Si les chro­niques de l’é­poque sont exactes, le ter­rible empe­reur gisait dans sa tombe, sous mes pieds, entou­ré de ses épouses exé­cu­tées et au milieu d’une repro­duc­tion à l’i­den­tique de son empire — modèle vaste et com­pli­qué, sillon­né de rivières de vif-argent et ani­mé par d’in­vi­sibles méca­niques. Sept cents mille ouvriers, dit-on, avaient tri­mé sur ce mau­so­lée au cours des der­nières années de son règne et, à l’a­chè­ve­ment de l’ou­vrage, ceux qui en savaient trop avaient été emmu­rés dedans au moyen de portes de pierre qui s’a­bais­saient d’elles-mêmes. Dans la chambre funé­raire, par­mi des mon­tagnes sculp­tées dans le cuivre et des villes de pierres pré­cieuses, l’empereur navigue dans un cer­cueil en forme de barque, sur une rivière de mer­cure qui débouche dans une mer du même métal, sous un ciel de nuit constel­lé de perles.

Archer de Qin Shi Huangdi

Ain­si il s’é­tait ména­gé dans la mort un royaume miroir auto­nome, une maî­trise par­faite. Ses cités de gemmes bâties pour l’é­ter­ni­té fai­saient écho au sta­tisme des cieux. Des portes et des pas­sages inté­rieurs, secrè­te­ment pro­té­gés par des arque­buses armées et poin­tées des­sus, scel­laient les fron­tières de son état post­hume. Il avait emmu­ré le pas­sé et l’a­ve­nir. Ses ancêtres, comme ceux de l’Em­pe­reur jaune, avaient sans doute été des bar­bares, et pour­tant c’est de lui que la Chine tient son nom. Les lampes de graisse de phoque qui éclai­raient sa tombe devaient, paraît-il, brû­ler à jamais.

Colin Thu­bron, L’ombre de la route de la soie
Folio, 2006, p39

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