Au cœur de dépar­te­ment du Lot se trouve un des sites de France les plus visi­tés avec le Mont Saint-Michel et la Tour Eif­fel. La situa­tion excep­tion­nelle de Roca­ma­dour rend cette ville spec­ta­cu­laire et le tou­riste ne s’y trompe  guère il afflue en masse, en famille, vers cette petite cité accro­chée au roc et compte bien y trou­ver son compte de res­tau­rant de spé­cia­li­tés du sud-ouest et bibe­lo­te­ries des plus vul­gaires. Le tou­riste aime ça, et moi je déteste le tou­riste, alors comme sou­vent, tel un chat noir, je me fau­file dans les rues lorsque la nuit tombe et tou­jours, la vie prend un autre tour­nant, je me fonds dans l’ombre.

Rocamadour, les sanctuaires

Je suis arri­vé à Roca­ma­dour un soir du mois d’août, sur le ver­sant face à la petite ville, au lieu-dit L’Hos­pi­ta­let, cer­tai­ne­ment un des lieux les plus laids de tout l’u­ni­vers, com­plè­te­ment pha­go­cy­té par le res­tau­rant pano­ra­mique et la cabane à sou­ve­nirs, à vais­selle impri­mée et napperons.
Roca­ma­dour n’est pas de ces endroits qui se laissent tra­ver­ser comme ça, comme un pic en bois tra­ver­se­rait une sau­cisse cock­tail, Roca­ma­dour se mérite ; il faut dépo­ser sa voi­ture près de la rivière Alzou et prendre le temps de mon­ter quelques volées de marches en pierre avant d’ar­ri­ver dans la rue prin­ci­pale et s’emparer de cette cité mil­lé­naire. Arpen­ter la rue cen­trale, ponc­tuée des portes Basse, Hugon, du Sau­mon et du Figuier tan­dis que le ciel se couvre de nuages d’o­rage, mena­çants et que les échoppes ferment leurs portes, laissent place à une vie noc­turne, c’est un peu comme si l’on entrait dans une Cour des Miracles . Le décor bas­cule, le ver­nis craque et Roca­ma­dour se dévoile dans ses habits de ténèbres.

Durandal

L’é­pée Durandal

Vus d’en bas, les sanc­tuaires s’illu­minent avec la nuit tom­bante et les cen­taines de marches que les pèle­rins montent sur les genoux sont autant de degrés spi­ri­tuels, de lumière, mon­tant vers le saint des saints, les sept cha­pelles votives. Ce soir là, c’est excep­tion­nel, un cycle de confé­rence à l’in­té­rieur des sanc­tuaires laisse la porte ouverte aux cha­pelles, qui en plus d’être illu­mi­nées de l’ex­té­rieur sont éclai­rées à l’in­té­rieur, lais­sant ain­si voir dans le silence et le calme des tré­sors dans une lumière dorée fri­sant la magie. Après avoir mon­té les marches et s’être fau­fi­lé dans un dédale de rues dont les enseignes sont par­fai­te­ment closes, on arrive aux portes des sanctuaires.
Roca­ma­dour est une ville mariale sur la route de Saint-Jacques de Com­pos­telle et sa construc­tion reflète par­fai­te­ment la socié­té féo­dale ; les che­va­liers dans le châ­teau, tout en haut, les reli­gieux juste au-des­sous dans les sanc­tuaires et le peuple tout en bas. Je me fais la réflexion qu’un jour, ne serait-ce que pour décou­vrir les plus beaux sites de cette Europe occi­den­tale, il fau­drait que je bour­lingue sur les pas de Santiago.
La situa­tion excep­tion­nelle du lieu a don­né nais­sance, dès 1105, à une cha­pelle construite à flanc de falaise ; les cha­pelles fleu­rissent sou­vent dans des endroits impro­bables. Le lieu est alors dénom­mé “Rupis Ama­to­ris”, le rocher de l’a­mant (ama­tor) et la vie reli­gieuse prend racine. Le pèle­ri­nage en l’hon­neur de Marie fait fureur et occa­sionne des dona­tions qui font pros­pé­rer le lieu ; la sta­tue de la vierge noire qui y repose date de la fin du XIIè siècle, et Hen­ri II Plan­ta­ge­nêt y vient pour remer­cier Marie après sa gué­ri­son. C’est alors qu’en 1166, en creu­sant le sol pour y inhu­mer un simple habi­tant, on découvre un corps en par­fait état de conser­va­tion ; la légende prend comme une traî­née de poudre, c’est cer­tai­ne­ment le corps de Saint-Ama­dour, autre­ment connu sous le nom de Zac­cheus, ou Zachée (et là atten­tion, parce qu’il va vous fal­loir plon­ger dans les plus vieilles hagio­gra­phies). Zachée est répu­té être l’é­poux de Sainte Véro­nique, celle-là même qui sur le che­min de croix du Christ lui épon­gea le visage d’un mor­ceau de tis­su, le fameux voile de Véro­nique que se dis­putent Rome, Milan et Jaén en Espagne. Cette his­toire n’est pas rela­tée dans le Nou­veau Tes­ta­ment mais on retrouve dans les Evan­giles synop­tiques l’his­toire d’une femme du nom de Béré­nice (Véro­nique signi­fiant vraie image — vera ico­na) qui serait la femme «hémo­roïsse» sans nom mira­cu­leu­se­ment gué­rie d’hé­mor­ra­gies chro­niques en tou­chant le vête­ment de Jésus.
Après la mort de son épouse, Zachée se retire à Roca­ma­dour et y meurt après avoir vécu des années en ermite. On lui aurait don­né le sur­nom de Ama­tor — Ama­dour — l’a­mant ou le dévoué.

Je sou­ris à l’é­vo­ca­tion de cette his­toire car on peut voir le tom­beau où repo­sait ce corps au pied d’un des sanc­tuaire col­lé à la falaise et j’ai pris en pho­to ce lieu sans savoir qu’à ce même endroit se trou­vait éga­le­ment un objet légen­daire de pre­mière impor­tance ; l’é­pée de Roland, Duran­dal, coin­cée dans la roche (et pieu­se­ment atta­chée à une chaîne) par l’Archange Saint Michel juste après la mort du célèbre pala­din à Ron­ce­vaux, selon la légende (j’ap­prends avec stu­pé­fac­tion que Duran­dal n’est autre que la tra­duc­tion lit­té­rale de Ron­ce­vaux en flamand).

Roca­ma­dour a une his­toire ancienne, mais telle qu’on peut la voir aujourd’­hui, elle est le fruit d’une volon­té farouche d’une poi­gnée d’homme qui au milieu du XIXè siècle firent leur pos­sible pour rendre à la ville mariale son éclat d’au­tre­fois, après avoir été rava­gée par les famines, les guerres et les pillages tout au long de son histoire.

Com­plè­te­ment rom­pus par la fatigue et le temps ora­geux, nous redes­cen­dons de la ville par là où nous l’a­vons péné­trée, jus­qu’à la rivière. Roca­ma­dour n’est pas une ville qu’on tra­verse, la route qui vient de la Porte du Figuier, l’en­trée de la ville et qui passe par la Porte Basse (pho­tos 6 et 7 du dia­po­ra­ma) mène sur des champs… Il est tard, la val­lée est illu­mi­née ponc­tuel­le­ment par les éclairs qui déchirent le ciel. Roca­ma­dour ville magique ferme ses portes sur un jour par­ti­cu­lier, un jour comme je ne pen­sais pas pou­voir en vivre. En par­tant, je regarde à nou­veau der­rière moi et j’ai une pen­sée émue pour le curé de Roca­ma­dour qui vit dans son pres­by­tère (pho­to 28), dont les fenêtres sont per­chées au-des­sus du vide… Et je lui sou­haite mal­gré tout, une bonne nuit.

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