Cara­vage, que d’autres, moins intimes pré­fé­re­ront appe­ler par son vrai nom, Miche­lan­ge­lo Meri­si, a peint ce tableau aux alen­tours de 1602. De dimen­sions modestes (129 x 94 cm), l’œuvre a été com­man­dée par le riche Ciria­co Mat­tei et fait par­tie d’un ensemble de sept pein­tures repré­sen­tant Jean-Bap­tiste à dif­fé­rents moments de sa vie. Cer­tains d’entre eux sont consi­dé­rés comme ayant une ori­gine contro­ver­sée, n’é­tant peut-être pas peints par le maître lui-même. Le modèle est connu, c’est un jeune gar­çon du nom de Cec­co, qu’on retrouve dans plu­sieurs des toiles du peintre, comme par exemple le Bac­chus (1596) ou la voca­tion de Saint-Mat­thieu (ca. 1599).

Michelangelo Merisi da Caravaggio - le jeune Saint Jean-Baptiste au bélier - 1602 - 129 x 95 - Rome, Musei Capitolini, Pinacoteca

Miche­lan­ge­lo Meri­si da Cara­vag­gio — le jeune Saint Jean-Bap­tiste au bélier — 1602 — 129 x 95 — Rome, Musei Capi­to­li­ni, Pinacoteca

La licence artis­tique repré­sente sou­vent Jean-Bap­tiste avec ses deux attri­buts : la peau de bête et le bâton croi­sé, mais ici Cara­vage décide de retour­ner à la tra­di­tion du Livre en n’a­dop­tant pas la peau de mou­ton mais la peau de cha­meau. Quant au bâton croi­sé, il n’est pas pré­sent, ou plu­tôt il n’est qu’é­vo­qué au tra­vers d’un mor­ceau de bois gros­sier qu’on retrouve coin­cé sous le pied gauche du saint. C’est sur ces points qu’on peut dire que l’œuvre du Cara­vage n’est plus une œuvre sacrée, mais trans­ver­sale entre sacré et pro­fane. Ce qui frappe éga­le­ment, c’est que la repré­sen­ta­tion tra­di­tion­nelle de Jean-Bap­tiste le fait être accom­pa­gné d’un agneau, sym­bole du mar­tyre du Christ à venir, « l’a­gneau de Dieu » étant le sur­nom même de Jean-Bap­tiste. En l’oc­cur­rence, ce n’est pas un agneau mais bel et bien un bélier. On soup­çonne alors Cara­vage d’a­voir vou­lu faire un pont entre les deux tes­ta­ments avec l’é­vo­ca­tion du bélier du sacri­fice d’A­bra­ham. Ain­si, il rap­proche la figure du frère du Christ et Isaac, fils d’A­bra­ham. Mais le bélier porte en lui un autre sym­bole ; celui de la débauche. La posi­tion du jeune homme enla­çant cet ani­mal à la ver­tu dou­teuse peut être inter­pré­tée comme un sym­bole de luxure, bien loin du sacré sup­po­sé du thème pic­tu­ral. On peut arguer éga­le­ment que la pré­sence d’un bélier, le décor sombre mais buco­lique du fond du tableau, ain­si que la che­ve­lure hir­sute du per­son­nage fait plus pen­ser à une scène orgiaque de mytho­lo­gie qu’à une scène reli­gieuse. On se demande d’ailleurs pour­quoi on trouve un mor­ceau de tis­su blanc, peut-être un drap, inter­ca­lé entre son étole et son corps. La feuille de rai­sin est autant un sym­bole de sacri­fice, rap­pe­lant le rachat du pêché ori­gi­nel… que la vigne de Dio­ny­sos… Autant de petits indices qui laissent sup­po­ser qu’on n’est pas vrai­ment en pré­sence d’une œuvre rele­vant du sacré.

Michelangelo Merisi da Caravaggio le jeune Saint Jean-Baptiste au bélier (composition) - 1602 - 129x95 - Rome, Musei Capitolini, Pinacoteca

Miche­lan­ge­lo Meri­si da Cara­vag­gio le jeune Saint Jean-Bap­tiste au bélier (com­po­si­tion) — 1602 — 129x95 — Rome, Musei Capi­to­li­ni, Pinacoteca

En ce qui concerne la pein­ture elle-même, on remarque que la tableau se joue sur des lumières à la fois plus dif­fuses, moins tran­chées que dans cer­tains des plus grands tableaux de Cara­vage, comme jus­te­ment la voca­tion de Saint-Mat­thieu qui reste un chef-d’œuvre du clair-obs­cur. On reste ici sur une palette très orange, avec une étole cen­sée être rouge tirant sur le ver­millon, et une car­na­tion en lumière jaune. L’har­mo­nie de teinte reste très ser­rée entre la peau du Saint, la laine et les cornes de l’a­ni­mal, l’é­tole et le fond.

En ce qui concerne la com­po­si­tion, on peut déga­ger trois grandes lignes, des obliques par­tant du bas du côté gauche et qua­si­ment paral­lèle. La plus basse suit le mou­ve­ment de la jambe droite, la seconde le bas­sin et la cuisse gauche, et la plus haute le creux du bras gauche replié sur lequel il prend appui jus­qu’au bras droit enser­rant le col de l’a­ni­mal. Un autre grand ligne est une oblique par­tant du genou, remon­tant sur la hanche et enfin l’o­mo­plate. Le tout com­pose les lignes prin­ci­pales d’un hexa­gone central.

Une autre grande ligne sépare le tableau en deux, pas­sant par l’or­teil du saint, sa hanche et l’œil du bélier, une grande ligne direc­trice qui pose l’axe prin­ci­pal du sujet et une fois de plus fait prendre au bélier une place pri­mor­diale dans le sujet.

En ce qui concerne la posi­tion du sujet, on en retrouve trace dans une œuvre anté­rieure, pré­ci­sé­ment dans une des plus grandes œuvres de la chré­tien­té ; le pla­fond de la cha­pelle Six­tine peint par Miche­lan­ge­lo Buo­na­rot­ti, datant de 1509. La posi­tion du jeune Saint Jean-Bap­tiste est une cita­tion directe d’un des per­son­nages com­po­sant le groupe de la Sibylle d’E­ry­thrée, un ignu­do (nu). Ce per­son­nage, repré­sen­té ci-des­sous, pos­sède une mus­cu­la­ture puis­sante, comme presque tous les per­son­nages de cette fresque, mais il a en plus subi une rec­ti­fi­ca­tion, une dimi­nu­tion du volume de son bras droit. On observe que celui-ci est repré­sen­té dans une posi­tion par­fai­te­ment impro­bable ; la tor­sion entre ses hanches et ses épaules ne pro­duit pas de tor­sion des muscles du buste et des abdo­mi­naux.  On sait que Michel-Ange avait pris le par­ti de peindre ces per­son­nages comme des figures idéales. Cara­vage, lui, prô­nait une bonne pein­ture qui imite la nature, une repro­duc­tion fidèle et non pas une idéa­li­sa­tion de la forme. Ain­si, cette scène est-elle cer­tai­ne­ment un pied-de-nez à Michel-Ange plu­tôt qu’une cita­tion directe en forme d’hom­mage, sen­ti­ment ren­for­cé par le sou­rire nar­quois et le regard fron­tal (pour ne pas dire effron­té) du modèle, qui semble comme se moquer du peintre de la cha­pelle Sixtine.

Michelangelo Buonarotti - Ignudo - Chapelle Sixtine - 1509 - 756x1180

Miche­lan­ge­lo Buo­na­rot­ti — Ignu­do — Cha­pelle Six­tine — 1509 — 756 x 1180

Cet ignu­do se situe très exac­te­ment entre les scènes de Noé ren­dant grâce à Dieu et le Déluge, dans le pre­mier quart gauche du plafond.

Michelangelo Buonarotti - Chapelle Sixtine - Plafond - 1509

Miche­lan­ge­lo Buo­na­rot­ti — Cha­pelle Six­tine — Pla­fond — 1509

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