Dès la pre­mière lec­ture, cer­taines dédi­caces vous pro­mettent des voyages dont on ne revient pas indemnes. Pour la deuxième fois de ma vie, je tente de me replon­ger dans les lignes sombres de Les sept piliers de la sagesse, l’œuvre sublime de Tho­mas Edward Law­rence dont j’ai inter­rom­pu la lec­ture la pre­mière fois parce que j’ai don­né mon livre à un ami. J’en avais oublié la dédi­cace, poème superbe écrit par l’au­teur à l’at­ten­tion d’un ami dis­pa­ru (cer­tai­ne­ment Sheikh Ahmed connu aus­si sous le nom de Dahoum), un texte en forme de pro­gramme qui donne toute l’en­ver­gure du per­son­nage, à la fois pas­sion­né, méga­lo­mane très cer­tai­ne­ment et char­gé d’une puis­sance à la hau­teur du désert qui l’ac­com­pa­gna une par­tie de sa vie. Sur ce visage solaire, rayon­nant, figé, ne trans­pa­rurent jamais les sca­ri­fi­ca­tions d’une souf­france inté­rieure qui ne put être sou­la­gée que dans les mots de cette œuvre magis­trale, et dans une vie en tous points mar­gi­nale, qui se ter­mi­na au détour d’un virage sur la moto qu’il avait sur­nom­mé George VII, alors qu’il ten­tait d’é­vi­ter deux cyclistes.

à S.A.

Parce que je t’aimais
J’ai pris dans mes mains ces marées d’hommes ;
Avec les étoiles qui le sillonnaient,
Sur le ciel, j’é­cri­vis ma volonté.
A ce prix, j’ob­tins pour toi la liberté,
Demeure sacrée aux sept piliers :
Ain­si tes yeux brillaient-ils pour moi
A mon arrivée.

En route j’eus pour ser­vante la mort.
Nous appro­châmes et t’a­per­çûmes qui attendais.
A la vue de ton sou­rire, pleine d’en­vie et de larmes,
Elle me devan­ça, te prit à part,
Te fit péné­trer dans sa paix.

L’a­mour, las du che­min, aveugle, s’a­van­ça vers toi pour te toucher,
Notre salaire en ce bref instant,
Avant que la terre ne des­sine mollement
Ta forme de sa main fouisseuse,
Que les vers sans yeux ne s’en­graissent de ton corps.

A la prière des hommes j’é­di­fiai notre œuvre,
La mai­son inviolée,
En sou­ve­nir de toi.
Pour­tant je mis en pièces ce monu­ment indigne
Avant de l’achever.
Voi­ci que main­te­nant les créa­tures infimes, timi­de­ment sortent
Se hour­der des masures
Dans l’ombre souillée de mon offrande.

Tho­mas Edward Law­rence, les sept piliers de la sagesse
Tra­duc­tion de Renée et André Guillaume, Livre de Poche col­lec­tion Pochotèque

Texte ori­gi­nal:

I loved you, so I drew these tides of men into my hands
and wrote my will across the sky in stars
To earn you Free­dom, the seven-pilla­red wor­thy house,
that your eyes might be shi­ning for me
When we came.

Death see­med my ser­vant on the road, till we were near
and saw you waiting:
When you smi­led, and in sor­row­ful envy he outran me
and took you apart:
Into his quietness.

Love, the way-wea­ry, gro­ped to your body, our brief wage
ours for the moment
Before ear­th’s soft hand explo­red your shape, and the blind
worms grew fat upon
Your substance.

Men prayed me that I set our work, the invio­late house,
as a meno­ry of you.
But for fit monu­ment I shat­te­red it, unfi­ni­shed: and now
The lit­tle things creep out to patch them­selves hovels
in the mar­red shadow
Of your gift.

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