Mots d’un voca­bu­laire oublié VIII

Aver­tis­se­ment: billet à haute teneur en mots rares et pré­cieux, sau­vés de l’oubli.

  1. 1er volet
  2. 2nd volet
  3. 3ème volet
  4. 4ème volet
  5. 5ème volet
  6. 6ème volet
  7. 7ème volet
  8. 8ème volet
  9. 9ème volet
  10. 10ème volet

Bucrane

Un bucrane (sans accent cir­con­flexe) désigne un motif gra­vé repré­sen­tant le crâne d’un bœuf dont les cornes sont enguir­lan­dées de feuillages et que l’on trouve comme orne­ments de frises dans les ordres grecs. Les bucranes, orne­ments cano­niques de l’ordre dorique depuis la Renais­sance, sont pla­cés ordi­nai­re­ment dans les métopes, ou inter­valles qui séparent deux tri­glyphes. Leur signi­fi­ca­tion est sup­po­sée rap­pe­ler les vic­times offertes en sacri­fice aux dieux. Il était encore beau­coup uti­li­sé à la Renaissance.

Les bucranes se retrouvent très fré­quem­ment dans les sépul­tures préhistoriques.

  • Paléo­li­thique supé­rieur.- Le site de Saint-Ger­main-la-Rivière en France où le défunt, recro­que­villé sous un cais­son de dalles en pierre, est accom­pa­gné d’un bucrane et de ramures (Otte 2003)
  • Néo­li­thique. — Mani­fes­ta­tions reli­gieuses ou l’on retrouve encore des mode­lages de bucranes et des che­villes osseuses de bovi­dés asso­ciés aux sépul­tures (Otte 1993)

À Rome, le bucrane se retrouve déjà sur les mau­so­lées patri­ciens de l’é­poque répu­bli­caine (tom­beau de Ceci­lia Metel­la) et reste en usage jus­qu’à l’é­poque d’Hadrien. Selon F. Lemerle, il rapelle le sacri­fice tra­di­tion­nel (suo­ve­tau­rile) qui accom­pagne les obsèques.

À la Renais­sance, ce motif ne com­mence à être uti­li­sé que par Michele San­mi­che­li (Por­ta Nuo­va de Vérone, 1535). C’est Fra Gio­van­ni Gio­con­do (1511), et après lui Ser­lio et Vignole qui, dans leurs com­men­taires-tra­duc­tion du De archi­tec­tu­ra de Vitruve, asso­cient le bucrane à l’ordre dorique.

Motif d’or­ne­ment sculp­té : bucrane et deux études de sta­tues (?) de femmes dra­pées. Oppe­nord Gilles-Marie (1672–1742)
© RMN / Made­leine Cour­sa­get. Encre brune, lavis gris, pierre noire. Musée du Louvre, Dépar­te­ment des Arts Graphiques

Chres­to­ma­thie

Du grec ancien χρηστομάθεια, khrês­tomá­theia (« savoir utile »).
Antho­lo­gie de textes d’auteurs répu­tés clas­siques, notam­ment assem­blée pour l’ap­pren­tis­sage d’une langue.

Chry­so­gra­phie

Du grec ancien chry­sos, or et gra­phein, écri­ture.
Art d’écrire en lettres d’or.

Burney MS 13, f. 1Bur­ney MS 13, f. 1, Bri­tish Library

Dac­tyle

Le dac­tyle (du grec ancien δάκτυλος dák­tu­los, « doigt ») est un pied, c’est-à-dire un élé­ment métrique (un module ryth­mique) de la poé­sie grecque et latine au départ puis, par exten­sion, de toutes les poé­sies dont le mètre est ryth­mique ou accen­tuel et non syllabique.

Il est com­po­sé d’une syl­labe longue (ou accen­tuée pour les métriques accen­tuelles) sui­vie de deux syl­labes brèves (ou atones). On sym­bo­lise le tout ain­si : _UU. Le dac­tyle est donc de rythme des­cen­dant, puisqu’il attaque par un temps fort. Par exemple, fōns ĕrăt (sui­vi d’une voyelle), en latin, forme un dac­tyle, de même que sán­dige en alle­mand. Dans le second cas, ce n’est pas la quan­ti­té syl­la­bique qui compte mais l’opposition entre la voyelle tonique et les voyelles atones. La déno­mi­na­tion grecque de « doigt » résulte pro­ba­ble­ment1 d’une ana­lo­gie avec les pha­langes d’un doigt. La pre­mière pha­lange, plus longue, est sui­vie par deux pha­langes plus courtes.

Note : en scan­sion, la marque de quan­ti­té voca­lique (macron pour la longue et brève) compte pour la syl­labe entière et non la seule voyelle qui la porte.

« Pseu­do-Sénèque » : long­temps consi­dé­ré comme un buste du phi­lo­sophe stoï­cien, ce por­trait pour­rait repré­sen­ter un poète archaïque, peut-être Hésiode.
Copie romaine d’un ori­gi­nal hel­lé­nis­tique, Bri­tish Museum

Ecoin­çon

Un écoin­çon est un ouvrage de menui­se­rie ou de maçon­ne­rie for­mant l’en­coi­gnure de l’embrasure d’une baie.
Dans le style gothique, on trouve cet élé­ment aux angles des roses ou des rosaces for­mant des ouver­tures de ver­rières déco­rées avec des écoin­çons ajourés.
Un écoin­çon est aus­si une par­tie d’un tapis qui est située aux coins du champ.

Figure de Renom­mée nue pour écoin­çon. Pri­ma­tice (dit), Pri­ma­tic­cio Fran­ces­co (1504–1570)
© RMN / René-Gabriel Ojé­da. Lavis bistre, plume (des­sin)
Bayonne, musée Bonnat

Gno­mon

Le mot gno­mon est un mot latin qui veut dire aiguille de cadran solaire, venant du grec gnô­môn qui dési­gnait une règle ou ce qui sert de règle. Par déri­va­tion un gno­mon est le nom du plus simple cadran solaire : un bâton plan­té ver­ti­ca­le­ment dans le sol, ou même encore plus simple : l’homme lui-même.

Le gno­mon a don­né son nom à la science des cadrans solaires : la gno­mo­nique, ain­si qu’à la per­sonne qui conçoit et réa­lise des cadrans : le gno­mo­niste.

Cadran solaire mul­tiple en dip­tyque. Rein­mann Paul (1557?-1609)
Paris, musée du Louvre
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Quinze mille sept cent fois

Enlè­ve­ment de Bri­séis. Achille, sous sa tente, ayant à ses côtés Ulysse et Dio­mède,
assiste plein de cour­roux à l’enlèvement de Bri­séis par Her­mès. Chant I. 320–350. Pein­ture d’une kylix (Bri­tish Museum)

Quinze mille sept cent fois dans l’Iliade, Homère, lais­sant l’ex­pi­ra­tion empor­ter sa voix sous la dic­tée de la Muse, énonce son vers ailé sou­te­nu par les six temps forts et sou­le­vé par la mélo­die propre des mots. Quinze mille sept cent fois, Homère, dans le même sys­tème, change lors­qu’il chante. Chaque mot pos­sède sa propre manière d’en­trer dans la ronde des dac­tyles. Chaque syl­labe se place sur le temps, en oppo­si­tion, à l’at­taque, à la fin, dans le phra­sé ascen­dant de la mélo­die, ou sur la contre­pente, et s’é­tire sur sa voyelle longue, se res­serre sur la brève ; par­fois encore, se res­serre sur la brève en don­nant l’illu­sion de la longue, ou en mar­chant à rebours de toutes les règles, parce qu’au­cune langue ne se laisse réduire à un sché­ma, et la langue d’Ho­mère encore moins que celle de ses imitateurs.
Dire le grec ancien avec la quan­ti­té des voyelles, le jeu ryth­mique des syl­labes, la mélo­die de l’in­to­na­tion, une échelle har­mo­nique, les silences, où la parole reten­tit et se recharge, pro­cure les plus grandes joies, parce qu’on y suit le dérou­tant Homère, qui s’emploie à sur­prendre son monde. Homère assemble — ce serait même l’é­ty­mo­lo­gie de son nom —, et ce fils du fleuve — Mélé­si­gé­nès, « fils du fleuve Mélès », d’a­près les vies anciennes — se contre­dit dans son per­pé­tuel devenir !

Phi­lippe Brunet
tra­duc­teur de l’I­liade — 2010 Seuil

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