Vous connaissez la Bretagne ? Vous vous êtes déjà promené dans ce qu’on appelle le bocage français ? Ce paysage caractéristique où les champs sont délimités par des arbres hauts permettant de couper l’effet dévastateur du vent sur les récoltes ? On le voit en Normandie, bien évidemment, mais la Normandie a beaucoup moins été touchée par la phénomène dont je vais vous parler. Une autre caractéristique du paysage de bocage, c’est le talus. Écoutons la douce poésie de Wikipédia nous parler de cette chose qui nous rappellera les cours de géographie du collège :
On nomme talus des murets bocagers de quelques décimètres à environ trois mètres de haut construits en une sorte de maçonnerie de gazon. Des briques végétales constituées de terre renforcée par les racines et l’herbe sont utilisées. Elles sont extraites au voisinage immédiat qui a été cultivé en herbe pendant au moins un ou deux ans. Leurs dimensions sont de l’ordre de celles de briques pleines classiques ou sensiblement plus grosses. Elles sont assemblées en les croisant, herbe vers le bas. Le résultat est une construction qui mesure typiquement 1,5 mètre de haut, et a une largeur de l’ordre de 2 mètres à la base et une cinquantaine de centimètres au sommet. L’intérieur du talus est entièrement constitué de terre végétale et le sommet est couronné par un dôme de terre végétale ou de mottes. Le talus est en général semé et souvent planté, participant à ce qu’on appelle la forêt linéaire.
On rencontre aussi des talus contenant des pierres ramassées dans une parcelle cultivée, des talus constitués de terre excavée (par exemple à l’occasion de la construction de chemin creux, douves ou fossés), ou des demi-talus de pierre (comportant une maçonnerie de pierres sèches sur une de leurs faces).
A présent, vous voyez mieux en quoi consistent ces talus ? Si vous connaissez un peu la Bretagne, vous les avez déjà vus. Si vous connaissez la petite ville de Plougrescant au bord de l’Atlantique, vous savez que pas une seule des maisons ne dirait non à son talus, ne serait-ce que pour la protéger de la route. Michel Le Bris, Breton de naissance, ayant passé son enfance à la lisière du Finistère (29) et de ce qui était encore dans mon enfance les Côtes-du-Nord (22), à Plougasnou très exactement (ne vous aventurez pas à prononcer le s !) et enfin expatrié à Paris par la révolution touristique, nous raconte avec un certain dépit comment toute une génération a sacrifié ces reliques d’un temps ancien, où l’on n’était pas ignare par la science mais savant par l’observation, sur l’autel du profit, afin de gagner quelques mètres carrés de terres cultivables et d’uniformiser ces petits champs pour en faire de grandes exploitations, et comment au final, prend toute son envergure l’expression “retour de boomerang”. Dans ces quelques mots se trouve toute l’amertume de ceux qui voient leur pays (pas simplement au regard de la Bretagne) saccagés non pas de l’extérieur, mais par les habitants eux-mêmes.
Passe que leurs petits-enfants partent pour Paris et reviennent chaque été avec des manières ridicules, passe qu’on leur ait enlevé leur cheminée – pas de cheminées dans les maisons neuves, bien sûr, ça fait sale – passe que les belles-filles leur fassent la guerre parce qu’ils continuent à cracher par terre. Mais que l’on touche aux talus, à leurs talus, qu’ils avaient construits et avant eux des générations de Bretons, non ! Ils n’avaient rien dit jusque-là, mais la bêtise avait des limites : les talus, leur place, leur hauteur, avaient été calculées pour retenir l’eau, protéger du vent. Il avait fallu des siècles d’expérimentations pour arriver à ces chefs d’œuvre, et on allait raser tout ça ? Jamais ! Il y eut bien des brouilles définitives, des crises de désespoir, des bérets jetés par terre, mais les jeunes tinrent bon et rasèrent les talus. Le résultat ne se fit pas attendre, évidemment : les récoltes furent à moitié détruites par le vent, les terres inondées. C’est pourquoi vous pouvez voir aujourd’hui dans certaines régions, les champs coupés de plaques de tôle. C’est pourquoi aussi, la ville de Morlaix a été inondée deux fois, ces dernières années.
Michel Le Bris, L’homme aux semelles de vent. 1977
Et toc !
Photos d’en-tête © Richard Droker
Tags de cet article: Bretagne, environnement, nature
qu’ils en prennent de la graine ‚les péquenots de la ville …!
Péquenots de la ville !! J’adore 🙂