Philippe Frey est un drôle de type. Docteur en ethnologie, blond comme un champ de blé au soleil de midi, la voix douce d’un conteur, passionné de déserts et des modes de vie nomades, il sert en quelques pages un petit livre mettant en scène quatre personnages replacés dans leur milieu naturel, ou au contraire qui se sont fondus dans le désert : Thomas Edward Lawrence, Shéhérazade, Charles Foucault et Antoine de Saint-Exupéry. Personnages réels ou fantomatiques, chacun à sa manière a eu maille à partir avec le désert et a subi son influence au cœur de sa vie.
Celui qu’on croit silencieux et lisse n’est qu’un monde sans humains, mais tout sauf un lieu sans rien…
Une heure avant l’aube, Dinarzade ma sœur, me réveille comme prévu.
Elle a veillé les yeux ouverts toute la nuit. Émoustillée certes par la vision de sa sœur faisant l’amour au sultan au début de la nuit. Mais très étrangement, sa présence ajoutait justement à la tension de la soirée. Car chacun, Shahriyar comme moi, était peut-être transporté par cette débauche d’étrangeté, de désir, de sourde angoisse qu’on pouvait sentir du seul fait de la présence de ma sœur. Un corps ne sécrète-t-il pas des milliards de substances qui appellent au désir ? Plus on sent cette envie d’amour chez un être, plus celui-ci devient attirant. Alors que celui qui n’est que beau et qui ne dégage rien, ne séduira personne.
Le désert catalyse ces envies et les fait rejaillir. Plus fortes que jamais ! Encore plus étrange : même seul dans un désert, on peut s’enivrer du vide comme du parfum d’une femme. Ce peut être la douceur d’un nuit comme celle-ci qui enjoint à s’y sentir bien. On caressera le sable doux avec ses doigts, les laissant courir sur sa tiédeur. On peut aussi laisser le souffle doux du vent caresser sa peau et, par les changements de température, le laisser vous faire frissonner… Ou au contraire, une chaleur torride obligera le corps à extraire de lui toutes ses ressources… et mêmes ses hormones de plaisir. Car si on souffre horriblement, c’est un peu une « sorte » de plaisir également. Sans une certaine dose de plaisir, on ne peut d’ailleurs probablement pas supporter la douleur. Ces sensations si opposées sont générées par les mêmes mécanismes. Simplement l’esprit l’ignore. La tête pense que la douleur est mauvaise. Et que le plaisir est bon.
L’essentiel est peut-être surtout d’avoir des sensations extrêmement fortes. Ne penses-tu pas ?
Le plus à craindre est d’en revenir, de souffrir de son absence, le manque terrible du désert connu comme un femme…
Retour sur terre au pays des hommes ! Si différents, mais justement si « humains » qu’ils en puent la sueur, le bouc et qu’ils en ont les mains rêches comme l’écorce d’un bout de bois.
Philippe Frey, Le petit roman du désert
Editions du Rocher