Oct 1, 2009 | Arts, Chambre acoustique |
Comme une révélation pour moi, je me suis réveillé un soir avec le chant des planètes. Le compositeur anglais Gustav Holst, à l’origine de cette œuvre sublime qu’est Les Planètes, réveille dans cet opus un sensationnel sentiment de légèreté et de joie. Composée entre 1914 et 1917, sa conception et son dévoilement au public correspond avec la fin de la Première Guerre Mondiale. Ainsi la fille du compositeur rapporte :
« Ils trouvèrent les clameurs de Mars presque insupportables après quatre années d’une guerre qui se poursuivait. […] Mais c’est la fin de Neptune qui fut inoubliable, avec son chœur de voix féminines s’évanouissant au loin, jusqu’à ce que l’imagination ne pût faire la différence entre le son et le silence. »

Les 7 planètes à écouter sur Deezer:
- Mars (celui qui apporte la guerre)
- Venus (celle qui apporte la paix)
- Mercure (le messager ailé)
- Jupiter (celui qui apporte la gaieté)
- Saturne (celui qui apporte la vieillesse)
- Uranus (le magicien)
- Neptune (le mystique)
A noter simplement que Pluton n’a été découverte qu’en 1930, comme étant la dernière planète du système solaire, requalifiée depuis 2006 comme objet transneptunien.

Partitions libres sur IMSLP.
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Sep 21, 2009 | Livres et carnets |
Raconter une mission aussi spectaculaire que celle qui a emmené trois hommes sur la lune par une très chaude journée de l’été 1969 n’était pas à la portée de n’importe qui et il fallait a minima l’expérience d’un ingénieur en aéronautique, la plume d’un double Prix Pulitzer et l’insolence d’un des plus grands écrivains américains, décédé en 2007, Norman Mailer. L’intelligence de Mailer réside à mon sens surtout dans cette façon qu’il a de sublimer un événement dont on connait peu les dessous. En effet, l’exploit final a quelque peu masqué toute l’énergie qu’il a fallu dépenser, dans une course folle — pour ne pas dire schizophrène —, à coups de milliards de dollars et après un travail de sape profond sur les mentalités américaines.
Ce qui reposait sur le succès du vol, c’était rien de moins que de voir diminuer la crainte chez les techniciens dont les libidos étaient prisonnières de tout le réseau serré des chiffres.

Tout l’intérêt du récit de Mailer se trouve condensé dans ce qu’il nous apprend du réseau d’énergies ; énergie cinétique lorsqu’il nous décrit avec précision de poids de chacun des modules et la psychologie des machines, le poids d’une fusée absolument énorme — j’ai appris avec une certaine joie que la poussée n’est pas la poussée sur la terre, mais une force qui va à l’encontre du poids des propulseurs — , énergies sociales lorsqu’un demi-million d’Américains se retrouvent aux abords de Houston pour suivre le lancement de Saturn V en direct, énergies thermiques lorsqu’il nous dit pourquoi la capsule est recouverte de tuiles réfractaires, et les combinaisons de matériau destinés à éviter les collisions avec des micro-météorites, énergies sexuelles lorsqu’il compare la fusée au phallus de l’Américain moyen et la capsule à sa semence…

La physique était une étude de l’ordre, du raffinement, de la splendeur et du stupéfiant mystère des lois qui régissaient la nature, une contemplation des forces qui l’animaient ; la construction mécanique c’était l’immersion dans le coefficient de glissement de l’adhésif appliqué à l’écrou qui maintenait le boulon d’un dix millionième de la conception totale incarnée dans une machine, cette conception tracée tout d’abord au tableau noir par un physicien. D’un coup de craie ! « Ici, nous aurons l’interface. Les étages se sépareront. » La physique était donc l’amour et la construction mécanique le mariage. La physique, c’était le sexe, la conception et la communion de la famille ; la construction mécanique c’était faire sortir les œufs à temps. La physique c’était remarquer tranquillement : « Donnez à un objet une vitesse de onze kilomètres par seconde et il parviendra à échapper au champ d’attraction de la Terre. » La construction mécanique, c’était les cinquante ans de fusées creusant des sillons dans les champs de maïs et prenant feu sur leur aire de lancement à cause des soupapes qui n’étaient pas étanches. La construction mécanique, c’était les cinq cent mille hommes qui avaient brûlé leur libido et trimé pendant des années comme des esclaves pour rassembler un effort collectif suffisant pour amener un vaisseau spatial pesant deux mille neuf cents tonnes à se soulever et à acquérir une vitesse assez grande pour échapper aux deux mille neuf cents tonnes d’attraction que le champ de gravitation de la Terre faisaient peser sur cet astronef.
Mais mieux que partout ailleurs, Mailer joue son rôle de gêneur, de trublion en jetant sur le pauvre Armstrong son voile noir et pourfend à coup de sarcasmes. Avec de longues phrases et cette souplesse dans les mots et leur articulation, il démonte à l’époque déjà le rêve américain du banlieusard classe moyenne dans son souhait de standardisation. Un grand moment.
La maison des Armstrong était modeste, avec un toit pointu de bardeaux bruns. C’était une maison comme on en trouvait un demi-million d’autres dans les banlieues, combinant le style moderne et le style traditionnel tout neuf. On y percevait des traces de l’auberge de campagne anglaise, avec de petites fenêtres et de longues avancées. La maison pourtant était située dans une rue dont la courbe ne devait rien aux déambulations d’une vache mais aux indices favorables sur des tableaux montrant le rapport entre le revenu et le prix de revient pour des lotissements à rues droites. El Lago — c’était le nom de cette banlieue, comme d’autres s’appelaient Kingston, Timber Cove et Nassau Bay — était un tranquille échiquier de petites avenues aux virages soigneusement calculés qui coupaient suivant des angles droits raisonnablement approximatifs d’autres avenues pavées, une impasse par-ci par là, une rue qui décrivait un cercle complet. L’ordinateur de l’agence immobilière qui avait fourni le plan, dans sa sage façon de distribuer suivant un savant hasard la courbure des allées, avait conçu la logique de cet ensemble avec un tel souci de prendre en considération la variété des souhaits exprimés par les groupes de clients-résidents situés à ce niveau précis de revenus-pouvoir d’achat, que l’effet général — quel coup pour la bonne volonté de l’architecte qui avait décidé sans doute pour une fois : faisons quelque chose de mieux ! — était aussi agréable et stérile pour l’œil qu’un living-room modèle de grand magasin pour jeunes mariés achetant à crédit avec un budget moyennement élevé.

Photo © Chris Gulker
Maintenant, je me demande simplement ce que je vais lire…
Bivouac sur la lune, Norman Mailer,
Edition Robert Laffont, collection Pavillons poche.
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Sep 18, 2009 | Livres et carnets |
La lune, les USA, la mission Apollo, les astronautes, l’espace ; autant de sujets auxquels je ne me suis jamais de près ou de loin intéressé. Pourtant cet été, à la librairie des Pertuis, mon œil a été attiré par un couverture pour le moins originale, et sans le savoir, j’allais verser dans une aventure qui me dépasse complètement et qui eut lieu cinq ans avant que je ne vienne au monde. J’ai découvert le livre de Johan Harstad, Buzz Aldrin, où es-tu donc passé ? et attiré par le petit personnage en pâte à modeler, j’ai poursuivi en lisant la quatrième de couv’ et j’ai fini par acheter le livre.

Quelques jours plus tard, à la librairie Gwalarn — mes vacances ressemblent finalement à une pèlerinage dans les librairies de France —, je tombe sur un livre de Norman Mailer, le chant du bourreau, plus de 1100 pages, un pavé énorme, peu digeste tandis que le soleil resplendit dehors. Je le repose et trouve un peu plus loin un autre livre de Mailer, Bivouac sur la lune, je lis la quatrième de couv’ et je suis conquis. J’achète le livre. Ce n’est qu’une fois chez moi que je comprends pourquoi les deux couvertures m’ont titillées.

Pourquoi deux maisons d’édition ont-elles utilisé la même image (à peu de choses près) ? Un mystère aussi profond pour moi que ceux de la lune. Alors je me plonge dans le livre de Mailer, auteur mythique dont j’ai souvent confondu le nom avec celui de Henry Miller, et d’Arthur Miller aussi, et que je m’étais promis de lire un jour. Je découvre tout, le Capcom, Houston, Neil Armstrong, Buzz Aldrin et Michael Collins (je ne connaissais même pas ce nom), Apollo XI (il y a en a eu d’autres avant, mais d’autres après également), Saturn V, le LM…
Je découvre des univers, un passé pas si lointain, 40 ans derrière et j’exulte face à l’écriture que je qualifierais de volcanique de Mailer ; riche, abondante, colorée, chaleureuse. Devant mon ignorance, je cherche à savoir à quoi ressemblent les deux hommes qui ont marché sur la lune et le troisième homme, celui dont on dira « la personne la plus solitaire sur et en dehors de la planète » — quand le module de commande volait au-dessus de la face opposée de la Lune, il était à au moins 3 200 kilomètres de ses collègues astronautes, et à plus de 350 000 kilomètres du reste de la population terrestre. (Wikipedia) Je trouve ces deux photographies.

En combinaison spatiale légère (la version lourde pèse 82 kg), les trois hommes ont chacun une expression différente et sur ce cliché comme sur l’autre, Armstrong (le Armstrong, le commandant de l’équipe) a l’air parfaitement abruti (c’est mon ressenti immédiat), un bon gars du Middle West, gentil, mais pas très finaud. Aldrin, lui, c’est l’effacement, la chambre stérile, rien ne passe, rien ne transpire. Collins, lui, est debout. Pourtant, c’est le troisième homme, on le croirait le plus important de la mission, il tient son casque à deux mains et a l’air pénétré, sincère. C’est ma première opinion.

Même photo, pas de casques, les mains pendant mollement sur les cuisses comme d’encombrants appendices, je trouve ça fascinant. Collins, lui, sait poser avec ces mains, qu’il a jointes. Armstrong me fait penser à un crapaud. Le regard d’Aldrin a dévié de quelques degrés, sinon c’est le même.
Immédiatement, je me prends d’affection pour Collins qui m’a l’air d’être un type sympa. Je fais bien, je suis parti pour les suivre pendant plus de 600 pages. Sur cette photo encore, on voit les trois hommes encadrant l’autre abruti. Collins à gauche, W., Armstrong puis Aldrin (chirurgie esthétique ?). Collins n’est plus au milieu, forcément, mais à gauche et même là, c’est lui qui a la silhouette la plus harmonieuse, le costume le mieux taillé, le plus beau maintien et comme par un fait du hasard, il est nimbé d’un halo de lumière provenant de la fenêtre derrière lui. Je reviendrai sur l’œuvre elle-même, mais à présent, je m’intéresse à Collins, dont le destin aura été quelque peu frustrant.
Ça ne devait pas être facile d’avoir attendu si longtemps pour si peu. Mais Collins réagit en souriant et dit : « Ma femme et mes enfants ont signé une déclaration d’après laquelle ils ne sont pas porteurs de germes et… en effet ce sera le dernier week-end que nous passerons chez nous avec nos familles. » Ce n’était pas une plaisanterie à se rouler par terre, mais la conférence de presse n’avait guère été amusante non plus et on vit les visages s’éclairer parmi les journalistes, ils se mirent à rire. Collins, prompt à ne pas vexer l’homme qui avait posé la question, ajouta alors : « Sérieusement, on ne prend aucune précaution particulière.»
Il s’exprimait avec aisance. On sentait parfaitement que des trois, c’était le seul avec qui on pouvait prendre un verre agréablement. Comme la possibilité de prendre un verre avec le sujet de votre reportage est tout aussi important pour un journaliste que le poids de son marteau pour un charpentier, un sentiment de consternation traversa les journalistes rassemblés : pourquoi la NASA n’avait-elle pas eu suffisamment le sens des relations publiques pour en charger Collins ? Quelle joie ç’aurait été de couvrir cet alunissage avec un homme qui donne des chiffres précis, au lieu d’être obligé d’avoir à faire à Armstrong qui lâchait des mots à peu près aussi volontiers qu’un limier se laisse arracher un quartier de viande d’entre les dents. Collins aurait été parfait. Outre son air, son aisance évidente en face d’un martini, il avait la sveltesse, le front chauve et les traits sans complication d’un boxeur de collège, d’un joueur de base-ball ou d’un demi de mêlée. […] Le regarder, l’entendre, c’était déjà de la copie, et Armstrong avait l’air triste et esseulé d’un coureur de cross-country. Bien sûr, puisqu’il avait également l’air furtif et réservé d’un homme dont, peut-être, on ne lira jamais les pensées — quelle bénédiction pour la presse ! — on pouvait, si on se représentait Armstrong comme un athlète, l’imaginer jouer troisième ligne. Il pourrait ainsi, avec son maintien furtif et réservé, être difficile à suivre dans les passes.
L’intérêt de l’histoire cependant résidait dans les deux hommes qui allaient se poser sur la Lune — il ne pouvait résider nulle part ailleurs — mais comme Collins avec quelques sourires et une remarque ou deux était devenu le favori de la presse,vers la fin de l’interview on lui posa une question, puis une autre. Enfin la vraie question arriva.
« Colonel Collins, pour des gens qui ne sont pas des astronautes, vous semblez avoir la tâche la plus ingrate de toute la mission en n’allant pas jusqu’au bout. Qu’est ce que vous en pensez ? » La contradiction implicite dans le fait d’être un astronaute était précisément là, comme piquée sur une brochette. S’ils étaient des astronautes, ils étaient des hommes qui travaillaient pour l’équipe, mais aucun homme ne devenait astronaute s’il n’était pas assez exceptionnel pour nourrir parfois le soupçon qu’il pourrait bien être le meilleur de tous. Personne ne gagne au handball s’il n’est déterminé à l’emporter.
Mailer décrit Armstrong comme un type très intelligent, dont la vie est toute entière tournée vers le vol, mais aussi gai que la surface aluminisée d’un casque lunaire. Aldrin, lui, c’est le cérébral, l’homme-machine, le rationaliste, la calculatrice de poche encombrante, presbytérien, mystique, obscur, contradictoire et sans grande fantaisie. Michael Collins lui, apparait comme le type sympa qui balance quelques bons mots dans les conférence de presse chiantes comme la pluie, pendant lesquelles Armstrong est monopolisé par les questions, dont les réponses sont entrecoupées de silences astronomiques et de parasites comme au milieu d’une conversation avec Capcom.
Mailer nous présente Collins comme l’homme fort de la mission, derrière l’ingratitude de sa position.
Mais c’est Collins qui s’est chargé des trois quarts des communications avec la Terre. Le module de commande c’était son fief. S’il ne devait pas se poser sur la Lune, c’était quand même lui qui pilotait le module. Alors qu’Armstrong était le commandant et techniquement son supérieur, il avait exercé très discrètement son autorité. C’était Collins qui avait assuré le contact avec le Capcom, Collins qui faisait les plaisanteries, échangeait les reparties, manifestait son inquiétude à propos de l’équipement, réclamait de nouveaux changements, proposait des comparaisons pour ce qui touchait au ménage d’Apollo XI, faisait des commentaires sur la qualité de la nourriture et se préoccupait de chaque détail. Il était comme un acteur qui a toutes les premières scènes de la pièce et qui pourtant est condamné dans son rôle, car il n’est pas dans les grandes scènes à venir et elles seront si grandes que ses scènes à lui seront nécessairement noyées dans leur sillage : un acteur ambitieux dans de telles circonstances travaille plus dur, comme si les émotions accumulées par sa présence risquaient de faire intrusion dans les résultats.
Mais Armstrong était resté pratiquement muet. Bien décrit par la presse qui soulignait ses silences, son air esseulé, son désir d’avoir la paix, Armstrong donnait l’impression d’attirer le silence autour de lui, même dans le module de commande, où il regardait par son hublot durant des heures, ou pendant les minutes qui allaient faire des heures dans les pauses entre les diverses corvées du long voyage vers la Lune.

Cette photo rétablit un peu tout ce que j’ai pu dire sur les trois hommes, lisse leur visage, et leur réputation… Pour l’anecdote, c’est Michael Collins qui a dessiné le logo de la mission.
Mailer, qui était ingénieur en aéronautique a réussi le pari de me passionner pour un sujet qui en apparence n’avait vraiment rien de séduisant pour moi. Et pourtant, je me suis retrouvé complètement immergé dans cette folle équipée, qu’elle soit un mythe ou non ; la démesure des moyens suffit à elle seule à captiver.
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