Étrangement, certaines œuvres d’artistes mal renseignés véhiculent parfois des images qui ont la peau dure et traversent les siècles, comme si de rien n’était, jusqu’à pénétrer profondément les croyances. Ainsi, le tableau du peintre académique Jean-Léon Gérome Pollice verso a‑t-il propagé l’idée fausse que la fin du combat entre le gladiateur et le rétiaire se terminait par le « pouce levé » ou le « pouce baissé » qui décidait la vie de l’un ou l’autre. Ce tableau, au demeurant quelque peu médiocre, aura finalement eu une grande histoire, puisqu’il a également donné son nom à ce style de l’école académique qu’on appelait pompier.
L’application du mot « pompier » à l’art académique, apparue au XIXe siècle (1888 d’après le Robert) pour le tourner en dérision, est sans doute une allusion aux casques brillants de certains personnages des grandes compositions de l’époque, qui rappelaient ceux des sapeurs-pompiers. (Wikipedia)
Même si, on le sait, Gérome était un fin documentaliste et peignait avec un réel souci de réalisme historique puisqu’on le voit sur le tableau, il a reproduit avec exactitude la place du velarium (toile tendue pour protéger du soleil et de la pluie) ainsi que la fonction des vestales à la gauche du César, malgré ces exactitudes, son interprétation de la fonction du pouce dans le message à faire passer est fausse.
Premièrement, il parait absolument faux que l’un ou l’autre des combattants mourait forcément à l’issue du combat. La formation des gladiateurs et des rétiaires était longue et pénible et il semble également que le nombre de candidats n’était pas si élevé que ça. Il fallait donc préserver les effectifs.
Écoutons Eric Teyssier de l’Université de Nîmes sur le blog Tintin au pays des Soviets.
Se basant sur une réelle connaissance des sources mais en leur donnant une mauvaise interprétation, Gérôme crée aussi ce geste célèbre du pouce retourné, geste rapidement jugé suffisamment spectaculaire pour qu’il soit repris dans le péplum italien « Quo vadis » en 1912. […] Mais que disent les sources antiques de ce fameux geste ? En fait, deux textes seulement l’évoquent. […] ces deux témoignages ne traitent pas directement des gladiateurs mais veulent dénoncer, à travers l’instant crucial de la mort du vaincu, certains contemporains qui la réclament. […] La nature exacte du fameux geste fatal est bien fondée sur une seule et unique référence littéraire qui, comme le montre brillamment Michel Dubuisson, a sans doute été mal comprise. « Le vertere de Juvenal, que Prudence jugeait déjà utile de préciser en convertere, est loin d’avoir toujours été interprété de cette façon-là. Pour les commentateurs du début de l’avant dernier siècle, il allait de soi, au contraire, que pollice verso signifiait ici « pouce tendu vers » un objet (en l’occurrence la propre poitrine de celui qui fait le geste) […] il n’y a donc aucune raison de supposer que ce même verbe, employé absolument, se mette soudain à désigner une direction de haut en bas. Pollice verso ne pourrait dès lors signifier que « pouce tourné vers, tendu ». » Ainsi, le geste de la mort, si important dans l’imagerie d’Epinal de la gladiature, repose sur de bien faibles indices. Si le signe fatal ordinairement admis peut légitimement être mis en doute, il en va de même du signe opposé. En effet, le geste du pouce levé vers le haut, censé accorder la grâce au vaincu, est une spéculation purement moderne. Ce geste n’est attesté par aucune source ancienne, ni littéraire ni iconographique.
Pollice verso signifierait donc pouce tendu vers et non pouce à l’envers. Il est au contraire aujourd’hui reconnu par les spécialistes que le pouce tendu vers la poitrine et non vers le haut, signifie que le vainqueur doit frapper son adversaire au cœur, tandis que le pouce vers le bas signifie que le vainqueur doit baisser les armes, au vu du mérite de son adversaire vaincu.
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C’est vrai que leurs casques ressemblent à ceux que portent les sapeurs-pompiers parisiens, je n’y avais jamais porté attention.
Et là j’ai des images de Peter Ustinov en Néron, pouce tourné vers le bas. Mince alors, un mythe s’écroule.
Je suis intriguée par le “drapeau” qui est accroché juste en dessous de César. Il a quelque chose de japonisant. Très étrange.
J’ai essayé aussi de trouver une référence à cet oiseau qui semble être un corbeau, mais sans succès. Je n’ai trouvé que ça : http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0039/m063804_0000113_p.jpg. Etrange
Bonjour, j’ai lu avec plaisir votre article qui m’a appris beaucoup de choses sur ce tableau. Merci. En revanche j’ai été choqué de votre jugement du tableau. L’adjectif “médiocre” me semble beaucoup trop fort, quelque soit votre opinion sur la toile. C’est tout de même une peinture faite avec adresse que très peu de peintre contemporains seraient capables de reproduire. Les adjectifs “moyen”, “de qualité discutable”, “maladroit”… conviendraient mieux pour faire passer votre avis.
Bonnes continuations
Vous avez parfaitement raison Cédric, je me suis certainement laissé emporter. Peindre un tel tableau nécessite une adresse et une technique que peu d’entre nous maîtrisent. Ce tableau n’est pas ma tasse de thé et je ne l’accrocherais pas dans mon salon 🙂 malgré de grandes qualités picturales (Fabienne, au secours, je vieillis !!). Au plaisir Cédric, vous êtes ici le bienvenu…