Ne vous est-il jamais arrivé de rencontrer une peinture qui vous trouble à ce point que vous n’arriviez pas à chasser l’image de votre mémoire ? Ne vous est-il jamais arrivé d’être à ce point troublé par le visage d’une femme que vous n’auriez jamais pu connaître puisqu’elle est morte il y a des centaines d’années, éloignée de vous par un gouffre d’intemporalité, mais que vous vous disiez tout de même que vous auriez aimé la connaître ? C’est à peu près l’impression que j’ai eu la première fois que j’ai vu ce visage peint exhumé du Fayoum.
Ce portrait a été exécuté aux alentours de 161–180 après J.-C. dans la région de Thèbes en Égypte, et manifeste d’un art évolué, par un peuple qui avait un haut niveau d’alphabétisation et dont on sait également que ces portraits étaient réalisées du vivant des personnes. Ce sont des témoignages d’une période à cheval entre le déclin de l’Égypte pharaonique, l’Empire Romain, la peinture byzantine et l’influence de l’art copte.
Le portrait de cette femme en particulier (mais il en existe plus de mille) porte sur lui l’invention de la peinture de chevalet (c’est-à-dire qui n’est pas peinte à fresque) et les débuts d’un pointillisme d’avant-garde. Évidemment, parler de pointillisme est un anachronisme parfait qui ne fait que souligner le fait que la peinture byzantine contemporaine de cet art était une peinture beaucoup plus lisse, beaucoup moins picturale. Ces portraits étaient destinés à orner la partie supérieure des sarcophages, comme dans un acte d’identitarisation face à la mort.
Regardons ce visage et le traitement pictural : les boucles d’oreilles sont traitées avec de simples touches de peinture au pinceau écrasé, le modelé des joues avec une palette assez riche : ocre rouge, ocre jaune, rose chair et rehauts de blanc pour marquer le volume. La bouche est peinte en à‑plat rehaussé de jaune, respectant ainsi les valeurs de la lumière.
Les yeux sont fardés, cils et sourcils traités grossièrement par des traits de pinceaux, les creux délimités par des ocres rouges. Le modelé du front est tapoté par touches de peintures sur un glacis et le blanc des yeux est réalisé de telle sorte qu’on en saisisse bien l’humidité. On peut voir aussi que la lumière est traitée comme une lumière d’atelier, vive, venant de la gauche et blanche, crue.
Mais l’exécution ne fait pas tout, ni même son extrême modernité, ni son avant-gardisme…
Ce qui est le plus saisissant, c’est cette position où l’on peut voir ce buste légèrement tourné avec l’épaule droite en avant et ce regard, ce regard terriblement absent et triste très légèrement incliné vers le bas. Non, cette femme ne regarde pas celui qui le peint, ce qui lui confère un regard un peu mélancolique, comme si le fait de savoir qu’on la peignait pour sa prochaine demeure la rendait univoquement consciente de son sort.
Qui qu’elle soit, son visage retient l’attention car elle est très belle et le fait que son image ait persisté au travers des siècles la rend encore plus présente et charmante…
Ce portrait est conservé au Louvre.
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