Il fut un temps où lorsque l’on fabriquait des outils, on investissait sur leur durée de vie, sur leur solidité et leur résistance au temps et à l’usure. Ce temps était le temps de la pièce unique, de l’objet utile en tant que fabrication unique — en son genre et en son état — et de la chose en tant qu’objet d’art ou d’artisanat. Des premiers outils issus de la pierre aux plus récents — tant qu’ils ne furent pas fabriqués à la chaine — on retrouve avec une certaine émotion la trace de la main de l’Homme dans la forme parfois hésitante, pas encore conçue avec les principes de l’ergonomie ou l’assistance d’une ordinateur qui calcule automatiquement le meilleur coefficient de pénétration dans l’air ou la plus grande résistance à la viscosité cinématique exprimée en centistokes (cSt) ou en secondes Saybolt Universal…
[audio:berceuse.xol]Outils de charpentier, Encyclopédie Diderot
A l’autre bout de la chaîne, dans notre époque de vitesse et de surabondance de biens, on a découvert au beau milieu de mécaniques censées résister de plus en plus longtemps au temps et à l’usure deux types différents d’objets : les indestructibles et les cassants.
Les indestructibles, ce sont par exemple ces moteurs de voiture construits intégralement en céramique dans les années 80 par Toyota, pouvant résister à de très hautes températures, ce qui permettait de s’affranchir d’un système de refroidissement et d’allonger la durée de vie du moteur de manière exponentielle. Ce sont toutes les applications nées de la modernité, de l’incroyable avancée des technologies et de la recherche sur laquelle se jouent des investissements colossaux. Mettre une telle voiture sur le marché aurait assuré le succès momentané de la firme… et sa chute vertigineuse…
Les cassants, ce sont de drôles d’objets qu’on a commencé à découvrir dans l’ère d’après-guerre à l’intérieur de nos outils électroménagers par exemple, ou dans les voitures… Ce sont des objets, des pièces fabriquées dans des matières peu solides, susceptibles de casser avec une usure légère et permettant un renouvellement permanent du matériel, comme les courroies de distribution en caoutchouc ou les filtres de machine à laver en matière plastique.
Il est évident qu’une voiture increvable qui pourrait parcourir un million de kilomètres sans avoir besoin de remplacer la moindre pièces sous condition d’un minimum d’entretien, ou une machine à laver qui pourrait fonctionner pendant toute une vie, il est évident que ces objets éternels seraient une catastrophe pour l’industrie, et pour l’emploi… C’est la raison pour laquelle un économiste du début du vingtième siècle, Bernard London, inventa la notion d’obsolescence programmée suite aux pressions infernales des cartels lobbyistes américains. L’obsolescence programmée consiste en un effort de recherche visant à réduire l’efficience d’un objet pour leur faire vieillir prématurément et ainsi permettre son remplacement de manière précoce. Ceci a évidemment des conséquences dévastatrices sur la gestion des déchets et l’écologie… On tenta même d’instituer en légiférant l’obligation de remplacement des biens de consommation, sans succès. Le designer Brooks Stevens se fit le chantre de cette nouvelle absurdité technologique en étudiant tout particulièrement la réduction de la durée de vie de l’objet créé.
Harlequin Rural Station Wagon, 1958, Milwaukee Art Museum, Brooks Stevens Archive
Que penser alors de cette fameuse ampoule (j’aime beaucoup le terme anglais lightbulb) de Livermore qui a été fabriquée avec un tel soin et avec tant de qualité qu’elle brille sans discontinuer depuis plus d’un million d’heures, soit depuis 1901 exactement ? Est-ce de la magie ? Est-ce un phénomène paranormal ? Non. Ce n’est que le reliquat d’une époque où l’on prenait soin de l’objet fabriqué et où le souci de rentabilité n’était pas encore à l’ordre du jour. Une époque à peu près saine en somme…
Tags de cet article: design, économie, politique
C’est bien vrai.
ouais
nostalgie des outils qui prennent une belle patine d’usure…
c’est dingue cette photo avec la vieille voiture ! à l’arrière-plan on voit écrit“Chalet Motel”, avec le drapeau bernois et le bâtiment ressemble à une ferme bernoise ! en plein Wisconsin !
L’art de la mise en scène américaine 🙂 Pas pour rien qu’ils ont Hollywood…
je me disais plutôt qu’un Bernois avait émigré là-bas et avait ouvert un motel…
On a du mal à croire qu’on vit plus longtemps maintenant qu’à cette époque où les ampoules, elles, ne mouraient pas !
C’est une histoire de fou si on y regarde de près…
mais est-ce une histoire vraie ? ou encore une grosse supercherie ?
Non non c’est bien vrai cette fois-ci 🙂