Jul 14, 2010 | Passerelle |
Le soir m’a livré corps et bien aux tourbillons de tourments, une altercation avec mes rêves et je suis au regret de devoir refuser la proposition de mon lit, décliner poliment l’invitation au sommeil. C’est décidé, l’insomnie aura toute autorité sur mon esprit, jusqu’à preuve du contraire. Je me suis réveillé au beau milieu de la nuit pour fêter la vacuité des instants calmes à grands renforts de demi croches silencieuses, le ventre sommé de souffrir d’un mal qui ressemble à de la déception. Les minutes s’égrènent au rythme d’un chant léger et lointain, un oiseau à l’allure attendrie, perché certainement sur une des plus hautes branches d’un peuplier dormant, volatile dont le nom est inconnu jusqu’au prémices du jour. Nous sommes le quatorze juillet, jour de gloire nationale qui marque chez moi tous les ans le départ de pensées que je ne m’explique pas, des sales souvenirs, des secrets dont on ne parle à personne d’autre qu’aux pages de son journal intime… que je brade au nom des principes de l’effacement ; encore une fois, esthétique de la disparition. A force de disparaître, je vais bien finir par m’évanouir, que ce soit dans les bras de Morphée ou dans les rues poussiéreuses d’un souk, une grande ville de l’Orient qui me tend les bras, me bande les muscles. La nuit n’en est qu’à ses débuts et ce que je fais est proche de la folie, je m’étais dit qu’un jour je cesserais d’écrire, laisser couler le poison le laisser venir jusqu’au cœur dans une étreinte de passions oppressantes et puis non un dernier sursaut toujours déjà en train de tarir les sources de l’affliction, je me retrouve nu devant mon clavier à fournir encore et toujours des prétextes à une écriture que je ne pensais plus pouvoir maîtriser ; volontairement en processus d’acculturation, je voulais me désengager, redevenir idiot, tomber au fond déposer les armes mourir d’un coup et l’envie est toujours là, intacte, même plus belle qu’auparavant comme ces gloires passées que la patine du temps a cru bon de devoir polir comme les flancs d’une lampe à huile découverte dans les sables du désert.

Il s’en est fallu de peu, j’étais prêt à tout laisser tomber, dépôt de bilan factuel signifiant que les temps étaient révolus, résolu que j’étais à ne plus jamais reprendre du service, l’écriture trop lointaine déjà avait quitté son corps comme la vie qui s’en va dans un dernier souffle presque tangible. J’entends les touches de mon clavier brinqueballer au beau milieu de la nuit et de cette incongruité passagère me naissent des idées. Tout d’abord la faim, combler la faim d’une insomnie que je vide à coup de restes de pommes de terre cuites à l’eau que j’écrase avec un peu de beurre pour le laisser fondre et puis quelques verres d’eau pétillante, peur de rien. Mes lectures m’ont tenu en éveil, m’ont gardé au creux de leurs mains. Je continue. Je tente encore de croire qu’il y aura toujours plus d’après, autant d’après qu’il y eut d’avant. La nuit me tient chaud et me ligote à ses désirs. Il y a une vie pour ceux qui osent encore rêver, c’est la seule chose tangible qu’il m’ait été donné d’apprendre ces dernières années, même si c’est toujours aussi éprouvant et d’une terrifiante torture que de vouloir s’extirper des mains du marasme, lorsqu’enfin, j’en arrive à vouloir sourire encore, même si mes yeux ne cessent de s’embuer des souvenirs de celui qu’on m’a enlevé.
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Jul 13, 2010 | Histoires de gens |
Si les chroniques de l’époque sont exactes, le terrible empereur gisait dans sa tombe, sous mes pieds, entouré de ses épouses exécutées et au milieu d’une reproduction à l’identique de son empire — modèle vaste et compliqué, sillonné de rivières de vif-argent et animé par d’invisibles mécaniques. Sept cents mille ouvriers, dit-on, avaient trimé sur ce mausolée au cours des dernières années de son règne et, à l’achèvement de l’ouvrage, ceux qui en savaient trop avaient été emmurés dedans au moyen de portes de pierre qui s’abaissaient d’elles-mêmes. Dans la chambre funéraire, parmi des montagnes sculptées dans le cuivre et des villes de pierres précieuses, l’empereur navigue dans un cercueil en forme de barque, sur une rivière de mercure qui débouche dans une mer du même métal, sous un ciel de nuit constellé de perles.

Archer de Qin Shi Huangdi
Ainsi il s’était ménagé dans la mort un royaume miroir autonome, une maîtrise parfaite. Ses cités de gemmes bâties pour l’éternité faisaient écho au statisme des cieux. Des portes et des passages intérieurs, secrètement protégés par des arquebuses armées et pointées dessus, scellaient les frontières de son état posthume. Il avait emmuré le passé et l’avenir. Ses ancêtres, comme ceux de l’Empereur jaune, avaient sans doute été des barbares, et pourtant c’est de lui que la Chine tient son nom. Les lampes de graisse de phoque qui éclairaient sa tombe devaient, paraît-il, brûler à jamais.
Colin Thubron, L’ombre de la route de la soie
Folio, 2006, p39
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Jul 12, 2010 | Architectures, Arts |
L’Archibasilique du Très-Saint-Sauveur, plus connue sous le nom de basilique Saint-Jean-de-Latran est omnium urbis et orbis ecclesiarum mater et caput, Mère et tête de toutes les églises de la ville et du monde. Moins connue dans les esprits que la basilique Saint-Pierre, elle est pourtant la première des églises dans l’ordre protocolaire, avant Saint-Pierre et fait partie des quatre basiliques papales de Rome. Détruite à de multiples reprises, elle est aujourd’hui reconstruite dans un style majoritairement baroque italien (c’est à dire à mon sens, pas toujours de très bon goût). On peut toutefois encore admirer dans la chapelle du baptistère les restes de la basilique primitive, commencée en 315, avec une construction d’inspiration byzantine et des mosaïques dorées de toute beauté qui font oublier la grandiloquence fastueuse de la basilique elle-même. Il est à noter que la mosaïque de l’abside date du IVème siècle, même si elle a été profondément restaurée au XIIème siècle. On peut aujourd’hui grâce au site du Vatican visiter virtuellement (avec une musique tout ce qu’il y a de plus adaptée) l’ensemble du bâtiment comme vous ne le verrez certainement jamais, comme par exemple la chapelle Lancellotti ou la chapelle Corsini, qui ne sont pas ouvertes au public. Même si le lieu est impressionnant de grandiose et de faste, il reste une des manifestations les plus flamboyantes d’un art baroque qui ne s’est jamais embarrassé de simplicité et qui n’hésite pas à user d’une certaine théâtralité qui sied mal à un lieu de recueillement, fût-il à la tête des autres…
Il est à noter que le Président de la République Française reçoit pour comme titre celui de Chanoine d’Honneur de Saint-Pierre-de-Latran. Les deux seuls présidents de la cinquième république à avoir refusé leur intronisation sont Georges Pompidou et François Mitterrand.

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Jul 10, 2010 | Passerelle |
Ce matin, nous parlons de la cotte de maille pour une raison qui tient à un doute qui m’a pris tandis que, au cours de cette semaine, j’étais en train d’écrire une procédure dans laquelle je disais comment rédiger un devis avec une cote de 5%. En écrivant ceci, j’ai été pris dans un affreux tourbillon où se sont mêlés la cote, la cotte, les “quotes” sans plus savoir ce que je devais écrire. Pris de panique, je me suis rendu sur Wiktionary et j’y ai trouvé des informations tout à fait fascinantes sur un homophone de ce mot qui, sachez-le, s’écrit cote. Mais ce n’est pas ce terme issu de l’économie qui nous intéresse, mais cotte.
Le mot vient du bas latin cotta, cottus, du francique kotta issu du germanique kozzo (« manteau de laine »). Une autre piste fait venir le mot de cutis, (« peau ») ; on retrouve également les origines de ce mot dans le gaélique cot et en italien cotta. Parmi les dérivés du mot initial cotte, on trouve cotillon et surcot. On retrouve le mot cotte dans nombre d’idiomes, à commencer évidemment par le coat anglais, Kutt et Kittel en allemand, cot en catalan, cota en espagnol, cota en portugais, cote en wallon.
Le terme lui-même désigne plusieurs choses:
- (Vieilli) Jupe.
- … J’ai encore un demi-ceint, deux cottes, Une robe de serge, un chaperon, deux bas, Trois chemises de lin, six mouchoirs, deux rabats. — (Abbé Mathurin Régnier, Sat. XI.)
- (Vieilli) Jupe de paysanne, plissée par le haut à la ceinture.
- Tenez, voilà votre couronne, rendez-moi ma cotte grise. — (François de Salignac de la Mothe Fénelon, XIX, 5.)
- Blouse courte ou pantalon de travail porté par les ouvriers.
- (Charcuterie) Boyau de porc qui forme la saucisse.
- (Zoologie) Chabot.
On imagine sans difficultés pourquoi un goujat décida un jour de donner à la gaine de la saucisse le nom d’un vêtement féminin (je le répète : goujat !). De la même manière le point numéro 5 n’a rien à voir avec une présentatrice d’émission politique, mais est un poisson d’eau douce à la peau noire, ou éventuellement un cordage utilisé pour les échafaudages.
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Jul 9, 2010 | Histoires de gens, Sur les portulans |
Il se tient en ce moment au musée Guimet une exposition tout à fait magique sur l’art du Gandhāra, cet étrange chose qui s’est étendue dans les plaines du Pakistan et de l’Afghanistan, dans les vallées de la Swât et de la Kâboul. L’art du Gandhāra est un syncrétisme dans lequel les formes de l’hindouisme et du bouddhisme se sont développées sur des sources artistiques grecques et moyen-orientales. L’art sculptural qui en émane est un des seuls reliquats de cette civilisation qui a vu son heure de gloire au Ier siècle et qui a disparu sous la brutalité des invasions des Huns Shvetahūna .
Étrangement, celui par lequel ces influences se sont frayées un chemin jusqu’au delta du Gange est le plus grand conquérant de tous les temps, Alexandre, fils de Philippe II, roi de Macédoine et qui a parcouru le monde jusqu’aux rives du fleuve sacré. L’histoire de ce personnage mythique est maculée d’une série de légendes qui seront portées jusqu’au Moyen-Âge sous forme de récit épique et fortement romancé, dans lequel tout est fait pour magnifier l’homme qui selon la légende finit empoisonné alors qu’il périra en fait à Babylone, terrassé par la malaria.
C’est ce texte qu’a traduit et commenté Jacques Lacarrière dans la Légende d’Alexandre pour transcrire la vision que l’homme a véhiculé au travers des siècles. La réalité est moins belle ; Alexandre, malgré sa jeunesse et sa fougue, ressemblait plus à une brute avinée et orgueilleuse qu’au bellâtre conquérant des médailles et des bustes à son effigie.

L’entreprise d’Alexandre permit donc à l’hellénisme de s’implanter durablement dans ces régions et de créer une culture originale, encore peu étudiée, un riche métissage d’hellénisme, d’iranisme et d’hindouisme qui s’exprima surtout dans le domaine de l’art. Ce sont ces grecs implantés en Bactriane et en Sogdiane qui, les premiers, donnèrent un visage au Bouddha. Jusqu’alors, les Indiens ne le figuraient que par des symboles. Et ce visage serein et pur, ce visage si révélateur de ce qu’on nomme l’art gréco-indien du Gandhara est l’œuvre d’artistes grecs venus d’Alexandrie qui l’empruntèrent aux statues et au visage d’Apollon ! Les premières statues du Bouddha ne sont pas en marbre, matériau inexistant dans ces régions, mais en schiste et en stuc — mélange de chaux vive et de sable — dont la technique est originaire d’Alexandrie. Si les artistes grecs s’inspirèrent d’Apollon pour donner des traits au Bouddha, c’est qu’avec son fin sourire, ses traits sereins, sa tunique sobrement plissée, le Dieu de la Lumière proposait une sorte d’esquisse grecque de l’illumination bouddhique. Le Lumineux prêta ses traits à l’Illuminé. Où trouver symbole plus riche et plus fort de la rencontre harmonieuse de deux cultures et de deux religions ?

Le roi Darius n’écouta pas les paroles de Candarcousis. Il dépêcha Clitéus, son bien-aimé, vers Alexandre pour qu’il le voie et qu’il lui donne son avis. Il lui fit porter aussi une petite poupée en bois qu’on fait tourner avec une baguette, deux coffrets vides, deux sacs de graines et la lettre suivante :
« Darius, le roi des rois, dieu de Perse, à son enfant Alexandre, salut. Il me semble Alexandre que tu te sois fâché de ma première lettre dans laquelle je t’écrivais de me servir. Aussi je t’envoie aujourd’hui un jouet, un petite poupée en bois que l’on fait tourner avec une baguette, pour que tu joues avec. Je t’envoies aussi deux coffrets vides et deux sacs de graine. Les coffrets, remplis-les avec les impôts de trois années, et les graines contenues dans les sacs, dénombre-les si tu le peux et tu sauras combien j’ai de soldats. Je te pardonne pour cette fois, mais si tu ne veux pas te retrouver devant moi, prisonnier, veille bien à m’envoyer les impôts et les soldats qui doivent servir dans mon armée, comme ton père le faisait. »
Clitéus remit la lettre à Alexandre et se prosterna devant lui. Il lui remit aussi les coffrets, les graines et la poupée. Alexandre lut la lettre et, cependant qu’il la lisait, hocha la tête et dit : « L’insensé, l’orgueilleux Darius, tout dieu qu’il se nomme lui-même, tombera comme un simple mortel. Pour s’être élevé jusqu’au ciel, il chutera ensuite jusqu’au fond de l’Hadès. » Il brisa les coffrets, mâcha les graines, puis répondit à Darius :

« Le roi des Macédoniens, Alexandre, à Darius, roi des Perses, salut. Tu m’as fait grand honneur et grande considération en m’envoyant cette poupée comme jouet. Tu te gonfles d’orgueil et c’est pourquoi tu tomberas de très haut. C’est un bon jouet que tu m’as adressé, à ce qu’il semble, car un jour je ferai tourner l’univers comme je fais tourner cette poupée. Sache aussi que j’ai mâché les graines, qu’ensuite je les ai recrachées et qu’ainsi je réduirai en miettes ton armée, avec la volonté du Ciel et du Seigneur Sabaoth. J’ai reçu les coffrets comme un cadeau précieux à l’image des forteresses que je prendrai. Limite-toi donc au Levant et au pays des Perses et renonce, une fois pour toutes, au Ponant. »
Il remit la lettre à Clitéus et le renvoya en Perse avec un boisseau de poivre, en guise de présent pour Darius. Avant son départ, Alexandre lui dit : « Tu as vu par toi-même comment j’ai mâché les graines et comment je les ai recrachées. Que Darius compte les grains d’une cosse de ce poivre : j’ai autant de soldats. »
Clitéus retourne chez Darius.
Cette correspondance entre Alexandre et Darius est entièrement imaginaire. Ce Clitéus, « bien-aimé de Darius » était en réalité le bien-aimé et le favori d’Alexandre. Il s’agit de Kleitos, un Noir qui servit comme officier sous le règne de Philippe et commandait un escadron nommé « L’Île royale ». Il suivit Alexandre dans toutes ses campagnes et lui sauva même la vie à la bataille du Granique. Des années plus tard, au cour d’un banquet à Samarcande, Alexandre le poignarda dans un moment d’ivresse.
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