XX. Jour­nal de retour

XX. Jour­nal de retour

De la même manière qu’on peut tenir un jour­nal de voyage, rien n’empêche de tenir un jour­nal du retour, afin de mar­quer l’im­por­tance qu’a, dans un voyage, le retour, car sans lui, le voyage n’est qu’une ritour­nelle sans fin, une habi­tude prise auprès d’un orga­nisme, et la nou­veau­té n’est plus reçue comme une ori­gi­na­li­té un peu sau­gre­nue, mais rien de bien méchant, somme toute. Il suf­fit de savoir atter­rir. (more…)

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Le temps des rajahs

Le temps des rajahs

Dif­fi­cile, vu de loin, de prô­ner la démo­cra­tie à tout prix. Dif­fi­cile aus­si de vou­loir un retour en arrière, quoi qu’il en coûte. Mais la moder­ni­té est pas­sée en Inde et a fait ses ravages. Court extrait du livre de William Dal­rymple, L’âge de Kali, où il ne peut faire que consta­ter que les temps changent et que les pro­ces­sus de moder­ni­sa­tion ne sont pas for­cé­ment aus­si pro­fi­tables aux plus petits et que les dégâts, une fois ceux-ci opé­rés, sont impos­sibles à effacer…

Gwalior Fort

Fort de Gwa­lior. Pho­to © Ste­wart Morris

— Avant, on se sen­tait bien pro­té­gé. Aujourd’­hui, il y a trop de concurrence.
— Si l’on n’é­crase pas quel­qu’un, on ne peut pas monter.
Les deux vieillards se regar­dèrent avec tristesse.
— Vous ne pou­vez pas ima­gi­ner la splen­deur et la richesse de cette époque-là, dit Van­ma­la en rom­pant ce moment de silence. Si je vous en par­lais, vous croi­riez que je vous raconte des histoires.
— A l’é­poque, tout ser­dar avait quinze che­vaux et un élé­phant, pré­ci­sa le com­man­dant. Mais main­te­nant, on ne peut même pas s’of­frir un âne.
— Les ser­dars ne sont pas les seuls à être nos­tal­giques, fit remar­quer Van­ma­la. Toute la popu­la­tion regrette l’an­cien temps. C’est pour­quoi la raj­ma­ta — et tous les Scin­dia — sont encore tel­le­ment aimés du peuple. Si l’un des membres de la famille se pré­sente aux élec­tions, tout le monde vote pour lui.
— Mais pour­quoi ? deman­dai-je. Les gens ne pré­fèrent donc pas la démocratie ?
— Non, répon­dirent les Pawar à l’unisson.
— Abso­lu­ment pas, ren­ché­rit le commandant.
— Vous com­pre­nez, en ce temps-là, il n’y avait pas de cor­rup­tion, expli­qua le géné­ral. Les maha­ra­jahs se consa­craient vrai­ment à l’ad­mi­nis­tra­tion de leur domaine. Tout était bien géré.
— La cité était par­fai­te­ment tenue, dit le com­man­dant. Le maha­ra­jah fai­sait lui-même le tour de la ville, la nuit, inco­gni­to, pour voir com­ment les choses se pas­saient. Il consi­dé­rait vrai­ment ses sujets comme ses enfants. Main­te­nant, où que vous alliez, il n’y a que cor­rup­tion et extorsion.
— Aujourd’­hui, dit Van­ma­la, tout babu de la fonc­tion publique se prend pour un maha­ra­jah et essaie de com­pli­quer la vie de l’homme ordi­naire. Mais à l’é­poque, il n’y avait qu’un seul roi. Les gens de Gwa­lior étaient cer­tains que s’ils lui racon­taient leur his­toire, il les écou­te­rait et essaie­rait de les remettre en selle.
— Le maha­ra­jah et la raj­ma­ta étaient comme un père et une mère pour eux, dit le commandant.
— Tout cela a dis­pa­ru, ajou­ta le géné­ral Pawar.
— Ce monde est mort, conclut le commandant.
— Il ne nous reste plus que nos sou­ve­nirs, dit le géné­ral. C’est tout. C’est tout ce que nous avons.

William Dal­rymple, L’âge de Kali
A la ren­contre du sous-conti­nent indien
Libret­to, 1998

Pho­to d’en-tête © Anan­da Vrindavan

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Vrin­da­van, rési­dence de Krishna

Vrin­da­van, rési­dence de Krishna

Il existe un endroit en Inde, dans la ville de Vrin­da­van, dans la région de l’Uttar Pra­desh, dont nous parle l’au­teur de L’âge de Kali, William Dal­rymple, qui est un des hauts lieux saints de l’Inde, petit para­dis pour le dévot, enfer pour d’autres. A la décou­verte de ce lieu hors du commun.

Vrindavan | India

La foi per­met sou­vent de voir beau­coup de choses qui demeurent cachées au non-croyant. Aux yeux de la plu­part des visi­teurs pro­fanes, Vin­da­van semble n’être rien de plus qu’une ville mar­chande du nord de l’Inde, en piteux état, aux rues pous­sié­reuses encom­brées de vaches, de men­diants, de bicy­clettes et de rick­shaws. Mais pour le pèle­rin pieux, c’est la rési­dence de Kri­sh­na, et donc — en ce sens du moins — un para­dis ter­restre qu’embaume le par­fum des tama­ri­niers et des arjuns.
Les hin­dous dévots croient que Kri­sh­na est encore pré­sent dans cette ville aux palais en ruine et aux ash­rams four­millant de pèle­rins, aux égouts du ciel ouvert et aux étals expo­sant des litho­gra­phies de l’En­fant Dieu, aux cou­leurs vives. Un vieux sadhu, ren­con­tré au bord de la rivière, m’a dit qu’en prê­tant l’o­reille avec atten­tion, on peut encore cap­ter les accents loin­tains de la flûte de Kri­sh­na. Le matin, ajou­ta-t-il, on peut par­fois entre­voir le dieu se bai­gnant en bas des ghats ; le soir, on le voit sou­vent se pro­me­ner avec Radha sur les berges de la Yamuna.
Chaque année, des cen­taines de mil­liers de dévots hin­dous viennent à Vrin­da­van et suivent, pieds nus, le pari­kra­ma qui, pas­sant devant la plu­part des temples et des lieux saints, mène à la Yamu­na. La plu­part se rendent ensuite à un autre lieu de pèle­ri­nage voi­sin : Govard­han, une mon­tagne que, selon la légende, Kri­sh­na uti­li­sait comme ombrelle en la sou­le­vant avec son petit doigt. Ce n’est qu’une petite col­line, mais cela ne trouble pas les pèle­rins ; ils savent que plus le mal pro­li­fère dans le monde, plus la mon­tagne diminue.
Cer­tains de ceux qui viennent à Vrin­da­van n’en repartent plus. Car beau­coup d’hin­dous croient qu’il n’y a pas, dans toute l’Inde, de lieu plus saint et que c’est là qu’il convient donc de pas­ser ses der­niers jours.

William Dal­rymple, L’âge de Kali
A la ren­contre du sous-conti­nent indien
Libret­to, 1998

Vrindavan | India

Pour­tant, dans l’Inde d’au­jourd’­hui, cette ville porte une his­toire triste et est deve­nue le théâtre d’un véri­table drame humain qui touche direc­te­ment la popu­la­tion fémi­nine d’un pays qui, s’é­tant débar­ras­sé de quelques unes de ses lois les plus iniques (les castes), a plon­gé toute une popu­la­tion dans une situa­tion hor­rible. En effet, les veuves, autre­fois, avait comme obli­ga­tion à la mort de leur époux de pra­ti­quer la cou­tume sécu­laire de la sati, qui consis­tait à ce que la femme soit immo­lée par le feu en même temps que son époux sur le bûcher lors de la mort de celui-ci. Dans la tra­di­tion hin­doue, la femme perd son sta­tut à la mort de son mari. Ce pra­tique de la sati (lit­té­ra­le­ment femme bien, ce qui implique que si elle n’est plus sati, c’est une mau­vaise femme…) désor­mais inter­dite a créé les condi­tions d’une situa­tion impos­sible pour ces veuves puis­qu’elles sont désor­mais reje­tées par leurs enfants, envoyées à la rue comme des men­diantes, quelle que soit leur condi­tion et c’est dans cette ville qu’elle se retrouvent, vêtues de blanc sale, le crâne rasé. Pour les plus jeunes d’entre elles, et peut-être aus­si les plus belles, elles sont mises à la dis­po­si­tion des gang­sters ou même de cer­tains sadhus indé­li­cats qui ali­mentent ces tra­fics dans les ash­rams de Vin­da­vran. Une fois abî­mées, elles sont alors reven­dues dans les bor­dels de Deh­li. Une situa­tion atroce pour ces mil­liers de femmes à qui on confisque tout une fois leur mari décé­dé, et qui vient presque à se poser la ques­tion de savoir si la sati n’é­tait pas une tra­di­tion qui avait au moins le mérite de ne pas per­mettre une telle humiliation.
La petite ville pro­vin­ciale de Vin­da­vran devient alors le révé­la­teur d’une dégra­da­tion sociale pas for­cé­ment visible, mais qui se concentre ici et devrait faire réagir les forces publiques, désor­mais tenues par des escrocs et des bandits.

Lire cet article sur le site de l’Ex­press, ain­si que sur le site Mes car­nets d’A­sie.

Pho­to d’en-tête © Some­bo­dy

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Der­nier jour en Indonésie

Der­nier jour en Indo­né­sie. Comme sou­vent, je suis content que ça s’ar­rête ; il y a un temps pour tout. Le voyage doit se ter­mi­ner pour pou­voir faire à nou­veau des pro­jets et repar­tir, sans quoi ce ne serait plus du voyage mais de l’expatriation.
Je fais ma valise avant d’al­ler déjeu­ner et je pro­fite un peu de la pis­cine avant de par­tir de l’hô­tel. Je sais que je n’au­rais pas for­cé­ment le temps plus tard, alors c’est main­te­nant que je barbote.

Dodo, chauffeur de taxi - Jalan Menukan - Yogyakarta - Indonésie - mars 2014

Dodo, chauf­feur de taxi — Jalan Menu­kan — Yogya­kar­ta — Indo­né­sie — mars 2014

Je prends un taxi avec un type très sym­pa qui s’ap­pelle Dodo et qui parle très bien anglais. Il a envie de m’ap­prendre quelques mots en baha­sa, alors je me plie à l’exer­cice avec lui. Nous nous mar­rons bien tous les deux. Je lui demande si je peux le prendre en pho­to et comme j’ai pris ma petite impri­mante Pola­roid, je lui pro­pose un deal. Je prends la pho­to avec mon télé­phone et je la garde, je lui donne l’im­pres­sion. Il est très heu­reux de cet échange et il me dit qu’il ne faut pas que j’hé­site à lui faire de la publi­ci­té une fois arri­vé en France.

Je lui demande de me dépo­ser à Berin­ghar­jo que j’ai envie de voir. Le mar­ché est une grande gale­rie sur plu­sieurs étages, dont le pre­mier est uni­que­ment enva­hi de ven­deurs de vête­ments, de cou­pons et de tis­sus au mètre. Je trouve un stand tenu par quatre dames, dont une est âgée. Les trois autres sont voi­lées, mais pas elle. Elle a un beau regard tendre et se cache pour ne pas que je la voie. Je négo­cie quelques bouts de tis­sus sur l’é­tal et je leur pro­pose ensuite un cadeau (hadiah). La plus proche de moi est éton­née mais elle joue le jeu, alors je sors mon télé­phone, la prends en pho­to et je sens qu’elle a l’im­pres­sion que je me suis fou­tu d’elle, mais aus­si­tôt, je sors mon impri­mante et j’im­prime la pho­to ; les femmes ont com­pris, alors elles com­mencent à rire et je mets lit­té­ra­le­ment le feu à l’al­lée où les com­mer­çantes m’en­tourent pour regar­der ce que je fais. Lorsque la pho­to appa­raît, c’est l’ex­plo­sion de joie ! La petite dame en rouge à côté de moi demande à ce que je prenne ses deux sœurs, ce que je fais avec plai­sir, puis la grand-mère et là l’im­pri­mante se bloque. Je mets dix bonnes minutes à décoin­cer le papier et elles me disent toutes que ce n’est pas grave. Pour moi, ça l’est, ce n’est pas juste. Je ne peux pas repar­tir comme ça sans avoir don­né la pho­to à cette gen­tille dame. La dame en rouge m’é­vente parce qu’elle voit que je com­mence à trans­pi­rer et fina­le­ment la pho­to sort. La petite dame me remer­cie cha­leu­reu­se­ment. De mon côté, je suis heu­reux d’a­voir pu par­ta­ger ce bon moment avec elles, ne pas avoir été sim­ple­ment dans une rela­tion mar­chande. Iro­nie de l’his­toire, la seule pho­to qui me reste est à la pho­to de cette petite dame, les deux autres ont dis­pa­ru… Ce n’est pas grave, ce n’é­tait pas pour moi, mais bien pour elles.

J’ai regar­dé cette ville comme un ani­mal effrayant et aujourd’­hui je n’ai plus envie d’en par­tir. Tout ici me semble fami­lier, tout me semble digne d’être regar­dé, appré­cié, pal­pé… Je suis heu­reux d’être venu ici.

Il y a beau­coup de monde sur Malio­bo­ro et le taxi met pas mal de temps à me rame­ner à l’hô­tel. Je regarde les pas­sants, il y a des visages superbes dans cette ville. Je récu­père ma valise à l’hô­tel et le taxi n’ar­rive pas, je com­mence à stres­ser. Garu­da Indo­ne­sia ferme les enre­gis­tre­ments de bagages une heure avant le départ, ce qui fait peu pour un vol inté­rieur, mais le chauf­feur écrase le cham­pi­gnon, aler­té par le type de la récep­tion, alors je lui laisse un gros pourboire.

Arri­vée à l’aé­ro­port Adi­su­cip­to de Yogya­kar­ta (JOG). Enre­gis­tre­ment, attente dans le hall d’embarquement, dans la moi­teur d’un pays que je m’ap­prête à quit­ter, j’ai tout de même un pin­ce­ment au cœur. Les quatre portes donnent direc­te­ment sur le tar­mac et on marche sur la piste pour aller rejoindre l’a­vion, un Boeing 737 aux cou­leurs de la com­pa­gnie locale.

Arri­vée à l’aé­ro­port de Soe­kar­no-Hat­ta de Jakar­ta (CGK) où règne une ani­ma­tion beau­coup plus intense que celle vécue à l’ar­ri­vée, lors­qu’il a fal­lu zoner devant les portes. Dehors, il fait lourd, moite. En pas­sant près des zones fumeurs, on recon­nait clai­re­ment l’o­deur du kre­tek, ces ciga­rettes locales, par­fu­mées au clou de girofle et dont le filtre est sucré, une odeur très agréable et pas du tout âcre comme celle des ciga­rettes tra­di­tion­nelles. J’ai quatre heures d’at­tente, qui passent fina­le­ment assez vite.
Des voiles blancs par­tout, des valises iden­tiques à l’en­re­gis­tre­ment, c’est un monde à la fois de simi­li­tudes et de dis­sem­blances que je quitte, un monde dans lequel j’ai mis le pied et dans lequel à pré­sent, j’ai envie de retourner.

Le voyage se ter­mine lorsque l’Air­bus A380 d’E­mi­rates Air­lines pose les roues sur le tar­mac de Rois­sy Charles de Gaulle et que je sors de l’aé­ro­port en ber­mu­da et chaus­sures légères pour rejoindre le taxi, tan­dis que dehors, il ne fait que 7°C.

Sela­mat ting­gal Indonesia !!!

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Java — jour 4

Der­nier jour plein ici avant le départ. Ce matin, faute de Mera­pi, je visi­te­rai la ville de Yogya­kar­ta, ten­tant de l’ap­pri­voi­ser avant de m’en­fuir comme un voleur. Toute la ques­tion est de savoir si j’ar­ri­ve­rai à avoir une autre opi­nion de la ville que la pre­mière impres­sion étrange du pre­mier après-midi. Je demande un taxi pour me rendre au Taman Sari. Lit­té­ra­le­ment, Taman Sari signi­fie “beau jar­din”. Lorsque j’ar­rive sur place, je me rends compte que je suis déjà pas­sé devant, sans m’en rendre compte.

Je prends mon ticket à l’en­trée, où il faut éga­le­ment s’ac­quit­ter d’un droit d’en­trée pour… son appa­reil pho­to, autour duquel il faut faire pas­ser une éti­quette avec un élas­tique. A peine suis-je entré que je me fais prendre en embus­cade par un guide que je n’ai pas le cœur de chas­ser. Le bâti­ment res­semble à un for­tin tel­le­ment son archi­tec­ture est rigo­riste, mais la fonc­tion des lieux était beau­coup plus poé­tique. Ce lieu appar­te­nait, et appar­tient tou­jours au Sul­tan de Yogya­kar­ta (l’ac­tuel se nomme Hameng­ku Buwo­no X), lequel, jus­qu’à XVIIIème siècle s’en ser­vait de jeux d’eau. Si les expli­ca­tions de mon guide sont vraies (je ne sais pas pour­quoi, mais je garde un peu de réserve), les deux pre­miers bas­sins dans les­quels végète une eau sau­mâtre sont le bas­sin des enfants et le bas­sin des femmes. Du haut d’une tour, le sul­tan regar­dait les femmes se bai­gner et leur jetait des bou­quets de fleurs qu’elles devaient attra­per. La gagnante avait le droit de bar­bo­ter avec le sul­tan dans un troi­sième bas­sin, caché celui-ci, puis de finir dans son lit de bam­bou au-des­sous duquel brû­laient des herbes aro­ma­tiques. La légende est jolie, pas sûr qu’elle soit vraie.

L’en­droit est tou­te­fois plein de charmes, les grandes façades claires donnent une impres­sion assez étrange d’ir­réa­li­té, d’une sorte de lieu pré­ser­vé au cœur de la ville bruyante. Les grands visages de Vish­nu pla­cés au-des­sus des portes laissent pen­ser que le sul­tan (musul­man) a lais­sé sur­vivre les anciennes croyances dans une sorte de syn­cré­tisme tolérant.
Mais le temps a pas­sé, le lieu est défraî­chi et aurait besoin d’un seul petit coup de pein­ture et d’une eau chan­gée de temps en temps pour avoir une belle pres­tance. Le lieu est d’au­tant plus étrange qu’il se trouve dans une enceinte, la fameuse enceinte dont j’ai sui­vi le tra­cé le pre­mier jour, à l’in­té­rieur vivent les 9000 per­sonnes qui tra­vaillent encore aujourd’­hui pour le sul­tan. Une vraie petite ville, ou plu­tôt une cour com­plè­te­ment ana­chro­nique dans un pays qui s’ouvre (hum) à la démo­cra­tie (qui, en tout cas, vote). J’ar­rive à me débar­ras­ser de mon guide qui a ten­té de m’en­traî­ner plu­sieurs fois dans des bou­tiques de batik (sans mau­vais jeu de mots) avec un petit billet et après qu’il m’ait indi­qué la mos­quée sou­ter­raine (oui parce lorsque je lui ai deman­dé la direc­tion de la mos­quée, il m’en a indi­qué une autre). Je passe par un che­min abso­lu­ment impro­bable (je com­prends pour­quoi le guide tou­ris­tique disait qu’il valait mieux se faire accom­pa­gner), par lequel il faut se bais­ser sous une ton­nelle, pas­ser dans la cour d’une mai­son basse, emprun­ter un che­min der­rière une grille et tom­ber sur l’en­trée d’un sou­ter­rain que j’emprunte. Arcs bri­sés carac­té­ris­tiques de l’art arabe ; je suis sur le bon che­min. Le sou­ter­rain me fait res­sor­tir de l’autre côté et me voi­ci à nou­veau per­du. Un type essaie de m’en­traî­ner dans ce qu’il appelle le Taman Sari (j’en sors, banane !) et je lui demande poli­ment de m’in­di­quer la mos­quée. Cet idiot me dit d’a­bord qu’il faut que je res­sorte et que je prenne à gauche, avant de se ravi­ser et de me mon­trer le che­min qui passe par la ruine qu’il squatte. Prends-moi pour une cruche. Je fais demi-tour et je tombe sur l’en­trée d’un deuxième sou­ter­rain, mais je ne suis pas bien sûr de moi et la pers­pec­tive de me retrou­ver clan­des­ti­ne­ment dans la cave de quel­qu’un qui n’a rien deman­dé ne m’en­gage pas trop. Je finis par deman­der à un pas­sant qui me confirme que c’est bien là.

La mos­quée s’ap­pelle Mas­jid Bawah Tanah en baha­sa, soit lit­té­ra­le­ment mos­quée sou­ter­raine. En fait de mos­quée, c’est un lieu étrange qui n’a rien d’une mos­quée. L’es­ca­lier des­cend dans un tun­nel qui passe sous le niveau du sol, sous les mai­sons, peut-on pen­ser vu la den­si­té de construc­tion dans les envi­rons. Il débouche dans un atrium cir­cu­laire, une simple bâtisse au plan cir­cu­laire per­cée de fenêtres don­nant sur l’ex­té­rieur pour l’aé­ra­tion. Au centre, un esca­lier à trois volées sur­plombe un petit bas­sin d’eau crou­pie et une qua­trième volée monte vers l’é­tage supé­rieur, tout aus­si cir­cu­laire que le pre­mier, et tout aus­si per­cé d’ou­ver­tures. Pas de trace de mih­rab ou de min­bar, ou de quoi que ce soit qui rap­pelle qu’on est ici dans une mos­quée. A mon sens, l’en­droit devait ser­vir de repaire à his­toires secrètes, ou peut-être à la rigueur de cachette, mais je ne vois pas en quoi cet endroit pour­rait avoir quelque chose à voir avec un lieu de culte.

Je res­sors du lieu pour m’as­seoir sous un arbre, lors­qu’un type m’ac­coste, un Indo­né­sien, s’as­soit en face de moi, se met à me par­ler en anglais, me demande d’où je viens et lors­qu’il est au clair sur le sujet me parle en fran­çais. Nous dis­cu­tons un peu mais comme je suis désor­mais d’un natu­rel méfiant, je me demande à quel moment il va me pro­po­ser d’al­ler voir le musée du batik où soi-disant on ne vend rien. Mais non, il veut sim­ple­ment par­ler, et je finis par me deman­der s’il n’a pas pico­lé un peu… En tout cas, il était plu­tôt sym­pa, et je me suis éclip­sé lors­qu’il m’a pro­po­sé de venir chez lui.

Je m’ar­rête sous un mar­ché cou­vert où on me regarde l’air de dire mais qu’est-ce qu’il fout ici celui-ci ? et où j’a­chète des petits paniers tres­sés à une vieille dame de 96 ans qui rigole de ses deux dents, presque sans mar­chan­der, juste his­toire de dire, mais l’ob­jet de la négo­cia­tion devait tour­ner autour de 3 ou 4 cen­times d’eu­ros. Il fai­sait bon ici, et je me suis plu à tour­ner dans ce mar­ché, res­pi­rant les odeurs du sucre de palme, des fruits sur les éta­lages et du pois­son que per­son­nel­le­ment, je n’au­rais pas mangé.

J’a­chète quelques sou­ve­nirs sur jalan Malio­bo­ro et je des­cends vers Berin­ghar­jo mais tout est déjà fer­mé. J’es­saie de pas­ser par der­rière ; les grilles sont fer­mées. Je tombe sur des gens à qui je demande à l’aide de mon traducteur :
— Tutup ? (fer­mé ?)
— Ya tutup (oui fer­mé) et il me font signe avec les doigts… huit doigts.
Je reste un peu idiot parce que je vou­drais leur deman­der si c’est ouvert le dimanche, donc demain. Je finis par trou­ver la bonne formule.
— Buka ming­gu ? (ouvert dimanche ?)

C’est l’ex­plo­sion de joie, cer­tai­ne­ment parce que j’ai réus­si à me faire com­prendre, ils me font signe que oui et que ça ouvre à 8h00… Je me sens fier de moi…

Je retourne à l’hô­tel en attra­pant le pre­mier taxi, le conduc­teur est un petit mon­sieur tout sec, por­tant un bon­net de ski sur la tête, les yeux pleins de malice et qui rigole tout seul. Je manque d’é­cla­ter de rire lorsque je vois qu’il ne porte pas de chaus­sure. Il est vrai­ment très sym­pa­thique et se laisse prendre en photo.

Chauffeur de Taxi - Yogyakarta - Indonésie - mars 2014

Chauf­feur de Taxi — Yogya­kar­ta — Indo­né­sie — mars 2014

Je rentre à l’hô­tel content de ma jour­née, pen­dant laquelle fina­le­ment, j’ai plu­tôt bien appré­cié la ville et ses habi­tants une fois que j’ai réus­si à faire fi des mar­gou­lins qui n’en vou­laient qu’à mon por­te­feuille parce que mon seul tort est d’a­voir la peau blanche. Qui pour­rait leur en vou­loir ? C’est un peu aga­çant mais tout ceci se fait sans méchan­ce­té et on finit par les voir arri­ver gros comme des baraques avec leurs sabots don­daine, ça fait par­tie du jeu et on arrive vite à s’en accommoder.
Les autres, ce sont eux à la décou­verte des­quels il faut aller.

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