Il est reve­nu le temps d’é­cou­ter les œuvres qui comptent ; d’un jour sans charme, au brouillard ter­ri­fiant, j’en­tends mon­ter les notes for­tis­si­mo de la sonate “pathé­tique” n°13 de Bee­tho­ven, qui n’a rien de pathé­tique, sinon le nom… Je passe toutes mes mati­nées entre l’Atlas des îles aban­don­nées de Judith Scha­lans­ky et les nou­velles com­plètes de Gra­ham Green, à flâ­ner sans but autour des livres que je n’ar­rive pas à ter­mi­ner, ni même à com­men­cer pour cer­tains. Ce n’est pas vrai­ment l’ex­ci­ta­tion des jours d’a­vant Noël qui me mobi­lise ces der­niers jours, mais l’im­pres­sion assez ful­gu­rante que je doive refer­mer toute une période de ma vie, une des plus belles assu­ré­ment, une des pro­fi­tables à tout point de vue. On conti­nue, main­te­nant. D’i­ci peu de temps, je vais reprendre ma balade poé­tique à Luxem­bourg, mes flâ­ne­ries des routes per­dues, mes jour­naux de voyage qui gran­dissent en moi. Lorsque je regarde mon car­net de voyage en Tur­quie, je ne pen­sais pas que sa rédac­tion puisse s’é­tendre sur autant de temps, deux ans et demi main­te­nant… Et tout ce que j’ai lais­sé en jachère…

La confré­rie des marins t’ac­cueille à bras ouverts, on t’offre vivres, voiles neuves, ancres… A Pun­ta Are­nas, l’é­trange cadeau de Pedro Sam­blich, un capi­taine autri­chien, te lais­se­ra per­plexe : des clous de tapis­sier… Semés la nuit sur le pont du Spray, dans les canaux fué­giens, ils déjoue­ront pour­tant les assauts des indiens et des contre­ban­diers grim­pés à bord. L’ex­pli­ca­tion que tu en livres, et que j’ai lue cent fois, me semble tou­jours hila­rante : « Cha­cun sait qu’il est impos­sible de mettre le pied sur un clou sans en dire quelque chose… » Je t’en veux un peu, Joshua, de ne pas avoir décla­ré aux auto­ri­tés la décou­verte de cette île, sur le détroit de Magel­lan, où tu as plan­té l’é­cri­teau : « Défense de mar­cher sur la pelouse » — ce qui, ajoutes-tu, « en tant que décou­vreur, est [ton] droit le plus strict…»

David Fau­quem­berg, Répu­té per­du en mer
in L’almanach des voya­geurs, sous la direc­tion de Jean-Claude Perrier
Magel­lan & Cie, 2012

Écou­tons Bee­tho­ven en son­geant à Joshua Slo­cum posant le pied pas très loin de Magel­lan. Tout de suite, ça prend un autre dimension…

[audio:sonata.xol]

Sona­ta Op.13 No.8 in c minor, ‘Pathe­tique’ — Grave — Alle­gro di mol­to e con brio
Ronald Brau­ti­gan joue Bee­tho­ven au piano

Et ça, c’est pour l’a­mi Fran­çois :

Pho­to d’en-tête © Lui­gi Torregiani