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Dans la vapeur blanche des jours sans vent (car­net de voyage en Tur­quie — 15 août) : La Cap­pa­doce vue des airs et les cités sou­ter­raines de Tat­la­rin et Derinkuyu

Dans la vapeur blanche des jours sans vent (car­net de voyage en Tur­quie — 15 août) : La Cap­pa­doce vue des airs et les cités sou­ter­raines de Tat­la­rin et Derinkuyu

Épi­sode pré­cé­dent : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (car­net de voyage en Tur­quie — 14 août) : Çavuşin, Ava­nos, Mus­ta­fa­paşa et en dehors des routes tracées

Bul­le­tin météo de la jour­née (mer­cre­di) :

10h00 : 25°C / humi­di­té : 49% / vent 4 km/h
14h00 : 29°C / humi­di­té : 21% / vent 11 km/h
22h00 : 23°C / humi­di­té : 34% / vent 6 km/h

Ce matin est un jour par­ti­cu­lier. Je me lève à 4h00 dans la nuit turque pour faire quelque chose que je n’ai encore jamais fait. Dans un pre­mier temps, je cède à la grande faran­dole des tou­ristes en sui­vant leur mou­ve­ment, et dans un deuxième temps, je vais mon­ter dans une mont­gol­fière pour par­cou­rir la Cap­pa­doce depuis les airs. Je ne cache pas que chez moi, le ver­tige est une don­née aléa­toire. Inca­pable de pré­voir quand ça va se déclen­cher, je garde à la fois le — très bon — sou­ve­nir d’un jeune homme qui mar­chait au bord des falaises des gorges de l’Ar­dèche et le très mau­vais du jeune homme un peu plus âgé qui trans­pi­rait toute l’eau de son corps au pied des colosses de pho­no­lite de Bort-les-Orgues, comme en haut du bar­rage sur lequel avait tra­vaillé mon grand-père. Une ter­reur panique, tota­le­ment irra­tion­nelle s’é­tait alors empa­ré de moi et moi qui suis géné­ra­le­ment d’un natu­rel à ne pas me lais­ser sub­mer­ger par les émo­tions, j’a­vais dû me résoudre à faire demi-tour tel­le­ment les scé­na­rios catas­trophes com­men­çaient à prendre forme de manière tota­le­ment absurde. Même his­toire dans l’es­ca­lier métal­lique qui des­cend au centre du Gouffre de Padi­rac quelques années plus tard. Du coup, je n’ar­rive pas à savoir si mon­ter dans une mont­gol­fière est réel­le­ment une bonne idée. Mais j’ai réser­vé ma place, je dois partir.

Je des­cends à la récep­tion où je trouve un couple de jeunes Fran­çais habillés comme s’ils allaient à l’hip­po­drome de Long­champ. Ça sent le voyage de noces de bonne famille, petit ber­mu­da à motif et col Mar­tine. Le mini­bus vient me cher­cher vers 4h30 juste à l’en­trée de l’hô­tel, même pas un pas à faire. Je dors encore à moi­tié et dans l’obs­cu­ri­té je n’ar­rive pas à com­prendre quel che­min nous pre­nons ni où nous arri­vons, tou­jours est-il que je me retrouve dans un champ immense où les pre­miers bal­lons sont en train d’être gon­flés. Les mini­bus déversent tous ceux qui partent ce matin et je constate avec une cer­taine sur­prise et effa­re­ment aus­si que plus de la moi­tié des gens pré­sents ici sont des Chi­nois. Des tables sont ins­tal­lées en plein milieu du champ dans la pénombre de l’aube, des crois­sants et du café sur des nappes en papier, décor sur­réa­liste si l’on ne sait pas ce qu’il se trame ici. Dans une demi-heure, tout ce petit monde sera en l’air, même les Chi­nois qui eux ont le droit à des nouilles déshy­dra­tés au lieu des crois­sants et qui n’ar­rivent pas à se décol­ler du buffet.

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Pen­dant que les esto­macs se rem­plissent, je reste à côté des bal­lons cou­chés dans les phares des 4x4, à deux pas des flammes qui me chauffent le visage dans cette atmo­sphère encore un peu fraiche. Le jour se lève petit à petit, de manière presque pal­pable et déjà quelques uns des bal­lons sont debout, amar­rés, n’at­ten­dant plus que leur car­gai­son humaine. On me dirige vers les deux bal­lons sur les­quels est écrit en gros Cihan­gi­roğ­lu Bal­loons, sans oublier évi­dem­ment de me faire pas­ser devant un type avec un lec­teur de carte ban­caire qui réclame le prix non négli­geable du vol et que par décence, je tai­rai. On nous invite à mon­ter dans le bal­lon encore atta­ché en nous don­nant deux ou trois conseils pour l’at­ter­ris­sage, mais abso­lu­ment rien en cas de pro­blème. Cela dit, la ques­tion peut être vite élu­dée puis­qu’au cas où le bal­lon tombe, il n’y a pas grand chose à faire, sinon attendre que la nacelle touche le sol et espé­rer que le corps d’un autre amor­tisse sa propre masse. Pour ma part, je me retrouve coin­cé entre un vieux Chi­nois plus grand que moi et sa gre­luche qui a moins de la moi­tié de son âge. J’é­voque ce pas­sage main­te­nant pour évi­ter d’en repar­ler plus parce que ça reste pour moi un des moments les plus désa­gréables de ces vacances. Le type a pas­sé son temps à m’é­cra­ser les pieds, à prendre exac­te­ment les mêmes pho­tos que moi, me pous­sant par­fois pour que je rate mes pho­tos. J’ai haï le peuple chi­nois dans son ensemble pen­dant toute la durée du vol, en me disant que ce type n’é­tait qu’une raclure avec sa catin qu’il avait dû payer pour se marier et qu’il sera très content de reve­nir dans son pays pour faire des soi­rées dia­po avec ses col­lègues de tra­vail en se gar­ga­ri­sant d’a­voir dépen­sé si peu pour cette petite excur­sion. Je me suis quand-même mar­ré quand j’ai vu que le bal­lon le plus haut dans le ciel ce matin-là, était lar­dé d’i­déo­grammes chi­nois. Je me suis dit que ça devait être cultu­rel, tou­jours pas­ser devant les autres, faire mieux, plus, etc. Je me suis encore plus mar­ré quand le pilote du bal­lon nous a dit qu’il était mon­té trop haut et qu’il aurait du mal à redes­cendre… J’ai tou­jours un peu de mal avec ces gens qui ne font aucun effort pour connaître les habi­tants et dans le regard des­quels se lit la peur d’être sub­mer­gé par un autre peuple que le leur. Page tournée.

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Le bal­lon s’en­vole tout dou­ce­ment et je com­mence à être pris d’an­goisse, tout sim­ple­ment parce que j’ai peur d’a­voir le ver­tige, mais tout semble se pas­ser très sage­ment ; je ne sais pas pour­quoi mais rien ne vient, le fait qu’il n’y ait aucun bruit autre que celui du brû­leur et la dou­ceur du dépla­ce­ment de cet étrange aéro­stat me rem­plit de bien être. Les pre­mières choses que je vois sous mes pieds sont des tombes musul­manes dans un cime­tière ouvert, puis très vite, c’est la ville entière de Çavuşin qui appa­raît. Je ne suis vrai­ment pas si loin que ça de mon point de départ et je découvre alors cette petite ville que je ne visi­te­rai que plus tard. L’air est encore gris, le soleil encore caché der­rière l’ho­ri­zon et le bal­lon prend de plus en plus de hau­teur. De là-haut, on découvre tout un tas de recoins tro­glo­dytes qu’on n’i­ma­gine même pas et dont on a peine à ima­gi­ner qu’on puisse y accé­der facilement.

Le mieux est encore de regar­der ce que ça donne en vidéo pour se rendre compte. Une vidéo de 11′24″ réglée au mil­li­mètre avec la très belle musique d’Omar Faruk Tek­bi­lek (From emp­ti­ness) sur l’al­bum Fata Morgana,

Le bal­lon passe à proxi­mi­té du pla­teau de Çavuşin et laisse voir cette pierre si belle tein­tée de cou­leurs spec­trales et à son pied, des ver­gers, des champs culti­vés où ne voit pas trop bien com­ment un trac­teur pour­rait accé­der. Nous sommes main­te­nant suf­fi­sam­ment hauts pour voir un bel hori­zon déga­gé. La han­tise de ce genre de jour­née serait de décol­ler dans les nuages. L’air se réchauffe dou­ce­ment et le soleil pointe le bout de son nez der­rière les mon­tagnes. C’est un ins­tant bref, mais qu’on a l’a­van­tage de vivre quelques secondes avant ceux qui sont res­tés à terre. Un moment pri­vi­lé­gié, de pure grâce, pen­dant lequel per­sonne ne parle, tout le monde se tient extrê­me­ment silen­cieux de peur peut-être de déran­ger l’astre dans son exer­cice mati­nal. Le spec­tacle est magni­fique, au-delà de ce qu’on peut ima­gi­ner et je com­prends mieux main­te­nant pour­quoi ces nuées de bal­lons ont trou­vé dans cette région un lieu pro­pice à la ballade.

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 043 - Cappadoce en ballon

Sous mes pieds, des mou­tons énormes des­sinent des formes mou­vantes sur la terre sèche par leurs dépla­ce­ments. Les che­mi­nées des fées se dressent comme des doigts poin­tés vers nos âmes envo­lées et les pics de tuf sont autant d’a­ver­tis­se­ments qui disent de ne pas venir s’y frot­ter. Dans l’air pur et silen­cieux, on peut entendre les brû­leurs chauf­fer l’air des autres ballons.

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Le bal­lon monte haut et le pilote, Nigel, un amé­ri­cain venu ici exer­cer ses talents d’aé­ros­tier, nous annonce dans son anglais mâché que nous nous trou­vons actuel­le­ment à 1500 mètres d’al­ti­tude. Une simple ram­barde en osier tres­sé me sépare d’un vide qui pour­rait me ter­ro­ri­ser, mais je n’é­prouve qu’une simple dou­ceur, emmi­tou­flé dans mes ori­peaux d’é­té, le regard per­du à l’ho­ri­zon devant le spec­tacle qui ne cesse de bou­ger de quelques mil­li­mètres dans le vide. Des deux côtés, je peux voir clai­re­ment les contours des deux prin­ci­pales mon­tagnes qui entourent la Cap­pa­doce, le Hasan dağı et l’Erciyes dağı, et juste au-des­sous, les innom­brables petites val­lées creu­sées par l’eau qui s’est infil­trée depuis des mil­liers d’an­nées, dans les­quelles cer­tains bal­lons s’a­ven­turent pour aller voir au plus près. Cette mul­ti­tude de bal­lons est un spec­tacle à la fois gros­sier et impres­sion­nant. J’i­ma­gine que ce bal­let inces­sant qui crible les lieux de ces masses gon­flées d’air doit cer­tai­ne­ment aga­cer les habi­tants de la région pen­dant la haute sai­son. L’in­con­vé­nient de ces grosses bau­druches, c’est qu’il faut bien qu’elles se posent quelque part, et comme le dit très bien Nigel, we go where the wind takes us… Ce qui veut dire aus­si qu’on atter­rit là où on peut et là où le vent veut bien ces­ser de pos­sé­der la toile. Par­fois, on atter­rit dans des champs de par­ti­cu­liers. Mais c’est la ran­çon de la gloire.

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Le bal­lon redes­cend tout dou­ce­ment sans qu’on se rende vrai­ment compte de la vitesse ou de la dis­tance et en peu de temps, on se retrouve au ras du sol, en train de frô­ler des arbustes, des buis­sons, quelques pics de tuf qui ne demandent qu’à vio­len­ter la nacelle et plu­sieurs fois Nigel se retrouve à balan­cer de l’air chaud pour remon­ter au der­nier moment. Ce type est un as, il connaît son aéro­stat et le manœuvre au cen­ti­mètre comme s’il avait la direc­tion assis­tée sur une grosse cylin­drée. Le soleil rasant déchire les vagues de pierre blanche qu’on pour­rait croire tendre comme de la gui­mauve. Dans mes yeux, après Çavuşin, on passe près de la cita­delle de pierre natu­relle d’Üçhi­sar, on sur­vole la val­lée des pigeon­niers (Güver­cin­lik Vadi­si), cer­tai­ne­ment la plus connue des val­lées des envi­rons et enfin Göreme, avec son bourg ramas­sé dans sa val­lée, sur les toits duquel nous pou­vons poser nos regards indis­crets et silen­cieux ; nous pas­sons ici comme des cor­beaux mes­sa­gers qu’au­cun regard ne vient troubler.

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Dans un pre­mier champs, nous avions cru que le bal­lon finis­sait sa course, mais à peine la nacelle posée, la voi­ci sou­le­vée à nou­veau et nous repar­tons un peu plus loin. Deuxième essai, cette fois-ci est la bonne, la nacelle se pose vio­lem­ment après avoir arra­ché un buis­son d’é­pi­neux. Le voyage se ter­mine là. Nigel nous demande d’at­tendre que la nacelle soit bien posi­tion­née sur la remorque du camion qui nous a cou­ru après pour nous retrou­ver dans les champs de Göreme. Le bal­lon s’é­crase au sol et immé­dia­te­ment, une armée d’hommes en bleu s’af­faire à replier la car­casse dégon­flée. Nigel fume un clope, appa­rem­ment fier de lui, puis nous buvons un coup d’une espèce de pétillant sans alcool — rama­dan oblige — que je suis loin de pré­fé­rer à une bonne coupe de cham­pagne pour ce bap­tême de l’air hors du com­mun. Il est à peine 8h00 du matin et la jour­née est loin d’être ter­mi­née. Le mini­bus me ramène à l’hô­tel, où je prends à nou­veau un déjeu­ner copieux, avant d’al­ler dor­mir un peu pour rat­tra­per cette nuit un peu courte.

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Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 139 - Cappadoce en ballon

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 144 - Nigel Jeffrey Jovey

Après une bonne douche — voler dans les airs rem­plit de pous­sière — je reprends la voi­ture pour me diri­ger vers une petite ville qui se trouve bien après Nevşe­hir en allant vers l’ouest, ville que je tra­verse en essayant de trou­ver un dis­tri­bu­teur d’argent de la banque par­te­naire de la mienne, mais j’ai beau tour­ner, entrer dans les petites rues encom­brées et pous­sié­reuses, je n’ar­rive pas à trou­ver l’a­gence. La route jus­qu’à Tat­la­rin me réserve quelques sur­prises. C’est une petite route de cam­pagne qui n’ar­rête pas de tour­ner autour du tra­cé des champs et j’y ren­contre des femmes bien élé­gantes, voi­lées, assises sur un trac­teur, d’autres dans des car­rioles tirées par des ânes souf­fre­teux, trois hommes assis sur la même moto pous­sive, des ven­deurs de patates sur le bord de la route, loin de tout, au beau milieu de rien, à dix kilo­mètres de la pre­mière maison.

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 150 - Route de Tatlarin

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 152 - Route de Tatlarin

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 156 - Cité souterraine de Tatlarin

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 166 - Cité souterraine de Tatlarin

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 172 - Tatlarin

La petite ville de Tat­la­rin est per­due, rude et pauvre. C’est une petite ville de cam­pagne en dehors des cir­cuits tou­ris­tiques et lorsque je me gare devant la cité sou­ter­raine (Tat­la­rin yeraltı şeh­ri), qui est d’ailleurs très bien indi­quée (en turc), je me pose tout à coup la ques­tion de savoir si c’est ouvert. Par chance, je vois un type pos­té devant l’en­trée, ou plu­tôt, qui dort dans un recoin. C’est un grand bon­homme mous­ta­chu, racé, en cos­tume, che­mise impec­ca­ble­ment repas­sée, et chaus­sures de villes bri­quées, un spec­tacle un peu déton­nant dans ce décor pous­sié­reux et d’une pau­vre­té mani­feste. Il m’emmène d’a­bord dans l’é­glise de la cité. La pre­mière par­tie est inté­gra­le­ment recou­verte de pein­tures splen­dides, une cru­ci­fixion abî­mée recou­vrant la nef, la seconde est beau­coup plus sobre. Quelques vieilles ampoules à incan­des­cence illu­minent les par­ties les plus belles, lais­sant le reste dans une pénombre qui tranche avec la lumi­no­si­té du dehors.

Les deux pho­tos de l’in­té­rieur de cette église sont dis­po­nibles sur CNRS édi­tions.

Le guide referme la porte der­rière moi, lais­sant cette église du XIè siècle dans l’obs­cu­ri­té des siècles, là où il m’a été impos­sible de prendre la moindre pho­to à cause des inter­dic­tions écrites par­tout. Par­fois, je me mau­dis de voir que je ne peux rap­por­ter que des sou­ve­nirs gra­vés dans ma mémoire au lieu de faire comme ceux qui ne res­pectent pas les règles. Au moins ai-je ma conscience pour moi.
Il m’emmène dans une deuxième salle fer­mée par une porte blin­dée ; le cœur de l’an­tique cité creu­sée dans le roc.

Dans son Ana­base, Xéno­phon, au VIè siècle av. J.-C. décri­vait déjà ces habi­ta­tions rupestres.

Les habi­ta­tions étaient sous terre. Leur ouver­ture res­sem­blait à celle d’un puits, mais l’in­té­rieur était spa­cieux. Il y avait pour le bétail des entrées creu­sées en terre ; les gens des­cen­daient par une échelle. Dans ces habi­ta­tions, il y avait des chèvres, des mou­tons, des vaches, de la volaille et les petits de ces ani­maux. Tout le bétail était nour­ri de foin à l’in­té­rieur. Il y avait aus­si du blé, de l’orge, des légumes et du vin d’orge dans des cra­tères. Les grains d’orge même nageaient à la sur­face et il y avait dedans des cha­lu­meaux sans noeuds, les uns plus grand les autres plus petits. Quand on avait soif, il fal­lait prendre ces cha­lu­meaux entre les lèvres et aspi­rer. Cette bois­son était très forte, si l’on y ver­sait pas d’eau. Elle était fort agréable quand on en avait pris l’habitude.

XÉNO­PHON, Ana­base, livre IV, cha­pitre V, tra­duc­tion P. Cham­bry, éd. Garnier

Si les habi­ta­tions affleu­rant sur les falaises de Tat­la­rin étaient visibles, l’en­trée de cette cité n’a été décou­verte qu’en 1975, en rai­son des ébou­lis qui mas­quaient son entrée. Depuis son ouver­ture en 1991, on peut admi­rer l’en­fi­lade de salles qui la com­posent. Les cou­loirs, par­fois pas plus hauts qu’un petit mètre, per­mettent d’at­teindre au plus pro­fond ces salles. La pre­mière semble être une salle de vie, large, spa­cieuse, avec une échelle qui per­met de rejoindre un sys­tème de ven­ti­la­tion qui remonte jus­qu’à la sur­face. Cel­lier, chambres, tout y est. On y voit même des toi­lettes. On peut éga­le­ment encore voir les meules qui ser­vaient à fer­mer les issues en cas d’at­taques, ce qui rend le lieu fon­ciè­re­ment oppres­sant. Un tout petit cou­loir qui tourne à angle droit par deux fois où je rampe der­rière mon guide m’emmène dans une seconde salle dont le pla­fond est à peine plus haut que moi. Il m’in­dique une bouche d’aé­ra­tion qui conti­nue pen­dant une tren­taine de mètres : l’ou­ver­ture fait 70cm de haut, mais là, c’est trop pour moi, je m’en­gouffre avec ma lampe torche, et avec le gou­lot qui se res­sert, je suis pris d’une crise d’an­goisse. Impos­sible de me retour­ner, je fais demi-tour le cul en l’air, à toute vitesse, la lampe torche coin­cée entre les dents… Mon guide se marre comme une baleine en mar­mon­nant quelques mots en turc. Je finis par me mar­rer aus­si, pas bien cer­tain que ce soit à cause de mon geste ou que ce soit un rire ner­veux. Je sors d’i­ci avec un cer­tain empressement.

Depuis l’es­pla­nade du par­king, je regarde la vie du vil­lage s’é­brouer ten­dre­ment avec l’in­dis­cré­tion du point de vue en hau­teur ; un camion char­gé de sacs de jute, qui doublent sa hau­teur, une jeune femme joue avec ses enfants dans la cour de sa mai­son. Cer­taines des mai­sons sont creu­sées dans le roc et n’af­fleurent que par les voûtes à moi­tié enfouies sous la terre.

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 180 - Nevşehir

Je reprends mon che­min vers Nevşe­hir sur une route défon­cée, un autre che­min que celui de l’al­ler, un revê­te­ment fait de pierres noires qui criblent le bas de caisse de la voi­ture dans un bruit de gre­naille aga­çant. Dans les champs, des courges spa­ghet­tis et des tour­ne­sols immenses. De retour aux abords de Nevşe­hir, je m’ar­rête quelques ins­tants sur les contre­forts d’un quar­tier aban­don­né où je peux voir clai­re­ment une église ortho­doxe avec son plan en croix grecque, aban­don­née elle aus­si, meur­trie par l’his­toire. Ici devaient vivre les popu­la­tions grecques dépla­cées. Le quar­tier n’a visi­ble­ment jamais été réinvesti.

Je prends la route qui des­cend vers le sud, vers la ville de Derin­kuyu où se trouve une autre cité sou­ter­raine (Derin­kuyu yeraltı şeh­ri). Celle-ci est plus impres­sion­nante encore, elle s’é­tend sur 9 étages et des­cend à plus de 35 mètres sous le sol plat d’une ville au creux d’une val­lée ; c’est la plus grande de Tur­quie, ce qui fait qu’elle est éga­le­ment plus fré­quen­tée que celle de Tat­la­rin, mais tant pis, le dépla­ce­ment vaut le coup.

Cette cité avait une capa­ci­té maxi­male de 50 000 per­sonnes mais en abri­tait en moyenne 10 000, ce qui est abso­lu­ment énorme. On pense qu’un tun­nel caché devait rejoindre l’autre grande cité sou­ter­raine de Cap­pa­doce, celle de Kay­maklı, dis­tante de 9km de celle-ci. Un puits cen­tral per­met la cir­cu­la­tion de l’air, prin­ci­pal point de sur­vie des habi­tants. On trouve au der­nier sous-sol une immense salle capi­tu­laire, qui fai­sait office de monas­tère. L’am­biance y est oppres­sante quand on sait qu’on a toutes ces tonnes de rochers au-des­sus de nos têtes. La des­cente est éprou­vante pour les nerfs, la remon­tée, un soulagement.

Billet d'entrée - Derinkuyu yeraltı şehri

Billet d’en­trée — Derin­kuyu yeraltı şehri

Plan de coupe de la cité souterraine de Derinkuyu

Plan de coupe de la cité sou­ter­raine de Derinkuyu

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 187 - Cité souterraine de Derinkuyu

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 190 - Cité souterraine de Derinkuyu

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 196 - Cité souterraine de Derinkuyu

Je ne cache pas que je me sens mieux à l’ex­té­rieur, sous le soleil piquant. Tout près de la sor­tie de la cité, se trouve une grande et belle église ortho­doxe construite en croix grecque. Per­sonne ne se trouve dans l’en­clos autour, sauf une petite fille que j’ai vu deux minutes aupa­ra­vant qui avait essayé de me vendre une pou­pée en laine. Ce qui m’a éton­né chez elle, c’est son air farouche, ses che­veux blonds et ses grands yeux bleus mali­cieux. Cer­tai­ne­ment une gitane comme il en reste tant ici, au milieu des popu­la­tions, vivant dis­crè­te­ment leur vie nomade. Lorsque j’entre dans l’en­clos, je la sur­prends hon­teuse en train de pis­ser contre le mur l’église.

Par le trou de la ser­rure de la grande porte en bronze, j’ar­rive à sai­sir l’in­té­rieur de l’é­glise déla­brée. Piliers ouvra­gés, fenêtres en forme de croix, c’est un lieu obs­cur et mys­té­rieux, mais encore char­gé d’é­mo­tions et de spi­ri­tua­li­té. Dom­mage que je ne puisse y entrer. Le sol est en revanche par­fai­te­ment arasé.

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 198 - Derinkuyu

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 204 - Derinkuyu

Je quitte la ville un peu trop vite à mon goût, n’ayant pas eu le temps de prendre le temps. Je m’ex­ta­sie devant le chant du muez­zin cra­ché par des hauts-par­leurs accro­chés aux poteaux d’é­clai­rage et devant une ancienne église recon­ver­tie en mos­quée. Ici, les mai­sons sont clai­re­ment de style grec, faites avec ses pierres blanches qu’on voit par­tout. A la sor­tie de la ville, je m’ar­rête dans une sta­tion essence aban­don­née pour pis­ser. Bien éle­vé, je vais dans les toi­lettes, enfin, ce qu’il en reste.

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Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 213 - Route de Derinkuyu

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 215 - Nevşehir

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 214 - Nevşehir

Je repasse par Nevşe­hir, je m’ar­rête encore, je prends en pho­to des barres d’im­meubles modernes lais­sées en jachère et qui pour le coup semblent aus­si incon­grues que ces mai­sons encore debout mais aban­don­nées. Les temps anciens et la moder­ni­té de cette région ne sont fina­le­ment que deux facettes d’une même identité.

Un peu affa­mé, je rejoins Göreme où je m’ar­rête pour man­ger un peu au Cap­pa­do­cia Kebap Cen­ter, recom­man­dé par le Rou­tard. Ser­vice fran­che­ment désa­gréable, nour­ri­ture dégueu­lasse et chiche, c’est dans ce « res­tau­rant » que j’ai vu des Fran­çais s’in­sur­ger et quit­ter la table parce que le ser­veur refu­sait de leur ser­vir du vin, en plein rama­dan. Mau­dits Fran­çais qui col­portent notre répu­ta­tion dans le monde entier… Un ins­tant, je me suis pris à avoir honte de par­ler la même langue que ces gens.

Je repasse par l’hô­tel pour souf­fler un peu. Abdul­lah m’ac­cueille une fois encore avec ses grands bras dont il m’en­lace pour m’embrasser ; il m’in­vite à m’as­seoir sur la ter­rasse et me fait appor­ter un jus d’a­bri­cot (kayısı suyu) du jar­din. Ses abri­cots sont encore un peu jeunes et pas assez sucrés, mais j’a­dore son inten­tion et je lui demande de venir s’as­seoir avec moi. Nous échan­geons quelques mots en anglais, lui en turc ; avec les gestes, nous finis­sons par nous com­prendre. A l’ombre de la ter­rasse, un petit vent frais rafraî­chit ma peau cuite de soleil. Abdul­lah me demande où je vais après. Je lui dit que j’ai­me­rais bien voir la val­lée que j’ai vu des­cendre au pied de la cita­delle. Il me dit que c’est la Val­lée Blanche (Bağlı Dere) et m’in­dique en bre­douillant quelques mots d’an­glais, puis en deman­dant à Bukem de l’ai­der, com­ment m’y rendre. Je ne com­prends pas tout, mais après avoir gobé mon jus, je me remets en route.

Turquie - jour 20 - Cappadoce, dans les airs et sous terre - 216 - Bağlıdere Vadisi

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Je me retrouve à prendre un che­min dont je ne sais pas où il peut me mener, sur les pla­teaux qui sur­plombent les petites val­lées de tuf creu­sé. Je trouve sur ces che­mins des poi­riers por­tant de tout petits fruits, des abri­co­tiers sur les­quels je me sers fru­ga­le­ment, dont les fruits regor­geant de sucre me font oublier le jus d’Ab­dul­lah. Je trouve des plantes por­tant des gousses gon­flées d’air, des fleurs d’un bleu pro­fond, deux tor­tues qui rentrent leurs membres sous leur cara­pace quand elles me voient arri­ver vers elle, des hiron­delles qui découpent le ciel, une terre aux cou­leurs ocres et vertes tota­le­ment incon­grues… Je ne sais pas où se trouve exac­te­ment la Bağlı Dere mais peu importe, je suis bien ici et je ter­mine cette jour­née en jouis­sant de cet ins­tant pré­cieux, four­bu de fatigue, rom­pu jus­qu’aux os, dans la lumière du soleil déclinant.

C’est ce soir là que je fais la connais­sance de Biş­ra, la jeune ser­veuse de chez Özlem, où je déguste une fan­tas­tique tes­ti kebap, cuit et ser­vi dans son pot en terre fen­du en deux que le patron vient lui-même appor­ter avec sa manique et le manche du mar­teau avec lequel il fen­dille l’ou­ver­ture avec toute la théâ­tra­li­té dont il est capable. Biş­ra est une belle jeune fille à qui je ne don­ne­rais pas plus de vingt-ans et avec qui j’é­chan­ge­rai quelques mots lorsque je revien­drai en mai de l’an­née d’après.

C’est ce soir là que je me rends compte que tant qu’on dit mer­ci (teşekkür ede­rim) quand les plats arrivent, on nous répond cette étrange for­mule : Afiyet olsun, qu’on peut vite tra­duire par bon appé­tit, mais qui pré­cise qu’on puisse appré­cier ce qui vient de nous être ser­vi. Il ne faut donc pas s’é­ton­ner qu’on nous le répète à chaque fois qu’on remer­cie pour l’ar­ri­vée d’une cor­beille de pain ou d’une bière.

Voir les 249 pho­tos de cette jour­née sur Fli­ckr.

Loca­li­sa­tion sur Google Maps :

Épi­sode sui­vant : Car­net de voyage en Tur­quie : Les val­lées aux églises de Çavuşin et la route des thermes de Bayramhacı 

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Figures du Tétra­morphe, les Quatre Vivants

Figures du Tétra­morphe, les Quatre Vivants

On ne le voit même plus, mais il est par­tout autour de nous. Enfin presque par­tout. Sur­tout dans les églises et au-dehors aus­si, mais notre moder­ni­té nous en a fait perdre le sens. Le Tétra­morphe est une étrange figure mys­tique qu’on trouve dans la Bible, dans l’An­cien Tes­ta­ment (encore lui), asso­ciée au livre d’Ézé­chiel et de sa vision :

Dès les pre­mières lignes de sa pro­phé­tie, Ézé­chiel (Ez 1, 1–14) décrit une vision : « le ciel s’ou­vrit et je fus témoin de visions divines » (Ez 1, 1). « Au centre, je dis­cer­nais quelque chose qui res­sem­blait à quatre êtres vivants » (Ez 1, 5).
« Ils avaient cha­cun quatre faces et cha­cun quatre ailes (…) leurs sabots étaient comme des sabots de bœuf » (Ez 1, 6–7). « Quant à la forme de leurs faces, ils avaient une face d’homme, et tous les quatre avaient une face de lion à droite, et tous les quatre avaient une face de tau­reau à gauche, et tous les quatre avaient une face d’aigle. » (Ez 1, 10).
Il s’a­git de quatre ani­maux iden­tiques dotés cha­cun de quatre pattes de tau­reau, de quatre ailes d’aigle, de quatre mains humaines et de quatre faces dif­fé­rentes d’homme, de lion, de tau­reau et d’aigle. Ces quatre ani­maux ont leur place au pied du trône de la gloire de Dieu. (Wiki­pe­dia)

Cha­cun des Quatre Vivants est figu­ré dans le Nou­veau Tes­ta­ment sous la forme des évan­gé­listes (toutes les expli­ca­tions sont issues de Wikipedia) :

  • Mat­thieu : On lui attri­bue comme sym­bole l’homme ailé (par­fois qua­li­fié à tort d’ange) parce que son évan­gile com­mence par la généa­lo­gie de Jésus, ou, plus exac­te­ment, celle de Joseph, père légal de Jésus. Selon qu’il appa­raît comme col­lec­teur d’impôts, apôtre ou évan­gé­liste, Mat­thieu est repré­sen­té avec des balances de peseur d’or, l’épée du mar­tyre ou le livre de l’Évangile qui, fina­le­ment, est son attri­but le plus ordinaire.
  • Marc : Saint Marc est sym­bo­li­sé par un lion d’a­près l’un des pre­miers ver­sets de son évan­gile qui évoque le désert d’où reten­tit les rugis­se­ments du lion, l’un des quatre ani­maux sym­bo­liques de la vision d’Ézéchiel : « un cri sur­git dans le désert » (Ez 1, 1–14). Le lion sym­bo­li­sant saint Marc est géné­ra­le­ment ailé et par­fois sur­mon­té d’une auréole, ce qui le dis­tingue du lion de saint Jérôme, les ailes sym­bo­li­sant l’é­lé­va­tion spi­ri­tuelle et le halo sym­bo­li­sant la sainteté.
  • Luc : Luc est sym­bo­li­sé par le tau­reau, ani­mal de sacri­fice, parce que son évan­gile com­mence par l’é­vo­ca­tion d’un prêtre sacri­fi­ca­teur des­ser­vant le Temple de Jéru­sa­lem : Zacha­rie, le père de Jean-Baptiste.
  • Jean : Son sym­bole en tant qu’é­van­gé­liste dans la tra­di­tion du Tétra­morphe est l’aigle, d’où le sur­nom « l’aigle de Pat­mos ». Il est repré­sen­té avec une coupe sur­mon­tée d’un ser­pent ou avec une chau­dière rem­plie d’huile bouillante.
Tétramorphe de la Tour Saint-Jacques - Paris

Tétra­morphe de la Tour Saint-Jacques — Paris —  Tour Saint-Jacques 070508 02 » par Vas­silTra­vail per­son­nel. Sous licence Public domain via Wiki­me­dia Com­mons.

Cette figure qui n’est que les quatre faces d’un seul élé­ment trouve son ori­gine dans des repré­sen­ta­tions antiques, notam­ment égyp­tiennes, sous la forme de divi­ni­tés infé­rieures ou d’élé­ments natu­rels. Comme sou­vent dans l’An­cien Tes­ta­ment, les trans­crip­tions des visions pro­viennent de légendes anciennes, transformées.

En ce qui concerne la sym­bo­lique du chiffre 4 expri­mée au tra­vers des Quatre Vivants, on la retrouve dans bon nombre de figures. Tout d’a­bord, le sym­bole d’A­tha­nase. Ce sym­bole connu aus­si sous le nom de Qui­cumque, est un conden­sé de la pen­sée litur­gique ortho­doxe qui reprend les 3 figures de la Tri­ni­té, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ain­si que celle de Dieu, cen­trale. Les liens qui sont faits entre les sphères se com­posent de cette manière, qui pour cha­cune des occur­rences se lit dans les deux sens :

  • Le Saint-Esprit n’est pas le Père
  • Le Père n’est pas le Fils
  • Le Fils n’est pas le Saint-Esprit
  • Le Saint-Esprit est Dieu
  • Le Père est Dieu
  • Le Fils est Dieu

Le sens de lec­ture des Quatre Vivants s’ins­pire aus­si de quatre moments de la vie du Christ ; l’in­car­na­tion de Dieu dans l’homme (Mat­thieu, l’homme ailé), la ten­ta­tion dans le désert (Marc, le lion), l’im­mo­la­tion (Luc, le tau­reau, sym­bole de sacri­fice) et la mon­tée au ciel (Jean, l’aigle). On retrouve aus­si chez Luc (10, 27) les com­po­santes de l’es­sence humaine : l’homme est le sym­bole de l’es­prit, le lion est le sym­bole des pas­sions, le tau­reau est le sym­bole du corps, l’aigle est le sym­bole de l’esprit.

La figure du tétra­morphe est donc un moment pri­vi­lé­gié de sym­bo­lisme litur­gique que l’on trouve sur­tout dans les repré­sen­ta­tions byzan­tines et romanes de l’art chré­tien. En regar­dant par­fois sur cer­tains monu­ments plus proches de nous, sur les bâti­ments gothiques, on arrive par­fois à le retrou­ver, comme plus haut, sur le som­met de la Tour Saint-Jacques à Paris, mais ce sont des sta­tues qui pour le coup datent du XIXè siècle.

Pho­to d’en-tête © José Luis Fil­po Cabana
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Eglise de San­to Domin­go, Soria, Pre­mière vision d’Ézéchiel.

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L’ar­cher scythe du vase de Kul-Oba, la « mala­die fémi­nine » et le peuple d’Ashkenaz

L’ar­cher scythe du vase de Kul-Oba, la « mala­die fémi­nine » et le peuple d’Ashkenaz

Trésor de Kul-Oba, vase en électrum (détail archer) - Musée de l'Ermitage - Saint-Petersbourg

Prince scythe ten­dant l’arc d’Hé­ra­clès. Tré­sor de Kul-Oba, vase en élec­trum — Musée de l’Er­mi­tage — Saint-Peters­bourg. Deuxième moi­tié du IVè siècle avant notre ère.

Dans la Table des Nations, le patriarche Ash­ke­naz est le fils de Gomer, lui-même fils de Japhet, lui-même un des trois fils de Noé (ai-je déjà dit qu’il fal­lait lire l’An­cien Tes­ta­ment pour sa richesse ?). Si Japhet est l’an­cêtre des peuples vivant au nord de la médi­ter­ra­née, Gomer (גמר), l’aî­né de ses fils, est l’an­cêtre du peuple cim­mé­rien (Κιμμέριοι en grecGimir­raya en assy­rien — rien à voir avec Conan le Bar­bare), appa­ren­té aux Thraces ins­tal­lés en Tau­ride et dont le nom est à l’o­ri­gine du mot Cri­mée. Plus géné­ra­le­ment, on attri­bue à Gomer la paren­té des peuples euro­péens de l’ouest. Ash­ke­naz donc, fils de Gomer, est un nom qu’on connait pour dési­gner les Juifs d’Eu­rope de l’est et du nord, et pour les dis­tin­guer des Séfa­rades, les Juifs d’Eu­rope du sud et du Magh­reb, mais avant de dési­gner ces peuples, il est à l’o­ri­gine d’un autre mot : il a don­né en grec Σκὐθαι (Skú­thai), Ish­ku­za ou Asku­zai en assy­rien, et dans le lan­gage moderne, il s’est appa­ren­té au nom du peuple des Scythes. Ces guer­riers redou­tables, dont l’aire d’ex­pan­sion s’é­tend de l’ac­tuelle Ukraine à l’ouest jus­qu’aux contre­forts du Tad­ji­kis­tan et de la Bac­triane à l’est, demeurent connus pour leur orfè­vre­rie très riche, notam­ment par la décou­verte de fabu­leux tré­sors d’or caché dans des tumu­lus funé­raires. On attri­bue au peuple d’Ash­ke­naz la paren­té des peuples scan­di­naves et russes.
Tom­bé par hasard sur la repré­sen­ta­tion ci-des­sus d’un archer, repro­duit sur le vase en élec­trum du tré­sor trou­vé dans le kour­gane de Kul-Oba, je n’ai pu faire autre­ment que de m’ex­ta­sier sur la finesse d’exé­cu­tion de cet homme, dont le geste s’est trans­mis à tra­vers les âges, d’au­tant que ce vase date de la seconde moi­tié du IVè siècle avant notre ère, ce qui révèle un haut niveau de tech­no­lo­gie. Ce qui me semble le plus frap­pant, c’est la maî­trise par­faite de la gra­vure en bas-relief, exces­si­ve­ment bien ren­due dans l’or­don­nan­ce­ment des pos­tures ana­to­miques dans le corps de cet archer repré­sen­té de pro­fil. Ce vase repré­sente en tout quatre scènes.

  1. Une scène mon­trant un homme avec les doigts dans la bouche de l’autre, indi­quant clai­re­ment les soins de den­tis­te­rie connus à cette époque.
  2. La deuxième scène montre un homme en train de pra­ti­quer un ban­dage sur la jambe d’un guer­rier blessé.
  3. La troi­sième montre deux sol­dats en armes assis l’un en face de l’autre. L’un des deux semble être un prince.
  4. La qua­trième repré­sente cet archer, en réa­li­té un prince scythe qui fait réfé­rence non pas au mythe chré­tien des ori­gines du peuple mais au mythe grec, impli­quant Héraclès :

Lorsque le héros Héra­clès se fut accou­plé avec le monstre Échid­na, cette der­nière mit au monde trois gar­çons. Puis vint le moment pour Héra­clès de conti­nuer sa route. Mais le jour du départ, Échid­na deman­da à son amant ce qu’elle devrait faire de leurs enfants, une fois par­ve­nu à l’âge d’homme. Héra­clès prit l’un de ses deux arcs et son bau­drier qu’il don­na à Échid­na. Il ajou­ta que celui des trois qui par­vien­drait à posi­tion­ner le bau­drier et à ban­der l’arc comme lui-même le fai­sait, devien­drait le roi du pays. Les deux autres frères devraient alors s’exiler. Arri­vé à l’âge d’homme, Échid­na ras­sem­bla ses trois enfants, Aga­thyr­sos, Gélo­nos et Scy­thès. Le test pou­vait alors com­men­cer. Seul Scy­thès par­vint à réus­sir les deux épreuves. Comme l’avait exi­gé Héra­clès, Échid­na don­na le pou­voir suprême au vain­queur, tan­dis que ses deux autres enfants s’exilèrent. À ce moment, Scy­thès don­na son nom à cette région et à son peuple. (source Wiki­pe­dia)

J’ai trou­vé éga­le­ment cet extrait du livre de Fatih Cimok rap­por­tant une autre légende, rap­por­tée par Héro­dote dans son Enquête, une légende pour le moins cocasse…

Le pha­raon Psam­mé­tique I (663–609 avant notre ère) les paya pour qu’ils ne dévastent pas son pays.
Lors de leur retour, les Scythes pillèrent Ash­ke­lon, un acte qui, d’a­près Héro­dote, pro­voque la malé­dic­tion de la déesse qui les infli­gea d’une mala­die appe­lée “mala­die fémi­nine”, c’est-à-dire l’ho­mo­sexua­li­té, dont “souffrent encore leurs des­cen­dants” ; cette his­toire a pu ins­pi­rer la remarque de Samuel (I Sm 5:6) que Dieu a infli­gé des hémor­roïdes aux Phi­lis­tins d’Ash­dod pour avoir pro­fa­né l’Arche d’Al­liance.

Fatih Cimok, Ana­to­lie biblique, de la Genèse aux Conciles
A Turizm Yayın­ları, İst­anb­ul, 2010

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L’a­po­théose de Saint Pan­ta­léon de Nico­mé­die et la chute de Fumiani

Si tou­te­fois on cherche la plus grande œuvre sur toile au monde, il ne fau­dra pas regar­der du côté du Louvre, ni même des scuole véni­tiennes, mais dans une église peu visi­tée de la Séré­nis­sime, la petite Chie­sa di San Pan­ta­leone Mar­tire (Eglise de Saint Pan­ta­lon — ou Pan­ta­leon — mar­tyr), coin­cée entre deux façades du Dor­so­du­ro et sur laquelle on peut encore voir les trous de bou­lin sur le pignon.
L’é­glise n’est pas bien grande mais son pla­fond a été magni­fié par un peintre baroque mineur de Venise, Gian Anto­nio Fumia­ni, dont l’his­toire est presque aus­si tra­gique que celle du Saint dont il s’est fait le porte-parole. Entre 1680 et 1704, c’est-à-dire pen­dant 24 ans, il va peindre une toile, ou plu­tôt plu­sieurs toiles jus­qu’à en recou­vrir tota­le­ment le pla­fond ; l’œuvre mesure au total 50mx25m. Un tra­vail colos­sal qui donne à l’é­glise une pers­pec­tive hors du commun.

Gian Antonio Fumiani - Apothéose de Saint Pantaléon - Chiesa di San Pantalon martire - 1680 à 1704 - Venise

Gian Anto­nio Fumia­ni — Apo­théose de Saint Pan­ta­léon — Chie­sa di San Pan­ta­lon mar­tire — 1680 à 1704 — Venise

La par­tie ver­ti­cale du pla­fond sur­plom­bant la colon­nade est rehaus­sée du pla­fond plat sur lequel est peint un trompe‑l’œil don­nant l’im­pres­sion que la sur­face cir­cons­crite au-des­sus des arches est pro­lon­gée vers le ciel d’une par­tie ouverte, don­nant elle-même vers un ciel comme seuls savaient en peindre ces artistes véni­tiens. Les per­son­nage sont peints en contre-plon­gée d’une manière abso­lu­ment écra­sante. La scène au-des­sus du chœur repré­sente le saint des­cen­dant les marches (très escar­pées) d’un palais et le ciel du pla­fond fait appa­raitre les anges des­cen­dus du fir­ma­ment pour accom­pa­gner l’a­po­théose du Saint vers le para­dis dans une mise en scène étourdissante.

Gian Antonio Fumiani - Martyre de Saint Pantaléon - Chiesa di San Pantalon martire - 1680 à 1704 - Venise

Gian Anto­nio Fumia­ni — Mar­tyre de Saint Pan­ta­léon — Chie­sa di San Pan­ta­lon mar­tire — 1680 à 1704 — Venise

Le saint dont il est ques­tion ici, Pan­ta­léon de Nico­mé­die, vécut sous l’empereur romain Maxi­mien dont il fut le méde­cin, et dénon­cé comme étant chré­tien, il fut sup­pli­cié, puis déca­pi­té. C’est de ce per­son­nage que naî­tra l’i­cône peu flat­teuse de Pan­ta­lon qu’on retrouve dans les aven­tures de la Com­me­dia dell’arte.

On peut trou­ver éga­le­ment dans cette église une autre toile, beau­coup plus modeste, mais signée Vero­nese, repré­sen­tant le saint gué­ris­sant un enfant ; une toile datant de 1587–1588.

Paolo Veronese - Conversion de Saint-Pantaléon - Chiesa di San Pantalon martire 1588 - Venise

Pao­lo Vero­nese — Miracle de Saint-Pan­ta­léon — Chie­sa di San Pan­ta­lon mar­tire 1588 — Venise

Fumia­ni, artiste mal­heu­reux, fit une chute du haut de l’é­cha­fau­dage tan­dis qu’il ter­mi­nait sa toile. Il ne la vit jamais ter­mi­née et fut enter­ré dans l’é­glise même.

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A la ren­contre des alé­vis turcs

A la ren­contre des alé­vis turcs

Res­ca­pés des inté­grismes et des pogroms, liber­taires par essence, aty­piques par leurs croyances, les alé­vis ne sont pas beau­coup aimés du reste de la com­mu­nau­té musul­mane, a for­tio­ri parce que leur foi a pour ori­gine la branche mal-aimée de l’is­lam ; le chiisme. Le mot alé­vi lui-même signi­fie adepte d’A­li, le gendre du pro­phète, celui par lequel le chiisme a fait dissidence.
Au cours de mes péri­pé­ties, j’ai pu moi-même me rendre compte que si les alé­vis sont regar­dés de tra­vers, consi­dé­rés comme des illu­mi­nés, voire comme des fous (pas au sens fana­tiques) et mal­gré leur litur­gie peu ortho­doxe, ils n’en sont pas moins res­pec­tés, même si par le pas­sé, cela ne fut pas tou­jours le cas. Abso­lu­ment pas mino­ri­taires en Tur­quie (1 Turc sur 4 est alé­vi, les sta­tis­tiques offi­cielles fai­sant plu­tôt état de 10 à 15% de la popu­la­tion), un musul­man sun­nite vous accom­pa­gne­ra tout de même volon­tiers au tekke ou à la cem evi le plus proche si le cœur vous en dit, mais il n’est pas dit qu’on vous pro­pose d’as­sis­ter au sema avec vous, il ne faut tout de même pas exagérer.

dilek ağacı

Arbre à sou­haits alé­vi (dilek ağacı). Pho­to © Son Til­ki

Voi­ci un extrait du livre de Sébas­tien de Cour­tois (Un thé à İst­anb­ul, récit d’une ville) nous en appre­nant un peu plus sur ces reli­gieux d’un autre genre qui pra­tiquent leur foi dans un étrange syn­cré­tisme. Ren­contre avec Mehmet.

Si les alé­vis de Tur­quie sont consi­dé­rés comme des « musul­mans » par l’of­fice des cultes, leurs pra­tiques rituelles n’ont rien à voir avec l’is­lam ortho­doxe, ni même avec l’is­lam tout court étant don­né qu’ils n’en res­pectent aucun des piliers. Ils ne vont pas à la mos­quée, m’ex­plique Alber­to, spé­cia­liste de la ques­tion, ne lisent pas le Coran et, au pèle­ri­nage de La Mecque, ils pré­fèrent celui plus proche de Haci Bek­taş, une saint homme de Cap­pa­doce. De même, les cinq prières quo­ti­diennes ne leur sont pas fami­lières, comme le jeûne du rama­dan qu’ils ne res­pectent pas, et — comble d’hé­ré­sie — ils n’hé­sitent pas à jurer sur la tête du Pro­phète. Le por­trait d’A­li, le gendre du Pro­phète, trône dans leurs mai­sons de prière, les cem evi, à côté du saint cap­pa­do­cien et d’un Atatürk repré­sen­té en odeur de sain­te­té. Une étrange tri­ni­té cha­ma­nique qui n’est pas pour me déplaire tant elle est sur­réa­liste. Il fau­drait plu­tôt voir dans l’a­lé­visme turc — qui concerne près de 25% de la popu­la­tion, tout de même — un main­tien de croyances pré­sis­la­miques liées au par­cours des peuples turcs en Asie, avec une touche d’in­fluence chré­tienne, comme des rémi­nis­cences de cultures plus anciennes.

Costume traditionnel de cérémonie alévi

Cos­tume tra­di­tion­nel de céré­mo­nie alé­vi. Pho­to © Sol Por­tal

Meh­met est fier de sa reli­gion. Une iden­ti­té qui fait de lui un être à part dans la socié­té turque, comme l’en­semble de ses congé­nères. Digne des­cen­dant de ses aïeux, il conspue régu­liè­re­ment toute forme d’au­to­ri­ta­risme reli­gieux et reste un fervent défen­seur de la laï­ci­té et du sécu­la­risme. « Cha­cun chez soi, me dit-il sou­vent, les imams à la mos­quée ! » Aux dires de cer­tains obser­va­teurs — dont je suis —, si la Tur­quie n’a pas encore bas­cu­lé dans le camp de l’obs­cu­ran­tisme, c’est grâce à cette mino­ri­té de râleurs nés. Les quar­tiers alé­vis ne se mélangent pas avec ceux des sun­nites, les deux groupes se regar­dant en chien de faïence et sus­pec­tant l’autre d’un mau­vais coup. Ils aiment la musique, la trans­mis­sion des cultures locales, dont celle des bardes, les aşık, qui ont por­té jus­qu’à nous des siècles de mémoire orale.
J’ai com­pris la spé­ci­fi­ci­té des alé­vis en assis­tant à leur culte dans une cem evi située au der­nier étage d’un immeuble moderne du quar­tier de Yeni­bos­na. Rien de bien attrac­tif en appa­rence — une tour vitrée près d’un péri­phé­rique —, mais je décou­vris là le ter­rain d’une magie secrète ber­cée par les chants, les danses où hommes et femmes se meuvent pour des rituels qui me sem­blaient sor­ti du jour­nal d’ex­plo­ra­tion d’un décou­vreur de cam­pagnes turques au Moyen-Âge.
Un autre genre de voyage dans la ville, celui des sectes, confré­ries et ordres mys­tiques. Meh­met m’a­vait intro­duit dans cet uni­vers de signes et de sym­boles. Le dede, le maitre spi­ri­tuel, était l’un de ses parents éloi­gnés. Il m’a­vait pla­cé au pre­mier rang, en signe de res­pect pour l’in­vi­té, dans une sorte d’am­phi­théâtre minia­ture. Je décou­vrais un autre aspect de mon ami, celui d’un homme res­pec­té dans sa com­mu­nau­té pour ses ascen­dances fami­liales car, dans la croyance alé­vie, on croit à la trans­mi­gra­tion des âmes — la réin­car­na­tion, pour être pré­cis —, et son lignage était hono­rable. « On ne parle pas de mort », me dit-il, mais plu­tôt de « pas­sage », ce qui aidait à dédra­ma­ti­ser le ter­rible acci­dent de son frère.

Sébas­tien de Cour­tois, Un thé à İst­anb­ul, récit d’une ville
Le Pas­seur édi­tions, coll. Che­mins d’étoiles, 2014

Pho­to d’en-tête © Utku Kay­nar

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