Plu­sieurs visions d’un même couple mythique dans l’art, Eros et Psyché

L’his­toire d’Eros et Psy­ché est une his­toire tra­gique comme les Grecs les aimaient tant, une his­toire dans laquelle Psy­ché, femme à la beau­té incroyable se voit l’ob­jet de cultes et de dévo­tions de la part des Hommes, mais ne trouve pas de mari pour l’é­pou­ser, contrai­re­ment à ses deux sœurs. Le culte dont elle est l’ob­jet agace for­te­ment Aphro­dite, jalouse qu’on puisse la concur­ren­cer. Elle envoie alors Eros pour la séduire et la punir en fai­sant en sorte qu’elle tombe amou­reuse d’un humain mépri­sable, mais l’his­toire tourne court quand Eros lui-même tombe amou­reux de sa proie à la beau­té insou­te­nable en se bles­sant avec une de ses flèches (car Eros n’est ni plus ni moins qu’un ange­lot armé d’un arc et de flèches…). Psy­ché arrive à échap­per au cruel des­tin que la Pythie lui pré­dit et Eros la rejoint dans la palais d’or dans lequel Zephyr l’a dépo­sée. Tous les deux passent leurs nuits à faire l’a­mour (c’est en tout cas comme ça que je tra­duis la scène ; il y a peu de chances pour que leurs nuits fussent pas­sées à lire les Méta­mor­phoses d’O­vide…) mais le dieu de l’a­mour deman­da à son amante de ne pas cher­cher à connaître son iden­ti­té. Com­blée, elle sou­haite tou­te­fois décou­vrir l’i­den­ti­té de son amant qui la quitte tous les matins avant l’aube, et tan­dis qu’elle tend une lampe à huile au-des­sus du visage du jeune homme, une goutte tombe sur son épaule et le réveille. Furieux, il s’en­fuit et Aphro­dite sou­met la traî­tresse à une série d’é­preuves dont elle ne sor­ti­ra pas indemne. Eros la rani­me­ra d’un bai­ser… et l’emmènera devant Zeus qui lui fera boire l’am­broi­sie, pour lui don­ner l’éternité.

Cette his­toire d’a­mour com­plexe et tour­men­tée a ins­pi­ré bon nombre d’ar­tistes dont ils ont ren­du des ver­sions plus ou moins heu­reuses, plus ou moins sen­suelles… Petit tour d’ho­ri­zon avec des peintres peu connus et un sculpteur.

Káro­ly BRO­CKY (Hon­grois): Eros est repré­sen­té avec le corps d’un ado­les­cent, mais à regar­der de plus près, on jure­rait que c’est le corps d’une per­sonne de petite taille. Les pro­por­tions sont étran­ge­ment courtes et on voit bien que la jambe d’E­ros est plus petite que celle de Psy­ché. Son tronc semble par contre trop grand. Sa posi­tion défie les lois de l’at­trac­tion et nous confirme que nous sommes bien en pré­sence d’un être fan­tas­tique. C’est une œuvre qui m’a l’air neutre, sans grand inté­rêt, sur­tout pour un peintre tardif.

Fran­çois-Édouard PICOT (Fran­çais): De la part d’un peintre néo­clas­sique, on pou­vait s’at­tendre à trou­ver dans cette his­toire un sujet par­fait. Nous avons ici un Eros gam­ba­dant, dans un style lyrique et enle­vé dans un décor dra­pé, pro­pret et ordon­né. Même les ailes d’E­ros ne sont pas frois­sées après cette nuit d’a­mour. Tout ici semble trop ran­gé, trop mis en scène, la toile manque cruel­le­ment de spon­ta­néi­té, et au lieu d’une nuit d’a­mour pas­sion­née, on se croi­rait plu­tôt dans une pièce de théâtre antique par­fai­te­ment acces­soi­ri­sée. Tou­te­fois, la lumière est abso­lu­ment superbe.

Hugh Dou­glas HAMIL­TON (Irlan­dais): J’aime beau­coup celui-ci (peut-être parce que Psy­ché res­semble à une fille que je connais). Le mou­ve­ment d’E­ros est tout en ten­sion et enve­loppe son amante. Ici le décor n’est plus une chambre, mais nous sommes en pleine nature, ce qui aug­mente l’im­pres­sion de clan­des­ti­ni­té, et Psy­ché étran­ge­ment, a les yeux ouverts. Pour le coup, je me demande si la scène cor­res­pond à la période où ils se ren­contrent dans le secret ou si ce n’est pas le moment où il la res­sus­cite, d’au­tant qu’elle aus­si porte une paire d’ailes. Est-ce parce que l’au­teur est Irlan­dais, mais il me semble que les amants ont les che­veux roux, non ?

Jacques-Louis DAVID (Fran­çais, à ne pas confondre avec le coif­feur): Je n’ai jamais beau­coup aimé David, trop pom­peux à mon goût, trop par­ti­san ou trop napo­léo­nien pour être hon­nête. Ici, il me donne une autre bonne occa­sion de ne pas spé­cia­le­ment l’ap­pré­cier, car je trouve l’œuvre pré­sente ridi­cule. Si cette Psy­ché m’in­dif­fère par sa froi­deur, Eros a la trogne rouge et avi­née d’un faune bac­chu­sien et le che­veux lui­sant. On croi­rait un soû­lard qui vient de tirer son coup, plu­tôt fier de ses prouesses. De plus, on a presque l’im­pres­sion qu’il regarde le peintre de la scène… Vrai­ment, je la trouve inconvenante. 

Joshua REY­NOLDS (Anglais): Voi­ci cer­tai­ne­ment la repré­sen­ta­tion que je trouve la plus belle et la plus sen­suelle car la scène est prise sur le vif ; la main ouverte de Psy­ché le signi­fie bien. Eros, quant à lui, est ici désa­cra­li­sé ; c’est un être frêle, pâle et jeune, mais d’une beau­té trou­blante. Son som­meil a l’air pro­fond et l’ex­pres­sion de son amante tra­duit son admi­ra­tion, et cer­tai­ne­ment aus­si le sou­la­ge­ment. Rey­nolds fut le maître de William Turner.

Anto­nio CANO­VA (Ita­lien): Je me sou­viens que mon pro­fes­seur de des­sin détes­tait Cano­va et qu’il m’in­vi­tait à me détour­ner de son œuvre, qui est pour­tant d’une grand finesse, si l’on exclue son propre tom­beau, par­ti­cu­liè­re­ment de mau­vais goût. Cette sculp­ture de Cano­va est à mon sens d’une grande beau­té. C’est ici la scène de la résur­rec­tion qui est évo­quée et la posi­tion d’E­ros sou­te­nant le corps de son aimée qui à sa tour le prend de ses deux mains et un geste d’une finesse et d’une déli­ca­tesse hors du com­mun, fluide et natu­relle, même si au fond, si on enlève toute poé­sie à la situa­tion, je doute qu’il puisse la rete­nir par l’en­droit où il la tient sans lui faire mal… (on me dit dans l’o­reillette que ce n’est qu’une sta­tue de marbre blanc et non de vrais êtres de chair). Cano­va a su trans­fi­gu­rer la scène et la rendre légère et sacrée, ce qui n’est pas for­cé­ment le cas des autres œuvres.

Read more

(Bis­mil­lah) يسم الله الرحمن الرحيم

Voi­ci le temps où je n’ai plus à me plaindre de n’a­voir rien à dire… Deux his­toires qui se pro­filent, des mots qui s’as­semblent, des bribes de sce­na­rii qui s’a­gencent comme un désir ful­gu­rant. Je ne pré­vois pas de dor­mir plus que de rai­son ces pro­chains temps. J’ai repris des forces ces der­niers jours, l’air de rien, l’air de ne pas y tou­cher, les touches me glissent sous les doigts et puis pour­quoi pas une seule his­toire après tout. Il faut que je recherche dans les tré­fonds de mon âme et de mon his­toire per­son­nelle pour retrou­ver une telle émo­tion, une telle envie de puis­sance, même si en appa­rence tout tend à démon­trer le contraire. Rien ne va très bien, mais d’ex­pé­rience, je sais que ce sont des moments de crise que sur­gissent les évé­ne­ments les plus impor­tants d’une his­toire. A moi de pro­vo­quer le destin.

[audio:TheBeepBeepSong.xol]

J’aime bien prendre la catas­trophe de la Tun­gus­ka comme une méta­phore de ce qui arrive par­fois dans un par­cours. Un évé­ne­ment sur­gi de nulle part dévaste tout, sans rai­son appa­rente et sans cause connue. La catas­trophe détruit tout dans un rayon de 20 kilo­mètres, occa­sionne des dégâts sur plus de 100 et se fait entendre sur plus de 1500… et tout le monde s’en contre­fout car il n’y a rien de connu au milieu de cette nature, rien qui ne soit cher à qui que ce soit. Tun­gus­ka, c’est un Hiro­shi­ma à l’en­vers ; une catas­trophe dont on se fout n’est plus une catas­trophe, c’est juste un évé­ne­ment isolé.
C’est la loi du témoi­gnage. Si per­sonne n’est là pour attes­ter d’un fait, le fait n’existe pas. Pour qu’il y ait un assas­si­nat, il faut être trois. Un assas­sin, une vic­time et un témoin. Sans témoin, ce n’est pas un assas­si­nat, c’est une dis­pa­ri­tion et il n’en reste plus qu’un. Qui était là pour attes­ter du meurtre d’A­bel par son frère ?


Abel et Cain par Tin­to­ret­to (Jaco­po Robusti)

La loi du témoi­gnage néces­site tou­jours d’a­voir quel­qu’un pour attes­ter. J’aime beau­coup ce mot, attes­ter. Il porte en lui une cer­taine solen­ni­té, un je-ne-sais-quoi d’à la fois pom­peux et de grave. De la même manière, on pour­rait dire éga­le­ment que l’a­mour n’existe pas à deux mais à trois. Un amant, une amante (ou un autre amant, ou deux amantes…) et un jaloux, ou écon­duit… Le troi­sième vient attes­ter du fait que les deux autres s’aiment et fonde leur amour en en étant exclu. L’ai­greur de l’a­mou­reux écon­duit est le témoi­gnage de l’a­mour uni­ver­sel. Existe-t-il en dehors de cela ?
Y aurait-il des malades s’il n’exis­tait pas de médecins ?
Y aurait-il la paix s’il n’y avait pas eu des guerres ?
Aurait-on des vacances si on ne tra­vaillait pas ?
Et sur­tout l’a­mour exis­te­rait-il réel­le­ment s’il ne conte­nait pas déjà en lui-même sa propre déception ?

Je crois éga­le­ment que l’ou­bli a un rôle à jour dans cette loi, l’ou­bli et le sou­ve­nir. Ce qui s’ou­blie par manque d’in­té­rêt peut très bien res­sur­gir lorsque la mémoire col­lec­tée refait sur­face. On croit que les his­toires d’un petit vil­lage l’ont plon­gé dans l’a­no­ny­mat, mais quel­qu’un sort de son car­ton de vieilles cartes pos­tales jau­nies, toutes droit sor­ties d’un autre temps, d’une autre réa­li­té. Les his­toires sont retrou­vées, les langues se délient, tout à coup on se sou­vient de Mr Machin qui était un sacré bon­homme et qui col­lec­tait les bou­teilles en verre consi­gnées et de cette petite place sur laquelle il y avait une fon­taine, et qu’on a rasé car elle mena­çait de s’ef­fon­drer. Mais le sou­ve­nir est là, dans sa latence et il n’at­tend qu’un petit déclen­che­ment pour sur­gir, comme un évé­ne­ment, comme dans la toun­dra, au beau milieu de nulle part.
J’ai trou­vé un peu par hasard ce blog : Les Abbesses de Gagny-Chelles. Le pre­mier billet que j’y trouve s’ap­pelle ain­si : Carte pos­tale rare du tabac de l’Ab­baye (Gagny Quar­tier du Ches­nay) alors for­cé­ment, je ne peux m’empêcher de sou­rire un peu, légè­re­ment iro­nique parce que comme tout le monde, je me dis mais qui cela peut-il donc inté­res­ser ?, et en dérou­lant le fil, la réponse devient évidente.

J’ai lu les his­toires de ces familles implan­tées dans ce quar­tier, la famille Bogast­sheff, la famille Gro­moff et son café, Féli­pa Munoz, la cen­te­naire, j’ai lu toutes ces his­toires, des his­toires com­munes, per­son­nelles, de famille qui ont tra­ver­sé notre his­toire contem­po­raine. La mémoire col­lec­tée et retrans­crite fonde leur ano­ny­mat comme une his­toire. Le témoi­gnage donne consis­tance à l’ou­bli et l’é­vé­ne­ment surgit…

La loi du témoi­gnage est éga­le­ment une loi qui a une forte valeur en art. L’ar­tiste est éga­le­ment témoin, il atteste d’une réa­li­té qui peut paraître incon­nue tant que celle-ci n’est pas attes­tée au tra­vers de son œuvre. C’est ain­si que le réa­li­té de cer­taines œuvres d’art paraît plus réelle que la réa­li­té elle-même. Le rôle de l’ar­tiste est d’ap­por­ter foi en ce que nous ne connais­sons pas encore. Étran­ge­ment, le Ste­tind de Peder Balke semble prendre plus de réa­li­té, plus de corps et d’é­pais­seur que la mon­tagne elle-même…

Read more