Jean-Pierre Filiu a raison et personne ne doit perdre cela de vue : les destructions de Daech dans le musée de Mossoul ont deux vocations. La première est de générer un trafic d’œuvres d’art dont les recettes sont juteuses. La seconde est un outil de propagande. Voici ce qu’il dit dans une interview donnée à Libé :
Bien sûr, ces destructions font partie de leur propagande. Leur message est clair : «Regardez, quand des musulmans sont tués, personne ne bouge, il n’y a aucune réaction. Mais dès que l’on tue des otages occidentaux ou que l’on détruit des statues, tout le monde s’indigne.»
On s’indigne de la destruction de ces œuvres car les auteurs de ces crimes paraissent encore plus bestiaux que lorsqu’ils massacrent n’importe qui sans discernement. Dans cette niche se tapit notre impossibilité à réagir face à la plus sombre des tyrannies et c’est toute une chape de plomb qu’on fait couler sur les milliers de morts dont se rend coupable l’organisation islamique. Mais ce n’est pas pour autant qu’on doit fermer les yeux lorsque des êtres humains qui n’ont jamais mis les pieds dans un musée y pénètrent pour tout saccager. Personnellement, ce qui m’interroge, c’est cet élan qui rase tout sur son passage, qui n’a pour but que faire table rase du passé et extirper les populations de leurs repères, dans lequel on ne peut voir (en dehors de la plus crasse des imbécilités) que la volonté de domination des peuples. En rasant leur histoire, on rase leur passé et on modifie leur avenir. Les peuples n’ont plus vocation qu’à devenir les instruments de tarés congénitaux qui ne pensent qu’à dominer le monde par les armes, au nom d’un Dieu des écrits qu’ils n’ont peut-être fait qu’apprendre par cœur, sans discernement, sans critique. Mais une fois qu’on a dit ça, on n’a pas dit grand-chose.
Hier soir, je lisais un texte court de Simon Leys, paru dans le Magazine Littéraire (L’empire du laid, in Le bonheur des petits poissons) il y a une dizaine d’années et qui sous couvert d’être un tantinet humoristique m’a apporté un éclairage nouveau qui n’est peut-être pas loin de dire quelque chose de vrai, et de surprenant :
Les vrais philistins ne sont pas des gens incapables de reconnaître la beauté — ils ne la reconnaissent que trop bien, ils la détectent instantanément, et avec un flair aussi infaillible que celui de l’esthète le plus subtil, mais ce n’est pas pour pouvoir fondre immédiatement dessus de façon à l’étouffer avant qu’elle ait pu prendre pied dans leur universel empire de la laideur. Car l’ignorance, l’obscurantisme, le mauvais goût, ou la stupidité ne résultent pas de simples carences, ce sont autant de forces actives, qui s’affirment furieusement à chaque occasion, et ne tolèrent aucune dérogation à leur tyrannie. Le talent inspiré est toujours une insulte à la médiocrité. Et si cela est vrai dans l’ordre esthétique, ce l’est bien plus encore dans l’ordre moral. Plus que la beauté artistique, la beauté morale semble avoir le don d’exaspérer notre triste espèce. Le besoin de tout rabaisser à notre misérable niveau, de souiller, moquer, et dégrader tout ce qui nous domine de sa splendeur est probablement l’un des traits les plus désolants de la nature humaine.
Ce serait donc bien dans ce qui diffère des représentations de son propre obscurantisme que se cacherait cette navrante vague iconoclaste…
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Bonjour. Ce petit livre de Leys (Bonheur…) m’a été filé par un copain il y a 5 ans, et je le porte avec moi depuis. Justement ce paragraphe que vous citez est une des clefs pour comprendre un combat fondamental de notre société. L’adoration de la médiocrité. Si on parle de ça comme ça sans explication, on est, natürlich, traité d’élitaire… Bizarrement, il y a un autre petit livre qui m’accompagne depuis quelques temps aussi, car le sujet n’est pas loin non plus: du prof de philo à Princeton Harry Frankfurt. Le livre s’appelle “On Bullshit,” pas plus que 72 pages d’une description de ce qu’est la communication politique et publicitaire de nos jours, et du matériel que l’on trouve en vrac sur la toile.