Jan 24, 2014 | Chambre acoustique, Doğu dinleme |
J’ai décidé de partager ici ma discothèque turque. Bien évidemment, on y trouvera peu de choses modernes, mais il y a aura tout de même des surprises et c’est avec Kudsi Ergüner que j’ai décidé de commencer ce tour d’horizon. Kudsi Ergüner est un des meilleurs spécialistes du ney, ce curieux instrument taillé dans un roseau et dont on joue de manière oblique, en soufflant en biseau dans son col évasé. Né à Diyarbakır dans la Turquie kurde, il est désormais installé en France et ne cesse de faire découvrir cet instrument qui est l’instrument par essence de la Sema, la très célèbre cérémonie de l’ordre Mevlevi dans laquelle on voit tourner les non moins célèbres derviches. Le ney est joué ici beaucoup plus sereinement que dans ces cérémonies, dans une attitude méditative qui ne peut qu’apporter un certain bien-être. A écouter les yeux fermés, de préférence en buvant un thé noir bien fort dans un verre tulipe…
[audio:sinan.xol]
Sinan (Dans Le Makam Huzzam) par Kudsi Ergüner
Ney, la flûte sacrée des derviches tourneurs (1995)
ℑ — Doğu dinleme n°2 : Mercan Dede
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Jan 24, 2014 | Arts |
Albrecht Altdorfer, comme son nom l’indique, est originaire d’Altdorf en Autriche. Contemporain de l’autre Albrecht (Dürer), il est un des représentants de cette école qu’on dit du Danube et que l’on considère plus comme un style ; dans cette école, on retrouve des peintres et des graveurs, fascinés par un certain romantisme du paysage et dans lequel se développe une conception tarabiscotée de l’architecture.
Albrecht Altdorfer — Suzanne au bain — 1526 — 74x61cm — Alte Pinakothek — Münich — Panneau de tilleul
Ce tableau d’Altdorfer dont le nom allemand est Susanna und die beiden Alten, c’est-à-dire Suzanne et les deux vieillards, fait référence à un épisode de la Bible, du livre de Daniel précisément. Cet épisode raconte l’histoire d’une jeune donzelle qui, tandis qu’elle prend son bain, est épiée par deux vieillards qui lui feront des propositions malhonnêtes. Mais Suzanne est mariée et en bonne épouse, refuse les propositions des deux barbons qui, fâchés de n’avoir pu décharger leur surplus de tension sexuelle l’accuseront tout bonnement d’adultère. Ni une ni deux, l’adultère est passible de la peine de mort, mais si cette affaire là n’était hautement symbolique et finalement morale, Suzanne aurait simplement fini sur le bûcher et on n’aurait plus parlé de l’affaire… C’est sans compter sur l’apparition du prophète Daniel du livre éponyme, qui fit tout pour prouver l’innocence de la jeune dame et la faire acquitter. La morale est sauve, les barbons sont lapidés, et la jeune femme peut s’en aller tranquillement retrouver son mari. On l’a échappé belle…
A présent, regardons un peu comment est construit le tableau. Malheureusement, l’impossibilité de trouver une version en haute définition m’empêche de pouvoir regarder l’œuvre de près (vous me direz que je n’ai pour ça qu’à aller à Münich) et d’en déduire des détails qu’on retrouverait dans l’histoire, mais allons‑y tout de même.
Comme on l’aura compris, l’architecture prend une place importante dans cette huile, une bonne moitié dans la médiane, mais le sujet n’est tout de même pas noyé sous la masse car il est bien présent au premier plan. C’est en réalité une scène décomposée qu’on retrouve en plusieurs endroits et étrangement, la scène dont il est question n’est même pas figurée ; je veux dire par là que nulle part il est question de Suzanne au bain à proprement parler. La morale (protestante) est sauve. On voit donc trois servantes s’occuper de la toilette de la jeune fille. Dans les fourrés, presque invisibles, les deux vieillards épient ladite Suzanne. Dans l’ordre de l’histoire, les trois servantes sortent et Suzanne est seule. Là non plus, on ne voit rien de ceci. En revanche, accordons-nous à regarder les détails : regardez au fond du jardin, on voit une jeune fille seule devant une porte close. On suggère ici qu’elle se retrouve seule.
De la même manière, on ne voit à aucun moment une scène dans laquelle on pourrait entr’apercevoir un viol ou quelque chose de cette nature. En revanche, au second plan, une table et un morceau de pain entamé et les vêtements d’un homme posés sur une rambarde ; ce qui est figuré ici sans être manifestement montré, c’est l’accusation mensongère des barbons, l’acte présumé dont ils l’accusent.
Suzanne à la toilette est installée sur un tapis ; elle ne foule donc pas l’herbe, espace sacré, représentant certainement le jardin d’Eden, et dans ce même jardin, on voit deux fleurs rouges, signes de la présence de l’esprit divin. Ici on parle donc de la pureté de la jeune fille, dont on n’a aucun doute par ailleurs (nous connaissons l’histoire…). Tout ceci est redit une fois lorsqu’on voit Suzanne gravir les marches de l’escalier, avec dans la main un lys blanc, symbole de pureté (et non de virginité, Suzanne est mariée…) et un broc d’eau, certainement pure elle aussi.
Voici pour ce qui se passe dans le jardin. L’après se situe dans le palais du mari de Suzanne. Là encore on retrouve plusieurs scènes décomposées qui ne vont plus de gauche à droite, mais de droite à gauche. Que de monde dans cette scène, que de personnages ! On arrive tout de même à déceler le moment du procès des vieux hommes avec la présence de Daniel, présenté sous la forme d’un enfant blond perché en hauteur, nimbé d’or, tout à droite. On voit ensuite leur lapidation sur le parvis et sur la gauche, une fontaine qui dit que l’honneur de Suzanne est lavé.
Lorsqu’on regarde le dessin préliminaire ci-dessous, on voit que le réagencement des scènes de manière circulaire a été fait volontairement puisqu’il n’était pas prévu au départ.
Albrecht Altdorfer — Suzanne au bain — Dessin à la plume — 33x27cm — Museum Kunstpalast — Sammlung der Kunstakademie — Düsseldorf
Enfin, pour terminer, le tableau est conçu de telle sorte qu’il y ait une grande distance (le fameux point de distance) entre le spectateur et la scène du premier plan, comme si nous ne devions pas nous inclure dans la scène, car évidemment, nous ne sommes pas ces vieux satyres qui ont proposé la bagatelle à Suzanne… Pourtant, à y bien regarder, la vue ressemble étrangement à ce qui peut être fait avec une photo prise au grand angle. On peut remarquer aussi que le point de vue, l’endroit à partir duquel nous voyons la scène fait que nous sommes au même niveau que la foule qui se presse aux fenêtres du palais, c’est-à-dire assez haut. Tout ceci se passe sous nos yeux, nous en sommes les témoins et la morale se déroule ici : l’histoire des trois vieillards s’effondre à cause d’un témoignage, celui des servantes (Quand les serviteurs de la maison entendirent les cris poussés dans le jardin, ils se précipitèrent par la porte de derrière pour voir ce qu’il y avait).
Vous avez compris le message ? Si vous voyez une scène de laquelle peut découler une accusation trompeuse et précipiter un innocent dans les tourments de l’injustice, il faut intervenir et dénoncer le coupable. Mauvais chrétiens que vous êtes !!
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Jan 23, 2014 | Arts, L'oeil de la caméra |
Voici une expérience tout à fait étonnante de la part de l’Italien Rino Stefano Tagliafierro qui s’est adonné à un exercice assez déconcertant. Il s’est mis en tête d’animer des toiles grâce à l’imagerie numérique, avec juste ce qu’il faut de mouvement pour donner l’impression que le sujet est vivant. C’est assez troublant dans son ensemble puisqu’il a accolé une centaine de tableaux, évoquant aussi bien une certaine idée de l’érotisme que de la folie ; ces mouvements rendent beaucoup plus sensibles les sujets. La musique, inquiétante elle-aussi, donne une certaine idée d’un romantisme très dix-neuvième, dans une cohérence vivement recherchée.
La vidéo s’appelle en toute simplicité Beauty et on peut retrouver ici le nom de toutes les toiles utilisées. A regarder en plein écran de préférence pour se plonger dedans…
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Jan 21, 2014 | Routes croisées |
J’ai bien dû voir tous les matins de l’hiver, tous les soleils se lever, tous les horizons sortir des ténèbres ; je ne crois pas en avoir oublié un seul, sauf peut-être celui du 1er janvier, mais je déteste le 1er janvier. Les années qui commencent sont signes d’incertitude et l’incertitude m’angoisse, même si elle me porte.
Ces petits matins sont mélancoliques par nature, heureux fondamentalement, une parcelle d’éveil à la vie qui rappelle les plus beaux instants de bonheur vécus.
Tout va lentement, j’ai décidé de ne plus me presser ; le temps passe à la lueur des bougies. Le temps, ça se prend.
A compter de demain, j’écris, j’écris pour oublier le passé et faire un appel d’air pour le futur ; le feu ne consomme qu’à l’aide de l’air frais. Je fais du pied à ce qui s’ouvre.
Photo © Magali M
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Jan 18, 2014 | Routes croisées |
Le matin froid se lève, je reste prostré, le nez dans mon bouquin, les bras endoloris par je ne sais quoi. J’entends dans le jardin les tourterelles roucouler comme au premier matin du printemps sur la cheminée, mais l’hiver est encore là et bien là, même si plus rien ne laisse présager qu’il pourra se montrer dans son vrai manteau d’ici mars. La nature reprend de la vigueur ; le gel n’a aucune prise ici.
Je continue d’écumer les pages qui défilent sans lassitude, je n’arrive même pas à me fatiguer. Les jours passent tranquillement, les angoisses de la nuit se dissipent et le soleil me taquine du pied. La clochette de l’arbrisseau me dit qu’il est temps, un vent léger la fait tinter au crépuscule et me susurre à l’oreille qu’il serait peut-être temps de repartir. Cette fois-ci, on ne m’y reprendra pas, je pars avec toute la méfiance du monde, les Thaïs m’ont habitué à ne pas être trop attentif à leur œillades ; personne dans ce monde ne veut naturellement du bien à son prochain, sans raison, sans contrepartie.
La destination se révèle doucement, ce sera à nouveau l’Océan Indien, mais pas le Golfe de Thaïlande. Je crois que d’ici à ce que je retourne en Thaïlande, il y aura du temps et je n’irai à nouveau que dans le nord, à Chiang Mai, et dans le sud de Bangkok. Les îles ne m’intéressent pas, je n’ai que faire des paysages de rêve des plages au sable blanc et au soleil brûlant. Je suis un urbain et un sauvage, un nomade terrien, jouer les lézards sur la plage m’ennuie, même si je dois avouer que se reposer loin de tout à l’autre bout du monde a quelque chose de magique. Mais j’ai autre chose à faire, j’ai une planète à voir.
Je rêve de sauts de puce dans l’Océan Indien. Dix jours à ma disposition pour me gaver d’images et de mots de là-bas, de notes de musique que j’ai entendu dans mon adolescence, tambours et percussions scandées dans des transes douloureuses, odeurs d’épices chatoyantes et couleurs inconnues. Pour l’instant, ce n’est qu’un projet, mais les gens de là-bas vont voir mon visage.
Je rêve aussi de volcans, de routes de sable avalées en scooter, de pentes à se damner, la végétation infernale et toute une fouille de détails où perdre son regard. Le temps d’en parler et j’ai déjà presque la certitude de l’endroit qui me fait rêver…
Photo © Marc-André Jung
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