Söylenmek #1
J’entends l’inexploré…
J’attends l’inexploré…
J’entends l’inexploré…
J’attends l’inexploré…
Troisième album de cette jolie fille venue de Jérusalem, à la croisée des cultures méditerranéennes. Ascendances perses, marocaines, juives, elle mêle sa voix cristalline et légèrement tremblante à une langue que vous aurez peut-être du mal à reconnaître, même si on y ressent clairement des accents espagnols. En effet, cette langue est le ladino, la langue utilisée par les Juifs espagnols dans leur longue errance, jusqu’au bas des murailles de Constantinople.
Mor Karbasi chante l’oppression des séfarades sur des airs qui frisent le flamenco ou le fado, passe par l’émotion sur des musiques aux accents égyptiens ou marocains, avec une grâce superbe qui ne peut laisser de marbre et qui fait d’elle la courroie de transmission de cette langue qui tend à disparaître.
Site officiel : morkarbasi.com/
ℑ — Doğu dinleme n°2 : Mercan Dede
Read moreRescapés des intégrismes et des pogroms, libertaires par essence, atypiques par leurs croyances, les alévis ne sont pas beaucoup aimés du reste de la communauté musulmane, a fortiori parce que leur foi a pour origine la branche mal-aimée de l’islam ; le chiisme. Le mot alévi lui-même signifie adepte d’Ali, le gendre du prophète, celui par lequel le chiisme a fait dissidence.
Au cours de mes péripéties, j’ai pu moi-même me rendre compte que si les alévis sont regardés de travers, considérés comme des illuminés, voire comme des fous (pas au sens fanatiques) et malgré leur liturgie peu orthodoxe, ils n’en sont pas moins respectés, même si par le passé, cela ne fut pas toujours le cas. Absolument pas minoritaires en Turquie (1 Turc sur 4 est alévi, les statistiques officielles faisant plutôt état de 10 à 15% de la population), un musulman sunnite vous accompagnera tout de même volontiers au tekke ou à la cem evi le plus proche si le cœur vous en dit, mais il n’est pas dit qu’on vous propose d’assister au sema avec vous, il ne faut tout de même pas exagérer.
Voici un extrait du livre de Sébastien de Courtois (Un thé à İstanbul, récit d’une ville) nous en apprenant un peu plus sur ces religieux d’un autre genre qui pratiquent leur foi dans un étrange syncrétisme. Rencontre avec Mehmet.
Si les alévis de Turquie sont considérés comme des « musulmans » par l’office des cultes, leurs pratiques rituelles n’ont rien à voir avec l’islam orthodoxe, ni même avec l’islam tout court étant donné qu’ils n’en respectent aucun des piliers. Ils ne vont pas à la mosquée, m’explique Alberto, spécialiste de la question, ne lisent pas le Coran et, au pèlerinage de La Mecque, ils préfèrent celui plus proche de Haci Bektaş, une saint homme de Cappadoce. De même, les cinq prières quotidiennes ne leur sont pas familières, comme le jeûne du ramadan qu’ils ne respectent pas, et — comble d’hérésie — ils n’hésitent pas à jurer sur la tête du Prophète. Le portrait d’Ali, le gendre du Prophète, trône dans leurs maisons de prière, les cem evi, à côté du saint cappadocien et d’un Atatürk représenté en odeur de sainteté. Une étrange trinité chamanique qui n’est pas pour me déplaire tant elle est surréaliste. Il faudrait plutôt voir dans l’alévisme turc — qui concerne près de 25% de la population, tout de même — un maintien de croyances présislamiques liées au parcours des peuples turcs en Asie, avec une touche d’influence chrétienne, comme des réminiscences de cultures plus anciennes.
Mehmet est fier de sa religion. Une identité qui fait de lui un être à part dans la société turque, comme l’ensemble de ses congénères. Digne descendant de ses aïeux, il conspue régulièrement toute forme d’autoritarisme religieux et reste un fervent défenseur de la laïcité et du sécularisme. « Chacun chez soi, me dit-il souvent, les imams à la mosquée ! » Aux dires de certains observateurs — dont je suis —, si la Turquie n’a pas encore basculé dans le camp de l’obscurantisme, c’est grâce à cette minorité de râleurs nés. Les quartiers alévis ne se mélangent pas avec ceux des sunnites, les deux groupes se regardant en chien de faïence et suspectant l’autre d’un mauvais coup. Ils aiment la musique, la transmission des cultures locales, dont celle des bardes, les aşık, qui ont porté jusqu’à nous des siècles de mémoire orale.
J’ai compris la spécificité des alévis en assistant à leur culte dans une cem evi située au dernier étage d’un immeuble moderne du quartier de Yenibosna. Rien de bien attractif en apparence — une tour vitrée près d’un périphérique —, mais je découvris là le terrain d’une magie secrète bercée par les chants, les danses où hommes et femmes se meuvent pour des rituels qui me semblaient sorti du journal d’exploration d’un découvreur de campagnes turques au Moyen-Âge.
Un autre genre de voyage dans la ville, celui des sectes, confréries et ordres mystiques. Mehmet m’avait introduit dans cet univers de signes et de symboles. Le dede, le maitre spirituel, était l’un de ses parents éloignés. Il m’avait placé au premier rang, en signe de respect pour l’invité, dans une sorte d’amphithéâtre miniature. Je découvrais un autre aspect de mon ami, celui d’un homme respecté dans sa communauté pour ses ascendances familiales car, dans la croyance alévie, on croit à la transmigration des âmes — la réincarnation, pour être précis —, et son lignage était honorable. « On ne parle pas de mort », me dit-il, mais plutôt de « passage », ce qui aidait à dédramatiser le terrible accident de son frère.
Sébastien de Courtois, Un thé à İstanbul, récit d’une ville
Le Passeur éditions, coll. Chemins d’étoiles, 2014
Photo d’en-tête © Utku Kaynar
Read moreLe mot turc qui désigne l’homme en tant que catégorie n’a pas été trouvé bien loin ; on dit simplement Adam. L’homme est ainsi le premier homme. En revanche, l’équivalent pour la femme se dit Kadınlar.
Où est passée Ève ?
Voici une belle lecture comme on en trouve trop peu souvent. Un thé à İstanbul n’est pas réellement un récit de voyage, car on ne voyage que dans les villes dans lesquelles on n’habite pas (tout dépend de ce que l’on entend par habiter). En l’occurrence, l’auteur de ce livre, Sébastien de Courtois, ne voyage pas à İstanbul car il s’y est installé. Journaliste sur France Culture, spécialiste des Chrétiens d’Orient, l’auteur ne cache pas que son amour pour la ville tient à sa passion personnelle, ainsi qu’à sa foi. Ce récit de ville, tel que l’indique le sous-titre, est une virée dans une ville qu’il connaît bien et dans laquelle on le sent vibrer au rythme des rencontres qu’il y a fait, de l’amour qu’il y a trouvé et certainement perdu, et de toutes ces petites choses qui racontent le chant d’une terre traversée par une histoire aussi douloureuse que riche.
C’est à ces rencontres qu’il nous convie, jusque dans son appartement dont il n’est pas vraiment le propriétaire, puisque les étrangers ne peuvent l’être. Son histoire, c’est aussi l’histoire d’une navigation à vue dans cette ville fascinante et qui appelle celui qui vient la découvrir à s’engouffrer dans ses petites rues, dans ses petites histoires aussi bien que dans la grande, à habiter sa langue et à devenir stambouliote.
Je me dois à une certaine franchise. Lecteur, je t’écris d’une île. Oh, pas une de ces îles que l’on imagine en fermant les yeux et dont les reflets s’en vont avec la rosée. Non, une île bien réelle, la plus grande, la plus belle, l’avant-dernière de ce chapelet d’îlots qui se trouve à une heure et demie à l’est de la pointe du vieux sérail. Par temps clair, ils apparaissent dans le paysage d’Istanbul, comme s’il était possible de les toucher. Dès les premières brumes, ils s’effacent, avant de disparaître complètement. Je précise bien : l’avant-dernière des îles, car il y en a plusieurs et l’une d’elles, la plus petite, s’appelle Sedef Adası, l’« île de la nacre », avant le rocher de Léandre, repos des cormorans. Un mystère, une île aux rares maisons où l’on ne se rend que sur invitation. Certaines cartes ne la mentionnent même pas. Aucune ligne régulière de vapur ne la dessert. Comme si elle n’existait pas.
Sébastien de Courtois, Un thé à İstanbul, récit d’une ville
Le Passeur éditions, coll. Chemins d’étoiles, 2014