Jan 24, 2015 | Arts, Prises de son |
La Guillotine est un lieu unique, située rue Robespierre, métro Robespierre, à Montreuil, une friche industrielle reconvertie en lieu de vie pour la poésie, un lieu pour qu’elle s’exprime librement, avec des vrais gens dedans, qui l’écrivent, la connaissent, la lisent et la partagent. Mon pote François m’y a invité et comme cela faisait quelques années-lumières que nous ne nous étions pas vus, j’ai dit oui. Je connais son goût pour la poésie chinoise, pour la poésie tout court, et pour la Chine tout court. Si les passions ne se partagent pas, à quoi bon les vivre ? Je suis un être de passion et je suis passionné par les passions des autres, de voir à quel point leur âme est transfigurée par ce qu’ils y mettent et la manière dont ils font vivre leur resplendissante vertu.
François m’a donc invité à venir écouter cette lecture de poésie de Yu Jian, poète dont il nous dit tout sur l’enregistrement et qu’il a lui-même traduit. Je ne connaissais pas la poésie chinoise, si ce n’est que quelques bribes qu’il m’avait donné à manger au travers de son site (Mâcher mes mots), et je connaissais encore moins Yu Jian, même s’il m’en avait déjà parlé. Mais tant qu’on n’est pas confrontés aux gens, ils ne sont que des ombres. J’ai donc rencontré l’homme, un peu impressionné, lui demandant simplement s’il pouvait poser pour une photo. La fille assise à côté de moi m’a demandé d’un air pénétré comment j’avais découvert l’auteur. Elle avait l’air très déçue que je lui réponde « je connais François qui connaît Yu Jian ». Elle a serré contre elle son exemplaire de Un vol publié chez Gallimard. J’ai crû bon d’en rajouter une couche. « C’est ce soir que je me fais déflorer. Il faut bien commencer un jour. » Elle n’a rien rajouté. J’ai souri presque exagérément.
Réponses donc, entre le poète, et ses lecteurs, Philippe, Anne et François. Avec l’autorisation de François qui m’a assuré que cela ferait plaisir à Yu Jian qu’il reste une trace de cette soirée sur un enregistrement audio, j’ai donc enregistré, puis reproduit ce moment de douceur dans la nuit montreuillaise, même si on entend bien le bruit de la circulation et parfois pas assez les récitants. Voici également, pour ceux qui lisent le chinois ou ceux qui veulent avoir le texte intégral, le programme que m’a fourni François.
Fermons les yeux et laissons nous porter. Merci Yu Jian.
1ère partie
[audio:Yu Jian 01.mp3]
Pause musicale
[audio:Yu Jian 02.mp3]
Projection de photos de la région de l’auteur
2ème partie
[audio:Yu Jian 03.mp3]
Yu Jian
Yu Jian et Anne Segal
Yu Jian et François Charton
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Jan 18, 2015 | Balade luxembourgeoise, Carnets de route (Osmanlı lale) |
Arriver jusqu’à Vianden n’a pas été une mince affaire. En partant d’Echternach, j’ai voulu faire le malin en passant la frontière vers l’Allemagne. Du coup j’ai réussi à me perdre en passant un grand pont qui m’a mené dans la petite ville d’Echternacherbrück et dont je n’ai pas vraiment réussi à sortir autrement qu’en en sortant de la même manière que j’y étais arrivé. Des travaux m’ont passablement compliqué le passage. Ce n’est bien plus tard que je me suis aperçu qu’un petit pont situé à quelques mètres du parking où j’étais garé m’aurait permis de contourner les travaux et ainsi monter vers le nord facilement. J’ai donc emprunté la route qui longe la Sûre, une route agréable et calme qui permet de prendre le temps. Arrivé à Bollendorf, en passant simplement le pont, on est en Allemagne, et c’est ici que je me perds dans la campagne boisée et sombre, longeant toujours le cours de la rivière (qu’à force de remonter on finit par changer de cours pour son affluent, l’Our, à Wallendorf), traversant un bois pour retomber sur les hauteurs de la vallée de la Sûre, puis les petits villages de Biesdorf et de Kruchten, et finalement, je me rends compte que je ne maîtrise plus grand-chose. Je me laisse porter par les panneaux indicateurs, repassant encore la frontière après l’agréable bourg de Körperich et les lacets des routes de montagne près de Roth-an-der-Our.
En cette fin d’après-midi, j’arrive dans la petite ville encaissée sur les deux rives de l’Our, dans laquelle au début du siècle dernier on pouvait encore trouver des pièges à saumons. La ville est humide, un peu vieillotte. Si mes souvenirs d’ici restent parcellaires, j’ai l’impression de revenir bien des années en arrière, comme si presque rien n’avait changé. Une fois de plus, je suis sur les terres d’un homme dont je peux suivre les traces ; après Guernesey, c’est ici que je marche dans les pas de Victor Hugo. On sent encore son ombre se faufiler dans les petites rues de la ville jusqu’aux pieds des contreforts du Schloss Vianden. Le seul souvenir vivace, c’est la piscine de cet hôtel que j’ai réussi à retrouver, au moins sur les images d’internet, mais sur place, j’abandonne, je ne reconnais plus rien. L’hôtel n’a peut-être même plus de piscine.
Je gare ma voiture dans la montée qui sert de parking, tout au bout de la ville. C’est une route qui dégouline d’humidité où les voitures attendent sagement sous les frondaisons de chênes immenses. Une petite maison est à vendre. Une barrière devant un escalier qui grimpe sec sur le flanc du rocher, une maison toute simple accrochée là à cinquante mètres de la rue, encore en bon état mais perdue dans les arbres, à l’écart du monde ; je ne sais pas pourquoi mais je m’y imagine bien.
Château de Vianden (Luxembourg) — La salle des gardes
Château de Vianden (Luxembourg) — Crypte et chapelle
Château de Vianden (Luxembourg) — Les ruines vues du belvédère
Château de Vianden (Luxembourg) — La grande cave
Château de Vianden (Luxembourg) — Ruines
Château de Vianden (Luxembourg) — Les ruines vues de la Neukirch
Le château de Vianden est construit sur un piton rocheux qui domine toute la vallée de l’Our. C’est une grande bâtisse construite tout en longueur, dans un style néo-gothique qu’on sent assez récent. Si le château existe, pas sous sa forme actuelle, depuis le milieu du Vème siècle (c’est donc d’abord un petit châtelet romain construit sur le territoire du royaume des Francs, ce qui en fait donc un des plus anciens châteaux d’Europe), il est resté très longtemps à l’abandon. Les cartes postales du premier quart du XXème montrent un ensemble de ruines desquelles n’émergent qu’un reste de tour, une chapelle et des murs plus ou moins hauts ; un paysage de désolation qu’on a du mal à imaginer lorsqu’on regarde le château tel qu’il est aujourd’hui. Le travail de reconstitution est tout simplement admirable. Fief des comtes de Vianden puis de la famille d’Orange-Nassau, actuelle famille régnante des grands ducs de Luxembourg, il n’est plus propriété de la famille grand-ducale depuis 1977, date à laquelle il est versé au compte des propriétés d’état. Le Grand-Duc de Luxembourg actuel est Henri Albert Gabriel Félix Marie Guillaume de Nassau (branche de Bourbon-Parme), qui règne depuis l’abdication de son père Jean en 2000.
- Grandes armoiries d’Henri — Grand-Duc de Luxembourg
Écartelé, aux I et IV de Luxembourg qui est burelé d’argent et d’azur, au lion de gueules, la queue fourchue et passée en sautoir, armé, lampassé et couronné d’or, aux II et III de Nassau qui est d’azur semé de billettes d’or, au lion couronné du même, armé et lampassé de gueules, sur le tout en cœur de Bourbon de Parme qui est d’azur à trois (deux, une) fleurs de lys d’or à la bordure de gueules chargée de huit coquilles d’argent posées en orle. L’écu est timbré d’une couronne royale et entouré du ruban et de la croix de l’Ordre de la Couronne de Chêne.
Les supports sont à dextre un lion couronné d’or, la tête contournée, la queue fourchue et passée en sautoir, armé et lampassé de gueules, à senestre un lion couronné d’or, la tête contournée, armé et lampassé de gueules, chaque lion tenant un drapeau luxembourgeois frangé d’or.
Le tout est posé sur un manteau de pourpre, doublé d’hermine, bordé, frangé et lié d’or et sommé d’une couronne royale, les drapeaux dépassant le manteau.
Plan du château de Vianden (Das Schloss Vianden)
L’intérieur du château montre les différentes époques de sa construction, avec notamment tout un pan du mur sud sur lequel on peut voir les différents éléments de remploi et les couches successives qui nous parlent directement de l’histoire du monument. On trouve également d’immenses salles voûtées, des couloirs qui sillonnent toute la longueur jusqu’à la chapelle supportée par une crypte aux piliers massifs. La chapelle a été redécorée de couleurs vives, de bleu de Prusse, de rouge brique et de jaune d’or, et de vitraux aux armoiries des familles qui ont possédé les lieux. D’aucune fenêtre on ne peut voir l’extérieur, mais je sais que d’ici pourrait se trouver la plus belle vue, donnant sur l’est et la vallée.
Mon lieu préféré, où je m’attarde le plus, est cette salle qui n’est a priori d’aucune utilité et dont le nom touche immédiatement mon cœur : la salle byzantine. C’est un vaste corridor couvert, ouvert au nord et au sud, faisant la liaison entre la chapelle et les lieux de vie, au-dessus de la salle des gardes. Ses ouvertures sont en fait des fenêtres trilobées, devant chacune desquelles se trouvent une marche et deux sièges qui sont autant d’invitation à la flânerie. D’un côté comme de l’autre, on est à une hauteur impressionnante de la vallée sur laquelle on a une vue superbe. L’hiver à Vianden doit être terriblement froid et humide, et terriblement beau depuis ces hauteurs. Je m’assieds là et contemple les terrasses, accoudé au soleil restant, perdu dans mes rêveries solitaires…
Le soleil commence à se noyer dans les dernières heures de la journée et le château revêt ses habits couleurs de renard. Je retourne à la voiture, repassant devant la petite maison abandonnée dans la forêt, sur la pente, orientée plein nord ; elle n’a jamais vu le soleil. Il fait ici une fraîcheur surréaliste.
Il est encore trop tôt pour rentrer à Luxembourg et l’Allemagne à quelques kilomètres me fait des ronds de jambe. Je pourrais aller à Bitburg, mais à part sa bière, je doute que la ville soit vraiment intéressante. Sans savoir réellement où je vais atterrir, j’emprunte les petites routes qui traversent des villages sans âmes qui vivent et dont le charme laisse penser que l’hiver doit y être douloureux de solitude. Sans être un paysage réellement montagneux, il est suffisamment encaissé pour qu’on s’y perde facilement dans la neige. Les noms de villages défilent en laissant comme une trace dans mon esprit : Hüttingen bei Lahr, Nusbaum, Schankweiler, Holsthum, Prümzurlay, Niederweiss, Aach, les noms s’égrènent tendrement dans ces sonorités rugueuses jusqu’à arriver à Trier (Trêves) aux dernières heures du jour.
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Voir les 35 photos de Vianden sur Flickr.
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Jan 3, 2015 | Arts |
Abraham-Louis Breguet n’est pas qu’un simple horloger, c’est également un physicien français de renom qui s’est illustré par la création des pendules sympathiques. Si le physicien qu’il était s’est fait de l’horlogerie une spécialité, c’est à cause de sa préoccupation technique de pouvoir mesurer le temps d’une manière fiable et de mettre à disposition pour ses collègues des objets de haute technicité. Il a par ailleurs participé au développement d’un objet que tout le monde porte aujourd’hui ; la montre-bracelet.
Alors certes, ces pendules ont vraiment quelque chose qui les rend sympathiques, mais là n’est pas la question. Ces pendules sont dites sympathiques car elles fonctionnent en réalité par couple. La pendule fonctionne de manière autonome mais sa particularité consiste à activer une tige tous les jours à minuit. La tige vient se ficher dans une montre logée dans son berceau sur le dessus de la pendule. Cette tige actionne le mécanisme de la montre qui se remet à l’heure automatiquement.
Le mécanisme de la montre compare alors son heure à celle de la pendule et ajuste la fréquence de battement de son balancier. Après quelques jours, cette fréquence est correctement ajustée. Ce mécanisme constitue l’un des premiers systèmes à rétroaction qui ait été élaboré. En effet, une erreur est mesurée et, de la grandeur de cette erreur, le mécanisme déduit la correction à apporter afin d’annuler la dite erreur. Dans ce cas précis, la correction porte sur la vitesse et ce qui est mesuré est l’espace parcouru. L’erreur de vitesse est donc intégrée. Ainsi, aussi petite qu’elle soit, son intégrale tendrait vers l’infini si la correction était insuffisante. (source Wikipedia)
De son vivant, Breguet ne fabriquera que cinq horloges de ce type.
Les plus notables sont l’horloge fabriquée pour le sultan Mahmud II (1784–1839) et aujourd’hui conservée au musée du Palais de Topkapı à Istanbul, celle du Duc d’Orléans, la plus richement décorée et également la pièce d’horlogerie la plus chère vendue aux enchères (6,8 millions de dollars, chez Sotheby’s en décembre 2012) et enfin celle vendue au roi des Français Louis-Philippe Ier, le 23 août 1834, aujourd’hui conservée au Mobilier National. C’est à mon sens la plus belle pièce, par sa sobriété visuelle, ses lignes pures et son esthétique intemporelle, ainsi que par la finesse de la montre qui se fiche sur le berceau.
Pendule sympathique de Mahmut II — Abraham-Louis Bréguet — Musée de Topkapi — Istanbul
Pendule sympathique — Abraham-Louis Bréguet — vendue au roi des Français Louis-Philippe, le 23 août 1834 — Paris, Mobilier national — Isabelle Bideau
Pendule Sympathique Breguet du Duc d’Orléans ‑Abraham-Louis Bréguet
Pendule Sympathique Breguet du Duc d’Orléans (détail) — Abraham-Louis Bréguet
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Jan 2, 2015 | Sur les portulans |
La mer a généré en son temps des hordes de personnages étranges. Petit glossaire des gens de la mer.
Willem van de Velde le Jeune — Bataille navale de la guerre anglo-hollandaise
Pirate: Le pirate est le personnage malfaisant par définition. Il agit sans ordre d’une nation, mais pour son propre compte dans l’unique but de s’enrichir. Il s’attaque principalement aux navires battant pavillon de nations puissantes pour leur arracher leur butin, mais parcourt aussi les côtes. Parmi les plus redoutés, on compte Blackbeard (Barbe-Noire), mais les pirates ont aussi connu leurs losers. Le plus célèbre d’entre eux est sans conteste Stede Bonnet, qui a vécu à la même époque que le terrifiant Edward Teach qui trouva le moyen de se faire piller plusieurs fois par Barbe-Noire et à se faire pendre haut et court tandis que son ennemi juré fut décapité sur son navire La Revanche de la Reine Anne
par Maynard.
L’image traditionnelle du pirate est née dans les Caraïbes et a généré tout un imaginaire que des écrivains tels que Stevenson dans l’île au trésor ont su exploiter.
Corsaire: Le corsaire, à la différence du pirate, est mandaté par sa nation pour piller les richesses des nations ennemies. Le corsaire est porteur d’une lettre de course qui légitime son action. Les premiers corsaires français sont mandatés par François 1er à une époque où l’hégémonie ibérique sur les territoires du Nouveau-Monde devient insupportable.
Flibustier: Voici l’influence des Pays-Bas dans cette histoire. Ce terme vient du flamand vrij buiter
, ce qui correspond à peu près à qui s’enrichit de manière ponctuelle, libre et impunie. La flibuste se développe dans la mer des Caraïbes par des hommes peu scrupuleux naviguant sur des embarcations légères (sloops, pinasses) et rapides, vivant de rapines et n’ayant généralement pas l’étoffe de ces grands que l’on appelait pirates
. L’originalité de la flibuste, c’est l’organisation sociale très structurée et l’établissement d’une base sur la terre ferme.
Boucanier: Contrairement à l’idée reçue, le boucanier n’est pas forcément un marin. Il est souvent sédentarisé et sert de base arrière à la piraterie et à la flibuste. Le terme boucan désigne à l’origine la viande de bœuf frottée d’épices et séchée au-dessus d’un feu lent sur de longues perches installées sur les plages des petites îles caribéennes. Également hiérarchisés, les boucaniers approvisionnent les marins en vivres, nourriture et boisson.
Boucaniers et flibustiers constituent la population des “Frères de la Côte”.
L’émergence des ces populations étranges de mers prend ses racines dans le nouvel ordre mondial généré par la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb. L’Espagne et le Portugal se partagent alors le monde et affrètent des galions pour vider le continent nouveau de son or. Ce trafic est incertain et soumis au vent. Dans un premier temps, les pirates vont infester les mers et les rivages pour guetter ces navires chargés d’or, mais aussi d’épices et de rhum. Ensuite, c’est sous l’impulsion de la France, des Pays-Bas et de l’Angleterre, indignés d’être ainsi écartés de cette course à la puissance, que la Guerre de Course va s’engager. Tout prend naissance dans ce creuset, entre les comptoirs établis dans les ports et la route maritime qui mène à l’Europe, dans la mer des Caraïbes, beaucoup moins armée et protégée que les côtes de l’Espagne ou du Portugal.
La distinction entre pirate et corsaire s’efface quelque fois, selon les humeurs des gouvernants. Ainsi, Francis Drake s’enrichit personnellement et abreuve la couronne d’Angleterre de richesses, tandis que le frère de la Reine, l’espagnol Philippe II mugit contre ses déprédations et finit par perdre la face en 1588 lorsque son Invincible Armada est défaite par le célèbre corsaire britannique. Pourtant, celui-ci finira empoisonné, considéré comme pirate alors que jamais il ne s’est enrichi au détriment de son pays.
Un autre corsaire célèbre, Surcouf aura une phrase qui définit bien ce qui se passait sur les mers pendant ces longs siècles. A un Anglais qui lui dit: Vous vous battez pour l’argent alors que nous autres soldats de la Marine nous nous battons pour l’honneur !
, il rétorquera: Alors nous nous battons tous les deux pour ce que nous n’avons pas…
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Quelques liens:
Billet sauvé de la noyade depuis Empty Quarter.
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