Mar 30, 2017 | Arts, Livres et carnets |
Tout commence par des citations qui résonnent étrangement en nous, des bouts de phrases tirés de livres qui racontent votre histoire à vous. Lorsque Kessel ou Bouvier parlent, c’est de vous dont ils parlent, c’est de votre enfance dont il est question. La preuve…
New and Improved View of the Comparative Heights of the Principal Mountains and Lengths of the Principal Rivers In The World. 1823
J’écoute d’abord Joseph Kessel, pour qui Les grands voyages ont ceci de merveilleux que leur enchantement commence avant le départ même. On ouvre les atlas, on rêve sur les cartes. On répète les noms magnifiques des villes inconnues… Puis un peu plus près de chez moi, de ma temporalité, Nicolas Bouvier, dans L’usage du monde. C’est la contemplation silencieuse des atlas, à plat ventre sur le tapis, entre dix et treize ans, qui donne ainsi l’envie de tout planter là. Songez régions comme le Banat, la Caspienne, le Cachemire, aux musiques qui y résonnent, aux regards qu’on y croise, aux idées qui vous y attendent… Lorsque le désir résiste aux premières atteintes du bon sens, on lui cherche des raisons. Et on en trouve qui ne valent rien. La vérité, c’est qu’on ne sais comment nommer ce qui vous pousse. Quelque chose en vous grandit et détache les amarres, jusqu’au jour où, pas trop sûr de soi, on s’en va pour de bon.
Et puis un jour, vous partez trop loin, ce qui vous parle, ce ne sont plus que les cartes elles-mêmes, elles vous ont envahi. Certaines sont affichées au-dessus de votre bureau, voire dans la salle de bain, au-dessus des toilettes, peut-être même dans votre chambre. Au-dessus de mon bureau se trouve un ancienne carte de Constantinople, entièrement écrite en français, où même les noms turcs sont transcrits dans un français de carnaval. Mais la carte est belle car c’est une vue panoramique du Bosphore. J’ai d’autres cartes qui apparaissent sur des miniatures persanes, des reproductions un peu grossières, achetées dans une toute petite boutique d’Istanbul, recouverte de feuilles de Corans enluminées, peintes et repeintes. Il me semble même que de là où je me trouve je peux entendre le muezzin entonner la prière du soir non loin de Sultanahmet. Ce sont les cartes qui vous ont happé, elles sont venues vous chercher et puis vous ne savez pas quoi faire de celle-ci. J’ai également un vieil atlas datant des années 50, aux feuilles jaunies, et dont certains noms de pays n’existent plus…
Entre le début et la fin du XIXème siècle, dans les atlas et sur les murs des écoles sont apparues de nouvelles cartes, des cartes d’un nouveau genre, des cartes qu’on appelle comparatives. Alors on y compare quoi sur ces cartes comparatives ? La longueur des fleuves et la hauteur des montagnes. Au premier abord, on comprend tout de suite que ces cartes comparatives mettent au même niveau deux des éléments géographiques dont les mesures sont les plus proches, mais ensuite, on se demande quelle raison étrange a pu pousser certains cartographes à constituer ce genre de cartes, car effectivement, ces choses-là n’ont rien à voir entre elles. Aussi bien je pourrais comprendre la mise en relation des montagnes avec la profondeur des fosses marines, mais comparer la hauteur des montagnes et la longueur des fleuves n’a à mon sens pas vraiment d’autre intérêt que de produire de belles cartes qui ont le mérite d’être captivantes, même si elles sont parfois difficiles à déchiffrer. C’est là toute la poésie de la chose, assembler des formes, des couleurs, des mesures, des légendes, pour en faire des objets d’une belle précision, même si toutefois, les cartes sont souvent fausses. Mais qui se soucie de leur véracité ? Tenons-nous en à la poésie.
Allons faire un tour parmi les plus belles d’entre elles. Toutes sont disponibles sur le site David Rumsey Map Collection, un des plus beaux sites de cartographies du web mondial. Prenons-en de tout petits morceaux pour les regarder de près et voir ce qu’elles ont à nous dire.
Cette première carte en français (Goujon et Andriveau) datant de 1836 montre les fleuves en partant du plus long, les sommets en partant du plus court ; l’imbrication des deux donne la forme de la carte. C’est une très belle carte avec beaucoup d’indications et de nombreux chiffres repris dans les colonnes latérales. A cette époque, le sommet le plus haut du monde est le Dhaulagiri.
1836 Andriveau Goujon Comparative Mountains and rivers chart
Sur cette carte, on peut constater que les deux comparaisons sont empilées l’une sur l’autre, ce qui a pour effet de les placer sur la même échelle. Un peu moins soignée que la précédente, elle est tout de même colorée et relativement précise.
A comparative view of the heights of the principal mountains and lengths of the principal rivers of the World; Fenner, 1835.
Cette fois-ci, les montagnes ne sont plus alignées les unes à côté des autres mais empilées, pour ne former qu’un seul et même sommet. Les fleuves sont mis à l’échelle mais pas forcément ordonnés, et ornent chaque côté de l’immense montagne représentée.
A Comparative View of the Heights of the Principal Mountains and Lengths of the Principal Rivers in the World, Dower, John Nicaragua; Teesdale, Henry, London, 1844
Celle-ci a la particularité de ne parler que de l’Écosse. Et comme l’Écosse, la couleur dominante en est le vert sombre… J’aime beaucoup cette carte car elle a un côté naturaliste assez pratique. En effet, les rivières descendent des montagnes et sont représentées dans une mise en relief assez intéressante.
A comparative view of the lengths of the principal rivers of Scotland. Comparative view of the height of the falls of Foyers and Corba Linn, Thomson, John, Lizars, William Home, Edinburgh, 1822
Celle-ci et la prochaine, ne sont en réalité qu’une seule et même carte. La première représente la partie est de l’hémisphère, la seconde la partie ouest. Cette fois-ci, ce ne sont plus simplement les montagnes et les rivières, mais également, les chutes d’eau, les îles également les lacs qui y sont représentés, le tout dans une mise en page élégante et assez efficace pour la compréhension des légendes et la lecture des informations.
A Comparative View Of The Principal Waterfalls, Islands, Lakes, Rivers and Mountains, In The Eastern Hemisphere; Martin, R.M.; Tallis, J. & F.; New York; 1851
A Comparative View Of The Principal Waterfalls, Islands, Lakes, Rivers and Mountains, In The Western Hemisphere; Martin, R.M.; Tallis, J. & F.; New York; 1851
Celle-ci et celle d’après sont les deux pages de deux graphiques différents. Mais ce ne sont plus vraiment des cartes, plutôt des graphiques.
Comparative heights of mountains; Worcester, Joseph E.; Boston; 1826
Comparative lengths of rivers; Worcester, Joseph E.; Boston; 1826
Cette carte a l’avantage d’être dans un excellent état, en plus d’être pliable. On peut voir les marges des plis écartés laissant entr’apercevoir la toile de jute qui sert de support aux jointures.
Comparative heights of the Principal Mountains and Lengths of the Principal Rivers Publisher William Darton
Encore une carte en deux hémisphères distincts. Mise en page sobre, bicolore, efficace, gracieuse…
Eastern Hemisphere; Mitchell, Samuel Augustus; Philadelphia; 1880.
Western Hemisphere; Mitchell, Samuel Augustus; Philadelphia; 1880.
Celle-ci est une de mes préférées, de par ses couleurs et sa pertinence. Sont listées les indications sur la végétation en fonction des différents massifs. La carte elle-même indique les types de végétation en fonction des latitudes. Elle contient un superbe petit synopsis des régions phyto-géographiques.
Geographical distribution of indigenous vegetation. The distribution of plants in a perpendicular direction in the torrid, temperate and frigid zones- Henfrey, Arthur, 1819–1859
Celle-ci intègre les longueurs des rivières et les hauteurs de montagne dans les espaces vides laissés par les arrondis des hémisphères.
Gray’s new map of the World in hemispheres, with comparative views of the heights of the principal mountains and lengths of the principal rivers on the globe, Gray, Frank Arnold, Houlton, Maine, 1885
Une autre version d’un type de carte déjà vu plus haut.
Heights Of The Principal Mountains In The World, Tanner, Henry S., Philadelphia, 1836
Une autre version encore…
Heights Of The Principal Mountains In The World. Lengths Of The Principal Rivers In The World, S. Augustus Mitchell, 1846
J’aime particulièrement celle-ci, pour son aspect monochrome, mais aussi pour la douceur des arrondis des légendes attribuées aux sommets. Elle est vraiment complète, puisque par continent, on peut retrouver facilement les montagnes et les fleuves décrits avec précision.
Johnson’s Chart of Comparative Heights of Mountains, and Lengths of Rivers of Africa … Asia … Europe …South America … North America; Johnson, A.J.; 1874.
Egalement une autre version d’un type de carte connu, un peu piquée, un peu jaunie…
Mountains & Rivers; Colton, G.W; 1856
Comparaison des deux hémisphères, de manière parfaitement symétrique.
Rand, McNally & Company’s indexed atlas of the world Western Hemisphere, Eastern Hemisphere, Rand McNally and Company, Chicago, 1897
Une autre version très colorée par continent, mais désormais rien que de très commun…
Table of the Comparative Heights of the Principal Mountains &c. in the World; Finley, Anthony, Philadelphia, 1831
Exactement la même, mais sous forme de graphiques…
Table of the Comparative Lengths of the Principal Rivers throughout the World; Finley, Anthony, Philadelphia, 1831.
Certainement la plus belle de toute, une carte riche, avec le bassin de certains fleuves significatifs, une carte qu’on aimerait bien avoir au-dessus de son bureau…
The World in Hemispheres with Comparative Views of the Heights of the Principal Mountains and Basins of the principal Rivers on the Globe, Fullarton, A. & Co., London and Edinburgh, 1872
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Mar 29, 2015 | Livres et carnets |
Avant de refermer le livre et de le ranger, il y a une étape. En saisir l’essence, repasser par la présentation de Claudine Lesage parlant de la langue de Joseph Conrad. Ce livre, c’est Du goût des voyages, suivi de Carnets de Congo, aux éditions Équateurs / parallèles. Pour qui a lu Heart of Darnkess, voici un petit supplément qui permet d’apporter un peu de lumière au livre terrifiant qui donna naissance à Apocalypse now de Coppola et surtout à la langue si particulière de Conrad, dont Deleuze aurait pu dire qu’il était dans une écriture de la déterritorialisation. Avec les notes de bas de page, s’il vous plaît.
En lieu et place, une fois résilié son contrat avec les propriétaires de l’Otago et rentré à Londres, Conrad entame, dès l’automne 1889, la rédaction de La Folie Almayer — non pas en polonais, non pas en français, mais en anglais : “ En effet, je me consacrais alors entièrement à cette oisiveté apparente d’un homme hanté par la quête des mots, ceux-là seuls qui seraient capables de capturer mes visions. ”
Texte extrait de son recueil, Des souvenirs.
Ici il est question des allers et retours que Conrad faisait entre les langues qu’il avait investies et avec lesquelles il jouait sans embarras.
“ How goes it, you old image. ” Le lecteur n’en est pas quitte pour autant des explorations de Joseph Conrad au cœur de l’écriture. Car c’est au fondement même des structures linguistiques et des mots que Conrad s’attaque maintenant. La construction de la forme interrogative anglaise est fautive et calquée sur le français : “ Comment ça va ? ” qui devient après l’inversion sujet-verbe de la phrase interrogative anglaise, “ How goes it1… ” On peut penser que Kayerts étant belge, il parle français2 et que c’est une traduction mot à mot de la phrase qu’il prononce. Chercher l’erreur devient donc un imbroglio impossible à démêler : est-ce Kayerts lui-même qui s’adresse à Gobila en petit-nègre ou le traducteur maladroit qui s’égare — sans parler d’un autre niveau encore : celui des palabres auxquelles a droit Stanley de la part du vrai Gobila ? Quelle que soit la réponse à la question, elle ouvre le territoire inexploré de la porosité des langues chez Conrad ; elle lève un coin du voile et découvre d’autres perspectives insoupçonnées de l’art d’écrire de Joseph Conrad.
Familier en effet du polonais, du français et de l’anglais, Conrad se promène dans un no man’s land linguistique qui fait qu’on ne peut jamais être certain de la langue qui lui sert de référence. “ Il y a un mot en polonais qui exprime ce que je veux dire ”, expliquait-il parfois à Ford Madox Ford3, son complice en écriture [directement en anglais] : “ Voulez-vous une tasse de thé ? ” ou “ il est mort ”, ajoutait Ford, mais lorsqu’il s’agissait d’expressions du type : “ le don d’expression ”, “ la perplexité ”, […] “ un torrent de lumière ”, “ les eaux traîtresses qui coulaient du cœur d’impénétrables ténèbres ”, il les traduisait directement du français4. Ainsi en va-t-il du passage du français à l’anglais, exercice qui dégénère parfois et s’affole, comme cela arrive dans certaines pages de Lord Jim lorsqu’un personnage affirme haut et fort : “ j’ai roulé ma bosse ” — pour de bon, comme on roule une boule de neige (“ I rolled my hump ”) ou mot à mot, “ chacun fait son possible ” (“ one does one’s possible ”) ou encore des hyènes ricanantes (“ laughable hyaena ”) et autres “ [l’]armes de crocodiles ” (“ weapons of a crocodile ”), pour nous limiter à quelques exemples qui semblent bien “ sortis d’un dictionnaire compilé par un fou5 ”. Car l’exercice devient systématique et s’accompagne, d’une langue à l’autre, de toute une batterie d’autres jeux de langues : gallicismes, calques, mots intraduisibles, transcriptions phonétiques, poussant l’écriture dans ses derniers retranchements, ceux d’une gymnastique linguistique aux contorsions absurdes.
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1. La forme correcte aurait été “ How are you ? ” ou “ How is it going ? ”
2. Il lit Flaubert : Bouvard et Pécuchet !
3. Ford Madox Ford (1873–1939). Homme de lettres anglais, proche de Joseph Conrad et con collaborateur entre 1898 et 1909.
4. Ford Madox Ford, Joseph Conrad, a personnal rememberance, p.168.
5. Joseph Conrad, Lord Jim.
Première phrase de Du goût des voyages :
Il est certain que pour la majorité des hommes la supériorité de la géographie sur la géométrie repose sur l’attrait qu’exercent ses représentations. Et même si la cause en est l’incorrigible frivolité inhérente à la nature humaine, la plupart d’entre nous s’accordent volontiers à penser qu’une carte attire davantage qu’une figure de géométrie dans un traité sur les sections coniques — tel est du moins le cas des esprits d’un naturel simple dont dispose la plupart des habitants de cette planète.
Encore quelques mots qui manifestent l’intérêt de Conrad pour la géographie dès son plus jeune âge :
Malheureusement, les notes attribuées à cette matière étaient aussi rares que les cours inscrits au programme par d’ennuyeux professeurs qui, non contents d’être vieux, semblaient ne jamais avoir été jeunes. Indifférents au charme captivant du réel, ils ignoraient tout des immenses potentialités qu’offre la vie d’un homme d’action, n’avaient pas la moindre notion de l’immensité des étendues terrestres ni n’éprouvaient le moindre désir de relever des défis. Leur géographie était à leur image : une chose exsangue, à la peau racornie recouvrant une carcasse peu ragoûtante et un squelette dénué de tout intérêt.[…] Je ne fus cependant pas noté. Il faut dire que ce n’était pas un sujet imposé et je crois bien que le seul commentaire qu’on transmit à mon tuteur fut de dire qu’il semblait bien que j’avais perdu mon temps à lire des livres de voyages au lieu de m’occuper de mon travail. Comme je vous l’ai déjà dit : ces types voulaient ma peau.
Et enfin sur l’acte d’écrire :
Oui, j’ai toujours, et de tout temps, été écrivain et le reste n’a été que dérivatif, prétexte et erreur, fausse piste et cul-de-sac d’où je me suis toujours sorti — à un cheveu près !
Plus d’informations sur la photo d’en-tête du navire Joseph Conrad sur la page Flickr de l’Austalian National Maritime Museum
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Feb 6, 2015 | Livres et carnets |
On dit que les voyages forment la jeunesse, mais que l’on ne s’y trompe pas, ils forment aussi l’imagination, une imagination folle, débordante, galopante… Les êtres dont il est question ici sont certainement les monstres décrits dans les Chroniques de Nuremberg, les Panotii ou Panotéens. Une longue tradition les fait traverser l’histoire, une tradition qui pourrait remonter aux écrits bibliques. Isidore de Séville les fait venir de Scythie, ce qui n’est pas une source anodine. En effet, on trouve dans la Bible, à l’évocation de Gog et Magog, des traces de ces êtres. Dans la Table des Nations, Magog est un des fils de Japhet, et le terme de Gog est utilisé de manière indifférenciée pour décrire Magog, terme qui désigne lui-même la direction du nord de l’Anatolie, ce qui fait dire à Isidore qu’on désigne là la Scythie… Dans le livre d’Ezechiel, le terme de Gog et Magog désigne l’ennemi eschatologique, qui deviendra dans l’Apocalypse de Jean la figure de deux personnages faisant partie de l’armée de Satan. Dans les premiers textes chrétiens, on assimile ensuite Gog et Magog aux Romains et à l’empereur, l’Antéchrist.
Mais revenons à nos Panotti que le Moyen-âge a affublé de plus de doigts que nous n’en avons, et par extension, a fait de ce peuple atteint de polydactylie les habitants des Antipodes (Opisthodactyles / Rückwärtsfüssler), connus également sous le nom… d’Antipodes…
Représentation de Panotéen. Hartmann Schedel (1440–1514), — Chroniques de Nuremberg (Schedel’sche Weltchronik), page XIIr
Les antipodes sont une race de monstres anthropomorphes qui ont le pied tourné vers l’arrière, les talons vers l’avant et huit orteils à chaque pied; ils sont censés courir plus vite que le vent. À l’époque où l’on croyait la terre plate, on pensait que des peuples marchaient à l’envers de l’autre côté du disque et qu’ils avaient les pieds placés de cette façon. Ces créatures auraient été observées par Alexandre le Grand lors de ses conquêtes. (source Wikipedia).
Voici ce qu’on peut lire à la suite du voyage autour du monde de Magellan :
Notre pilote nous dit qu’auprès de là était une île nommée Aruchete où les hommes et les femmes ne sont pas plus grands qu’une coudée et leurs oreilles sont aussi grandes qu’eux ; de l’une ils font leur lit et de l’autre ils se couvrent. Ils vont tondus et tout nus et courent fort. Ils ont la voix grêle et ils habitent dans des caves sous terre. Ils mangent du poisson et une chose qui naît entre les arbres et l’écorce qui est blanche et ronde comme dragée et qu’ils appellent ambulon. Là nous pûmes aller à cause des grands courants d’eau et plusieurs rocs y sont.
Antonio Pigafetta (XV-XVIè siècle)
Premier voyage autour du monde par Magellan, IV, « 21 décembre 1521 »
in Umberto Eco, Histoire des lieux de légende
Le lien entre les Panotti de Pigafetta et Gog et Magog devient évident à la vision de ces deux représentations conservées à la bibliothèque de la mosquée Süleymaniye à Istanbul, sous le nom de Ahval‑i Kıyamet (Ye’cûc-Me’cûc. Süleymaniye Kütüphanesi).
Voici ce que nous en dit Fatih Cimok, dans son livre Anatolie Biblique, de la Genèse aux conciles, en rajoutant une petite couche d’Alexandre le Grand :
Dans la littérature chrétienne tardive, Alexandre le Grand, le dernier « empereur du monde », construit un mur de fer et de laiton dans les montagnes du Caucase pour empêcher Gog et Magog d’envahir le monde jusqu’à la fin des temps. Cette histoire apparaît également dans le Coran (18 et 21) et dans d’autres morceaux de la littérature islamique. Ils sont considérés comme vivant nus et mesurant environ un mètre de haut. Ils ont de longues oreilles : pour dormir, ils se couchent sur l’une et se recouvrent de l’autre comme couverture. L’histoire dit qu’ils ont léché le mur de fer et de laiton jusqu’à ce qu’il devienne aussi fin qu’une coquille d’œuf et l’ont laissé ainsi en disant « demain, nous passerons à travers ! ». Mais ils ont oublié de dire « inşallah ! » et retrouvèrent donc le lendemain le mur aussi épais qu’au début. Ils envahiront le monde le jour du Jugement Dernier, boiront toute l’eau du Tigre et de l’Euphrate et massacreront tous les habitants de la Terre. En peinture, ils sont souvent représentés comme des Scythes, des Tartares ou des Huns.
En bref, le Panotéen, c’est le pur étranger qu’on affuble des plus inconciliables tares.
Autre source concernant le texte de Pigafetta…
Berthold Laufer, “Columbus and Cathay, and the Meaning of America to the Orientalist,” Journal of the American Oriental Society, vol. 51, no. 2 (June 1931), pp. 87–103.
From p. 96: “Pigafetta who accompanied Magalhaens on the first voyage round the world records a story told him by an old pilot from Maluco: The inhabitants of an island named Aruchete are not more than a cubit high, and have ears as long as their bodies, so that when they lie down one ear serves them for a mattress, and with the other they cover themselves. This is also an old Indo-Hellenistic creation going back to the days of the Mahâbhârata (Karnapravarana, Lambakarna, etc.) and reflected in the Enotocoitai of Ctesias and Megasthenes. As early as the first century B. C. the Long-ears (Tan-erh) also appear in Chinese accounts; their ears are so long that they have to pick them up and carry them over their arms.”
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