L’ex­cuse et l’offense

Nasr Eddin Hod­ja ne prend pas de vacances. Au contraire, il est tou­jours d’attaque…

Pho­to © Tur­kish Cultu­ral Foundation

Nasr Eddin a été invi­té par un mar­chand qui vou­drait se tar­guer dans la ville de l’a­voir eu à sa table. Le Hod­ja a accep­té car la femme de cet homme a la répu­ta­tion d’être très belle et de faire admi­ra­ble­ment la cuisine.
A la fin d’un suc­cu­lent repas, quand on en est à se laver les mains, le mar­chand inter­pelle son hôte :
— Ô Nasr Eddin ! Toi qui as des lumières sur toute chose, dis-moi si à ton avis il y a des excuses qui blessent plus que l’offense.
Nasr Eddin ne répond pas mais sans crier gare il lui admi­nistre une for­mi­dable claque sur le cul.
— Par Allah ! fais l’autre en sur­sau­tant, tu as per­du la tête !
— Je te pré­sente mes excuses, dit Nasr Eddin l’air confus, j’ai cru que c’é­tait les fesses de ton épouse.

Sublimes paroles et idio­ties de Nasr Eddin Hod­ja,
trad. J.-L. Mau­nou­ry, Phé­bus Libret­to, 1990

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Flo­rian Affler­bach, le perfectionniste

Éton­nam­ment, j’aime peu les artistes qui croquent des sujets vivants, les des­sins inva­ria­ble­ment mou­vants de ces artistes de la chair m’ennuient.
Flo­rian Affler­bach, lui, est un des­si­na­teur de lieux, de bâti­ments, il recense les styles, les trient par genre et par fonc­tion, va même jus­qu’à cro­quer des voi­tures, mais il le fait avec une telle maes­tria qu’on le lui par­don­ne­rait (presque)…

Via Arts­kills.

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Visions sou­ter­raines de Steve Dun­can et autres cir­con­vo­lu­tions fluviales

Steve Dun­can est un doux dingue qui adorent trai­ner ses guêtres dans les sou­ter­rains les plus sor­dides à la recherche de la lumière des pro­fon­deurs. Col­lec­teurs d’é­gouts, rivières sou­ter­raines, pipe­lines et autres tuyaux et cou­loirs désaf­fec­tés n’ont pas de secret pour ce pho­to­graphe des longues expo­si­tions. Un uni­vers suin­tant et magique au creux de nos villes, un rien angoissant…
L’ar­ticle de Paul Hond sur Colum­bia Maga­zine.

A l’autre extré­mi­té des laby­rinthes de pierre creu­sés dans le sol meuble de nos villes, on voit se des­si­ner dans la nature les cir­con­vo­lu­tions des grands fleuves. En l’oc­cur­rence ici sur Pru­ned le fleuve Yukon et la Por­cu­pine River. J’ai sui­vi ain­si sur Google maps plu­sieurs des plus grands fleuves de la Terre. Tous suivent un par­cours qui n’est en rien du au hasard et en ceci la construc­tion des canaux sou­ter­rains s’en rap­proche énor­mé­ment. Si les seconds sont arti­fi­ciels et géné­ra­le­ment rec­ti­lignes ils imitent les rivières et sou­vent les cana­lisent, tentent de les diri­ger et d’en inflé­chir le cours, sou­vent pour des besoins liés au réseau de dis­tri­bu­tion ou d’é­va­cua­tion des eaux usées, et son par­cours a des rai­sons bien par­ti­cu­lières, tout comme le fleuve qui suit les acci­dents de son par­cours en par­tant du point le plus haut et se sou­met­tant par la force des choses à la gra­vi­té, tom­bant vers le point le plus bas, la mer.
L’Homme, en mai­tri­sant le flux des cours d’eau, en le rete­nant pour ses bar­rages, en le déviant pour ses besoins d’ir­ri­ga­tion ou de consom­ma­tion, imite la nature et s’y conforme.
Les caprices de la nature et le catas­tro­phisme qu’elle ins­pire ont don­né lieu à une nou­velle forme de tou­risme : la chasse aux inon­da­tions, une pra­tique éprou­vante pour les nerfs qui consiste à visi­ter les sites les plus tou­chés par le débor­de­ments des lits de rivières. Tou­risme, sport ou voyeurisme ?

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Le manus­crit trou­vé à Sar­ra­gosse de Jean Potocki

Il y avait bien long­temps que je n’a­vais par­ta­gé mes lec­tures. Aus­si, voi­ci un des der­niers titres que j’ai lu, une œuvre étrange et bigar­rée. Lire le Le manus­crit trou­vé à Sar­ra­gosse de Jean Poto­cki, c’est à la fois plon­ger dans un uni­vers fan­tas­tique colo­ré tel qu’on peut encore se le repré­sen­ter dans les films de Sind­bad le marin où l’on pou­vait voir excel­ler les effets spé­ciaux de Ray Har­ry­hau­sen, et c’est aus­si se retrou­ver dans les pages fleu­ries d’un grand roman d’a­ven­ture comme savait par exemple en com­po­ser Robert Louis Ste­ven­son. La pre­mière des ana­lo­gies à laquelle j’ai d’ailleurs pen­sé fait réfé­rence aux Nou­velles mille et une nuits où l’on voit évo­luer dans les nuits moites des grandes capi­tales euro­péennes la sil­houette fine du Prince Flo­ri­zel de Bohême et de son Grand Écuyer, le colo­nel Geraldine.
Voi­ci ce qu’on peut en lire sur Wikipedia:

Roman somme, le chef‑d’œuvre de Poto­cki, tar­di­ve­ment décou­vert en France, a déjà fait cou­ler beau­coup d’encre. Consi­dé­ré par Roger Caillois et les sur­réa­listes comme un des pré­cur­seurs de l’esthétique fan­tas­tique, il a long­temps été pré­sen­té aux lec­teurs sous cet angle. Tzve­tan Todo­rov, dans son Intro­duc­tion à la lit­té­ra­ture fan­tas­tique le désigne même comme le roman modèle de ce qu’il nomme le fan­tas­tique-étrange.
Mais les tra­vaux plus récents et, sur­tout, la ver­sion com­plète du roman montrent que celui-ci va beau­coup plus loin. En effet, il n’emprunte pas seule­ment à la lit­té­ra­ture gothique et fan­tas­tique mais explore aus­si les voies du roman d’ap­pren­tis­sage, du roman liber­tin, du roman à tiroirs, phi­lo­so­phique, pica­resque, et la liste est longue. Pour les cher­cheurs actuels, comme Domi­nique Triaire ou Fran­çois Ros­set, le
Manus­crit trou­vé à Sara­gosse est, plus qu’un livre fan­tas­tique, un roman sur le dis­cours et sur le roman lui-même.

Ce qui frappe au pre­mier abord dans ce livre écrit en fran­çais, c’est la richesse du voca­bu­laire et des images créées. On s’é­tonne aus­si du ton liber­tin qu’on ne retrouve à l’é­poque que dans les écrits d’un Sade. Le livre com­mence  par un aver­tis­se­ment de l’au­teur qui tient lieu d’in­tro­duc­tion car ce fameux manus­crit trou­vé l’est par un offi­cier empri­son­né dont le geô­lier est un parent du nar­ra­teur, un cer­tain Alphonse Van Wor­den. Le récit s’é­crit ensuite sur le modèle des Mille et une nuits, dans le style dit du “conte enchâs­sé” par lequel l’his­toire se déroule lors­qu’une his­toire est racon­tée par un pro­ta­go­niste et dans lequel le per­son­nage raconte lui-même une his­toire, etc.

Le sou­per ne fut point gai et je ma hâtai de sou­hai­ter le bon­soir à mes cou­sines. J’es­pé­rais les revoir dans ma chambre à cou­cher et réus­sir mieux à dis­si­per leur mélancolie.
Elles y vinrent aus­si plus tôt que de cou­tume, et, pour comble de plai­sir, elles avaient inleurs cein­tures dans leurs mains. Cet emblème n’é­tait pas dif­fi­cile à com­prendre. Cepen­dant Émi­na prit la peine de me l’ex­pli­quer. Elle me dit :
— Cher Alphonse, vous n’a­vez point mis de borne à votre dévoue­ment pour nous, nous ne vou­lons point en mettre à notre recon­nais­sance. Peut-être allons-nous être sépa­rés pour tou­jours. Ce serait pour d’autres femmes, un motif d’être sévères, mais nous vou­lons vivre dans votre sou­ve­nir et, si les femmes que vous ver­rez à Madrid l’emportent sur nous pour les charmes de l’es­prit et de la figure, elles n’au­ront du moins pas l’a­van­tage de vous paraître plus tendres ou plus pas­sion­nées. Cepen­dant, mon Alphonse, il faut encore que vous nous renou­ve­liez le ser­ment que vous avez déjà fait de ne point nous tra­hir, et jurez encore de ne pas croire le mal que l’on vous dira de nous.
Je ne pus m’empêcher de rire un peu de la der­nière clause, mais je pro­mis ce qu’on vou­lut et j’en fus récom­pen­sé par les plus douces caresses.

Le roman de Poto­cki fait appel à toutes les figures pos­sibles du genre fan­tas­tique ; his­toires de reve­nants, exor­cisme, folie démo­niaque, éso­té­risme. On voit éga­le­ment appa­raître des Gitans ou des kab­ba­listes, ce qui confère à l’en­semble une colo­ra­tion qui le fait pen­cher du côté du roman ini­tia­tique. Mais avant tout, c’est un grand roman d’a­ven­ture un peu confus et dif­fi­cile à suivre, mais d’une écri­ture lim­pide qui le rend agréable.

» Mais tel n’é­tait point le fils unique du pré­vôt, Mes­sire Thi­baut de la Jac­quière, gui­don des hommes d’armes du roi. Gen­til sou­dard et friand de la lame, grand pipeur de fillettes, rafleur de dés, cas­seur de vitres, bri­seur de lan­ternes, jureur et sacreur. Arrê­tant maintes fois le bour­geois dans la rue pour tro­quer son vieux man­teau contre un tout neuf, et son feutre usé contre un meilleur. Si bien qu’il n’é­tait bruit que de Mes­sire Thi­baud, tant à Paris, qu’à Blois, Fon­tai­ne­bleau, et autres séjours du roi. Or donc, il advint que notre bon Sire de sainte mémoire Fran­çois Ier fut enfin mar­ri des dépor­te­ments du jeune sous­drille, et le ren­voya à Lyon, afin d’y faire péni­tence, dans la mai­son de son père, le bon pré­vôt de La Jac­quière, qui demeu­rait pour lors au coin de la place de Bel­le­cour, à l’en­trée de la rue Saint-Ramond.
» Le jeune Thi­baud fut reçu dans la mai­son pater­nelle avec autant de joie que s’il y fût arri­vé char­gé de toutes les indul­gences de Rome. Non seule­ment on tua pour lui le veau gras, mais le bon pré­vôt don­na à ses amis un ban­quet qui coû­ta plus d’é­cus d’or qu’il ne s’y trou­va de convives. On fit plus. On but à la san­té du jeune gars, et cha­cun lui sou­hai­ta sagesse et rési­pis­cence. Mais ces vœux cha­ri­tables lui déplurent. Il prit sur la table une tasse d’or, la rem­plit de vin, et dit : « Sacre mort du grand diable, je lui veux dans ce vin bailler mon sang et mon âme, si je jamais je deviens plus homme de bien que je ne suis. » Ces affreuses paroles firent dres­ser les che­veux à la tête des convives. Ils se signèrent et quelques-uns se levèrent de table.

Le cinéaste Woj­ciech Jer­zy Has en fit une adap­ta­tion ciné­ma­to­gra­phique en 1965, qu’on peut encore trou­ver dans le repli de la cou­ver­ture de l’é­di­tion limi­tée édi­tée chez Tel Gal­li­mard.
L’é­tran­ge­té de l’œuvre tient à la per­son­na­li­té com­plexe du per­son­nage de Poto­cki, homme très ins­truit, ancien mili­taire et homme poli­tique, sub­ti­le­ment let­tré, cer­tai­ne­ment Franc-maçon, il écri­vit de superbes car­nets de voyage et posa les fon­de­ments de l’eth­no­lo­gie. Son carac­tère com­plexe et pas­sion­né aura rai­son de lui et il som­bre­ra dans une douce folie qui le mène­ra à sa perte pour le moins hor­rible, racon­tée par Roger Caillois.

En 1812, il se retire dans sa pro­prié­té de Ula­dow­ka, en Podo­lie, d’où il ne sort que pour tra­vailler dans la biblio­thèque de Krze­mie­niec. Il est neu­ras­thé­nique, en proie à de fré­quentes dépres­sions ner­veuses, souf­frant en outre de très dou­lou­reuses névral­gies. Dans ces accès de mélan­co­lie, il lime la boule d’argent qui sur­monte le cou­vercle de sa théière. Le 20 novembre 1815, elle est à la dimen­sion vou­lue. Une tra­di­tion veut qu’il l’ait fait bénir par le cha­pe­lain de son domaine (déri­sion ou conces­sion, on ne sait). Il la glisse alors dans le canon de son pis­to­let et se fait sau­ter la cer­velle. Les murs de la pièce en sont tout éclaboussés.

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Ambiance fin de siècle

J’é­tais tran­quille­ment assis au bord de la pis­cine occu­pé à siro­ter un coque telle à base de vieux rhum et à lire un très bon livre qui m’emmenait à lisière du désert de Tak­la­ma­kan lorsque le fac­teur a son­né. Fir­min est allé ouvrir et m’a rap­por­té quatre gros sacs, pleins de lettres qu’il m’au­ra fal­lu toute la nuit pour déca­che­ter (oui, car on n’ouvre pas une lettre, on la déca­chète, tout se perd). J’é­tais en face d’un tas énorme de lettres s’in­di­gnant du fait que je n’ai pas blo­gué depuis quatre jours. Aus­si devant la pres­sion infer­nale que vous m’in­fli­gez, je me vois obli­gé de rédi­ger une petite note pour satis­faire votre inépui­sable curiosité.

grutier (more…)

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