Un chant d’hiver

Un chant d’hiver

Der­nier jour de l’an­née, une nou­velle année qui se referme. Quoi de mieux qu’un pré­lude pour cela ?
The Fai­ry Queen d’Hen­ry Pur­cell… tiré bien évi­dem­ment du Songe d’une nuit d’é­té de Sha­kes­peare. Je marche à l’en­vers, déci­dé­ment. Dans un cer­tain sens, je suis heu­reux que 2014 se ter­mine pour tout un tas de rai­sons, et heu­reux aus­si que 2015 arrive. Une année en 5 ne peut être qu’une bonne année.

[audio:prelude.xol]
Hen­ry Pur­cell — The Fai­ry Queen — First Music, Prelude
New english voices, Aca­de­mia Bizan­ti­na, diret­tore Otta­vio Dantone

Une nou­velle année qui s’ouvre comme un bou­ton de lilas. J’ai déjà quelques pro­jets per­son­nels qu’il me tient à cœur de réa­li­ser comme par exemple… faire tout ce que je n’ai pas eu le temps de faire en 2014. Pour commencer.
Je crois bien que c’est la pre­mière année que je me laisse débor­der de cette manière, la pre­mière année où je me dis que je n’ai vrai­ment pas eu le temps de faire ce que je vou­lais. Mes nou­velles res­pon­sa­bi­li­tés vont gran­de­ment m’oc­cu­per dès le 5 jan­vier pro­chain, et le 7 je sou­tiens mon deuxième mas­ter. Après, j’ar­rête, je n’i­rai pas plus loin. Voi­ci déjà 3 ans que je me consacre à mes études et j’ai réel­le­ment l’im­pres­sion d’a­voir lais­sé tout le reste de côté. Ce n’est pas l’en­vie qui m’en manque, mais à pré­sent, j’ai tout sim­ple­ment envie de conti­nuer à explo­rer la vie comme je le fai­sais avant et pour cela j’ai besoin de temps de cer­veau dis­po­nible. C’est sans comp­ter tout le stress géné­ré et dont je n’a­vais pas spé­cia­le­ment besoin, sur­tout cette année.
Alors je laisse 2014 der­rière moi, sans me retour­ner, et je conti­nue. Ce fut l’an­née de mes qua­rante ans que je n’ai vrai­ment pas sen­tis. Qua­rante ans c’est quelque chose quand-même. Mais c’est beau­coup moins que tout ces gens plus jeunes qui passent leur temps à le lais­ser filer sans rien en faire. Avec tout ce qui rem­plit cha­cune de mes années je me dis que je fais comme Daniel Picou­ly — j’a­dore ce que dit ce type mais il me fatigue dès qu’il ouvre la bouche —, j’es­saie de vivre deux vies en n’ou­bliant pas que je n’en ai qu’une seule.

Ces vacances de fin d’an­née m’ont été pro­fi­tables. Parce que je n’ai rien fait, j’ai dor­mi, je me suis repo­sé, j’ai lu un peu, du bout des lèvres, j’ai regar­dé la nature blan­chir au petit matin et écou­té Bach, Pur­cell et Schu­bert plus que de rai­son. Et puis j’ai revu l’a­mi Fran­çois, ce qui m’a rem­pli de joie. Encore une manière d’être dans l’ex­ci­ta­tion intellectuelle.

Il est temps de tout bou­cler, de lais­ser l’an­née se refer­mer tout dou­ce­ment comme on referme un sachet de bon­bons, his­toire de ne pas en être écœu­ré. 2015 devrait démar­rer sur les cha­peaux de roues ; le tout étant de ne pas la lais­ser rou­ler trop vite. Cette année, j’ai­me­rais repar­tir loin, me lais­ser bai­gner par d’autres mers, me lais­ser hap­per par d’autres atmo­sphères, cha­vi­rer au large, mais aus­si, drôle d’en­vie, de par­tir visi­ter l’Al­le­magne… peut-être même l’Au­triche… On ver­ra bien jus­qu’où me mènent mes pas, le prin­ci­pal étant de ne jamais s’arrêter.
2015, une année pour la couleur…

[audio:attoIV.xol]
Hen­ry Pur­cell — The Fai­ry Queen — Acte IV — Now the win­ter come slowly
New english voices, Aca­de­mia Bizan­ti­na, diret­tore Otta­vio Dantone

Pho­to d’en-tête :
La que­relle d’O­be­ron et de Tita­nia par Sir Joseph Noel Paton

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Retour à Ech­ter­nach, patrie de Saint Willibrord

Retour à Ech­ter­nach, patrie de Saint Willibrord

Une simple pho­to un peu jau­nie de moi sur les marches du cal­vaire, sur la Grand Place d’Ech­ter­nach, prise par mon grand-père. Nous sommes, il me semble, en 1985. Il fau­drait que je m’en assure en retrou­vant l’ordre chro­no­lo­gique des pho­tos. 2014, c’est mon fils qui va sur ses douze ans, à peu près l’âge que j’ai sur la pho­to, qui monte sur le cal­vaire. Hasard heu­reux dont je ne me rends compte qu’une fois reve­nu et lorsque je regarde les pho­tos que mon grand-père avait prises à l’é­poque. Culottes courtes, gilet croi­sé, chaus­settes blanches, raie sur le côté ; je me rends compte à quel point je n’é­tais déjà plus du tout dans l’air du temps. Fina­le­ment, j’au­rais pas­sé ces qua­rante der­nières années de ma vie en décalage.

Calvaire Echternach

Romuald au pied du cal­vaire d’Echternach

Ech­ter­nach (Iech­ter­nach en luxem­bour­geois, Eech­ter­noach ou Iech­ter­noach en dia­lecte) est une petite ville d’à peine 5000 habi­tants, nichée dans un repli de la Sûre (D’Sauer) qui fait la fron­tière avec l’Al­le­magne. De l’autre côté du pont, Ech­ter­na­cher­brück, Deut­schland.
Nous sommes à une tren­taine de kilo­mètres de Luxem­bourg, à peine 25 de Trier (Trèves) en Alle­magne. La ville en elle-même n’a pas beau­coup d’at­trait, c’est une ville de moyenne impor­tance, une sorte de poste-fron­tière qui ne res­semble plus beau­coup à ce qu’elle était du temps de sa splen­deur. La Grand Place et la Place du Mar­ché (Markt­platz), mais éga­le­ment l’hô­tel de ville, le Ding­stuhl (ou Den­zelt, ins­tance admi­nis­tra­tive et judi­ciaire), témoigne de la puis­sance pas­sée de la ville. La pré­sence du culte de Saint Willi­brord, saint patron du Luxem­bourg et de la basi­lique fon­dée sur la crypte où il repose est en outre un sym­bole cultu­rel iden­ti­taire fort pour les Luxembourgeois.

Echternach (Luxembourg) - 05 - Eglise Saints Pierre et Paul

Ech­ter­nach (Luxem­bourg) — Eglise Saints Pierre et Paul

Echternach (Luxembourg) - 07 - Eglise Saints Pierre et Paul

Ech­ter­nach (Luxem­bourg) — Eglise Saints Pierre et Paul

Dans cette petite ville tran­quille, loin des lieux tou­ris­tiques, se trouve une petite église, per­chée en haut d’un rocher et à laquelle on accède par une volée d’es­ca­liers mous­sus. A l’in­té­rieur de l’é­glise Saints Pierre et Paul, entre sobrié­té et poly­chro­mie, on trouve une atmo­sphère calme et colo­rée. Les vitraux modernes dif­fusent une lumière douce et les pein­tures des murs sont peintes dans un style très alle­mand, dans des poly­chro­mies qui donnent une bonne idée de la manière dont était déco­rées les églises naguère. Je reste quelques ins­tants dans ce lieu un peu per­ché, un peu à mi-hau­teur entre les hommes et les dieux, sans être déran­gé par qui que ce soit. Un fes­ti­val a lieu ici tous les ans, un fes­ti­val de musique clas­sique ; l’a­cous­tique semble parfaite.

Echternach - Église Saints Pierre et Paul

Ech­ter­nach — Église Saints Pierre et Paul

Echternach (Luxembourg) - 10 - Rue des écoliers - Shullergaas

Ech­ter­nach (Luxem­bourg) — Rue des éco­liers — Shullergaas

Echternach (Luxembourg) - 11 - Place du marché

Ech­ter­nach (Luxem­bourg) — Place du marché

En sor­tant de l’é­glise, j’emprunte la rue des éco­liers (Shul­ler­gaas) pour rejoindre la Place du Mar­ché où se trouve le Ding­stuhl. Sur la jolie place se trouve une fon­taine fleu­rie et l’on trouve encore ici quelques arcades sur cette place pavée. La Grand Place, elle, laisse entre­voir ce que pou­vait être la vie de cette ville ne serait-ce qu’au début du XXè siècle.

C’est ici que je retrouve le cal­vaire au pied duquel j’ai été pris en pho­to. Depuis cette rue remonte la rue de la Gare, gare qui n’existe plus depuis sa des­truc­tion en 1974. Le der­nier train de la Sauer­linn (ligne de la Sûre) est par­ti de la gare d’Ech­ter­nach en 1964. Aujourd’­hui, c’est une gare rou­tière qui occupe son ancien empla­ce­ment. Dans cette rue, c’est une longue suc­ces­sion de com­merces, de res­tau­rants aux enseignes par­fois peintes pas tous ouverts, de petits maga­sins de vête­ments, de tabacs que les Alle­mands fron­ta­liers viennent enva­hir à cause du prix du tabac beau­coup plus inté­res­sant que chez eux. La rue se ter­mine par un por­tique, puis par la gare rou­tière, au bord de la Sûre ; un immense par­king attend le pas­sage des cars qui par­courent la région. C’est appa­rem­ment le ren­dez-vous des mar­gi­naux des envi­rons, punks à chiens, clo­chards errants, alcoo­liques que se cachent dans ce lieu d’é­change, entre errance et no man’s land. Un type aux che­veux longs, canette de bière à la main, m’at­tend à la sor­tie des toi­lettes publiques de la gare ; il avait juste envie de par­ler, ce que je fais de bonne grâce.

Echternach (Luxembourg) - 17 - Basilique Saint Willibrord

Ech­ter­nach (Luxem­bourg) — Basi­lique Saint Willibrord

Echternach (Luxembourg) - 18 - Basilique Saint Willibrord

Ech­ter­nach (Luxem­bourg) — Basi­lique Saint Willibrord

Echternach (Luxembourg) - 23 - Basilique Saint Willibrord - Pierre Richardot

Ech­ter­nach (Luxem­bourg) — Basi­lique Saint Willi­brord — Pierre Richardot

Echternach (Luxembourg) - 24 - Basilique Saint Willibrord - Ange et suaire de Véronique, Atelier de Trèves

Ech­ter­nach (Luxem­bourg) — Basi­lique Saint Willi­brord — Ange et suaire de Véro­nique, Ate­lier de Trèves

Je remonte la rue pour reve­nir sur la basi­lique Saint Willi­brord qui date du XIè siècle, bâtie sur une église caro­lin­gienne dont la crypte est l’u­nique ves­tige ; c’est ici qu’au­jourd’­hui se trouve le céno­taphe conte­nant les restes du saint pro­tec­teur du Luxem­bourg. C’est une immense bâtisse aus­tère, dans un style roman clas­sique qui ne date que de 1868, et si elle a été détruite en 1944, elle a par la suite été recons­truite à l’i­den­tique et la façade est direc­te­ment ins­pi­rée de celle de Paray-le-Monial. L’in­té­rieur est un inté­rieur de basi­lique inté­grée à une abbaye béné­dic­tine, c’est-à-dire fon­ciè­re­ment aus­tère. Des cartes pos­tales anciennes datant du début du XXè siècle montrent que l’in­té­rieur a été déco­ré de poly­chro­mies et de motifs géo­mé­triques. Aujourd’­hui, tout a dis­pa­ru pour lui rendre un aspect conven­tion­nel. Si le sar­co­phage de Willi­brord a été conser­vé intact, c’est parce que mal­gré l’ef­fon­dre­ment de la basi­lique et le bom­bar­de­ment qui l’a mise à terre, la crypte a été mira­cu­leu­se­ment épar­gnée. Le céno­taphe a été remon­té dans le chœur après sa res­tau­ra­tion en 1868, puis redes­cen­du dans la crypte après la consé­cra­tion suite à la res­tau­ra­tion en 1953. Un petit musée situé dans la sacris­tie me fait m’ar­rê­ter devant deux pièces superbes : Un sta­tue pour le monu­ment de Pierre Richar­dot et un ange et suaire de Véro­nique datant de la fin du XVè siècle réa­li­sé dans l’a­te­lier de Trèves.

Si la ville demeure impor­tante par la consé­cra­tion de Saint Willi­brord comme saint pro­tec­teur du pays, elle est aus­si connue pour sa pro­ces­sion dan­sante, ins­crite sur la liste repré­sen­ta­tive de l’hé­ri­tage cultu­rel imma­té­riel de l’hu­ma­ni­té de l’U­NES­CO. Cette pro­ces­sion, si elle consacre le fait reli­gieux, s’est trou­vé for­te­ment contes­tée par l’Église qui y voyait autre­fois une réma­nence de culte païen. Elle est aujourd’­hui par­fai­te­ment inté­grée à la vie reli­gieuse et cultu­relle de la ville, ras­sem­blant tous les ans plus de 13000 pèle­rins. Cette pro­ces­sion dan­sante se fait dans toute la ville et sa par­ti­cu­la­ri­té réside dans le fait que les dan­seurs sont reliés entre eux par des fou­lards blancs, bro­dés aux armoi­ries de la ville. Le carac­tère jubi­la­toire et dan­sant de cette pro­ces­sion en fait un objet d’é­tude eth­no­gra­phique fas­ci­nant qui la fait remon­ter à un temps immémorial.

Le matin, en arri­vant, je me suis arrê­té dans une supé­rette à l’en­trée de la ville ; c’est ici que j’en­tends pour la pre­mière fois une langue jamais enten­due jusque là. A la caisse, un couple de jeunes s’ex­prime dans cette langue dont on a peine à s’i­ma­gi­ner qu’elle est une vraie langue ; le luxem­bour­geois (lëtze­buer­gesch). Peut-être même est-ce ce dia­lecte d’Ech­ter­nach et qui semble rou­ler sous la langue… ? Je quitte la ville dans cette atmo­sphère un peu mys­tique dont je m’en­robe, immer­gé dans les lieux de spi­ri­tua­li­té et je file vers Vian­den, en frô­lant la fron­tière, en la tra­ver­sant plu­sieurs fois, encore une fois.

Echternach (Luxembourg) - 25 - Rue du Pont

Ech­ter­nach (Luxem­bourg) — Rue du Pont

Voir les 25 pho­tos de cette jour­née à Ech­ter­nach sur Fli­ckr.

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Un artiste de la lumière mécon­nu : Orest Ada­mo­vich Kiprensky

Un artiste de la lumière mécon­nu : Orest Ada­mo­vich Kiprensky

Voi­ci un peintre que je ne qua­li­fie­rais pas spé­cia­le­ment de bon peintre. En réa­li­té, Oreste Ada­mo­vitch Kiprens­ky (Орест Адамович Кипренский) est un peintre aca­dé­mique pur, qui se situe dans la caté­go­rie des peintres de la période roman­tique russe. Cet enfant illé­gi­time sort de l’a­ca­dé­mie de Beaux-Arts de Saint-Péters­bourg avec la médaille d’or et se fait connaître avec des scènes de bataille dans les­quels il insère des por­traits ; sa car­rière sera ensuite celle d’un peintre des grands du monde dans lequel il vit. Ses tableaux les plus célèbres res­tent celui du Colo­nel hus­sard Yev­graf Davy­dof et celui du poète Alexandre Pou­ch­kine. Si sa pein­ture est abso­lu­ment conven­tion­nelle, pour ne pas dire un peu rasoir, Kiprens­ky demeure un grand des­si­na­teur, ce qui nous indi­qué par un nombre très impor­tant d’é­tudes, de nus à la san­guine et de pas­tels. Le por­trait de Pyo­tr Ole­nin reste un exemple magni­fique de son art au crayon. Le roman­tisme qui trans­pire de son œuvre fait de lui un cap­teur de son temps, d’un mélange de rigi­di­té dans les atti­tudes et de légè­re­té dans les gestes ; une pein­ture qui n’est pas vrai­ment pas ma tasse de thé mais qui capte des lumières bla­fardes dans les car­na­tions et qui témoigne que la pein­ture n’est que l’art d’at­tra­per la lumière…

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Nager sur la fron­tière, balade poé­tique à Luxembourg

Nager sur la fron­tière, balade poé­tique à Luxembourg

Retour­ner à Luxem­bourg, plus de vingt ans après y être venu gamin avec mes grands-parents, alors qu’entre temps je suis pas­sé par des bouts du monde dont je n’a­vais même pas l’in­tui­tion, voi­ci un che­mi­ne­ment que je recon­nais bien. Après un été stu­dieux, après être res­té à Paris, puis par­ti en Bre­tagne trop peu de temps et dans un état de san­té déplo­rable, je ne pou­vais pas vrai­ment dire que ces vacances avaient été les vacances rêvées. Et puis il me fal­lait reprendre la route, avec ma voi­ture cette fois-ci ; il fal­lait que je retourne voir ce tout petit pays. Est-ce que je m’en sou­ve­nais vrai­ment ? Aucune idée. La ville elle-même m’a fait l’ef­fet d’une grande incon­nue, ou d’une petite incon­nue fina­le­ment, mais les alen­tours m’ont par­lé. J’ai en tout cas res­sen­ti une cer­taine fami­lia­ri­té, bien loin­taine des rues enfié­vrées de Bang­kok et des rizières de Bali. Retour à la mai­son, en ter­rain connu, à deux pas de chez moi. Quelques heures de routes et voi­là que vous tra­ver­sez la fron­tière comme si de rien n’é­tait. Avec une petite dose de négli­gence, vous ne remar­quez même pas les pan­neaux sur le bords de la route vous indi­quant que, même si vous res­tez dans l’es­pace Schen­gen, vous n’êtes que les rive­rains d’un immense pays dont vous ne voyez même plus les fron­tières, et qui s’é­tendent jusque là-bas, aux portes de l’A­sie fan­tôme, et au sud, bor­dé par une mer qui vous emmène au pays du couchant.

Carte ancienne du Grand-Duché de Luxembourg

Carte ancienne du Grand-Duché de Luxembourg

Je suis venu ici en 1986 avec mes grands-parents, j’a­vais à peine douze ans et sur les pho­tos je ne vois qu’un petit gar­çon ron­douillard en culotte courte et pull tri­co­té mai­son — les pulls « mémé », les meilleurs du monde — à la mine ouverte et pleine de bon­hom­mie, dont on me dit sou­vent qu’il était un gar­çon tout mignon, tout gen­til, ce que je suis tou­jours par ailleurs. En me voyant, j’ai envie de venir vers moi et de papo­ter cinq minutes. Posant au pied d’un cal­vaire dont on a oublié la signi­fi­ca­tion ou dans une rue com­mer­çante où il pleut comme vache qui pisse, c’est une mor­ceau de mon his­toire que j’ai déci­dé de par­cou­rir à nou­veau, avec mon fils cette fois. Étrange trans­fert où je deviens mes propres grands-parents pour faire de mon fils le petit gar­çon que j’é­tais. Désor­mais, c’est moi le trans­met­teur, le pas­seur de ces émo­tions, et je sens que j’ai quelque chose à faire ici, une marque à lais­ser, sur les pierres et les pavés de Luxem­bourg, ou dans la chair de mon fils. Fina­le­ment, reve­nir sur ses pas, nous ne fai­sons que ça à lon­gueur de temps, à lon­gueur de vie et même lorsque nous ne connais­sons pas encore les lieux, nous y reve­nons mille fois par la pen­sée, entre la diva­ga­tion et la rêve­rie. Pas­ser les fron­tières mille fois, reve­nir sur la fron­tière, en suivre les contours d’une main hési­tante, cares­ser les courbes d’un pays dont on finit par ins­crire le des­sin en plein cœur de soi et qu’on recon­naît comme étant quelque chose de sien. Viens avec moi, on ne fera que mar­cher dans les rues, on ne fera que ça, sans autre pré­ten­tion. Approche-toi et regarde la carte, et toutes ces petites volutes dont on ne sait plus ce qu’elles sont, où elles se cachent, ce qu’elles cachent. On ne sait même plus dans quel pays on est… Je n’ai jamais autant tra­ver­sé de fron­tières en trois jours, assis dans le fau­teuil de ma voiture.

Je suis par­ti un same­di matin, pas vrai­ment à l’a­ven­ture, avec une chambre d’hô­tel réser­vée sur les hau­teurs de la capi­tale. J’ai sim­ple­ment pris le che­min des éco­liers pour y aller, refu­sant les évi­dences des routes trop droites, des tra­cés auto­rou­tiers trop chers et sans charme. Alors une fois dépas­sée Reims, j’ai pris les petites routes, direc­tion Char­le­ville-Mézières et je bifurque sur une toute petite com­mune, Juni­ville. Dans la cam­pagne flotte une odeur âcre et sur le bord des routes s’a­mon­cèlent les boules ter­reuses des bet­te­raves à sucre à peine sor­ties de terre. Une biche tra­verse la route, man­quant de pro­vo­quer un acci­dent, et s’en­fuit dans les champs inon­dés sous le soleil d’au­tomne. Pay­sage d’éo­liennes à perte de vue, dans l’ho­ri­zon mar­qué par le sou­ve­nir triste de la bataille des Ardennes.

Je tra­verse Vou­ziers, ville que j’ap­prends être la der­nière demeure d’un mon­sieur qu’on ne connaît plus guère que pour avoir don­né son nom à une tour­noi de ten­nis, Roland Gar­ros. J’y trouve une très belle église, Saint Mau­rille avec ses trois por­tails et son archi­tec­ture Renais­sance ; elle appa­raît en plein milieu de la route, sans pré­ve­nir et oblige à faire un détour. Si le temps devait s’é­ti­rer à l’in­fi­ni, je pren­drai le temps de par­cou­rir l’Eu­rope en voi­ture, je pren­drai le temps de m’ar­rê­ter pour saluer toutes les églises pla­cées sur mon che­min, toutes les petites mai­sons qui s’y trouvent et les lieux qui racontent des his­toires. L’é­glise porte un beau clo­cher car­ré sur­mon­té d’un bulbe, entiè­re­ment recou­vert d’ar­doise, et des superbes tym­pans au-des­sus des por­tails. La page Wiki­pe­dia dit de Vou­ziers qu’on ne sait presque rien de la ville avant le XIIè siècle. J’aime ima­gi­ner que la ville n’exis­tait pas et qu’elle a fleu­ri ici du jour au lendemain.

La route m’emmène ensuite dans une petite ville du nom de Mont­mé­dy. Ici la ville est connue depuis beau­coup plus long­temps, elle est men­tion­née dès 634 ; nous sommes ici sur la ligne Magi­not. A voir la situa­tion de la ville, ce n’est pas fran­che­ment éton­nant. Une immense cita­delle for­ti­fiée par Vau­ban gar­nit la crête d’un pla­teau rocheux. En contre­bas, la ville, sobre et nue, qui semble dor­mir à flanc de rocher, encore revê­tue de ses habits d’a­près-guerre. Un ciné­ma, le LUX, trône fiè­re­ment dans sa robe rosée et vio­lette en haut d’une rue. La route des­cend et passe der­rière une immense bâti­ment aus­tère figé dans ses bar­be­lés ; un centre de déten­tion, la relé­ga­tion ultime, aux portes de la fron­tière pour deve­nir le plus invi­sible pos­sible, tour­né vers l’extérieur.

Le France des années 50. Ciné­ma vin­tage à Montmédy

Une pho­to publiée par Romuald (@swedishparrot) le

J’en­quille à nou­veau la route après une petite pause dans cette ville assou­pie en ce same­di qui ne doit être guère plus vivant qu’un autre jour. Un dimanche ici doit être quelque chose d’hu­mi­liant. Je tra­verse un autre petit vil­lage, Ecou­viez, un lieu à la limite de l’ef­fon­dre­ment psy­cho­lo­gique. Heu­reu­se­ment que le soleil brille pour don­ner de la cou­leur à ses volets et aux rares visages que je croise. Et sou­dain, à la sor­tie de la ville, un pan­neau vous annonce que vous venez d’ar­ri­ver en Bel­gique. C’est donc aus­si simple que ça ? Ça ne fait pas plus mal que ça ? On rentre donc ici comme dans du beurre et on tombe déjà nez-à-nez avec une baraque à frites !

Ici tout change, les pan­neaux, les limi­ta­tions de vitesse qui deviennent invi­sibles, les noms de villes qui prennent un tour­nant un peu baroque par­fois. Bruxelles n’a donc pas tout uni­for­mi­sé ? Assailli par la faim, je m’ar­rê­te­rais bien sur le bord de la route, mais rien ne m’ac­cueille vrai­ment les bras ouverts. Je file sur Luxem­bourg, mais tan­dis que je passe Vir­ton, Mus­son et enfin Aubange, je file un coup de volant à droite pour repas­ser la fron­tière et me retrou­ver face à un res­tau­rant chi­nois, une sorte d’u­sine à la sor­tie de Longwy. Mon esto­mac crie famine, je capi­tule devant des rou­leaux prin­temps qui étaient prêts à retour­ner en cui­sine. Longwy ne me rever­ra pas ; ses émaux sont pour­tant un par­fait attrait. J’es­saie d’i­ma­gi­ner le point exact, là où la rivière por­tant le déli­cat de nom de la Chiers est rejointe par un tout petit ruis­seau, où la fron­tière se confond dans une confluence et se des­sine entre la France, la Bel­gique et le Luxem­bourg. Je repasse par la Bel­gique pour quelques minutes à peine avant de me retrou­ver sur le ter­ri­toire du Grand-Duché de Luxem­bourg (Grous­sher­zog­tum Lët­ze­buerg) qui est arri­vé en tra­vers de la route sans crier gare. Pétange, Nid­derkäer­jeng, Dip­pech me voient pas­ser avant d’en­trer dans Luxem­bourg par la petite porte, c’est-à-dire la forêt… Avant de faire quoi que ce soit, je décide de poser mes affaires à l’hô­tel, sur les hau­teurs, à deux pas de la route d’Ech­ter­nach. Sur­clas­sé parce que l’hô­tel est loin d’être rem­pli, jouis­sant d’une vue superbe sur la ville au dix-hui­tième étage, bal­cons condam­nés, je me pose quelques ins­tants sur le lit ferme avant de repartir.

Alors que le jour com­mence à décroître, je me lance dans la toute petite capi­tale de ce pays tout petit. Une sorte de péri­phé­rique sou­ter­rain à voie unique pour­rait vous faire faire le tour de la ville dix fois sans qu’on s’en rende compte ; petite ville mais ville embou­teillée quand-même. Depuis la route d’Ech­ter­nach où se trouve mon hôtel jus­qu’au centre de la ville, on compte à peine dix minutes en voi­ture. Après, c’est une autre his­toire, on peut res­ter long­temps arrê­té en atten­dant que les feux tri­co­lores drainent la cir­cu­la­tion. Je découvre le Bou­le­vard Royal, une vitrine de tout ce qui se fait de banques et de com­pa­gnies d’as­su­rances luxem­bour­geoises et qui néces­sai­re­ment invite à pen­ser que c’est dans les cou­loirs de ces ins­ti­tu­tions que se décide la cou­leur du papier peint qu’on tapisse sur les murs du para­dis fis­cal. C’est en tout cas une vitrine aux vitres sales et légè­re­ment déca­tie. Le luxe et l’argent ont moins d’o­deur qu’on pour­rait le croire, les fra­grances moné­taires ont un peu tour­né ; cette ave­nue me donne l’im­pres­sion d’un monde qui ne sait plus ce qu’il veut, en train de sombrer.

Luxembourg - Avenue de la liberté et Caisse d'Epargne

Pho­to © ansichtskartenversand.com

Luxembourg - Avenue et Pont Adolphe

Pho­to © ansichtskartenversand.com

Luxembourg - 01 - Caisse d'épargne de l'état depuis le viaduc

Caisse d’é­pargne de l’é­tat depuis le viaduc

Luxembourg - 03 - Vallée de la Pétrusse

Val­lée de la Pétrusse

J’emprunte l’A­ve­nue de la Liber­té qui des­cend vers le sud de la ville ; imper­son­nelle, plan­tée d’im­meubles hauss­man­niens qui ne retiennent pas vrai­ment l’at­ten­tion, avec la tour de la Caisse d’Épargne qu’on voit de loin… je m’é­carte d’elle pour redes­cendre vers le quar­tier de la gare qui me semble abso­lu­ment dérou­tant. On sent ici que c’est un quar­tier jeune, moins sophis­ti­qué, plus à l’a­vant-garde, ou plus conven­tion­nel, ça dépend du point de vue. McDo­nald’s et autres enseignes de vente en masse ont pris leurs quar­tiers ici, comme dans toutes les capi­tales euro­péennes. Ici ou ailleurs, ce ne sont pas les lieux que je recherche tel­le­ment ils finissent par se res­sem­bler et n’être plus que le même organe d’un grand vil­lage dont on ne connaît plus le nom. Der­rière la façade d’un hôtel en pleine des­truc­tion, je m’en­gouffre dans une petite rue, dans l’es­poir de trou­ver un moyen de reve­nir sur mes pas. C’est ici que je découvre l’en­vers du décor d’une ville qui fait bonne figure dans le monde entier en jetant à la figure de l’empire mon­dial son nom comme un gage de dis­cré­tion et de neu­tra­li­té. Fina­le­ment, le Luxem­bourg est tel­le­ment petit qu’on ne le regarde pas ; il passe beau­coup plus inaper­çu que ses voi­sins belges ou alle­mands et per­sonne ne son­ge­rait à lui deman­der sa carte d’i­den­ti­té. Dans ces petites rues du quar­tier de la gare où l’on trouve quelques hôtels plus ou moins bon mar­ché, on ren­contre des dames, ou peut-être des hommes, je ne sais pas bien, je n’ai pas détaillé, qui vendent cer­tai­ne­ment autre chose que des timbres-poste dans la rue, en atten­dant on ne sait qui, pen­dant je ne sais com­bien de temps, jus­qu’à la nuit peut-être. Démarches titu­bantes à la sor­tie des cafés, billets de banque qui passent de main en main pour je-ne-sais quel tra­fic, figures défaites, pati­bu­laires, embru­mées, à mille lieux du visage du par­fait Luxem­bour­geois qu’on pour­rait ima­gi­ner comme paran­gon de ver­tu toute rela­tive (polo Ralph Lau­ren et sunglasses ?).

Luxembourg - Boulevard du viaduc

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J’ar­rive à me garer au bout de l’a­ve­nue et je prends le via­duc à pied. Il n’est pas de plus belle entrée dans le cœur de la ville que de pas­ser sur ce pont à pied, un via­duc immense enjam­bant le cours d’une rivière qu’on n’ar­rive pas à dis­tin­guer d’en haut tel­le­ment sa lar­geur est ridi­cule ; c’est la Pétrusse (Péi­truss), une toute petite rivière dont le cours mesure à peine 11km et qui se jette dans l’Alzette (Uel­zecht) dans le quar­tier du Grund. Une si grande val­lée, un si grand pont, pour enjam­ber un si petit cours d’eau, c’en est presque comique. Les contre­forts de la ville haute sur­plombent cette petite val­lée, per­chés sur un socle rocheux impo­sant ; il n’y avait pas de meilleur lieu pour construire cette ville for­ti­fiée, qui se pro­longe jus­qu’aux case­mates de Clau­sen, au-des­sus du quar­tier du Grund, juchée sur son plateau.

Luxembourg - Entrée de Clausen

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Luxembourg - Faubourg du Grund et viaduc du Nord

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Luxembourg - Faubourg du Grund et Ville-Haute

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Luxembourg - 05 - Eglise protestante

Eglise pro­tes­tante

Je suis entré dans une petite église en com­men­çant à me perdre dans les petites rues. Se perdre à Luxem­bourg est un exer­cice de haute-vol­tige tant ses dimen­sions semblent déri­soires ; on peut faire le tour de la Ville-Haute en moins d’une heure. Dif­fi­cile de vrai­ment se perdre dans ces condi­tions. Une église pro­tes­tante de la paroisse fran­co­phone. Ce qui me frappe ici, ce sont ces vitraux qu’on a du mal à ima­gi­ner dans un temple pro­tes­tant tant ils sont riches de cou­leurs et de motifs. Mal­gré ses dimen­sions modestes, elle paraît cha­leu­reuse avec son mobi­lier de bois clair et ses lumières jaunes ; un îlot de calme et de sim­pli­ci­té au cœur d’une petite ville qui bruisse du vrom­bis­se­ment de ses voi­tures de sport.

Carte ancienne de Luxembourg

Luxembourg - 07 - Palais Grand-Ducal

Palais Grand-Ducal

Luxembourg - 10 - Palais Grand-Ducal

Palais Grand-Ducal

Je flâne dans l’est de la Ville-Haute, ce car­ré qu’on peut suivre du doigt sur la carte, enser­ré entre la val­lée de la Pétrusse et celle de l’Al­zette qui fait des cour­bettes comme pour sin­ger l’al­lure un peu folle de ce rocher. Tan­dis qu’a­vant de par­tir de la ville, je sou­haite abso­lu­ment pas­ser devant le palais grand-ducal, je me rends compte que c’est le joli bâti­ment devant lequel je suis déjà pas­sé plu­sieurs fois, une bâtisse somme tout assez modeste pour un chef d’é­tat, aus­si sym­bo­lique soit-il, sur les murs duquel, le pre­mier jour, j’a­vais vu se des­si­ner avec le pin­ceau du soleil se cou­chant, à la lumière rase, les courbes des pas­santes. Mes pas m’ont gui­dé jus­qu’aux case­mates du Bock, sur la mon­tée de Clau­sen, depuis laquelle on peut admi­rer la mon­tée de Pfaf­fen­thal d’un côté, le quar­tier un peu retran­ché du Grund de l’autre, avec ses bâti­ments aus­tères et l’ai­guille poin­tue de Saint-Jean du Grund, mais aus­si le pavage de la cour de l’Abbaye de Neumüns­ter (Neimëns­ter) qui, de loin, me fait pen­ser à un gigan­tesque pla­teau de jeu, quelque chose qui res­sem­ble­rait de loin en loin à la cour du Palais Royal redes­si­née par Buren. Je reste ici long­temps à scru­ter ces lieux où je suis déjà venu, mais où je n’ai que des sou­ve­nirs frag­men­taires, le Grund qui reste dans l’ombre d’un soleil en train de décroître, son aspect à la fois sévère et fami­lier. Les case­mates sont fer­mées, mais je n’a­vais de toute façon pas spé­cia­le­ment envie de m’en­fer­mer sous terre, alors je remonte dans la ville, repasse devant le home Saint-Fran­çois, une mai­son de retraite elle-même déca­tie, ouverte sur le dehors, son inté­rieur sent le froid et l’hu­mide, je m’en­fonce dans la rue de la loge dont le nom évoque la franc-maçon­ne­rie, de toutes petites rues partent dans un dédale incom­pré­hen­sible de noms qui évoque une tra­di­tion que je ne connais que de loin. Tout ici m’é­voque un pas­sé alle­mand, des images un peu sur­an­nées de Moyen-âge ense­ve­li sous les for­ti­fi­ca­tions de Vau­ban. Un pas­sage donne sur une cour, un esca­lier qui tour­billonne autour de la cour, des marches en pierre arron­dies par l’u­sure, ici une tou­relle sur laquelle sont ins­crit des mots qui res­semblent à l’al­le­mand, mais les quelques mots que j’en connais me laissent sup­po­ser que c’est ici du luxem­bour­geois : Mir wölle bleiwe wat mir sin. J’ap­pren­drais que c’est en fait la devise du Luxem­bourg ; Nous vou­lons res­ter ce que nous sommes.  Je croise un type qui demande de l’argent, assis sur le trot­toir, sym­bole d’une pau­vre­té qui gagne même les îlot per­dus, et en deux langues s’il vous plait ; Pour vivre — Zum leben.

Luxembourg - 12 - Quartier du Grund depuis les casemates du Bock

Quar­tier du Grund depuis les case­mates du Bock

Luxembourg - 13 - Quartier du Grund depuis les casemates du Bock

Quar­tier du Grund depuis les case­mates du Bock

Luxembourg - 16 - Rue de la loge

Rue de la loge — devise du Luxembourg

Dans l’ «îlot gas­tro­no­mique », je découvre quelques petits res­tau­rants sym­pa­thiques qui ne sont pas du tout dans mon bud­get mais dont je note l’a­dresse pour y reve­nir lorsque j’au­rai suf­fi­sam­ment d’argent pour me dépla­cer dans ce pays avec un atta­ché-case. J’erre dans le centre, sur la Place d’Armes où trône fiè­re­ment le Cercle Muni­ci­pal. On dirait une nation en petit, une maquette de démo­cra­tie où tous les édi­fices muni­ci­paux seraient ramas­sés dans un panier, où toute une vie se concentre sur quelques kilo­mètres car­rées, ne lais­sant, fina­le­ment, que peu de place à une vie nor­male, avec des bou­lan­ge­ries, une poste, des lieux publics et des maga­sins dans les­quels on achète des pro­duits de pre­mière néces­si­té. Luxem­bourg est indé­fi­nis­sable. Ce n’est pas vrai­ment une vitrine, ni vrai­ment une ville qui vit, c’est un entre-deux de Venise et de Paris, une ville chic mais qui ne flambe pas et qui se laisse embras­ser tendrement.
Luxem­bourg est une femme sédui­sante, un peu raf­fi­née, mais pas trop…

Photo © Industrie.lu

Pho­to © Industrie.lu

Luxembourg - 22 - Cathédrale Notre-Dame

Cathé­drale Notre-Dame

Le soir arrive, je finis par me trou­ver une échoppe où man­ger, il est presque temps. A la soupe. 9 rue Chi­may, un nom qui m’é­voque la bière et l’ab­baye épo­nymes. Je m’en­gouffre sur le trot­toir une soupe de pou­let aux cham­pi­gnons, une tranche de pain de cam­pagne épaisse que je mouille dans la soupe, une Bof­fer­ding, la bonne bière d’i­ci, et un riz au lait à la confi­ture d’airelles.
Un clo­chard me demande une ciga­rette que je n’ai pas, en fran­çais, mais avec un accent bizarre que je n’ar­rive pas à recon­naître. Peut-être l’ac­cent de la misère. Une bouche éden­tée mais civile qui dit bon­jour s’il vous plaît mer­ci au revoir. Fina­le­ment c’est assez ras­su­rant de voir que cette ville ne cherche pas à cacher ses pauvres ; ils sont là, ont droit de cité. Les sou­rires sont rares, ils sont froids, ce sont des sou­rires de pisse-froid. Ça me rap­pelle Bruges, même si dans cette ville il vaut mieux par­ler anglais tant le fran­çais y est mal accueilli… il ne man­que­rait plus que le Wal­lon vienne nous envahir.

Luxembourg - 29 - Cathédrale Notre-Dame

Cathé­drale Notre-Dame

Luxembourg - 31 - Cathédrale Notre-Dame

Cathé­drale Notre-Dame

Il fait frais, ce soir. La jour­née a été magni­fique et je ne perds pas de vue que nous sommes au mois d’octobre.
Je reviens à Luxem­bourg intra-muros le sur­len­de­main pour diner au même endroit, juste avant de reprendre la route. Mais aupa­ra­vant, j’ai erré dans la ville, revu le palais grand-ducal devant lequel je suis déjà pas­sé sans savoir ce que c’é­tait, et j’ai visi­té la grande cathé­drale Notre-Dame, un monu­ment du XVIIè siècle, impo­sant mais à qui il manque un peu de charme. Je suis tom­bé en admi­ra­tion devant ses piliers sculp­tés de motifs entre­la­cés et les pla­fonds peints du chœur. L’orgue s’in­tègre par­fai­te­ment au jubé baroque, juste au-des­sus de l’en­trée. Ce soir là, il n’y a plus grand-monde dans les rues de Luxembourg.
J’ai vou­lu repous­ser jus­qu’au der­nier moment mon départ et suis allé à l’of­fice du tou­risme pour savoir si je pou­vais prendre la route des sept châ­teaux, mais le mon­sieur très dis­tin­gué du bureau m’en a presque dis­sua­dé, me fai­sant com­prendre que cette attrac­tion tou­ris­tique n’en avait que le nom, et que je ne ver­rais pas grand-chose si je pre­nais ce che­min, la plu­part des châ­teaux étant fer­més au public. Enfin, une der­nière ques­tion, où puis-je trou­ver une bou­lan­ge­rie ouverte ? Je comp­tais énor­mé­ment sur la bou­lan­ge­rie Cathy Godaert (à la place de l’an­cienne bras­se­rie Speltz) qui se trouve en face de A la soupe et qui four­nit le res­tau­rant, mais en ce lun­di, elle est fer­mée. Je me rabats sur une bou­lan­ge­rie dans laquelle j’a­chète une demi boule de pain de 2kg, que je vais conser­ver pen­dant une semaine dans un torchon.

De cette petite incur­sion à Luxem­bourg, il va me res­ter des impres­sions fortes, l’i­mage d’une ville qui ne se laisse pas appro­cher si faci­le­ment, qui regorge de petits secrets qu’il faut aller cher­cher à la main, tout dou­ce­ment, comme on essaie d’al­ler prendre l’é­trille sous son rocher, mais avant tout une ville au fort carac­tère, qui n’a pas grand-chose à voir avec l’i­mage de para­dis fis­cal qui lui colle aux basques. Elle m’a mon­tré ses visages les plus inat­ten­dus, l’en­vers du décor, et encore ! Je n’ai cer­tai­ne­ment pas tout décou­vert. Pour une fois, j’ai pris le temps, de décou­vrir et de me repo­ser, de sen­tir l’air et le bon­heur mon­ter en moi.

Demain, je vais nager sur la frontière…

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Sidé­ra­tion #5

Sidé­ra­tion #5

Il est reve­nu le temps d’é­cou­ter les œuvres qui comptent ; d’un jour sans charme, au brouillard ter­ri­fiant, j’en­tends mon­ter les notes for­tis­si­mo de la sonate “pathé­tique” n°13 de Bee­tho­ven, qui n’a rien de pathé­tique, sinon le nom… Je passe toutes mes mati­nées entre l’Atlas des îles aban­don­nées de Judith Scha­lans­ky et les nou­velles com­plètes de Gra­ham Green, à flâ­ner sans but autour des livres que je n’ar­rive pas à ter­mi­ner, ni même à com­men­cer pour cer­tains. Ce n’est pas vrai­ment l’ex­ci­ta­tion des jours d’a­vant Noël qui me mobi­lise ces der­niers jours, mais l’im­pres­sion assez ful­gu­rante que je doive refer­mer toute une période de ma vie, une des plus belles assu­ré­ment, une des pro­fi­tables à tout point de vue. On conti­nue, main­te­nant. D’i­ci peu de temps, je vais reprendre ma balade poé­tique à Luxem­bourg, mes flâ­ne­ries des routes per­dues, mes jour­naux de voyage qui gran­dissent en moi. Lorsque je regarde mon car­net de voyage en Tur­quie, je ne pen­sais pas que sa rédac­tion puisse s’é­tendre sur autant de temps, deux ans et demi main­te­nant… Et tout ce que j’ai lais­sé en jachère…

La confré­rie des marins t’ac­cueille à bras ouverts, on t’offre vivres, voiles neuves, ancres… A Pun­ta Are­nas, l’é­trange cadeau de Pedro Sam­blich, un capi­taine autri­chien, te lais­se­ra per­plexe : des clous de tapis­sier… Semés la nuit sur le pont du Spray, dans les canaux fué­giens, ils déjoue­ront pour­tant les assauts des indiens et des contre­ban­diers grim­pés à bord. L’ex­pli­ca­tion que tu en livres, et que j’ai lue cent fois, me semble tou­jours hila­rante : « Cha­cun sait qu’il est impos­sible de mettre le pied sur un clou sans en dire quelque chose… » Je t’en veux un peu, Joshua, de ne pas avoir décla­ré aux auto­ri­tés la décou­verte de cette île, sur le détroit de Magel­lan, où tu as plan­té l’é­cri­teau : « Défense de mar­cher sur la pelouse » — ce qui, ajoutes-tu, « en tant que décou­vreur, est [ton] droit le plus strict…»

David Fau­quem­berg, Répu­té per­du en mer
in L’almanach des voya­geurs, sous la direc­tion de Jean-Claude Perrier
Magel­lan & Cie, 2012

Écou­tons Bee­tho­ven en son­geant à Joshua Slo­cum posant le pied pas très loin de Magel­lan. Tout de suite, ça prend un autre dimension…

[audio:sonata.xol]

Sona­ta Op.13 No.8 in c minor, ‘Pathe­tique’ — Grave — Alle­gro di mol­to e con brio
Ronald Brau­ti­gan joue Bee­tho­ven au piano

Et ça, c’est pour l’a­mi Fran­çois :

Pho­to d’en-tête © Lui­gi Torregiani

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