Susan­na und die bei­den Alten (Suzanne au bain) d’Al­brecht Altdorfer

Susan­na und die bei­den Alten (Suzanne au bain) d’Al­brecht Altdorfer

Albrecht Alt­dor­fer, comme son nom l’in­dique, est ori­gi­naire d’Alt­dorf en Autriche. Contem­po­rain de l’autre Albrecht (Dürer), il est un des repré­sen­tants de cette école qu’on dit du Danube et que l’on consi­dère plus comme un style ; dans cette école, on retrouve des peintres et des gra­veurs, fas­ci­nés par un cer­tain roman­tisme du pay­sage et dans lequel se déve­loppe une concep­tion tara­bis­co­tée de l’architecture.

Albrecht Altdorfer - Suzanne au bain - 1526 - 74x61cm - Alte Pinakothek - Münich - Panneau de tilleul

Albrecht Alt­dor­fer — Suzanne au bain — 1526 — 74x61cm — Alte Pina­ko­thek — Münich — Pan­neau de tilleul

Ce tableau d’Alt­dor­fer dont le nom alle­mand est Susan­na und die bei­den Alten, c’est-à-dire Suzanne et les deux vieillards, fait réfé­rence à un épi­sode de la Bible, du livre de Daniel pré­ci­sé­ment. Cet épi­sode raconte l’his­toire d’une jeune don­zelle qui, tan­dis qu’elle prend son bain, est épiée par deux vieillards qui lui feront des pro­po­si­tions mal­hon­nêtes. Mais Suzanne est mariée et en bonne épouse, refuse les pro­po­si­tions des deux bar­bons qui, fâchés de n’a­voir pu déchar­ger leur sur­plus de ten­sion sexuelle l’ac­cu­se­ront tout bon­ne­ment d’a­dul­tère. Ni une ni deux, l’a­dul­tère est pas­sible de la peine de mort, mais si cette affaire là n’é­tait hau­te­ment sym­bo­lique et fina­le­ment morale, Suzanne aurait sim­ple­ment fini sur le bûcher et on n’au­rait plus par­lé de l’af­faire… C’est sans comp­ter sur l’ap­pa­ri­tion du pro­phète Daniel du livre épo­nyme, qui fit tout pour prou­ver l’in­no­cence de la jeune dame et la faire acquit­ter. La morale est sauve, les bar­bons sont lapi­dés, et la jeune femme peut s’en aller tran­quille­ment retrou­ver son mari. On l’a échap­pé belle…

A pré­sent, regar­dons un peu com­ment est construit le tableau. Mal­heu­reu­se­ment, l’im­pos­si­bi­li­té de trou­ver une ver­sion en haute défi­ni­tion m’empêche de pou­voir regar­der l’œuvre de près (vous me direz que je n’ai pour ça qu’à aller à Münich) et d’en déduire des détails qu’on retrou­ve­rait dans l’his­toire, mais allons‑y tout de même.
Comme on l’au­ra com­pris, l’ar­chi­tec­ture prend une place impor­tante dans cette huile, une bonne moi­tié dans la médiane, mais le sujet n’est tout de même pas noyé sous la masse car il est bien pré­sent au pre­mier plan. C’est en réa­li­té une scène décom­po­sée qu’on retrouve en plu­sieurs endroits et étran­ge­ment, la scène dont il est ques­tion n’est même pas figu­rée ; je veux dire par là que nulle part il est ques­tion de Suzanne au bain à pro­pre­ment par­ler. La morale (pro­tes­tante) est sauve. On voit donc trois ser­vantes s’oc­cu­per de la toi­lette de la jeune fille. Dans les four­rés, presque invi­sibles, les deux vieillards épient ladite Suzanne. Dans l’ordre de l’his­toire, les trois ser­vantes sortent et Suzanne est seule. Là non plus, on ne voit rien de ceci. En revanche, accor­dons-nous à regar­der les détails : regar­dez au fond du jar­din, on voit une jeune fille seule devant une porte close. On sug­gère ici qu’elle se retrouve seule.
De la même manière, on ne voit à aucun moment une scène dans laquelle on pour­rait entr’a­per­ce­voir un viol ou quelque chose de cette nature. En revanche, au second plan, une table et un mor­ceau de pain enta­mé et les vête­ments d’un homme posés sur une ram­barde ; ce qui est figu­ré ici sans être mani­fes­te­ment mon­tré, c’est l’ac­cu­sa­tion men­son­gère des bar­bons, l’acte pré­su­mé dont ils l’accusent.
Suzanne à la toi­lette est ins­tal­lée sur un tapis ; elle ne foule donc pas l’herbe, espace sacré, repré­sen­tant cer­tai­ne­ment le jar­din d’E­den, et dans ce même jar­din, on voit deux fleurs rouges, signes de la pré­sence de l’es­prit divin. Ici on parle donc de la pure­té de la jeune fille, dont on n’a aucun doute par ailleurs (nous connais­sons l’his­toire…). Tout ceci est redit une fois lors­qu’on voit Suzanne gra­vir les marches de l’es­ca­lier, avec dans la main un lys blanc, sym­bole de pure­té (et non de vir­gi­ni­té, Suzanne est mariée…) et un broc d’eau, cer­tai­ne­ment pure elle aussi.

Voi­ci pour ce qui se passe dans le jar­din. L’a­près se situe dans le palais du mari de Suzanne. Là encore on retrouve plu­sieurs scènes décom­po­sées qui ne vont plus de gauche à droite, mais de droite à gauche. Que de monde dans cette scène, que de per­son­nages ! On arrive tout de même à déce­ler le moment du pro­cès des vieux hommes avec la pré­sence de Daniel, pré­sen­té sous la forme d’un enfant blond per­ché en hau­teur, nim­bé d’or, tout à droite. On voit ensuite leur lapi­da­tion sur le par­vis et sur la gauche, une fon­taine qui dit que l’hon­neur de Suzanne est lavé.

Lors­qu’on regarde le des­sin pré­li­mi­naire ci-des­sous, on voit que le réagen­ce­ment des scènes de manière cir­cu­laire a été fait volon­tai­re­ment puis­qu’il n’é­tait pas pré­vu au départ.

Albrecht Altdorfer - Suzanne au bain - Dessin à la plume - 33x27cm - Museum Kunstpalast - Sammlung der Kunstakademie - Düsseldorf

Albrecht Alt­dor­fer — Suzanne au bain — Des­sin à la plume — 33x27cm — Museum Kunst­pa­last — Samm­lung der Kuns­ta­ka­de­mie — Düsseldorf

Enfin, pour ter­mi­ner, le tableau est conçu de telle sorte qu’il y ait une grande dis­tance (le fameux point de dis­tance) entre le spec­ta­teur et la scène du pre­mier plan, comme si nous ne devions pas nous inclure dans la scène, car évi­dem­ment, nous ne sommes pas ces vieux satyres qui ont pro­po­sé la baga­telle à Suzanne… Pour­tant, à y bien regar­der, la vue res­semble étran­ge­ment à ce qui peut être fait avec une pho­to prise au grand angle. On peut remar­quer aus­si que le point de vue, l’en­droit à par­tir duquel nous voyons la scène fait que nous sommes au même niveau que la foule qui se presse aux fenêtres du palais, c’est-à-dire assez haut. Tout ceci se passe sous nos yeux, nous en sommes les témoins et la morale se déroule ici : l’his­toire des trois vieillards s’ef­fondre à cause d’un témoi­gnage, celui des ser­vantes (Quand les ser­vi­teurs de la mai­son enten­dirent les cris pous­sés dans le jar­din, ils se pré­ci­pi­tèrent par la porte de der­rière pour voir ce qu’il y avait).

Vous avez com­pris le mes­sage ? Si vous voyez une scène de laquelle peut décou­ler une accu­sa­tion trom­peuse et pré­ci­pi­ter un inno­cent dans les tour­ments de l’in­jus­tice, il faut inter­ve­nir et dénon­cer le cou­pable. Mau­vais chré­tiens que vous êtes !!

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D’huile et de chair

Voi­ci une expé­rience tout à fait éton­nante de la part de l’I­ta­lien Rino Ste­fa­no Taglia­fier­ro qui s’est adon­né à un exer­cice assez décon­cer­tant. Il s’est mis en tête d’a­ni­mer des toiles grâce à l’i­ma­ge­rie numé­rique, avec juste ce qu’il faut de mou­ve­ment pour don­ner l’im­pres­sion que le sujet est vivant. C’est assez trou­blant dans son ensemble puis­qu’il a acco­lé une cen­taine de tableaux, évo­quant aus­si bien une cer­taine idée de l’é­ro­tisme que de la folie ; ces mou­ve­ments rendent beau­coup plus sen­sibles les sujets. La musique, inquié­tante elle-aus­si, donne une cer­taine idée d’un roman­tisme très dix-neu­vième, dans une cohé­rence vive­ment recherchée.
La vidéo s’ap­pelle en toute sim­pli­ci­té Beau­ty et on peut retrou­ver ici le nom de toutes les toiles uti­li­sées. A regar­der en plein écran de pré­fé­rence pour se plon­ger dedans…

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Willem Claes­zoon Heda en quelques natures mortes (Stil­le­ven)

Willem Claes­zoon Heda en quelques natures mortes (Stil­le­ven)

On ne le dira jamais assez, la nature morte hol­lan­daise est loin d’être inno­cente dans ses propres paroles ; au contraire, elle est mora­li­sa­trice, pesante, presque dic­ta­to­riale. Née dans les brumes du pro­tes­tan­tisme du nord de l’Eu­rope, elle n’existe que comme un art méca­nique de la morale chré­tienne qui tend à vous don­ner des leçons : le temps passe inexo­ra­ble­ment, ce qui a été enta­mé ne peut faire l’ob­jet d’un retour en arrière, la vie est un poi­son, etc. Que de choses douces et agréables à entendre. Une nature morte, c’est gai et joyeux comme la Leçon d’a­na­to­mie du doc­teur Tulp de Rem­brandt, c’est ni plus ni moins qu’une chape de plomb. Sachant qu’il n’existe pas de code défi­ni­tif de la signi­fi­ca­tion des objets qui s’y trouvent, on est à peu près libre d’y trou­ver ce qu’on veut.

Willem Claeszoon Heda - Nature morte à la vigne - 52x68cm - Musée Hallwyl - Stockholm

Willem Claes­zoon Heda — Nature morte à la vigne — 52x68cm — Musée Hallwyl — Stockholm

Willem Claeszoon Heda - Nature morte aux huîtres, Roemer, citron et coupe en argent

Willem Claes­zoon Heda — Nature morte aux huîtres, Roe­mer, citron et coupe en argent — 1634 — 43x57cm — Museum Boi­j­mans Van Beu­nin­gen — Rotterdam

Willem Claeszoon Heda - Nature morte à la tartelette - 1635 - 106x111cm - National Gallery of Art - Washington

Willem Claes­zoon Heda — Nature morte à la tar­te­lette — 1635 — 106x111cm — Natio­nal Gal­le­ry of Art — Washington

Ce qui reste tou­te­fois impor­tant dans cette pein­ture, et notam­ment chez Claesz. Heda, c’est la pure­té de la ligne, le trai­te­ment de la cou­leur par palettes variées mais tou­jours presque mono­chro­ma­tiques, l’in­fi­ni ren­du de la lumière et des ombres, une finesse d’exé­cu­tion proche de la pré­ci­sion hor­lo­gère. Regar­dons d’un peu plus près ces six toiles du maître hol­lan­dais, dont on sait fina­le­ment assez peu de choses. Pas d’au­to­por­trait pour la pos­té­ri­té, un titre de pré­sident de la pres­ti­gieuse cor­po­ra­tion artis­tique, la Guilde de Saint Luc et l’af­faire est bouclée.

Les tableaux qui sont pré­sen­tés ici sont dis­po­nibles en haute défi­ni­tion, ain­si que la gale­rie des détails pro­po­sée en-des­sous. Ils sont clas­sés par date d’exé­cu­tion. L’a­van­tage de cette gale­rie de détails per­met d’ob­ser­ver les tableaux comme si vous étiez face à eux.

Willem Claeszoon Heda - Nature morte à la tourte aux mûres - 1631 - 54x82cm - Gemäldegalerie Alte Meister - Dresde

Willem Claes­zoon Heda — Nature morte à la tourte aux mûres — 1631 — 54x82cm — Gemäl­de­ga­le­rie Alte Meis­ter — Dresde

Willem Claezsoon Heda - Nature morte avec coupe Nautilus - 1654 -  Museum of Fine Arts - Budapest

Willem Claez­soon Heda — Nature morte avec coupe Nau­ti­lus — 1654 — Museum of Fine Arts — Budapest

Willem Claeszoon Heda - Festin de jambon - 1656 - 152x111cm - The Museum of Fine Arts - Houston

Willem Claes­zoon Heda — Fes­tin de jam­bon — 1656 — 152x111cm — The Museum of Fine Arts — Houston

Gale­rie de détails

En vrac, voi­ci quelques signi­fi­ca­tions déco­dées des objets :

  • Flûte de Cham­pagne : la fra­gi­li­té de la vie
  • Roe­mer : fra­gi­li­té de la vie dûe au temps qui passe (voir ce billet sur une nature morte de Willem Kalf)
  • Citron éplu­ché : la nature en voie de corruption
  • Aiguière : la richesse qui n’est que vanité
  • Verre à moi­tié plein : le temps qui passe
  • Verre ren­ver­sé : la vie consom­mée, la mort qui approche
  • Verre cas­sé : la vie qui se brise, donc la mort
  • Sucre en poudre : le dan­ger et la douceur
  • Canne à poi­son : le dan­ger et la mort
  • Papier rou­lé : le secret de la nature et de l’existence
  • Montre à gous­set : le temps arrêté
  • L’as­siette en équi­libre : la fra­gi­li­té de la vie
  • Mouche : la nature en voie de corruption
  • Pain : le temps qui passe
  • La plu­part du temps, ces natures mortes sont com­po­sées comme des repas inter­rom­pus, ce qui est en soi une méta­phore du temps qui s’arrête…

Il est tou­jours inté­res­sant de consta­ter com­ment est inter­pré­té le mot nature morte dans les autres langues. Pre­nons des exemples les uns après les autres :

  • Anglais : Still life
  • Alle­mand : Stil­l­le­ben (avec 3 l)
  • Hol­lan­dais : Stilleven
  • Danois : Stilleben
  • Alé­ma­nique : Stilllääbe
  • Fran­çais : nature morte
  • Ita­lien : Natu­ra morta
  • Polo­nais : Mart­wa natura
  • Por­tu­gais : Natureza-morta
  • Turc : Natürmort

Peut-on déduire que de la manière dont on envi­sage ce mot, on se trouve plu­tôt du côté de la vie ou du côté de la mort ? L’un dit clai­re­ment “vie arrê­tée”, l’autre dit que tout y est mort…

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Willem Claes­zoon Heda — Nature morte à la tourte, à l’ai­guière d’argent et au crabe

Voi­ci une autre nature morte de Claesz. Heda, Nature morte à la tourte, à l’ai­guière d’argent et au crabe. Si l’on com­pare cette nature morte avec celle nom­mée Petite nature morte d’apparat au crabe, on peut consta­ter une ren­ver­se­ment du sens de lec­ture (ici on lit de gauche à droite), mais éga­le­ment une palette radi­ca­le­ment dif­fé­rente. Ici on tourne dans les gris et les ocres tan­dis que l’autre va cher­cher dans les verts et les jaunes.
Ce tableau est mon sens le tableau de l’ex­pres­sion du gris ; on pour­rait presque le com­pa­rer aux gri­sailles, ces superbes petits vitraux qu’on obtient par addi­tion d’oxydes métal­liques avant cuis­son. Une pure merveille.

Willem Claeszoon Heda - Nature morte à la tourte, à l'aiguière d'argent et au crabe - 1658 - 103 x 123 cm - Frans Halsmuseum - Haarlem

Willem Claes­zoon Heda — Nature morte à la tourte, à l’ai­guière d’argent et au crabe — 1658 — 103 x 123 cm — Frans Hals­mu­seum — Haarlem

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Willem Claes­zoon Heda — Petite nature morte d’ap­pa­rat au crabe

Une simple toile car­rée de 118 sur 118 cm, un citron pelé, une aiguière, un Roe­mer, une flûte à cham­pagne des plus fines, une nappe soyeuse et brillante tout juste sor­tie du meuble, un bol d’o­lives, un pain rond, une nappe de velours épais, et voi­ci une nature-morte des plus déli­cates, incroya­ble­ment fine, par Willem Claes­zoon Heda, plus connu sous le nom de Claesz. Heda. Qui sait ce qui se cache dans le reflet de l’aiguière ?

Willem Claeszoon Heda - Petite nature morte d'apparat au crabe - 1648 - 118x118 - Musée de l'Ermitage - Saint-Petersbourg

Willem Claes­zoon Heda — Petite nature morte d’ap­pa­rat au crabe — 1648 — 118x118 — Musée de l’Er­mi­tage — Saint-Petersbourg

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