Lita­nie des jours pas­sés en com­pa­gnie de Sébas­tien de Cour­tois, sur les rives du Golfe de Tad­jou­rah, jus­qu’aux cités sou­da­naises et de Malek Chebel.

Dimanche 16.03

Le Pro­phète eut cette réponse : « La foi consiste à faire des choses que ni la main ni la langue ne regrettent plus tard. » Déjà l’hu­ma­nisme ! Et il ajou­ta aus­si­tôt : « Nul ne devrait être musul­man s’il ne désire pour son pro­chain ce qu’il désire pour lui-même. »

Réveillé à 4h30, plus vrai­ment envie de dor­mir, j’a­vais les pieds gelés et le cœur ser­ré. Pour­tant, la nuit était belle et pro­met­tait d’être longue, mais elle n’en a fait qu’à sa tête et a fini par me secouer. Alors je l’ai ter­mi­née sur le cana­pé, sous le plaid chaud, réchauf­fé par les mots de de Cour­tois et son soleil afar de Tad­jou­rah. Si je lis et que j’ai encore du som­meil dans les pattes, lire est un bon moyen pour moi de retour­ner au com­bat. J’ai bien avan­cé dans le livre de Malek Che­bel, un livre lumi­neux et simple, sans être sim­pliste, qui remet bien les choses à leur place et qui devrait être dis­tri­bué par­tout où il y a de la haine pour cette reli­gion, et par­tout aus­si où cette reli­gion est dévoyée pour en faire un ins­tru­ment de torture.

Sakura

Ben­ja­min Sto­ra, l’his­to­rien de l’Al­gé­rie, est de tous les débats dès lors qu’il s’a­git de l’Al­gé­rie. Il faut qu’il fasse atten­tion : on a l’im­pres­sion qu’il est le seul à pou­voir abor­der ce vaste sujet. Cela dit, il est tou­jours pas­sion­nant. Ce jour-là, il rap­pelle le contexte de l’é­poque : « Il y avait 100 000 Magh­ré­bins en France en 1939 ; ils n’é­taient ni fran­çais ni immi­grés, ils n’a­vaient pas de sta­tut. C’é­taient des sil­houettes, des invi­sibles, consi­dé­rés comme des indi­gènes, aban­don­nés. On sait juste qu’ils ont par­ti­ci­pé à la construc­tion du Mur de l’At­lan­tique », explique-t-il.

J’ai dû ran­ger trop vite ce livre dont j’ai lu les der­nières pages juste avant mon départ en Indo­né­sie. L’é­toile jaune et le crois­sant de Moham­med Aïs­saoui.
Je suis frap­pé de voir que le sujet de la place des étran­gers dans une socié­té moderne pose encore ques­tion. Enfin non, il est tou­jours bon de repo­ser des ques­tions lors­qu’on pressent que cer­taines choses ne sont pas claires et inté­grées et c’est pré­ci­sé­ment ce qui fait ques­tion. Une par­tie de la popu­la­tion fran­çaise d’au­jourd’­hui n’a tou­jours pas inté­gré que la pré­sence d’é­tran­gers en France, d’é­tran­gers ou de per­sonnes issues de l’im­mi­gra­tion qui sont désor­mais des Fran­çais à part entière et que rien ne jus­ti­fie qu’on puisse reve­nir des­sus. J’ai l’im­pres­sion d’é­non­cer une tau­to­lo­gie, mais si cela est évident pour moi, ce n’est pas for­cé­ment le cas pour tout le monde et il est bon de le rap­pe­ler tant que ce n’est pas acquis, sur­tout en cette période pré-électorale.

On pour­ra s’in­ter­ro­ger sur ce qui res­semble à une obses­sion, les choses res­tent claires en moi, je n’ai nul­le­ment l’in­ten­tion de me conver­tir, mais je pars tou­jours du prin­cipe qu’il est pré­fé­rable de com­prendre une reli­gion plu­tôt que de suivre ses pré­ceptes. Je fais, de toute façon, par­tie du clan des hommes libres. Per­sonne n’est au-des­sus de moi pour me dic­ter mes actes ou les juger non conformes à une parole révé­lée. L’i­dée d’une chape de plomb au-des­sus de ma tête est sim­ple­ment insupportable.

Lun­di 17.03

Je com­mence à tour­ner comme un lion en cage, tran­si par un froid venu de l’in­té­rieur qui tra­duit mes manques. Mes dési­rs sont insuf­flés, exa­cer­bés par la connais­sance que j’en ai, me per­met­tant de faire la dis­tinc­tion entre le trop et le pas assez. J’ai des rêves de Soco­tra, de mers arabes, de côtes afri­caines où le dan­ger est inhé­rent à la vie quotidienne.
J’ai appris le voyage avec mes pre­miers atlas, puis plus tard avec la magie d’in­ter­net, une magie qui ne dit rien de plus que les cartes, qui donne l’illu­sion qu’on puisse voya­ger depuis son fau­teuil, les livres aidant, mais l’illu­sion est tou­jours là. Je sou­ris tou­jours à l’é­vo­ca­tion du rem­plis­sage des car­nets de voyage abon­dam­ment illus­trés de pho­tos de monu­ments devant les­quels on se fait pho­to­gra­phier comme pour attes­ter qu’on y était, de rap­ports de gen­dar­me­rie ou de conseils de voyages, de noms d’hô­tels ou de res­tau­rants dans les­quels il faut se rendre. Peu de place aux sou­rires, aux ami­tiés suc­cinctes, aux regards échan­gés dans les allées d’un bazar, un moment de lâcher-prise inat­ten­du… Le voyage se niche ici. Ce n’est peut-être qu’une illu­sion encore.

Mar­di 18.03

Le voyage com­mence quand on se dit qu’on reviendra.

Jeu­di 19.03

Ce matin j’ai appris la mort de Rim­baud par une lettre de sa sœur Isa­belle, puis je suis allé au jar­din cueillir une branche du lilas mauve. Sa petite âme odo­rante mon­tait légère au ciel ouvert. Chris­tian Bobin

Le matin se réveille avec le chant de l’oi­seau qui martèle.
Quelques ver­tiges au lever, impos­sible à comprendre.
Le soleil revient au loin, la pol­lu­tion dis­pa­rue, en tout cas visiblement.
La lec­ture du livre de Sébas­tien de Cour­tois est un vrai plai­sir. Son esca­pade en Éthio­pie met en lumière une manière de voya­ger très par­ti­cu­lière. En tout cas dans ce qu’il en dit. Même si ce recoin du monde n’a pas l’air très enga­geant, on ima­gine aisé­ment la cha­leur, la pous­sière, la pau­vre­té, les pas d’un Rim­baud aga­cé dans un pays hos­tile. A chaque ins­tant, on se demande ce qu’il est allé faire là-bas. Rim­baud. Et de Cour­tois aussi.

Ven­dre­di 20.03

Le vent s’est levé. Hier soir déjà. J’aime ces moments d’in­ti­mi­té avec les livres au petit matin lorsque le vent souffle der­rière les volets et qu’il m’a­pos­trophe pour savoir où vaga­bonde mon esprit. Il n’a pas encore l’ombre d’une idée de ce que je vais faire.
Demain, la course dans le Vexin, dimanche, les élec­tions. Après ? Après, per­sonne ne sait…