ai profité de mon samedi pour ramasser les premières feuilles d’érable, nettoyer les massifs et rentrer les toiles des hamacs. Les alocasias ont trouvé refuge à la place qu’ils avaient cédé près des fenêtres, afin de passer un hiver serein.
On dit que l’automne indien dure longtemps sous les latitudes canadiennes. Si j’en crois la carte des couleurs automnales au Québec, la saison est déjà terminée. Etonnamment, ici, l’automne se prolonge, les feuilles ne sont pas encore toutes tombées. Le marronnier de la résidence d’en-face a terminé de catapulter ses fruits sur les voitures garées en-dessous et ses feuilles palmées ont depuis bien longtemps commencé à griller, victimes de la sécheresse ; elles n’ont pas eu le temps de prendre leurs belles teintes. Mon érable est encore bien vert, tirant vers un jaune doré léger, tandis que mon sumac flamboie de vives teintes rouges. Dans la résidence, de beaux grands arbres tirent sur le jaune d’or, et pendant ce temps-là, sur les feuilles persistantes des métakés (pseudosasa japonica) et du magnolia grandiflora, ruissèlent les gouttes d’eau que la pluie fine vient déposer sur une nature dégoulinante.
On entre bien dans le dur. Il n’y a plus beaucoup de place pour le doute, ni pour la lumière. C’est à se demander si les arbres ne perdent pas leurs feuilles pour laisser place à la lumière. Il n’en demeure pas moins que l’automne est une saison superbe, qui prépare à la rigueur de l’hiver.
Je profite de mon intérieur douillet, des petites lumières que j’allume en pleine journée pour apporter un peu de gaité tandis que dehors il pleut depuis que je me suis levé ; il semblerait que ça ne veuille pas s’arrêter de tomber, mais peu importe, je n’avais pas décidé de sortir.
Je suis en train de relire Le brasier de l’ange (Burning angel) de James Lee Burke. Resté trop longtemps sur ma table de nuit sans avoir été ouvert, il a pris le moisi, je ne me rappelais plus le début ; en le relisant, des tournures de phrases entières me reviennent en mémoire, des noms de personnages, des situations que je pensais venir de ses ouvrages précédents. James Lee Burke, c’est un écrivain de polars d’une grande justesse, dont la manière de raconter a la fluidité d’un grand écrivain américain, le tout servi par une traduction digne et fidèle. L’écriture est toujours en tension, comme écartelée au-dessus du vide, et donne envie à chaque page de continuer l’aventure, dans une Louisiane électrique et ravagée par un mal fiévreux.
Puis se produit quelque chose qui vous rappelle que nous avons tous dégringolé du même arbre.
Imaginez un homme enfermé dans un coffre de voiture, les poignets attachés dans le dos, il a le nez qui coule à cause de la poussière et des épais relents d’huile de la roue de secours. Les feux stop de la voiture s’allument, illuminant brièvement l’intérieur du coffre, puis la voiture s’engage sur une route de campagne et les gravillons claquent comme des coups de carabine sous les ailes. Mais un changement se produit, un coup de chance auquel l’homme n’arrive pas à croire : la voiture rencontre une ornière, le loquet du coffre se libère mais reste accroché de façon à ce que la porte ne se redresse pas brutalement dans le rétroviseur du conducteur.
L’air qui s’engouffre par l’ouverture sent la pluie, les arbres et les fleurs mouillés ; l’homme entend des centaines de grenouilles qui coassent à l’unisson. Il se prépare, appuie la semelle de ses tennis contre le loquet, le libère, puis il roule par-dessus le rebord du coffre, dégringole en se cognant au pare-choc et rebondit comme un pneu en caoutchouc au milieu de la route. Sa poitrine se vide de son souffle et un long sifflement, comme l’on venait de la faire tomber d’une grande hauteur ; les pierres arrachent des morceaux de chair à son visage, lui entaillent les coudes comme à la meule, y laissant des ronds rouges de la taille de dollars d’argent.
Trente mètres plus loin, la voiture s’est immobilisée après un dérapage, la porte du coffre battant l’air. L’homme ligoté patauge au travers des typhas jusqu’au creux d’un marigot en bordure de la route, les jambes entravées par les filaments de jacinthes mortes sous la surface, la vase se referme autour de ses chevilles comme du ciment mou.
Devant lui, il voit les bouquets inondés de cyprès et de saules, la couche d’algues vertes sur l’eau morte, les ombres qui l’enveloppent et le protègent comme une grande cape. Les filaments de jacinthes lui font l’effet de fils de fer autour de ses jambes ; il trébuche, tombe sur un genou. Un nuage marron de champignons de vase l’entoure. Il avance, péniblement, trébuche encore, tirant sur la corde à linge qui lui noue les poignets, le cœur en train d’exploser dans sa poitrine.
Ses poursuivants sont sur ses talons maintenant ; son dos le tire et tressaute comme si on en avait arraché la peau à la pince. Puis il se demande si le hurlement qu’il entend sort de sa propre gorge ou de celle d’un ragondin tout là-bas sur le lac.
Ils ne tirent qu’une seule balle. Elle le traverse comme un pieu de glace, juste au-dessus du rein. Lorsqu’il ouvre les yeux, il est sur un banc de sable, allongé sur un tapis de branches de saules écrasées, les jambes dans l’eau. Le bruit de la détonation du pistolet résonne encore à ses oreilles. L’homme qui patauge en avançant vers lui n’est qu’une silhouette, la cigarette aux lèvres.
La lumière revient un peu sur les coups de midi, la pluie s’est arrêtée et la course des nuages chasse les plus épais, les plus chargés. Il est temps pour moi de reprendre ma lecture… J’ai retrouvé toute la série des livres de Dave Robicheaux, j’ai réinstallé sur mon PC de bureau un vieux jeu auquel je jouais à la fin des années 90 grâce à un émulateur et une machine virtuelle, j’ai comme l’impression de bidouiller avec mon PC comme je le faisais il y a vingt ans, j’écoute ma playlist islandaise en buvant du thé dans lequel je trempe des biscuits à la cannelle pendant que d’autres se caillent les meules sous la pluie, raides comme des piquets… Je pense aux morts de ma famille, que, contrairement à beaucoup d’autres, je connais parce que j’ai pris le temps d’interroger mes grands-parents, depuis mon intérieur douillet. Je connais chacun de mes arrières-grands-parents et leurs faits d’armes en 14–18, parce que j’ai la mémoire vive. En fait, je vis ma nostalgie en recréant des ambiances, avant d’oublier comment c’était d’être nostalgique…
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Dec 29, 2009 | Livres et carnets, Passerelle |
La fin de l’année est propice aux bilans. Bilan comptable, bilan de santé, bilan personnel… Généralement, on y dit ce qui retenu notre attention, ce qui nous a plu, ce qui nous a choqué, les bonnes choses qui sont arrivées ou les déboires, on regarde derrière soi pour faire en sorte de mieux voir ce qu’il y a devant. Cette année, je n’ai pas grand chose à dire parce que 2009 ne m’a pas plus intéressé que ça, je veux dire que je n’ai pas spécialement fait mon possible pour aller vers le monde, l’actualité n’a pas vraiment retenu mon attention, si ce n’est les événements qui se sont déroulés en Iran, qu’on aurait pu prendre pour une révolution, mais qui n’en fut pas une, et puis les faillites des banques, mais une fois de plus tout ceci est loin de nous, ce sont des événements qu’on a tenté de nous faire passer comme étant en prise directe avec notre quotidien ; ce n’était qu’un mensonge de plus.
Rien de passionnant cette année, à part peut-être… Mes lectures…

Photo © Patrick Gage
Cette année fut pour moi une année de diversité, de métissages culturels même si je suis resté fidèle aux incontournables, ce fut également une année où je me suis quelque peu tourné vers la BD. Ce fut une année où j’ai pas mal lu, pas mal découvert, pas mal pris de risques aussi, mais ce fut une année, où je ne me suis pas pressé et où j’ai pris le temps de me laisser happer par ce que je lisais.
J’ai commencé l’année en prolongeant des lectures qui me font du bien, des lectures du froid, Karen Blixen, Jørn Riel, Sjón et August Strindberg que j’ai beaucoup aimé. En fait, en regardant de loin, je me rends compte que mes lectures n’avaient rien de joyeuses en ce début de 2009, Harrison, Salter, Noteboom, Tabucchi… pas que des joyeux lurons, avec une préférence pour le côté sombre et désespéré de Salter et les histoires exotiques de Noteboom..
J’ai également lu quelques classiques auxquels je tenais. Conrad, Au coeur des ténèbres et Steinbeck — pas le plus connu — avec Les naufragés de l’autocar, un livre dans lequel de vives tensions sexuelles entrent en jeu, Rainer-Maria Rilke avec ses Lettres à une jeune poète et Pierre Loti avec Pêcheurs d’Islande que je n’avais encore jamais lu. Un des grands moments de lecture fut la lecture ininterrompue de La physique des catastrophes de Marisha Pessl. Je crois qu’en fait, les Américains savent encore faire — et on se rend compte que même la jeune génération puisqu’elle n’a que 32 ans ! — ce que nous autres Européens ne savons plus faire ; écrire de grandes fresques impressionnantes, de grands romans universels. Pessl dans la lignée de William T. Vollman ou de Don DeLillo.
Certains de ceux que j’ai lu ne me laisseront pas de souvenirs impérissables, à peine une sensation agréable ; Martin Amis — même pas fini —, Milena Agus — un peu mais pas beaucoup —, A.L. Kennedy — sans saveur aucune —, Michael Chabon — du bout des lèvres. Je n’y reviendrai pas.
Un grand moment toutefois m’a été apporté par un petit jeune, un livre que m’a offert Fabienne, Fake de Giulio Minghini. Un livre honteux sur le cynisme et la solitude des temps modernes, un moment jouissif annoncé par la quatrième de couv’ la plus laconique de l’histoire de l’univers : “on n’est quand même pas là pour rigoler”…
Mes classiques à moi de cette année : Raymond Depardon, Rudyard Kipling, Nicolas Bouvier et parmi les écrivains voyageurs, j’ai fait la découverte d’un grand bonhomme qui m’a littéralement fait du bien à un moment où j’en avais un peu besoin, c’est Olivier Germain-Thomas avec son Bénarès-Tokyo, un livre que je recommande aux amoureux, aux voyageurs, et aux amoureux du voyage.
Dans la seconde partie de l’année, j’ai lu quelques bandes dessinées. Hugo Pratt, Jirō Taniguchi et Shigeru Mizuki, ainsi que l’Américain Dash Shaw et surtout Marjane Satrapi avec Persepolis. Entre manga et Corto Maltese, ce furent des moments de bien-être, sans contrainte, et de belles découvertes. Mais ce fut avant tout un semestre d’introspection, accompagné de Norman Mailer et son Bivouac sur la lune, de Jean-Philippe Toussaint (encore une belle découverte initiée par Fabienne), de James Frey (encore une de ces histoires universelles) et de Robert Walser, l’homme qui mourut dans la neige.
Enfin, la découverte des écrits les moins connus de Roland Barthes m’ont plaqué à terre. J’ai découvert avec lui le sens du terme «acédie» auquel pendant quelques jours j’ai eu l’impression d’être indéfectiblement attaché. Ces deux livres (Incidents et Journal de deuil) m’ont fait très mal, de vrais crève-cœur.
Pour voir l’intégralité de mes lectures de 2009, c’est sur cette page.
Bien évidemment, j’ai déjà des projets pour 2010 qui sera résolument l’année des grands et beaux et gros et superbes livres. Et surtout, des longs livres, ceux qu’on met plusieurs mois à dévorer. Des vrais bons os pour le chien que je suis. Je suis en train de me constituer mon année de lecture, cette bibliothèque idéale que j’ai prévu de construire avec des images et des dessins, et déjà, j’ai constitué ma pile de livres pour les mois à venir.

De bas en haut:
- Collected stories de Rudyard Kipling, offert par Fabienne, un livre plein d’histoires et tout en anglais (pas un seul mot de français).
- Cahiers secrets de la Vè République, tome 1, de Michèle Cotta. J’aime beaucoup cette femme pour tout ce qu’elle représente et la place qu’elle a dans mon histoire personnelle, et j’ai même eu la chance un jour de lui parler au téléphone, sur un malentendu.
- Œuvres de Nicolas Bouvier, l’intégralité de ses écrits. Il m’en reste encore à lire, mais j’y vais doucement. Après il n ‘y aura plus rien.
- Notes de chevet, de Dame Sei Shonagon, un livre ancien et précieux révélé par Alberto Manguel dans son journal d’un lecteur, livre de listes de choses agréables et désagréables.
- L’Inde sans les Anglais de Pierre Loti que j’ai découvert en lisant cet été le livre le goût des villes de l’Inde.
- Oeuvres complètes de Robert Louis Stevenson, tome 1, un beau Pléiade. Si j’ai fini celui-ci, il me restera toujours le tome 2.
- Sagas Islandaises, un autre beau Pléiade tout frais sorti de la hotte du Père Noël.
- Chasseurs d’épices de Daniel Vaxelaire, un livre que je n’ai jamais fini de lire, commencé il y a quelques années et qui reste pour moi attaché à la période de Noël.
- Stèles, de Victor Segalen, une des rares concessions faites à l’achat d’un “Livre de Poche Moche”.
- Voyage autour du monde de Bougainville. Un grand livre pour tous les voyageurs et les amoureux de la mer.
- Un diamant gros comme le Ritz de Francis Scott Fitzgerald. J’ai simplement envie de le lire parce que c’est un gros livre.
- Central Europe, un énorme livre du très bon et très prolifique William T. Vollmann.
- Du côté de chez Swann, de Marcel Proust, que j’aimerais bien enfin lire en entier après 3 tentatives avortées.
- Les noms de Don DeLillo. La lecture de Cosmopolis m’a donné envie de connaître un peu mieux cet auteur qu’on présente comme un des plus grands storyteller du monde moderne.
- Ombres sur l’Hudson du très lumineux Isaac Bashevis Singer. Pour moi, Singer fait partie des Hommes de Très Haute Stature, comme Anthony Burgess.
- Le cœur du Mid-Lothian, de Walter Scott, un livre acheté depuis longtemps qui mérite d’être un jour lu, une grande épopée sur l”histoire de l’Ecosse et de la grande prison d’Edimburgh.
- Une histoire de la lecture et la bibliothèque la nuit d’Alberto Manguel. Cet auteur Canadien d’origine Argentine fait partie des grands amoureux des livres et sait communiquer sa passion.
- Les derniers rois de Thulé de Jean Malaurie, le grand manifeste pour la prise de conscience de la disparition des peuples inuits.
- 3 livres achetés après Noël, histoire de me renflouer: Le manuscrit perdu de Jonah Boyd, de David Leavitt, La Mer de la Tranquillité de Sylvain Trudel, La septième rencontre de Herbjørg Wassmo.
- Les grandes vies de Stefan Zweig. Quatre biographies par un des plus importants auteurs du XXè siècle, encore emballé dans son cellophane d’origine.
- Oblomov de Ivan Gontcharov, que j’aimerais bien trouver avant de lire.
- Ainsi que la France Médiévale de Jean Favier, dès lors que je l’aurais retrouvé.
- Et puis j’aimerais cette année relire tout les racontars de Jørn Riel, une fois aussi que je les aurais tous retrouvés.
- Ah, et puis je me suis acheté aussi La pensée sauvage et Anthropologie Structurale de Claude Lévi-Strauss, j’aimerais bien enfin les lire.
- Et puis et puis et puis je n’en ai jamais assez…
Pour finir 2009, Journal du petit matin des derniers jours de deux mille neuf…
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