Doğu din­leme n°1 : Le ney magique de Kud­si Ergüner

Doğu din­leme n°1 : Le ney magique de Kud­si Ergüner

J’ai déci­dé de par­ta­ger ici ma dis­co­thèque turque. Bien évi­dem­ment, on y trou­ve­ra peu de choses modernes, mais il y a aura tout de même des sur­prises et c’est avec Kud­si Ergü­ner que j’ai déci­dé de com­men­cer ce tour d’ho­ri­zon. Kud­si Ergü­ner est un des meilleurs spé­cia­listes du ney, ce curieux ins­tru­ment taillé dans un roseau et dont on joue de manière oblique, en souf­flant en biseau dans son col éva­sé. Né à Diyar­bakır dans la Tur­quie kurde, il est désor­mais ins­tal­lé en France et ne cesse de faire décou­vrir cet ins­tru­ment qui est l’ins­tru­ment par essence de la Sema, la très célèbre céré­mo­nie de l’ordre Mev­le­vi dans laquelle on voit tour­ner les non moins célèbres der­viches. Le ney est joué ici beau­coup plus serei­ne­ment que dans ces céré­mo­nies, dans une atti­tude médi­ta­tive qui ne peut qu’ap­por­ter un cer­tain bien-être. A écou­ter les yeux fer­més, de pré­fé­rence en buvant un thé noir bien fort dans un verre tulipe…

Kudsi Ergüner

[audio:sinan.xol]

Sinan (Dans Le Makam Huz­zam) par Kud­si Ergüner
Ney, la flûte sacrée des der­viches tour­neurs (1995)

ℑ — Doğu din­leme n°2 : Mer­can Dede

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Susan­na und die bei­den Alten (Suzanne au bain) d’Al­brecht Altdorfer

Susan­na und die bei­den Alten (Suzanne au bain) d’Al­brecht Altdorfer

Albrecht Alt­dor­fer, comme son nom l’in­dique, est ori­gi­naire d’Alt­dorf en Autriche. Contem­po­rain de l’autre Albrecht (Dürer), il est un des repré­sen­tants de cette école qu’on dit du Danube et que l’on consi­dère plus comme un style ; dans cette école, on retrouve des peintres et des gra­veurs, fas­ci­nés par un cer­tain roman­tisme du pay­sage et dans lequel se déve­loppe une concep­tion tara­bis­co­tée de l’architecture.

Albrecht Altdorfer - Suzanne au bain - 1526 - 74x61cm - Alte Pinakothek - Münich - Panneau de tilleul

Albrecht Alt­dor­fer — Suzanne au bain — 1526 — 74x61cm — Alte Pina­ko­thek — Münich — Pan­neau de tilleul

Ce tableau d’Alt­dor­fer dont le nom alle­mand est Susan­na und die bei­den Alten, c’est-à-dire Suzanne et les deux vieillards, fait réfé­rence à un épi­sode de la Bible, du livre de Daniel pré­ci­sé­ment. Cet épi­sode raconte l’his­toire d’une jeune don­zelle qui, tan­dis qu’elle prend son bain, est épiée par deux vieillards qui lui feront des pro­po­si­tions mal­hon­nêtes. Mais Suzanne est mariée et en bonne épouse, refuse les pro­po­si­tions des deux bar­bons qui, fâchés de n’a­voir pu déchar­ger leur sur­plus de ten­sion sexuelle l’ac­cu­se­ront tout bon­ne­ment d’a­dul­tère. Ni une ni deux, l’a­dul­tère est pas­sible de la peine de mort, mais si cette affaire là n’é­tait hau­te­ment sym­bo­lique et fina­le­ment morale, Suzanne aurait sim­ple­ment fini sur le bûcher et on n’au­rait plus par­lé de l’af­faire… C’est sans comp­ter sur l’ap­pa­ri­tion du pro­phète Daniel du livre épo­nyme, qui fit tout pour prou­ver l’in­no­cence de la jeune dame et la faire acquit­ter. La morale est sauve, les bar­bons sont lapi­dés, et la jeune femme peut s’en aller tran­quille­ment retrou­ver son mari. On l’a échap­pé belle…

A pré­sent, regar­dons un peu com­ment est construit le tableau. Mal­heu­reu­se­ment, l’im­pos­si­bi­li­té de trou­ver une ver­sion en haute défi­ni­tion m’empêche de pou­voir regar­der l’œuvre de près (vous me direz que je n’ai pour ça qu’à aller à Münich) et d’en déduire des détails qu’on retrou­ve­rait dans l’his­toire, mais allons‑y tout de même.
Comme on l’au­ra com­pris, l’ar­chi­tec­ture prend une place impor­tante dans cette huile, une bonne moi­tié dans la médiane, mais le sujet n’est tout de même pas noyé sous la masse car il est bien pré­sent au pre­mier plan. C’est en réa­li­té une scène décom­po­sée qu’on retrouve en plu­sieurs endroits et étran­ge­ment, la scène dont il est ques­tion n’est même pas figu­rée ; je veux dire par là que nulle part il est ques­tion de Suzanne au bain à pro­pre­ment par­ler. La morale (pro­tes­tante) est sauve. On voit donc trois ser­vantes s’oc­cu­per de la toi­lette de la jeune fille. Dans les four­rés, presque invi­sibles, les deux vieillards épient ladite Suzanne. Dans l’ordre de l’his­toire, les trois ser­vantes sortent et Suzanne est seule. Là non plus, on ne voit rien de ceci. En revanche, accor­dons-nous à regar­der les détails : regar­dez au fond du jar­din, on voit une jeune fille seule devant une porte close. On sug­gère ici qu’elle se retrouve seule.
De la même manière, on ne voit à aucun moment une scène dans laquelle on pour­rait entr’a­per­ce­voir un viol ou quelque chose de cette nature. En revanche, au second plan, une table et un mor­ceau de pain enta­mé et les vête­ments d’un homme posés sur une ram­barde ; ce qui est figu­ré ici sans être mani­fes­te­ment mon­tré, c’est l’ac­cu­sa­tion men­son­gère des bar­bons, l’acte pré­su­mé dont ils l’accusent.
Suzanne à la toi­lette est ins­tal­lée sur un tapis ; elle ne foule donc pas l’herbe, espace sacré, repré­sen­tant cer­tai­ne­ment le jar­din d’E­den, et dans ce même jar­din, on voit deux fleurs rouges, signes de la pré­sence de l’es­prit divin. Ici on parle donc de la pure­té de la jeune fille, dont on n’a aucun doute par ailleurs (nous connais­sons l’his­toire…). Tout ceci est redit une fois lors­qu’on voit Suzanne gra­vir les marches de l’es­ca­lier, avec dans la main un lys blanc, sym­bole de pure­té (et non de vir­gi­ni­té, Suzanne est mariée…) et un broc d’eau, cer­tai­ne­ment pure elle aussi.

Voi­ci pour ce qui se passe dans le jar­din. L’a­près se situe dans le palais du mari de Suzanne. Là encore on retrouve plu­sieurs scènes décom­po­sées qui ne vont plus de gauche à droite, mais de droite à gauche. Que de monde dans cette scène, que de per­son­nages ! On arrive tout de même à déce­ler le moment du pro­cès des vieux hommes avec la pré­sence de Daniel, pré­sen­té sous la forme d’un enfant blond per­ché en hau­teur, nim­bé d’or, tout à droite. On voit ensuite leur lapi­da­tion sur le par­vis et sur la gauche, une fon­taine qui dit que l’hon­neur de Suzanne est lavé.

Lors­qu’on regarde le des­sin pré­li­mi­naire ci-des­sous, on voit que le réagen­ce­ment des scènes de manière cir­cu­laire a été fait volon­tai­re­ment puis­qu’il n’é­tait pas pré­vu au départ.

Albrecht Altdorfer - Suzanne au bain - Dessin à la plume - 33x27cm - Museum Kunstpalast - Sammlung der Kunstakademie - Düsseldorf

Albrecht Alt­dor­fer — Suzanne au bain — Des­sin à la plume — 33x27cm — Museum Kunst­pa­last — Samm­lung der Kuns­ta­ka­de­mie — Düsseldorf

Enfin, pour ter­mi­ner, le tableau est conçu de telle sorte qu’il y ait une grande dis­tance (le fameux point de dis­tance) entre le spec­ta­teur et la scène du pre­mier plan, comme si nous ne devions pas nous inclure dans la scène, car évi­dem­ment, nous ne sommes pas ces vieux satyres qui ont pro­po­sé la baga­telle à Suzanne… Pour­tant, à y bien regar­der, la vue res­semble étran­ge­ment à ce qui peut être fait avec une pho­to prise au grand angle. On peut remar­quer aus­si que le point de vue, l’en­droit à par­tir duquel nous voyons la scène fait que nous sommes au même niveau que la foule qui se presse aux fenêtres du palais, c’est-à-dire assez haut. Tout ceci se passe sous nos yeux, nous en sommes les témoins et la morale se déroule ici : l’his­toire des trois vieillards s’ef­fondre à cause d’un témoi­gnage, celui des ser­vantes (Quand les ser­vi­teurs de la mai­son enten­dirent les cris pous­sés dans le jar­din, ils se pré­ci­pi­tèrent par la porte de der­rière pour voir ce qu’il y avait).

Vous avez com­pris le mes­sage ? Si vous voyez une scène de laquelle peut décou­ler une accu­sa­tion trom­peuse et pré­ci­pi­ter un inno­cent dans les tour­ments de l’in­jus­tice, il faut inter­ve­nir et dénon­cer le cou­pable. Mau­vais chré­tiens que vous êtes !!

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D’huile et de chair

Voi­ci une expé­rience tout à fait éton­nante de la part de l’I­ta­lien Rino Ste­fa­no Taglia­fier­ro qui s’est adon­né à un exer­cice assez décon­cer­tant. Il s’est mis en tête d’a­ni­mer des toiles grâce à l’i­ma­ge­rie numé­rique, avec juste ce qu’il faut de mou­ve­ment pour don­ner l’im­pres­sion que le sujet est vivant. C’est assez trou­blant dans son ensemble puis­qu’il a acco­lé une cen­taine de tableaux, évo­quant aus­si bien une cer­taine idée de l’é­ro­tisme que de la folie ; ces mou­ve­ments rendent beau­coup plus sen­sibles les sujets. La musique, inquié­tante elle-aus­si, donne une cer­taine idée d’un roman­tisme très dix-neu­vième, dans une cohé­rence vive­ment recherchée.
La vidéo s’ap­pelle en toute sim­pli­ci­té Beau­ty et on peut retrou­ver ici le nom de toutes les toiles uti­li­sées. A regar­der en plein écran de pré­fé­rence pour se plon­ger dedans…

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II. Tous les matins de l’hiver

II. Tous les matins de l’hiver

J’ai bien dû voir tous les matins de l’hi­ver, tous les soleils se lever, tous les hori­zons sor­tir des ténèbres ; je ne crois pas en avoir oublié un seul, sauf peut-être celui du 1er jan­vier, mais je déteste le 1er jan­vier. Les années qui com­mencent sont signes d’in­cer­ti­tude et l’in­cer­ti­tude m’an­goisse, même si elle me porte.
Ces petits matins sont mélan­co­liques par nature, heu­reux fon­da­men­ta­le­ment, une par­celle d’é­veil à la vie qui rap­pelle les plus beaux ins­tants de bon­heur vécus.
Tout va len­te­ment, j’ai déci­dé de ne plus me pres­ser ; le temps passe à la lueur des bou­gies. Le temps, ça se prend.
A comp­ter de demain, j’é­cris, j’é­cris pour oublier le pas­sé et faire un appel d’air pour le futur ; le feu ne consomme qu’à l’aide de l’air frais. Je fais du pied à ce qui s’ouvre.

Pho­to © Maga­li M

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I. Sauts de puce dans l’O­céan Indien

I. Sauts de puce dans l’O­céan Indien

Le matin froid se lève, je reste pros­tré, le nez dans mon bou­quin, les bras endo­lo­ris par je ne sais quoi. J’en­tends dans le jar­din les tour­te­relles rou­cou­ler comme au pre­mier matin du prin­temps sur la che­mi­née, mais l’hi­ver est encore là et bien là, même si plus rien ne laisse pré­sa­ger qu’il pour­ra se mon­trer dans son vrai man­teau d’i­ci mars. La nature reprend de la vigueur ; le gel n’a aucune prise ici.

Je conti­nue d’é­cu­mer les pages qui défilent sans las­si­tude, je n’ar­rive même pas à me fati­guer. Les jours passent tran­quille­ment, les angoisses de la nuit se dis­sipent et le soleil me taquine du pied. La clo­chette de l’ar­bris­seau me dit qu’il est temps, un vent léger la fait tin­ter au cré­pus­cule et me susurre à l’o­reille qu’il serait peut-être temps de repar­tir. Cette fois-ci, on ne m’y repren­dra pas, je pars avec toute la méfiance du monde, les Thaïs m’ont habi­tué à ne pas être trop atten­tif à leur œillades ; per­sonne dans ce monde ne veut natu­rel­le­ment du bien à son pro­chain, sans rai­son, sans contrepartie.

La des­ti­na­tion se révèle dou­ce­ment, ce sera à nou­veau l’O­céan Indien, mais pas le Golfe de Thaï­lande. Je crois que d’i­ci à ce que je retourne en Thaï­lande, il y aura du temps et je n’i­rai à nou­veau que dans le nord, à Chiang Mai, et dans le sud de Bang­kok. Les îles ne m’in­té­ressent pas, je n’ai que faire des pay­sages de rêve des plages au sable blanc et au soleil brû­lant. Je suis un urbain et un sau­vage, un nomade ter­rien, jouer les lézards sur la plage m’en­nuie, même si je dois avouer que se repo­ser loin de tout à l’autre bout du monde a quelque chose de magique. Mais j’ai autre chose à faire, j’ai une pla­nète à voir.

Je rêve de sauts de puce dans l’O­céan Indien. Dix jours à ma dis­po­si­tion pour me gaver d’i­mages et de mots de là-bas, de notes de musique que j’ai enten­du dans mon ado­les­cence, tam­bours et per­cus­sions scan­dées dans des transes dou­lou­reuses, odeurs d’é­pices cha­toyantes et cou­leurs incon­nues. Pour l’ins­tant, ce n’est qu’un pro­jet, mais les gens de là-bas vont voir mon visage.

Je rêve aus­si de vol­cans, de routes de sable ava­lées en scoo­ter, de pentes à se dam­ner, la végé­ta­tion infer­nale et toute une fouille de détails où perdre son regard. Le temps d’en par­ler et j’ai déjà presque la cer­ti­tude de l’en­droit qui me fait rêver…

Pho­to © Marc-André Jung

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