Pho­to © Alain Cachat

Un dimanche soir calme, j’entre dans la salle de spec­tacle du Figuier Blanc où m’at­tend un grand écran de plus de qua­torze mètres de lon­gueur, il y fait frais comme à l’en­trée d’une grotte. Si je suis ici, c’est pour voir ce film de Wer­ner Her­zog (oui, le même Her­zog qui tour­na Aguirre, Fitz­car­ral­do et Nos­fe­ra­tu) dont j’ai enten­du par­ler par hasard. Il se trouve que le sujet en est la Grotte Chau­vet, décou­verte en 1994, dont le mobi­lier et les pein­tures parié­tales ont été esti­més entre 31000 et 38000 ans, de l’au­ri­gna­cien au gra­vet­tien — le sujet m’est cher. A titre de com­pa­rai­son, la grotte de Las­caux est, elle, esti­mée à 17000 ans. Chau­vet est deux fois plus ancienne !

Le tra­vail de Wer­ner Her­zog a été de res­ti­tuer l’am­biance magique, voire mys­tique de cette grotte qui s’é­tend sur 400 mètres de long à l’in­té­rieur d’une falaise, dont la par­tie paléo­li­thique orien­tée plein sud s’est effon­drée, en sur­plomb d’un ancien bras de l’Ar­dèche, à deux pas du Pont d’Arc au lieu-dit la Combe d’Arc. La grotte a ain­si été pro­té­gée de l’ex­té­rieur jus­qu’à sa décou­verte. Plus de quatre cents repré­sen­ta­tions d’a­ni­maux, de mains posi­tives, et une seule repré­sen­ta­tion mi-humaine mi-ani­male ornent les parois de cette cavi­té natu­relle, jus­qu’à la salle du fond où le taux de CO2 reje­té par les racines des arbres est trop impor­tant pour qu’on puisse y res­ter trop long­temps sans risques pour la san­té. Le sol n’a pas été com­plè­te­ment explo­ré encore et l’é­tat de conser­va­tion excep­tion­nel de la grotte sera main­te­nu tel quel puis­qu’elle ne sera jamais ouverte au public. C’est d’ailleurs la rai­son pour laquelle Her­zog a eu l’au­to­ri­sa­tion de fil­mer pour fixer tout cela sur la pel­li­cule et en faire un peu plus qu’un film. Cer­taines scènes sont fil­mées en 3D avec des gros plans impres­sion­nants sur le sol ou les pein­tures, ce qui accen­tue for­te­ment le volume de la pierre, et sa dimen­sion sacrée. Limi­tés à des plages d’une heure par jour et contraints d’y évo­luer en équipes res­treintes, l’é­quipe de tour­nage a lais­sé der­rière elle un témoi­gnage fort, une vision large d’un mor­ceau d’humanité.


Grotte Chau­vet : sec­to­ri­sa­tion de la grotte.
Rele­vés topo­gra­phiques : Le Guillou et Mak­sud (2001)
© Paleo

L’in­té­rêt de cette grotte réside dans son incroyable état de conser­va­tion et dans la mul­ti­tude de ses repré­sen­ta­tions. Depuis Chau­vet, on sait par exemple que le lion des cavernes qui vivait à cette époque ne por­tait pas de cri­nière, car une des repré­sen­ta­tions figure un couple lion/lionne et le mâle est clai­re­ment iden­ti­fié par la pré­sence du scro­tum. On peut par ailleurs entendre dans ce film Jean Clottes (dont j’ai déjà lon­gue­ment par­lé sur le Per­ro­quet Sué­dois) par­ler de ses deux concepts liés à la spi­ri­tua­li­té du paléo­li­thique, la flui­di­té et la per­méa­bi­li­té. Flui­di­té entre les espèces, dans la pen­sée du Sapiens paléo­li­thique, les genres se confondent aisé­ment, l’Homme vit au milieu de la nature et la dis­tinc­tion est faible entre les élé­ments qui la consti­tue, homme/femme/animal/arbre/pierre/ciel par exemple. Per­méa­bi­li­té entre les mondes, entre le monde des esprits caché der­rière la roche, les deux mondes s’in­ter­pé­nètrent. Ces deux concepts dif­fi­ciles pour nos pen­sées judéo-chré­tiennes per­mettent de mieux com­prendre la situa­tion et le pour­quoi de ces pein­tures rupestres.

Dif­fi­cile de ne pas admi­rer ce tra­vail plu­sieurs fois mil­lé­naire, qui tend à prou­ver que si l’homme qui vivait ici il y a 40000 ans était certes entou­ré d’un envi­ron­ne­ment mini­mal, très natu­rel, il n’en était pas moins capable du plus haut niveau d’abs­trac­tion qui soit dans l’é­chelle de l’é­vo­lu­tion, c’est-à-dire la pen­sée reli­gieuse, laquelle a per­du­ré dans sa forme cha­ma­nique pen­dant plus de trente mille ans et sur­vit encore aujourd’­hui dans cer­tains endroits du monde. De quoi rendre les grandes reli­gions modestes…

Liens :

  1. Inter­view de l’in­ven­teur de la grotte, Jean-Marie Chau­vet
  2. La faune de la grotte Chau­vet (Vallon-Pont‑d’Arc, Ardèche) : pré­sen­ta­tion pré­li­mi­naire paléon­to­lo­gique et taphonomique
  3. Immé­diat et suc­cessif : le temps de l’art des cavernes
  4. Loca­li­sa­tion de la Grotte Chau­vet sur Google Maps
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