Épi­sode pré­cé­dent : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Car­net de voyage en Tur­quie – 1er août) : Istan­bul – Anta­lya – Kum­lu­ca – Demre – Kaş

Bul­le­tin météo de la jour­née (jeu­di) :

  • 10h00 : 38.9°C / humi­di­té : 53% / vent 4 km/h
  • 14h00 : 42.3°C / humi­di­té : 64% / vent 22 km/h
  • 22h00 : 37.6°C / humi­di­té : 77% / vent 4 km/h

Ce jour-là, c’est jour de repos. Finie la course, je suis là pour pro­fi­ter de l’air du temps et poser mes valises pen­dant une courte semaine avant de par­tir un peu plus loin, pas très loin, à une tren­taine de kilo­mètres de là.

Turquie - jour 5 - Kaş - 02 - Kastelórizo (Meis)

Il me faut un peu de temps pour reprendre pied, ne rien faire l’es­pace d’une jour­née, alors je pro­fite de la pis­cine et je bou­quine un peu sur le bord, même si res­ter sous le para­sol avec cette tem­pé­ra­ture devient vite insup­por­table, même à l’ombre. Le petit déjeu­ner est  loin d’être à la hau­teur de ceux que je pou­vais prendre à Istan­bul et puis de toute façon, avec cette cha­leur, je me sens peu en appé­tit, un peu las. Je m’en­ferme dans ma chambre avec la clim qui a du mal à démar­rer et je dors tout mon saoul avant de sor­tir dans le milieu de l’a­près-midi pour aller man­ger un bout en ville.

Turquie - jour 5 - Kaş - 04 - Montagne

Kaş est une toute petite ville dont on a vite fait le tour. J’es­saie de trou­ver une lave­rie pour laver les quelques fringues déjà usés, mais je ne trouve qu’un pauvre dépôt sur le port où les petites culottes sèchent au vent sur la digue. Un peu plus loin, tan­dis que j’en­jambe les rochers qui dévalent vers la mer, je trouve un petit vieux pris en faute avec sa bou­teille de bière. L’homme est cer­tai­ne­ment musul­man mais il se cache là pour être tran­quille, ce que je peux com­prendre et je lui envoie un clin d’œil com­plice qui veut dire que je ne vais pas aller le balan­cer à sa femme. J’en pro­fite pour regar­der la mer de cet endroit calme, la baie qui donne sur Meis (Kas­teló­ri­zo), une des îles grecques les plus éloi­gnées de sa métro­pole, étrange caillou posé en face de la Tur­quie, qu’on ne peut atteindre qu’en s’a­dres­sant à un voya­giste qui vous prend votre pas­se­port la veille de votre départ et ne vous le res­ti­tue qu’au moment de par­tir. On sait les bonnes rela­tions de la Grèce et de la Tur­quie, alors les choses sont un peu com­pli­quées pour quelques arpents par­se­més de bou­quets de jasmin…

Turquie - jour 5 - Kaş - 06 - Centre-ville (şehir merkezi)

Je retourne en ville, je passe devant chez le kuaför, où il y a la clim et où les hommes se font dor­lo­ter avec un mas­sage rituel du cuir che­ve­lu et des épaules. Kaş est pai­sible, ne dit pas grand-chose. Des figuiers de Bar­ba­rie (diken­li armut) poussent par­tout entre les pier­railles, avec des troncs gros comme des fûts de canon ; les femmes gitanes en vendent sur le bord de la route. Ayant eu une sale expé­rience avec ses fruits étant jeune, j’ai des déman­geai­sons rien que de les voir. Ne sachant pas que sa peau est recou­verte de cel­lules urti­cantes bigre­ment dou­lou­reuses, j’ai eu toute une jour­née durant l’in­té­rieur des mains com­plè­te­ment inutilisables.

Turquie - jour 5 - Kaş - 11 - Centre-ville (şehir merkezi) - Figuier de Barbarie (dikenli armut)

Turquie - jour 5 - Kaş - 12 - Centre-ville (şehir merkezi) - Ceiba speciosa (arbre bouteille)

Je trouve aus­si des arbres au tronc ren­flé à la base et por­tant sur tout le tronc des épines comme autant de furoncles prêts à écla­ter. Ce sont des arbres bou­teille (Cei­ba spe­cio­sa). Par­tout il y a des figuiers dont les feuilles épaisses embaument de leur par­fum sucré les ruelles, des bou­gain­vil­lées si grandes qu’elles dépassent de loin les pre­miers étages des mai­sons otto­manes en bois au bal­con en porte-à-faux. Le midi je m’ar­rête dans la par­tie ancienne de la ville, dans un petit res­tau­rant ouvert sur une ter­rasse qui déborde sur la route. En face on trouve un coif­feur-bar­bier, un café qui fait lote­rie et une échoppe de vête­ments tenue par une jolie femme por­tant le hijab. Il fait hor­ri­ble­ment chaud et le vent n’ar­rive pas jusque dans ces contrées. De gros ven­ti­la­teurs sont ins­tal­lés dans le res­tau­rant pour ten­ter de rafrai­chir un peu l’air, mais je dégou­line en man­geant ma çoban sala­ta (salade du ber­ger, concombre et tomate, oignon, per­sil et poi­vron vert et bien sûr huile d’o­live, c’est le mini­mum de la cui­sine turque) accom­pa­gnée d’un ayran et d’un thé. Le res­tau­rant est tout simple, il porte le nom de Sofram Café et la salle est diri­gée par un homme à la peau grise et aux che­veux d’un noir de jais, et dont les expres­sions du visage passent de l’ombre à la joie d’une seconde à l’autre ; il est aidé par une jeune fille au visage doux, pas très grande, aux yeux clairs et au sou­rire mal­adroit. Elle dépose les plats sur ma table en osant à peine me regar­der et pro­nonce des mots que je ne com­prends pas, quelque chose qui res­semble à « auf wie­der­se­hen » alors je me demande si elle ne me prend pas pour un alle­mand, mais je me rends compte au fur et à mesure que ce n’est pas du tout ça, qu’elle uti­lise une for­mule qu’en fran­çais on n’u­ti­lise qu’une seule fois au début du repas, et qui est l’é­qui­valent de « bon appé­tit » et qui est en réa­li­té « afiyet olsun », rien à voir avec ce que j’a­vais enten­du au pre­mier abord.

Turquie - jour 5 - Kaş - 15 - Centre-ville (şehir merkezi) - tombe lycienne

Turquie - jour 5 - Kaş - 14 - Centre-ville (şehir merkezi) - tombe lycienne

Dans une des plus jolies rues de la ville qui des­cend vers le port, j’at­tends que les com­mer­çants ferment leur échoppe pour me pro­me­ner tran­quille­ment et admi­rer cette superbe tombe lycienne qu’on trouve tout en haut de la rue. Comme toutes les tombes de ce genre, elle a été pro­fa­née il y a bien long­temps et porte sur ses flancs des ins­crip­tions dans une langue dont l’al­pha­bet res­semble au grec mais qui est bien du lycien, une langue mil­lé­naire proche du lou­vite qui pro­vient de la branche ana­to­lienne et n’a été uti­li­sée que dans cette par­tie du monde par une civi­li­sa­tion qui dès le Ier siècle de notre ère s’est vue confis­quée sa langue au pro­fit de celle de la civi­li­sa­tion grecque. Cette tombe en forme de carène inver­sée porte sur son toit quatre têtes de lions par­fai­te­ment conser­vées. Quand à sa situa­tion dans cette rue, d’au­cun vous diront qu’elle a tou­jours été là, ce qui est loin d’être cer­tain. Un homme a ins­tal­lé un cous­sin au pied de la tombe, sur lequel dort un cor­niaud replet.

Turquie - jour 5 - Kaş - 16 - Centre-ville (şehir merkezi)

Après mon repas, je vais pro­me­ner sur le port au-des­sus duquel on peut voir des para­pen­tistes vire­vol­ter et au final atter­rir à deux pas du bas­sin. Sur les hau­teurs, un connard essaie de me vendre un bra­ce­let en laine qu’il com­mence à nouer autour de mon poi­gnet tan­dis que je suis en train de cares­ser un chat qui dort sur un banc en bois. Il me montre d’un geste de la main d’autres chats et m’ex­plique en anglais qu’il demande en contre­par­tie de son bra­ce­let de l’argent pour nour­rir les chats. Alors là c’est trop, je l’en­voie bala­der en lui jetant 1TL pour qu’il me lâche et je lui fais com­prendre que c’est n’im­porte quoi. Les chats ici sont nour­ris par tout le monde, ils sont gras comme des por­ce­lets et ont le poil soyeux, ils n’ont pas besoin d’une bonne âme…
Je m’as­sieds ensuite dans la ville pour écou­ter les cri­quets chan­ter dans les pal­miers, sur la place où les vieux jouent aux cartes à la ter­rasse des cafés.

Je retourne à l’hô­tel pour fei­gnas­ser au bord de la pis­cine, où je m’en­dors comme un gros bébé. Je rejoins le bal­con de ma chambre d’où je peux voir la lune rousse éclai­rer les hau­teurs de la ville. Relâ­che­ment total depuis ici où je n’en­tends pas le braille­ment des Anglais aux ter­rasses des cafés. J’ai encore failli m’en­dor­mir en lisant sur le bal­con, alors je retourne dans le centre-ville, gare la voi­ture ala­tur­ka, et file vers le même res­tau­rant qu’­hier, au Çınar­lar (Le pla­tane) où le patron, Fırat, un jeune Kurde, m’a­breuve de ses mezze déli­cats. Comme il est tard et qu’il n’y a plus grand monde, il s’as­soit à ma table avec une bou­teille de Rakı et nous dis­cu­tons un moment du Kur­dis­tan. Il est ori­gi­naire de Doğu­beyazıt, une grosse ville de 115 000 habi­tants au pied du mont Ara­rat et de la fron­tière ira­nienne, à 80km du lac de Van et me dit que l’é­té la tem­pé­ra­ture est insup­por­table et l’hi­ver peut des­cendre jus­qu’à ‑40°C. Il passe tout l’é­té ici à Kaş pour faire la sai­son et retourne dans sa famille avec son frère Hüseyin, avec qui il tient le res­tau­rant. L’hi­ver ici est beau­coup trop humide alors il pré­fère aux pluies inces­santes de la Lycie la rudesse de son Kur­dis­tan natal. Évi­dem­ment, j’en viens à par­ler de la situa­tion poli­tique et du fait que le Minis­tère des Affaires Étran­gères fran­çais décon­seillait de se rendre au Kur­dis­tan en rai­son d’un risque d’at­ten­tats impor­tant, mais il balaie tout ça d’un revers de la main en me disant qu’i­ci aus­si les Turcs font cou­rir le bruit que le Kur­dis­tan n’est pas fré­quen­table, mais selon lui, ce n’est pas plus infré­quen­table que la côté ouest du pays, très tou­ris­tique et que si un jour je décide d’al­ler dans sa ville, il me rece­vra avec plaisir.

Nous nous quit­tons en nous ser­rant la main et je retourne à l’hô­tel en pas­sant sous une allée de caou­tchoucs (Ficus elas­ti­ca) mons­trueux, grands comme des arbres.

Turquie - jour 5 - Kaş - 20 - Renault Symbol

Ma voi­ture, garée n’im­porte com­ment, à un mètre du trot­toir… Pour lais­ser pas­ser le balai… A noter qu’elle est imma­tri­cu­lée à İzm­ir (35).

Voir les 20 pho­tos de cette jour­née sur Fli­ckr.

Épi­sode sui­vant : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Car­net de voyage en Tur­quie – 3 août) : Üçağız, Keko­va, Dochiste (Apol­lo­nia), Geyi­ko­va Adası, Kaleköy (Sime­na)

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