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La rose et la tulipe, car­net de voyage à Istan­bul 2 : l’Hip­po­drome (At Meydanı)

La rose et la tulipe, car­net de voyage à Istan­bul 2 : l’Hip­po­drome (At Meydanı)

La rose et la tulipe

Car­net de voyage à Istan­bul 2 : l’Hip­po­drome (At Meydanı)

Les guides tou­ris­tiques sont très forts en géné­ral. Ils tendent à jouer sur l’his­toire pour vous faire pas­ser un lieu cen­sé être incon­tour­nable pour le cœur de la ville, le centre de tout. En l’oc­cur­rence, j’ai vu noté par­tout que l’Hip­po­drome était un lieu fabu­leux, depuis lequel on pou­vait sen­tir le poids de l’his­toire byzan­tine peser sur nos maigres épaules. Ce que peu vous disent, c’est que d’hip­po­drome, il n’y a guère. On a beau cher­cher, rien ne rap­pelle la pré­sence d’un éven­tuel hip­po­drome sur cette place gigan­tesque, pas même la trace d’un sabot de che­val dans la pierre. Ce n’est qu’une place immense, joli­ment pavée, propre, ornée de dra­peaux turcs. Mais pas un gra­din, pas une colonne ren­ver­sée, pas la moindre pierre usée. La seule chose qui peut rap­pe­ler la pré­sence ici d’un hip­po­drome et la forme qu’il pre­nait autre­fois est une ligne jaune tra­cée tout du long et for­mant un U dont le virage se situe au niveau du Rec­to­rat de l’Université de Mar­ma­ra (Mar­ma­ra Üni­ver­si­te­si Rektörlüğü).

Carte pos­tale colo­ri­sée de l’hip­po­drome datant des années 50

Construit en une cin­quan­taine d’an­nées, l’hip­po­drome était le monu­ment popu­laire byzan­tin. D’un bout à l’autre, ce qui s’ap­pelle aujourd’­hui en turc At Mey­danı, c’est-à-dire la place aux che­vaux, mesu­rait près de cinq cents mètres de long (et pré­ci­sé­ment 117,50 m de large) sur le plan du cir­cus maxi­mus romain : Car­ceres au nord-est (écu­ries et stalles), Sphen­do­nè au sud-ouest (courbe semi-cir­cu­laire) et Spi­na déli­mi­tant les deux allées. On estime que ce lieu de diver­tis­se­ment pou­vait conte­nir entre 30 000 et 50 000 per­sonnes (assises)1. En plus d’être un lieu où avaient lieu les courses de char, on y per­sé­cu­tait allè­gre­ment, selon la tra­di­tion romaine, tout oppo­sant aux idées ou régimes en place. Les Romains avaient pour habi­tudes de se débar­ras­ser des Chré­tiens en les envoyant aux lions, tan­dis que les Byzan­tins durant la période ico­no­claste pré­fé­raient s’at­tar­der sur les moines et les nonnes qui véné­raient les images avec des méthodes bar­bares que je pré­fère ne pas évoquer.

Concrè­te­ment, ce qu’il reste de l’hip­po­drome aujourd’­hui, ce sont quelques élé­ments de la Spi­na, cette bande cen­trale sur laquelle on expo­sait les tro­phées et les vic­toires de l’Em­pire ou les cadeaux don­nés à l’Em­pe­reur. Ain­si on pour­ra voir l’o­bé­lisque de Théo­dose (Diki­li­taş) qui est en réa­li­té un des obé­lisques de Thout­mô­sis III pro­ve­nant du temple de Kar­nak, posé sur un socle repré­sen­tant l’Em­pe­reur Théo­dose Ier et sa cour. Il mesure un peu plus de 18 mètres contre une tren­taine à l’origine.

On trou­ve­ra éga­le­ment un autre obé­lisque, dit obé­lisque muré (Örme Diki­li­taş). Consti­tué de pierres taillées, il était autre­fois recou­vert de plaques de bronze qui devaient res­plen­dir à la lumière du soleil. Les plaques ont été fon­dues pour en faire des pièces de mon­naie et les Janis­saires (Yeni­çe­ri) le dégra­dèrent for­te­ment car pour mon­trer leur bra­voure, ils devaient la gra­vir à mains nues, des­cel­lant ain­si bon nombre de pierres. Entre les deux se trouve la Colonne Ser­pen­tine (Yılanlı Sütun ou Bur­malı Sütun). Voi­ci un monu­ment fas­ci­nant puis­qu’il vient de la ville de Delphes et qu’il sup­por­tait comme tré­pied une vasque en or de trois mètres de dia­mètre, fon­due elle aus­si. Autre­fois sur­mon­tée de trois têtes de ser­pent dont une se trouve au musée de Top­ka­pi, elle fut sou­vent van­da­li­sée puis répa­rée ; on dit même que sous l’Em­pe­reur Théo­phile, le patriarche de Constan­ti­nople lui-même, lors de la période trouble de la que­relle des images, vint en pleine nuit détruire à coup de masse deux des trois têtes de ser­pent, sym­boles païens et démoniaques…

Minia­ture Otto­mane du Surname‑i Veh­bi, Top­kapı Sarayı Müze­si, Istan­bul (Hazine 1344, folios 290a)

Ces ves­tiges d’un pas­sé antique sont les témoins du drame de l’his­toire de cet hip­po­drome. On peut voir au pied de ces monu­ments que le niveau du sol à l’é­poque devait être de quatre bons mètres infé­rieur à ce qu’il est aujourd’­hui. En effet, les débris du bâti­ment se sont empi­lés et c’est sur cette épais­seur que la place a été apla­nie. Aban­don­né par les habi­tants, dévas­té lors des Croi­sades, puis par les Turcs qui l’ex­ploi­tèrent comme une vul­gaire car­rière, il n’en reste aujourd’­hui plus rien. Sauf… sauf un bon morceau…

Le pre­mier soir à Istan­bul, après avoir dépo­sé les bagages à l’hô­tel sous une pluie d’o­rage bat­tante, nous sommes sor­tis pour trou­ver un endroit où dîner. La pluie tom­bait avec une force propre aux villes de bord de mer et dès que s’ou­vraient les pre­mières rues en pente der­rière Kadır­ga Mey­danı, je pou­vais voir l’eau cou­ler en tor­rent, char­riant ordures et terre jus­qu’au beau milieu de la rue. N’ayant pré­vu qu’un blou­son léger, je me suis vite retrou­vé trem­pé. Mon fils sous sa capuche ne sem­blait pas vrai­ment se pré­oc­cu­per de ce qui lui tom­bait des­sus. J’a­vi­sai une petite épi­ce­rie où je deman­dai le prix du para­pluie qui se trou­vait en devan­ture : 10TL. 5 euros. Une arnaque, mais bon, je n’a­vais pas le cœur à négo­cier. Je payai rubis l’ongle et vit le jeune homme se frot­ter les mains de m’a­voir aus­si gros­siè­re­ment pigeon­né. J’a­vais mon para­pluie, dont je ne me suis ser­vi que pen­dant la demi-heure sui­vante puis­qu’il n’a pas plu à nou­veau de tout le séjour, mais j’a­vais un para­pluie stam­bou­liote. Autant dire qu’il est reve­nu avec moi dans la valise.

Pas de plan donc, aucune idée de l’en­droit où j’al­lais, je finis par me retrou­ver au détour d’une rue qui n’ar­rê­tait de pas de mon­ter dans Divan Yolu Cad­de­si, l’a­ve­nue qui des­cend jus­qu’à l’hip­po­drome et j’ar­rive sur la place de Meh­met Akif Ersoy Parkı, aux abords de la petite mos­quée Firuz Ağa Camii. Deux heures plus tard, après avoir man­gé sur le pouce un kebap, je me suis ren­du sur la place pour avoir une pre­mière impres­sion, his­toire de savoir si je devais reve­nir, ou pas. Tout était déjà sec comme si l’o­rage n’a­vait jamais eu lieu. Tout était silen­cieux, il n’y avait que le vent dans les dra­peaux ten­dus tout autour de la place qui cla­quaient légè­re­ment. Aucune voi­ture ne passe ici, au mieux quelques taxis, par­fois un bus et au loin le tram­way qui des­cend Divan Yolu. C’est calme et c’est ain­si que je découvre pour la pre­mière fois la ville-phare. Je traine du côté des grilles fer­mées de la Mos­quée Bleue (Sul­ta­nah­met Camii) et regarde avi­de­ment les détails de ce monu­ment qui est un peu le sym­bole du Proche-Orient à mes yeux, ses lourdes grilles en fonte, l’en­trée de la cour fer­mée par une immense porte de bronze, fine­ment ouvra­gée, sur­mon­tée d’un texte en arabe et d’un magni­fique muqar­na. Je m’ap­proche des trois anciens ves­tiges de la Spi­na, que je contourne, tombe sous le charme des monu­ments de la place, le Rec­to­rat et son por­tail typi­que­ment otto­man, la façade du Musée des Arts turcs et isla­miques avec son bal­con fas­ci­nant, ne vois pas la fon­taine de Guillaume II qui pour­tant trône en bonne place et que je ne décou­vri­rai que le len­de­main, à la lumière du jour, et devant laquelle je m’ar­rê­te­rai avec cir­cons­pec­tion tel­le­ment le style me parait moderne ; pour cause, elle fut offerte par l’Em­pe­reur Guillaume II d’Al­le­magne en 1895 au Sul­tan. Elle est pour­tant belle et s’in­tègre par­fai­te­ment au reste de la place. Les mosaïques dorées qui ornent l’in­té­rieur du dôme sont de toute beauté.

De l’autre côté de la place se tient l’autre bijou d’Is­tan­bul, celui qui occu­pe­ra le viseur de mon appa­reil pho­to à tout bout de champ ; Aya­so­fya (Sainte-Sophie). Illu­mi­née, ten­due vers le ciel, majes­tueuse plus que belle, impo­sante plus qu’é­lan­cée, elle laisse sup­po­ser par l’ex­té­rieur ce qu’elle est à l’intérieur.

Je disais plus haut qu’il ne reste rien de l’hip­po­drome, sauf une chose : la Sphen­do­nè. Évi­dem­ment, ça ne fait pas par­tie des jolies choses à voir, vu son état de déla­bre­ment, mais je suis allé par der­rière pour voir ce qu’il en res­tait, je suis allé tou­cher la pierre, sen­tir le bruit des sabots des che­vaux vibrer sous ma main… La tota­li­té des colonnes qui ornaient sa façade ont été rem­ployées pour la construc­tion de la mos­quée de Soli­man (Süley­ma­niye Camii), mais on ima­gine encore assez bien la taille que pou­vait avoir ce monu­ment. Sur cette carte datant de 1572 (Braun and Hogen­berg, Civi­tates Orbis Ter­ra­rum, map I‑51), on voit bien ce qu’il reste de l’hip­po­drome et ce qu’on peut en voir aujourd’­hui, ain­si que les ves­tiges de la Spi­na.

Au pro­chain épi­sode, je vous emmène dans les bas-fonds d’Is­tan­bul, dans le vieux quar­tier front de mer de Sul­ta­nah­met, là où les mai­sons s’é­croulent et que les rats tra­versent la rue, par­fois cour­sés par un chat affamé.

Album Pho­to

Istanbul - avril 2012 - jour 1 - 040 - Mehmet Akif Ersoy Parkı

Istanbul - avril 2012 - jour 1 - 041 - Sultanahmet Camii

Istanbul - avril 2012 - jour 1 - 042 - Hippodrome

Istanbul - avril 2012 - jour 1 - 043 - Sultanahmet Camii

Istanbul - avril 2012 - jour 1 - 044 - Obélisque de Théodose

Istanbul - avril 2012 - jour 1 - 045 - Sultanahmet Camii

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 211 - Sainte-Sophie

Istanbul - avril 2012 - jour 8 - 003 - Ayasofia et la fontaine de Guillaume II

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 139 - Sultan Ahmet Parkı - Fontaine de Guillaume II

Istanbul - avril 2012 - jour 4 - 039 - Tapu ve Kadastro Bolge Mudurlugu

Istanbul - avril 2012 - jour 4 - 037 - Tapu ve Kadastro Bolge Mudurlugu

Istanbul - avril 2012 - jour 4 - 036 - Atmeydanı Caddesi - Colonne serpentine et obélisque de Théodose

Istanbul - avril 2012 - jour 4 - 035 - Atmeydanı Caddesi - socle de la colonne murée

Istanbul - avril 2012 - jour 4 - 034 - Marmara Üniversitesi Rektörlüğü

Istanbul - avril 2012 - jour 4 - 033 - Marmara Üniversitesi Rektörlüğü

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La rose et la tulipe, car­net de voyage à Istanbul

La rose et la tulipe, car­net de voyage à Istanbul

La rose et la tulipe

Car­net de voyage à Istanbul

Se rendre à Istan­bul, se dire qu’on va y res­ter une semaine, his­toire de prendre le temps, de s’im­pré­gner de l’o­deur des lieux, de se lais­ser racon­ter des his­toires par les gens qui y vivent même avec la bar­rière de la langue, aller y Istan­bul — déjà tout un pro­gramme — est une chose, en reve­nir est une autre, beau­coup plus com­pli­quée. On a beau se dire qu’on va dans un pays loin­tain (la Tur­quie, même si la ques­tion de son entrée dans l’Eu­rope com­mu­nau­taire est encore loin d’être d’ac­tua­li­té, se trouve à 2000 km de Paris, 3h30 d’a­vion mais c’est déjà le bout du monde) et qu’on va tout faire pour ne pas se com­por­ter comme un tou­riste (rien n’é­tait pré­vu, juste un vol, une chambre d’hô­tel), on est tou­jours un étran­ger qui erre et que rien ne dis­tingue d’un autre tou­riste. Je pré­fère le terme de voya­geur, quel­qu’un qui voyage est à mon sens plus hono­rable que celui qui vient juste “faire un tour” et n’entre pas dans une démarche consommatrice.

Der makam‑i ‘Uzzal usules Devr‑i kebir

by Hes­pe­rion XXI et Jor­di Savall | Can­te­mir Dimi­trie (1673–1723)

A ce pro­pos, celui qui voyage n’est pas dans le tout pro­gram­mé, dans le tout pré­vu à l’a­vance, mais il est celui qui erre, sans but et sans rai­son, qui se déplace comme il peut pour fina­le­ment ne pas tou­jours arri­ver à la des­ti­na­tion vou­lue ; c’est géné­ra­le­ment ain­si qu’on voit de vrais gens et qu’on peut entendre de vraies his­toires. Voya­ger, c’est s’as­seoir à la table d’une gar­gote au niveau de la rue et des pas­sants, deman­der qu’on vous serve ce qu’il y a dans la vitrine et qu’on espère ayant appar­te­nu à un ani­mal connu (dési­gné du doigt) et man­ger vora­ce­ment avec les doigts en ten­tant de signi­fier à votre voi­sin de table qui s’a­muse de vous voir vous réga­ler que vous êtes le plus heu­reux des hommes d’être ici, et pas ailleurs. Non, le voya­geur ne veut qu’une seule chose, qu’on ne le remarque pas, qu’il puisse se fondre dans la masse, et ne pas revenir.

Celui qui voyage en Tur­quie veut deve­nir Turc.

En route, le mieux c’est de se perdre. Lors­qu’on s’é­gare, les pro­jets font place aux sur­prises et c’est alors, mais alors seule­ment, que le voyage com­mence. (Nico­las Bouvier) 

La ten­ta­tion est grande quand on va dans un pays qu’on ne connait pas de faire des com­pa­rai­sons entre ce qui est dif­fé­rent ici ou ce qui est pareil que là d’où on vient ; que ce doit être ennuyeux ! On voyage avant tout pour se perdre. Pas sim­ple­ment se perdre dans les rues, mais se perdre soi-même, oublier qui l’on est et d’où l’on vient. J’ai bien ten­té de me repé­rer sur le plan et de me dire que tout allait être simple, je me suis pro­cu­ré trois plans dif­fé­rents, mais je n’ai jamais réus­si à aus­si mal me repé­rer dans une ville qu’en uti­li­sant ces mau­dites cartes et je ne me suis jamais aus­si bien débrouillé qu’en uti­li­sant mon bon sens et en deman­dant mon che­min aux pas­sants. Vous vous per­drez quinze fois, peu importe, vous ferez quinze fois de belles décou­vertes. C’est la der­nière fois que je le dis, lais­sez les cartes chez vous pour orner les murs. Sur le ter­rain, rien ne vaut une bonne paire de chaus­sures (à lacets, même si vous devez les enle­ver quinze fois par jour pour entrer dans les mos­quées et qu’on vous demande de les enle­ver pour pas­ser le por­tique à l’aé­ro­port — au moins trois fois) et une bonne dose d’au­dace. Il faut se lais­ser por­ter, se faire abî­mer, se faire cas­ser la gueule par le voyage. Par­tir et reve­nir pareil n’a aucun inté­rêt. On doit se lais­ser gri­gno­ter, pha­go­cy­ter, dété­rio­rer par une ville comme celle-ci.

Sinon, à quoi bon partir ? 

Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prou­ver qu’il se suf­fit à lui-même. Cer­tains pensent qu’ils font un voyage, en fait, c’est le voyage qui vous fait ou vous défait. (Nico­las Bouvier) 

Je disais plus haut, se rendre à Istan­bul est chose facile, en reve­nir est une autre. La ville concentre sur un très petit ter­ri­toire une his­toire qui donne le tour­nis. D’a­bord cité grecque, capi­tale de la Thrace orien­tale, Byzance (το Βυζάντιον / to Byzán­tion) com­mence son his­toire au VIIème siècle avant Jésus-Christ et devient ensuite capi­tale de l’Empire Romain puis de l’Empire Byzan­tin (ou romain d’O­rient) à la chute du pré­cé­dent, sous l’im­pul­sion de l’empereur Constan­tin Ier qui lui don­ne­ra son nom en 330. La ville de Constan­ti­nople détrô­ne­ra Rome (qui ne sera plus que l’ombre d’elle-même jus­qu’à très récem­ment) et sera pen­dant plus d’un mil­lé­naire le vrai car­re­four entre l’O­rient et l’Oc­ci­dent en plus d’être le siège d’une Église puis­sante qui se déta­che­ra pro­gres­si­ve­ment des dogmes de l’É­glise catho­lique et fon­de­ra l’Ortho­doxie à la suite d’une période fas­ci­nante ; la que­relle des images, mar­quée par des empe­reurs tout aus­si fas­ci­nants : Léon III l’I­sau­rien, Constan­tin V Copro­nyme, Léon V l’Ar­mé­nien ou l’Im­pé­ra­trice Théo­do­ra.

1453 marque la fin de l’in­va­sion des Turcs et le début de l’ère otto­mane qui la ver­ra rayon­ner jus­qu’au début du XXème siècle avec la nais­sance de la Répu­blique Turque vou­lue par Mus­ta­fa Kemal Atatürk ; en 1930 Constan­ti­nople devient Istan­bul (Istam­boul ou en turc İst­anb­ul) du nom de la vieille ville (cor­res­pon­dant aujourd’­hui au quar­tier de Sul­ta­nah­met) qu’on appe­lait Stam­boul. Istan­bul fait aujourd’­hui figure de ville-monde, de ville-phare, à la tête d’un pays en passe de deve­nir la 16ème puis­sance mon­diale et que les Fran­çais refusent aujourd’­hui (sous cou­vert de refus de la Tur­quie d’ad­mettre le géno­cide armé­nien) de voir inté­grer l’U­nion Euro­péenne, car trop musul­mane, trop proche de l’I­ran, de la Syrie et des Bal­kans, tel­le­ment trop dif­fé­rente de nous… Istan­bul n’a jamais décli­né, tou­jours debout, et elle porte en elle les stig­mates de plus de deux mille ans d’une his­toire qu’on peut presque recons­ti­tuer en sillon­nant ses rues et qui reste cris­tal­li­sée autour d’un monu­ment hors du com­mun, Aya­so­fia (Sainte-Sophie). Pour­tant, il est tou­te­fois assez triste de se rendre compte à quel point les ves­tiges de l’Em­pire Byzan­tin ont dis­pa­ru, mais j’en repar­le­rai le moment venu et il ne faut pas venir ici en se disant qu’on va mar­cher dans les pas de Théo­dose ou de Constantin.

Géo­gra­phi­que­ment, Istan­bul désigne aujourd’­hui une agglo­mé­ra­tion de 14 mil­lions d’ha­bi­tants répar­tis sur les deux rives du Bos­phore. La vieille ville, Sul­ta­nah­met (dont le nom vient de sul­tan Ahmet Ier qui a fait construire ce qu’on appelle la Mos­quée Bleue face à la Basi­lique Sainte-Sophie) concentre (presque) l’his­toire de la ville. Si je peux me per­mettre un conseil, j’ai lu quelque part qu’il était indis­pen­sable de se rendre à Beyoğ­lu, quar­tier euro­péen qui fut le quar­tier géné­ral des ambas­sades et de tous ces pauvres petits euro­péens en mal d’exo­tisme. N’y allez pas, c’est une escro­que­rie. J’ai des­cen­du İst­ikl­âl Cad­de­si (grande ave­nue de Péra) depuis Tak­sim Mey­danı jus­qu’à Şiş­hane et je n’ai jamais eu autant l’im­pres­sion de me retrou­ver sur les Champs-Ély­sées (que par ailleurs j’abhorre par tous les pores de ma peau). C’est un monde qui n’est pas le mien. Le vieil Istan­bul est bruyant, pous­sié­reux, par­fois insa­lubre, il court à 100 à l’heure, mais il est tel­le­ment plus sédui­sant que cet Istan­bul moderne qui n’a aucun inté­rêt à mes yeux. Même si j’ai l’im­pres­sion d’a­voir per­du mon temps en m’y ren­dant, je suis content d’a­voir vu cela pour savoir que je n’y retour­ne­rai pas. D’ailleurs, si vous ne savez pas pro­non­cer Beyoğ­lu, sachez que ce sera pour votre salut. Le seul point posi­tif, c’est que j’y ai décou­vert le börek, un déli­cieux pain à la viande qu’on mange décou­pé dans une barquette.. 

Toute Istan­bul est tour­née vers la mer. Scin­dée en deux par le Bos­phore qui voit pas­ser tous les jours des cen­taines de navettes (prix défiant toute concur­rence : 2TL — envi­ron 1€) et d’im­menses car­gos porte-contai­ners se ren­dant jus­qu’en Mer Noire, la ville est bor­dée au sud par la Mer de Mar­ma­ra et décou­pée au nord par la Corne d’Or (Haliç), un bras de mer qui remonte jus­qu’au-des­sus d’Eyüp et coupe (avec bon­heur) la vieille ville de l’an­cienne colo­nie génoise de Gala­ta et Beyoğlu.
C’est cette proxi­mi­té avec la Médi­ter­ra­née qu’on oublie par­fois et qu’on se remé­more lors­qu’on entend les goé­lands railler au-des­sus de nos têtes dans le silence de Kadir­ga.

Je n’ai pas encore fini de trier mes pho­tos (plus de 1200), que je compte clas­ser par jour, renom­mer pour leur conser­ver la mémoire de tout ce que j’ai fait tant que c’est encore frais et fina­le­ment clas­ser par thème, car c’est ain­si que je compte rendre compte de mon voyage. Vous y ver­rez sou­vent les mêmes pho­tos car j’ai pris sans comp­ter, sui­vant mon cœur et mes envies dans des quar­tiers que je venais à nou­veau sillon­ner. Ain­si vous ver­rez beau­coup de pho­tos d’Aya­so­fia (Sainte-Sophie) et de Sul­tan Ahmet Parkı, mais aus­si d’Eminönü qui reste de loin mon coup de cœur, ain­si qu’Eyüp.

Dans mon car­net de voyage, j’ai volon­tai­re­ment gar­dé les mots turcs dans leur gra­phie ori­gi­nale qui ne tient pas à une quel­conque pédan­te­rie de ma part, mais sim­ple­ment parce que quand on est sur place, mieux vaut pro­non­cer les mots tels qu’ils se pro­noncent et non tels qu’on les écrit si on veut deman­der son che­min, mais aus­si parce qu’on ne trouve pas la Mos­quée Bleue, mais Sul­ta­nah­met Camii. On ne trouve pas Sainte-Sophie, mais Aya­so­fia. On ne trouve pas le Grand Bazar mais Kapalı­çarşı (qui se pro­nonce KAPA­Lè TCHAR­CHè). Ain­si on ne dit pas Emi­no­nou (qui s’é­crit Eminönü) mais EMI­NEU­NU. Bien évi­dem­ment, les Turcs parlent anglais, cer­tains parlent même fran­çais, mais si vous vou­lez gagner le cœur d’un Turc, fen­dez-vous d’ap­prendre deux ou trois mots qui feront la dif­fé­rence. Aux toi­lettes de la mos­quée de Beya­zit, le vieux qui don­nait les jetons ne m’a pas regar­dé, qu’est-ce qu’un tou­riste ? Alors je lui ai dit Merha­ba (salut !), il m’a regar­dé et m’a ten­du un jeton et lorsque je lui ai dit teşekkür ede­rim (mer­ci), il m’a sou­ri gen­ti­ment et je pou­vais voir qu’il avait appré­cié. Ça ne mange pas de pain et on vous regarde autre­ment. Après, c’est une ques­tion de salut : si vous vou­lez du thé à la pomme et pas un simple thé, dites elma çay au lieu de çay et on vous ser­vi­ra un thé à la pomme. Et puis si vous êtes une fei­gnasse, faites comme les anglais et les amé­ri­cains qu’on n’aime pas beau­coup là-bas, par­lez anglais, mais pré­pa­rez-vous à une vie com­pli­quée, une vie de touriste.

Sur les Turcs, j’au­rais beau­coup à dire le moment venu, mais je ne cache pas que j’ai été conquis. J’au­rais donc à cœur de par­ler d’Is­tan­bul en ne retra­çant pas les jour­nées les unes après les autres mais en par­lant des aspects qui ont rete­nu mon atten­tion. Istan­bul n’est pas une ville arabe, elle n’est pas non plus musul­mane, elle n’est pas grecque ni glo­ba­le­ment moyen-orien­tale, elle est avant tout otto­mane et par-des­sus tout… turque et sacré­ment stambouliote… 

Enfin, pour conclure, je sou­haite par­ta­ger ces quelques lignes, extraites de L’i­co­no­claste, d’Alain Nadaud (aux édi­tions Quai Vol­taire), dont j’au­rais l’oc­ca­sion de par­ler à nou­veau et qui évoquent l’am­biance dans les rues de Constan­ti­nople tan­dis que se dis­cu­taient en synodes et conciles la place des images dans les sanc­tuaires et sur les places publiques. 

La tenue du concile d’Hié­ria fut donc pré­cé­dée de com­mu­ni­ca­tions écrites de l’empereur — dont les Treize inter­ro­ga­tions — et d’in­nom­brables débats à tra­vers toutes les pro­vinces. Y par­ti­ci­paient non seule­ment le peuple mais aus­si les notables, gou­ver­neurs et évêques. Que la popu­la­tion se pas­sion­nât pour ce genre de pro­blème consti­tue bien l’un des traits les plus sin­gu­liers de la vie byzan­tine. A titre d’exemple, ne dit-on pas que deux choses pou­vaient jeter les habi­tants de Constan­ti­nople dans la rue et pro­vo­quer l’é­meute ? Les courses de che­vaux à l’Hip­po­drome et les ques­tions de théo­lo­gie : consub­stan­tia­li­té du Père et du Fils, véri­table nature du Christ, mys­tère de l’in­car­na­tion, etc. On en dis­cu­tait avec pas­sion sous les por­tiques de l’Au­gus­teon, à la devan­ture des librai­ries, au mar­ché où les pois­son­nières s’in­ju­riaient pour n’être pas d’ac­cord entre elles, et jusque dans la bou­tique du bou­lan­ger où il arri­vait même qu’on échan­geât des coups. Ces réunions sur les images étaient donc fort ani­mées. Par­ti­sans et adver­saires de celles-ci en arri­vaient vite aux mains. Pour empê­cher que ces confron­ta­tions ne sus­citent trop de troubles, on pre­nait soin aupa­ra­vant de qua­driller l’as­sis­tance de silen­tiaires, agents char­gés de limi­ter dans le temps les harangues de cha­cun et d’im­po­ser le silence aux autres, en par­ti­cu­lier grâce à de longues perches ter­mi­nées d’une boule de plomb ou d’un cro­chet. Sou­vent ces dis­cus­sions duraient jus­qu’à la nuit. On pro­fi­tait ensuite de l’obs­cu­ri­té pour filer les contra­dic­teurs les plus achar­nés, puis les arrê­ter ou les mettre hors d’é­tat de nuire. 

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Seya­hat günlüğü (İst­anb­ul Kartpostal)

Com­ment racon­ter une semaine d’er­rance dans une ville incon­nue, loin­taine, assise entre deux conti­nents et répar­tie sur trois rives reliées entre elles par de rares ponts et d’in­nom­brables coques de noix bran­lantes, par­se­mée de plus de deux mille huit cent mos­quées, foi­son­nante, bruyante, odo­rante, char­meuse et toni­truante, sans en reve­nir un peu mar­qué et sur­tout en étant presque cer­tain de ne pou­voir en rendre l’es­prit au tra­vers des mots et des pho­tos ? Quelque chose s’est joué pen­dant cette semaine, un ter­rible sen­ti­ment de tris­tesse et d’a­ban­don au moment de par­tir, et l’im­pres­sion d’a­voir été tatoué dans la chair comme dans la mémoire. Com­ment le racon­ter sans en tra­hir l’âme ? Com­ment ras­sem­bler, comme lais­ser infu­ser, com­ment dire les mots ? Iti­né­raire d’une ren­contre, à l’a­bri des tou­ristes et en marge des che­mins à emprun­ter et des lieux à voir, en face à face avec des Stam­bou­liotes enjô­leurs, cha­leu­reux sans être exu­bé­rants, débon­naires et tel­le­ment vivants, tout sim­ple­ment, en plu­sieurs épi­sodes, il y a tel­le­ment de choses à en dire…
Et puis aus­si, il va fal­loir son­ger à la suite, à la pro­chaine étape, au retour sur les lieux, à l’ex­plo­ra­tion, au temps à pas­ser avec ces gens qui savent par­ler à l’ap­pren­ti voya­geur que je suis.
Cartes pos­tales d’Is­tan­bul, encore à écrire…

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