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Dès mon arrivée, j’ai l’impression d’arriver dans un autre monde. Un personnage campe fermement sur le quai de la gare, le regard sévère, les pieds solidement ancrés sur le sol, les bras croisés. C’est comme un rappel qu’ici encore, la vie est rythmée par la religion…
Je jette un coup d’œil à l’architecture un rien futuriste de l’édifice qui date de 1934 et je me vois projeté des années en arrière, lorsque nous sommes arrivés avec notre petit groupe dans cette même gare, au même endroit. J’avais simplement 20 ans de moins.
En sortant du bâtiment, on se trouve nez à nez avec la très majestueuse église Santa Maria Novella dans laquelle se trouvent de petits trésors de la peinture renaissante. Pour l’instant, l’heure est à la prise de pouvoir, je veux aller déposer ma valise à l’hôtel. Il se trouve à deux pas de la gare dans une ruelle interdite à la circulation, la via Faenza.
Sur un mur, quelqu’un me demande si je vis bien. Oui, tout se passe bien pour l’instant, merci.
C’est un petit hôtel tenu par une famille dans une de ces maisons nobles à la décoration à la fois somptueuse et austère, avec des plafonds très hauts, caissonnés, et des boiseries cirées ou peintes de couleurs sombres. Je prends possession de la chambre, simplissime, au bout du couloir. Haute de plafond elle aussi, on dirait une cellule de moine donnant sur une courette ensoleillée. J’en tombe amoureux, mais je me dis que je vais passer tellement peu de temps ici que je n’aurais même pas le temps de m’y installer. L’hôtellerie est tellement chère et surtout tellement inégale en qualité que je suis content d’être arrivé ici et d’avoir une belle chambre. Le type de la réception est adorable, il s’appelle Silvio, porte une veste en velours rouge et un gilet bleu en-dessous, porte également une barbe peu épaisse et adresse un sourire plein de belles dents. Malgré son jeune âge, il commence à se dégarnir, ce qui lui confère un certain charme. Il s’excuse de ne pas parler français (on croit rêver) et veut parler anglais, mais il cherche ses mots, alors je lui dit d’arrêter et qu’il parle en italien, lentement et ce sera parfait. Gentiment, il entoure sur un plan de la ville ce qu’il y a à voir, mais il ne sait pas que je suis têtu et que je n’irai que là où me portent mes jambes. Les ronds qu’il trace m’évoquent de bons souvenirs… San Marco, Santa Croce, Uffizi… Cela m’évoque des images de mes camarades de l’époque, le parfum Chanel n°5 de ma prof d’anglais, la moustache mal taillée de mon prof de dessin s’extasiant devant la Naissance de Vénus de Botticelli, les bouclettes de Faustine, les grands yeux clairs de Julie, les beaux cheveux blonds de Véronique…
Dans la via Faenza, on est tout de suite plongé dans l’ambiance de cette Italie riche et vivante. On y voit des scooters garés n’importe comment, de grandes bâtisses aux fenêtres hors de portée, des boîtes aux lettres hors d’âge en marbre percées dans le bâti, des plaques indiquant le niveau de l’eau atteint par la crue de l’Arno en 1966 un peu partout dans la ville… Un peu plus loin on trouve la toute petite Chiesa di San Jacopo in Campo Corbolini que je n’aurais pas l’occasion de voire ouverte, et presque en face une échoppe qui n’est autre qu’un kebap. Moi qui revient d’Istanbul, je ne me sens pas dépaysé. Un kebap hallal en plus… On ne sait plus à partir de quand commence le dépaysement.
Dans toute la ville aussi, je trouverai des tuyaux de gouttières qui entrent dans les murs en se tortillant dans une sorte de serpentin qui doit avoir pour fonction de freiner l’eau qui peut tomber d’une hauteur assez impressionnante. Enfin j’imagine, je ne sais pas. Je ne fais qu’imaginer.
A un croisement de rues, je tombe sur un grand bâtiment de forme hexagonale surplombé par un dôme et sur la façade duquel sont creusées des ouvertures aveugles et cadrées de marbres. Je ne me rappelle absolument pas avoir déjà vu ça. Je suis en fait derrière la basilique San Lorenzo, au pied de la Chapelle des Princes que je visiterai un peu plus tard. On y trouve là de véritables trésors dont je n’avais même pas idée. La via Faenza donne dans une artère plus grande qui s’appelle Via de’ Cerretani et depuis laquelle on peut admirer une partie de la façade du très célèbre Duomo (qui n’est que l’église de cette ensemble tripartite qu’on appelle Santa Maria del Fiore, soit Sainte Marie de la fleur). A l’heure à laquelle je suis arrivé, la lumière du soleil déjà déclinant frappait la façade ouest avec une telle intensité qu’on pourrait presque comprendre le sentiment religieux. L’immensité de cette église, la quatrième plus grand église du monde, toute parée de ses atours de marbres blancs, verts et roses est tellement imposante qu’on peut se sentir submergé par cette expression du sacré. La position de l’église sur une place qui semble presque être trop étroite pour ses murs massifs, la vie grouillante au pied de la façade, le baptistère déjà immense en soi et le campanile de Giotto, immense tour décollée de l’ensemble, la profusion de sculpture, la hauteur incroyable de cette croix perchée sur une boule dorée, elle-même perchée en haut de ce dôme recouvert de tuiles en terre cuite… tout ceci est étourdissant… Les portes du baptistère décorées de plaques de bronze, pour partie exécutées par Filippo Brunelleschi, pour partie par Lorenzo Ghiberti (les plus belles, ma foi) dont on peut voir l’autoportrait (audace suprême) éclatent dans la lumière du soir parmi les épisodes de l’Ancien Testament. Partout, ce n’est que débauche de mosaïques dorées entourant les nimbes des saints, mosaïques de bleus évoquant le ciel étoilé, mosaïques de marbre imbriquées donnant la sensation que partout fleurissent des fleurs dédiées à la Vierge.. Rien n’y fait, des années après, la sensation d’étourdissement est toujours là et m’emporte jusqu’à l’épuisement.
Je fais le tour de la cathédrale par derrière, par l’est, par là où la lumière du soleil n’arrive plus à pénétrer, il y fait presque froid dans les courants d’air des arrière-cours. En levant le nez, on peut voir des loggias sur les toits, dont une notamment, ornée d’un lion assis sur le bord d’un pilier. Sur le côté sud de la place, on peut voir une statue colossale de l’architecte de génie Brunelleschi qui fit de ce temple l’œuvre de sa vie. Dans les yeux de cet homme, le regard levé vers la pointe du dôme, on peut ressentir toute la passion, l’émotion d’un travail qui a dû éprouver ses nerfs pendant toute la construction. Un tel ouvrage n’est pas si évident à faire tenir. Lui-même semble ne pas en revenir…
Dans l’agitation de la fin de journée, on rencontre des religieuses voûtées, des prêtres tout droit sortis d’un film en technicolor portant le col blanc, qu’on appelle col romain, des carabinieri mal fagotés, des femmes en uniforme militaire, portant dague au flanc et aux fesses opulentes… la vie florentine d’une fin de journée tranquille, sous le feu d’un soleil doré.
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