Oct 25, 2009 | Sur les portulans |
Arriver à Padirac a quelque chose de folklorique. C’est un tout petit village du département du Lot de 168 âmes au cœur de la Causse de Gramat, dans le Quercy. Des rochers affleurent partout dans ce paysage sec, parcouru par les moutons.
La route est une succession de petits villages après Souillac, où le ciel se déchire tout à coup en une immense zébrure blanche, dans un fracas assourdissant qui roule parmi les montagnes environnantes. Lorsque nous dépassons Padirac en suivant les panneaux d’indications, nous finissons par arriver dans une sorte de cul de sac entouré de parkings immenses, me donnant tout à coup l’impression de me retrouver à proximité d’un centre commercial. Il fait une chaleur lourde, vraiment assommante et se dire qu’on a fait tant de kilomètres pour arriver dans un parc d’attraction rajoute à une sorte de déception que la fatigue de la route entretient, mais il est tard, 17h30 et ce qui avait dû être une queue digne d’un supermarché soviétique laisse présumer que je n’attendrai pas plus d’un quart d’heure. J’y vais quand même, je n’ai pas fait toute cette route pour abandonner si près du but ; je veux que mon fils puisse voir ça.
Un type me donne un tape sur l’épaule et me tend deux billets qu’il a trouvé par terre et qui n’ont pas été validés. Je souffle un peu en me disant que je vais tout de même économiser 18 euros. Je m’avance vers le gouffre avant d’y entrer et ce que je vois me donne des sueurs froids. On dit que lorsqu’il fait chaud, on est plus sensible au vertige. Je suis venu ici quand j’étais adolescent avec mes grands-parents, mais étonnamment, j’ai des souvenirs plus présent des Eyzies ou de Sarlat ou même Collonges-la-Rouge que de ce lieu pourtant unique en son genre.
Nous prenons les escaliers pour descendre et tandis que nous progressons, je suis tout à coup pris d’une atroce crise d’angoisse, m’imaginant que la tour d’aluminium est en train de se dévisser à cause des vibrations. Enfin arrivés en bas, je découvre un monde végétal vivant à 70 mètres sous terre, dans l’ombre et l’humidité poisseuse, et deux grandes ouvertures béantes plongeants de chaque côté de cette immense anfractuosité de la terre. La galerie principale commence ici et l’on se dirige pendant une bonne centaine de mètres dans une galerie à sec où le plafond s’éloigne de plus en plus de la surface du sol jusqu’à un quai dans lequel on embarque pour parcourir le reste par la voie des eaux. La profondeur varie entre 1 et 5 mètres et la température de l’eau, même par cette chaleur de surface, ne dépasse pas les 10°C. Nous rejoignons le quai d’arrivée et nous sommes désormais à 105 mètres de profondeur.
La visite se poursuit avec un spectacle de toute beauté. Un colonne stalactitique de 75 mètres de haut ayant terminé sa croissance, des gours (sortes de barrages calcifiés retenant un eau d’une pureté quasiment absolue), un couronne de stalactites écrasés comme des crêpes située sous un dôme de 94 mètres de haut (la vitesse de chute des gouttes d’eau explique cette forme étonnante), et cette sensation de grandeur souterraine comme on peut en ressentir dans les cathédrales les plus grandes (au sommet du dôme, il ne reste plus que 9 mètres jusqu’à la surface du sol).
Cette salle du grand dôme est littéralement splendide, d’une beauté à couper le souffle. J’apprends également que dans cette cavité naturelle, dans sa partie immergée, vit une espèce endémique de crevette, ridiculement petite et au comportement approchant celui des êtres abyssaux.
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Sep 25, 2009 | Sur les portulans |
A environ 7 kilomètres de la départementale qui relie Périgueux aux Eyzies-de-Tayac en Dordogne, après avoir sillonné une route serpentant au travers de petits hameaux et de forêts épaisses, après avoir descendu des pentes et monté des côtes sans fin, on finit par arriver au sommet d’une colline verdoyante au sommet de laquelle se lance une ultime route, après un champ gavé d’oies grises apeurées. On finit par arriver devant une bouche large béante transperçant la colline ; une ouverture inquiétante et sombre dans laquelle on ne s’imagine pas trouver ce qui s’y cache. Nous sommes sur la commune de Rouffignac-Saint-Cernin-de-Reilhac.
Dehors, la température est étouffante, avoisinant les 36°C ; au fur et à mesure que l’on approche de l’ouverture, un voile de fraîcheur vient caresser la peau et emplir les narines d’un odeur âcre de terre humide. Les murs ont une texture étrange, bardés de rondeurs sortant de parois à l’aspect argileux. Après l’entrée, derrière un mur de béton incongru, une excavation en forme de puits, délimitée par une margelle est indiquée comme étant une nécropole gauloise. Le trou est rond mais n’a pas de fond ; on n’y voit guère que de l’obscurité du dedans.
On s’assoit sur les petits bancs d’un train électrique sans âge qui démarre en cahotant ; une simple lumière accroché à l’arrière du train sur une perche et une autre à l’avant suffisent à éclairer la galerie dans laquelle on s’enfonce sans autre forme de procès ; une sorte de terreur inconnue me parcourt l’échine face à ce lieu qui m’absorbe dans toute sa noirceur. La température me glace ; 13°C, température constante, moyenne arithmétique des températures annuelles extérieures. Le train s’enfonce dans l’obscurité profonde. Ici on a pris le parti de préserver les lieux, aucun fil électrique ne court sur le sol, aucun spot accroché au mur, tout est laissé tel quel à part ces rails qui nous emmènent dans l’inconnu. Les murs et leurs rondeurs, ce sont des accumulations de moellons de silex pris dans une roche très friable, argileuse, molle comme de la craie mouillée ; en d’autres temps ici, tandis que plus de la moitié de la France n’était qu’océans, l’eau coulait sous pression, creusant à l’envi d’immenses galeries, des circonvolutions étranges et fantaisistes. Le niveau de l’eau a baissé et ces galeries sont restées pour être visitées par les premiers hommes que la terre a porté. On arrive dans une première galerie sur les murs de laquelle sont dessinés par de simples traits fins des mammouths se faisant face ou se suivant, un peu plus loin, on peut voir des striures verticales, serrées et nombreuses ; ce sont les traces des griffes des ours qui sont venus jusqu’ici pour se réfugier.
Au plafond, des graffitis qu’on pourrait croire récents, mais ils datent du XVè ou du XVIè siècle, peinturlurés malproprement dans ce lieu de mémoire.
On fait demi-tour ; la déception me happe, je n’ai pas envie que le voyage se termine déjà, mais on ne fait que se faire aiguiller dans une autre direction pour repartir de plus belle par une pente impressionnante, à toute vitesse, dans le noir le plus total, c’est un vrai dédale, plus de deux kilomètres séparent le lieu où nous nous rendons de l’ouverture ; on se dit qu’aucun homme sensé ne se rendrait dans un endroit aussi reculé, quel que soit sa motivation ou son inspiration du moment. Un coude part sur la droite et nous descendons encore. L’atmosphère oppressante me grise, une étrange sensation d’ivresse m’envahit ; l’air semble pourtant sain malgré une hygrométrie constante de 98%.
Le sol est marron, fait d’une ocre compacte comme de la terre battue, boueuse. De chaque côté de notre sillon, des niches creusées dans ce sol friable (des bauges), des sortes d’immenses paniers à chien… qui sont en réalité les litières des ours qui se sont frayés un chemin jusqu’ici pour hiberner tranquillement. De chaque côté le sol semble monter tandis que le petit train continue son chemin ; on a en fait creusé le sol qui se rapproche du plafond, jusqu’à ne plus en être distant que de 75cm… Nous nous enfonçons, le train ralentit, le moteur est coupé et on nous demande de descendre. Légère protestation, mais si vous venez, vous allez voir…
Nous sommes sous le grand plafond.
J’ai le souffle coupé… Au-dessus de ma tête, des dizaines d’animaux ont été dessinés, enchevêtrés, au charbon ou au dioxyde de manganèse, sous un plafond que les hommes de l’époque ne pouvait toucher qu’en étant allongés sur le dos. Une image me frappe immédiatement ; un cheval est reproduit grandeur nature ; celui qui a mis tout son cœur et son savoir-faire d’artiste n’a jamais pu voir son œuvre comme je la vois aujourd’hui, avec un tel recul. L’émotion me transporte littéralement.
Au-dessus de moi, ce sont des dizaines d’animaux aux contours noirs, enchevêtrés, certains grands comme une largeur d’empan, d’autres grandeur nature.
Cet endroit, aussi profond soit-il a été maintes et maintes fois visités par des personnes plus ou moins bien intentionnées. Les dessins ont été recouverts de graffitis, d’inscription diverses, témoignages ridicules de passages successifs comme autant de défis ridicules envers soi-même et le respect du temps passé. Tout ici a été nettoyé, restauré religieusement pour offrir ce spectacle surgi de l’autre côté de la naissance du Christ, exceptée cette inscription représentant une croix sous laquelle ont été inscrites les trois lettres IHS, signifiant que le lieu a été exorcisé ; ces dessins d’animaux ne pouvaient être que l’expression d’un culte horrible dédié à Satan et à Vénus (sic) — pourquoi Vénus ? va comprendre…
Ceux qui viennent ici voir du spectaculaire, du grandiose, des couleurs et du fantastique seront forcément déçus. Ici est le règne de la plus belle des œuvres humaines.
Ici se termine le tunnel, mais sur la gauche, au fond, un puits, profond d’une douzaine de mètres, au fond duquel parait-il — ce n’est pas moi qui irait vérifier — se trouve dessinée la tête d’un homme. C’est toujours le même rituel ; sur les parois et les plafonds des grottes — transversalement donc — , des animaux, les représentations des humains dans les puits. Un mystère total. Je reste ébahi devant ces dessins d’une simplicité enfantine, mais d’une grande précision — on y voit même avec une parfaite netteté sur un des mammouths, la présence claire de ce petit clapet anal en cuir destiné à les protéger du froid — et au-delà de toutes les questions qui se posent inévitablement, que sont-ils venus faire au fond de cette galerie, à deux kilomètres de l’entrée, et surtout pourquoi ont-ils dessiné ces animaux ?, on est saisi par l’immensité de ce qui se trouve sous nos yeux ; le spectacle n’est pas grandiose, il est tout simplement émouvant et nous rappelle combien nous venons de loin et combien également notre connaissance a à s’enrichir avec humilité de ces œuvres dont nous maîtrisons si peu les significations.
Malgré tout, la grotte est relativement récente, l’ornement est daté à — 13000 ans, en plein Magdalénien.
Pour en savoir un peu plus : Journey to Ancient Civilizations.
Localisation Google Maps.
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