Conversation intime avec mon couloir aérien
Conversation intime
avec mon couloir aérien
Ce n’est un secret pour personne ; j’adore les avions. Mais qui dit avions, dit aussi aéroport, car même s’ils restent souvent peu de temps au sol, ils ont tout de même besoin de se poser de temps en temps, un peu comme les albatros. Et qui dit aéroport, dit couloir aérien. On appelle couloir aérien (en termes techniques AWY, abréviation de airway) une voie qu’empruntent les avions pour atterrir ou décoller.
Étant donné que la piste a une certaine orientation, qu’elle est difficilement modifiable, que l’installation qu’on appelle aéroport est difficilement transportable… comment dire… il faut bien faire avec.
En réalité, je suis un peu exaspéré contre ceux qui s’élèvent contre les nuisances aériennes, à plusieurs titres. En effet, il existe une carte stratégique des nuisances sonores, disponible sur le site bruitparif.fr, carte qui désigne le niveau des nuisances ; qu’on soit d’accord ou pas avec son tracé, ses contours, sa pertinence, elle a le mérite d’exister et il faut savoir que de cette carte découlent un certain nombre de mesures pour améliorer la qualité de vie, comme des aides à l’insonorisation de l’habitat, ou pas. Il existe aussi des associations, comme l’Advocnar, des porte-étendards de la lutte contre les nuisances aériennes, des gens qui ont visiblement le soutien des élus. Sur leur site internet, pas un nom (juste des “responsables d’antennes”), pas un mot sur qui sont ces personnes, pas de président, pas de membres, pas de conseil d’administration et la page des mentions légales est vide… Son existence depuis 1986 pose question. Et de ces gens, certains habitent dans la même ville que moi.
J’habite dans une petite ville de 8408 habitants au dernier recensement, et dont la densité de population est exactement de 3161 habitants au km², ville qui a l’avantage et l’inconvénient de se trouver en plein dans le couloir aérien. Concrètement, cela signifie que des avions passent à une certaine altitude (dire qu’ils passent trop bas serait exagéré et dire qu’ils font trop de bruit relève d’ores et déjà d’un point de vue totalement subjectif), à une fréquence d’un avion toutes les deux ou trois minutes pendant les heures de pointe (et non pas 50 secondes comme je l’ai lu, ce qui pour des raisons de sécurité est impossible à l’atterrissage et encore moins au décollage) et que la piste d’atterrissage se trouve très exactement à trois minutes d’ici. Bien.
Puisque le sujet m’intéresse, je lis parfois des sujets, des forums, où l’on peut voir les gens écrire pour râler, se plaindre, dire que rien ne va dans ce monde pourri et surtout qu’ils en ont marre de vivre ici et qu’ils vont finir par tous aller vivre à la campagne… Et puis rappelons tout de même qu’en France, il est plus normal d’être viscéralement contre, que fermement pour…
Un exemple : Je n’en peux plus du trafic incessant jour et nuit. Il n’y a que très peu d’atterrissages de nuit, quelques départs seulement avec une configuration vent arrière et des pilotes expérimentés qui poussent leur bécane pour réduire l’impact sonore. Et j’ajoute que si vous avez commandé un Thermomix sur Amazon, il y a de fortes chances qu’il se trouve à bord d’un de ces oiseaux de nuit, qu’il vous soit livré par Fedex ou TNT.
Autre exemple : Venez dans mon jardin et vous verrez si aucun avion ne passe par ici ! Quelqu’un a dit qu’aucun avion ne passait par ici ? Qui est l’imbécile qui a dit ça ? On nous aurait menti ? Cela voudrait dire que les avions qui atterrissent à Roissy ne passent pas par le couloir aérien ?
Encore un petit pour la route : Les avions volent trop bas ! Comment vous dire cher Monsieur, que pour atterrir, les avions ne peuvent pas descendre d’un seul coup vers la piste d’atterrissage et que tout ceci se fait progressivement… et surtout que la vitesse et la longueur de l’atterrissage dépendent de la longueur de la piste.
Je crois que ce qui m’exaspère le plus, c’est cette exagération presque maladive qui consiste à dire où on habite et qu’en ce qui ME concerne, c’est une véritable autoroute qui nous passe au-dessus de la tête, que la nuit il est impossible de dormir la fenêtre ouverte (encore une fois, peu d’avions la nuit, et puis dormir la fenêtre fermée est l’assurance de ne pas faire entrer les moustiques) et que la journée on ne peut pas profiter de son jardin (en dehors de l’été, ce n’est pas vraiment un sujet). Personnellement, je n’ai aucun mal à faire une sieste dans mon jardin quand il faut chaud, même avec les avions qui passent au-dessus de ma tête.
Pour être tout à fait honnête, je suis beaucoup plus dérangé par le raffut des voisins qui bricolent, le vacarme des familles des pensionnaires de la maison de retraite d’en face qui se croient à Disneyland quand ils viennent voir Pépé, dont les enfants crient sur la balançoire qui grince et par le best-of des années 80 qu’on passe à fond les manettes les jours de fêtes, le bruit des voitures qui accélèrent avant le rond-point, des motos qui passent à 90km/h dans ma rue avec un niveau sonore approchant celui d’un avion au décollage. Pour le coup, ça c’est un vrai sujet dont les municipalités feraient bien de s’emparer, pour des questions de sécurité (une fillette est morte, percutée par une voiture qui se croyait sur le circuit de Magny-Cours, juste au bout de ma rue), de nuisances sonores de proximité, plus que de ce qui se passe en l’air et qui n’est à mon sens que de la râlerie à la Française, une manière de s’occuper l’esprit quand on n’a pas grand-chose d’autre à faire, et puis j’aimerais savoir comment se comportent ces gens lorsqu’ils sont amenés eux-mêmes à prendre l’avion ? Sont-ils aussi ronchons ? Ou alors se rendent-ils simplement à Nice ou à l’Île Maurice la bouche en cœur ?
Allons, un peu d’honnêteté intellectuelle, nous n’avons pas le déplaisir d’habiter Goussainville ou Sarcelles, qui elles sont des villes, pour le coup, réellement exposées ; il y a des nuisances bien pire que celles-ci. Et puis on pourrait toujours déplacer l’aéroport qu’il y aurait toujours des mécontents, parce que nous habitons un pays pas très grand où une certaine proximité avec les équipements est un luxe et dans lequel ceux qui veulent avoir la paix peuvent se payer le privilège d’aller repeupler les campagnes. Nous n’habitons pas non plus Aubervilliers, ni Paris, avec cette incompréhensible promiscuité et cette insupportable pollution. J’ai la chance d’habiter en banlieue, pas suffisamment près de Paris pour en subir les inconvénients, pas suffisamment loin pour tout avoir à proximité.
Pour ma part, je sais que, en tant qu’amoureux des avions, j’ai encore devant moi de longues après-midi bercées par le ronron des moteurs et de leur bruit si caractéristique quand ils remettent les gaz pour relever un peu l’appareil à l’approche de la piste. J’ai encore devant moi de longues siestes pendant lesquelles je pourrais m’exercer à reconnaître les modèles et le nom des compagnies inscrites sur leur ventre. Je pourrais continuer à imaginer des gens revenir de pays où je ne suis jamais allé, d’autres qui sont allés dans des pays que je connais, et je pourrais continuer à imaginer l’odeur de ces pays charriée par ces grands oiseaux métalliques dont le vol n’est possible que grâce au périlleux équilibre de trois notions de physique aérodynamique ; la poussée, la portance et la trainée. Que faire d’autre que de rester bouche bée devant les A380 de la Singapore Airlines ou de la Thaï Airways qui se suivent de quelques minutes et qui se posent après onze heures de vol, dans la lumière orangée des matinées d’été ?
Même avec une petite dose de mauvaise foi qui ne m’empêche pas de camper sur mes positions, je me contrecarre de ne pas me faire d’amis sur ce sujet. J’aime les avions et j’aime mon couloir aérien… Bon vol !