Pura Taman Kemuda
Saraswati
Ubud stories #7
22 février 2014 : Des monstres, des lotus et le Barong Ket
Ma déambulation dans la petite ville d’Ubud se poursuit, pour cette première journée dans la touffeur et la fatigue, sous un soleil qui hésite parfois à se frayer un passage au travers d’une épaisse couche de nuages. Je dois d’abord passer par le marché pour m’acheter un sarong (mot d’origine malaise qui signifie “étui”), une pièce de tissu qu’il suffit d’attacher sur elle-même par un nœud autour de la taille. Les Balinais sont très à cheval sur le respect de leur religion et imposent parfois le port du sarong pour entrer dans les temples. Montrer ses jambes en présence des dieux n’est simplement pas concevable.
Le marché est en réalité un carré de bâtiments en béton regroupés autour d’une petite cour où trône un autel recouvert du même tissu dont sont faits les sarongs et sur lequel sont déposées des offrandes, fleurs, corbeilles tressées de feuilles encore vertes, nourriture qui se décompose tranquillement au soleil. Ici pas d’odeurs d’épices, de poissons, de fruits murs et de fleurs comme on peut le sentir sur les marchés thaïlandais ; c’est surtout l’odeur de la pourriture qui prend à la gorge, une odeur qui vient d’on ne sait où mais qui flotte dans l’air humide de ce lieu oppressant.
Impossible de marcher dans les rues sans tomber nez à nez avec un des lieux les plus connus d’Ubud et que l’on connaît surtout sous le nom de Water Palace mais qui porte le nom de Pura Taman Kemuda Saraswati, temple dédié à la déesse Sarasvati (सरस्वती), protectrice des arts, de la sagesse, de la connaissance et des rivières et épouse de Brahma. Pas étonnant que ce temple soit dédié aux spectacles de danses balinaises et soit affublé d’un étang où poussent par centaines des lotus éclatants. Le lieu attire par sa grandiloquence, et nombre de touristes ne viennent que pour voir les lotus et prendre une boisson en terrasse en face du Starbucks Café. Pas la peine de faire la moitié du tour de la terre pour cela, il suffit d’aller à Giverny. Non, l’intérêt de ce temple réside dans ce qui se cache derrière le grand portail sculpté, le kori agung (ou paduraksa), là où les motifs dessinés sur le sol composé de dalles de pierre volcanique et de cette incroyable plante qui n’est autre chose que du gazon incroyablement résistant et épais, servent à éloigner les esprits.
Le temple est assez récent puisqu’il a été construit en 1951 et imaginé par un artiste presque divinisé à Bali, I Gusti Nyoman Lempad, un sculpteur et dessinateur qui serait mort en 1978 à l’âge de 116 ans. C’est un temple magnifique, une dentelle de sculptures toutes plus impressionnantes les unes que les autres, une débauche de monstres peuplant l’imaginaire balinais, le tout, recouvert d’une végétation qui colonise le moindre petite espace de pierre volcanique de cette mousse microscopique et d’un vert étonnant. Le fait qu’il soit aussi récent n’entame en rien l’incroyable puissance ésotérique qui se dégage du lieu.
Le padmasana est le lieu le plus sacré du temple. Situé au nord-est du temple, c’est un trône vide au sommet d’un pilier, représentant la place du Dieu Suprême dans l’Hindouisme balinais, le Sang Hyang Widhi Wasa. On le reconnaît à sa haute stature entièrement recouverte d’or et à la présence d’une svastika à son sommet. A son pied, la statue de la déesse Sarasvati à qui est dédié le temple. On la reconnaît à ses quatre bras et à sa grâce ondulante.
Toutes les sculptures qui sont présentes ici sont autant de représentations de monstres effrayants dont la vocation est d’éloigner les esprits maléfiques. S’imprégner de l’ambiance de ce pandémonium donne littéralement le tournis. Le moindre espace sur la pierre est intégralement recouvert de visages grimaçants, de motifs végétaux, de superbes volutes enchevêtrées… Visiblement, ce lieu intéresse beaucoup moins que l’étang aux lotus puisque je peux déambuler seul dans le silence du temple.
Sous un auvent repose la dépouille vide d’un barong ket, le barong lion, Banaspati rajah (seigneur de la forêt) qui dans la lutte qui l’oppose à Rangda, symbolise la lutte éternelle du bien contre le mal. C’est une parure extraordinaire qui, le soir venu, s’anime lors de spectacles dans la cour du temple à la lumière des bougies et au son des métallophones hallucinogènes de l’orchestre de gamelan qui s’installe alors tranquillement.
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