Sous le sol de Padirac

Arri­ver à Padi­rac a quelque chose de folk­lo­rique. C’est un tout petit vil­lage du dépar­te­ment du Lot de 168 âmes au cœur de la Causse de Gra­mat, dans le Quer­cy. Des rochers affleurent par­tout dans ce pay­sage sec, par­cou­ru par les moutons.
La route est une suc­ces­sion de petits vil­lages après Souillac, où le ciel se déchire tout à coup en une immense zébrure blanche, dans un fra­cas assour­dis­sant qui roule par­mi les mon­tagnes envi­ron­nantes. Lorsque nous dépas­sons Padi­rac en sui­vant les pan­neaux d’in­di­ca­tions, nous finis­sons par arri­ver dans une sorte de cul de sac entou­ré de par­kings immenses, me don­nant tout à coup l’im­pres­sion de me retrou­ver à proxi­mi­té d’un centre com­mer­cial. Il fait une cha­leur lourde, vrai­ment assom­mante et se dire qu’on a fait tant de kilo­mètres pour arri­ver dans un parc d’at­trac­tion rajoute à une sorte de décep­tion que la fatigue de la route entre­tient, mais il est tard, 17h30 et ce qui avait dû être une queue digne d’un super­mar­ché sovié­tique laisse pré­su­mer que je n’at­ten­drai pas plus d’un quart d’heure. J’y vais quand même, je n’ai pas fait toute cette route pour aban­don­ner si près du but ; je veux que mon fils puisse voir ça.

Padirac

Un type me donne un tape sur l’é­paule et me tend deux billets qu’il a trou­vé par terre et qui n’ont pas été vali­dés. Je souffle un peu en me disant que je vais tout de même éco­no­mi­ser 18 euros. Je m’a­vance vers le gouffre avant d’y entrer et ce que je vois me donne des sueurs froids. On dit que lors­qu’il fait chaud, on est plus sen­sible au ver­tige. Je suis venu ici quand j’é­tais ado­les­cent avec mes grands-parents, mais éton­nam­ment, j’ai des sou­ve­nirs plus pré­sent des Eyzies ou de Sar­lat ou même Col­longes-la-Rouge que de ce lieu pour­tant unique en son genre.

coupe du gouffre

Nous pre­nons les esca­liers pour des­cendre et tan­dis que nous pro­gres­sons, je suis tout à coup pris d’une atroce crise d’an­goisse, m’i­ma­gi­nant que la tour d’a­lu­mi­nium est en train de se dévis­ser à cause des vibra­tions. Enfin arri­vés en bas, je découvre un monde végé­tal vivant à 70 mètres sous terre, dans l’ombre et l’humi­di­té pois­seuse, et deux grandes ouver­tures béantes plon­geants de chaque côté de cette immense anfrac­tuo­si­té de la terre. La gale­rie prin­ci­pale com­mence ici et l’on se dirige pen­dant une bonne cen­taine de mètres dans une gale­rie à sec où le pla­fond s’é­loigne de plus en plus de la sur­face du sol jus­qu’à un quai dans lequel on embarque pour par­cou­rir le reste par la voie des eaux. La pro­fon­deur varie entre 1 et 5 mètres et la tem­pé­ra­ture de l’eau, même par cette cha­leur de sur­face, ne dépasse pas les 10°C. Nous rejoi­gnons le quai d’ar­ri­vée et nous sommes désor­mais à 105 mètres de profondeur.
La visite se pour­suit avec un spec­tacle de toute beau­té. Un colonne sta­lac­ti­tique de 75 mètres de haut ayant ter­mi­né sa crois­sance, des gours (sortes de bar­rages cal­ci­fiés rete­nant un eau d’une pure­té qua­si­ment abso­lue), un cou­ronne de sta­lac­tites écra­sés comme des crêpes située sous un dôme de 94 mètres de haut (la vitesse de chute des gouttes d’eau explique cette forme éton­nante), et cette sen­sa­tion de gran­deur sou­ter­raine comme on peut en res­sen­tir dans les cathé­drales les plus grandes (au som­met du dôme, il ne reste plus que 9 mètres jus­qu’à la sur­face du sol).
Cette salle du grand dôme est lit­té­ra­le­ment splen­dide, d’une beau­té à cou­per le souffle. J’ap­prends éga­le­ment que dans cette cavi­té natu­relle, dans sa par­tie immer­gée, vit une espèce endé­mique de cre­vette, ridi­cu­le­ment petite et au com­por­te­ment appro­chant celui des êtres abyssaux.

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Sous la terre de Rouffignac

A envi­ron 7 kilo­mètres de la dépar­te­men­tale qui relie Péri­gueux aux Eyzies-de-Tayac en Dor­dogne, après avoir sillon­né une route ser­pen­tant au tra­vers de petits hameaux et de forêts épaisses, après avoir des­cen­du des pentes et mon­té des côtes sans fin, on finit par arri­ver au som­met d’une col­line ver­doyante au som­met de laquelle se lance une ultime route, après un champ gavé d’oies grises apeu­rées. On finit par arri­ver devant une bouche large béante trans­per­çant la col­line ; une ouver­ture inquié­tante et sombre dans laquelle on ne s’i­ma­gine pas trou­ver ce qui s’y cache. Nous sommes sur la com­mune de Rouf­fi­gnac-Saint-Cer­nin-de-Reil­hac.

Mammouth_Rouffignac

Dehors, la tem­pé­ra­ture est étouf­fante, avoi­si­nant les 36°C ; au fur et à mesure que l’on approche de l’ou­ver­ture, un voile de fraî­cheur vient cares­ser la peau et emplir les narines d’un odeur âcre de terre humide. Les murs ont une tex­ture étrange, bar­dés de ron­deurs sor­tant de parois à l’as­pect argi­leux. Après l’en­trée, der­rière un mur de béton incon­gru, une exca­va­tion en forme de puits, déli­mi­tée par une mar­gelle est indi­quée comme étant une nécro­pole gau­loise. Le trou est rond mais n’a pas de fond ; on n’y voit guère que de l’obs­cu­ri­té du dedans.

On s’as­soit sur les petits bancs d’un train élec­trique sans âge qui démarre en caho­tant ; une simple lumière accro­ché à l’ar­rière du train sur une perche et une autre à l’a­vant suf­fisent à éclai­rer la gale­rie dans laquelle on s’en­fonce sans autre forme de pro­cès ; une sorte de ter­reur incon­nue me par­court l’é­chine face à ce lieu qui m’ab­sorbe dans toute sa noir­ceur. La tem­pé­ra­ture me glace ; 13°C, tem­pé­ra­ture constante, moyenne arith­mé­tique des tem­pé­ra­tures annuelles exté­rieures. Le train s’en­fonce dans l’obs­cu­ri­té pro­fonde. Ici on a pris le par­ti de pré­ser­ver les lieux, aucun fil élec­trique ne court sur le sol, aucun spot accro­ché au mur, tout est lais­sé tel quel à part ces rails qui nous emmènent dans l’in­con­nu. Les murs et leurs ron­deurs, ce sont des accu­mu­la­tions de moel­lons de silex pris dans une roche très friable, argi­leuse, molle comme de la craie mouillée ; en d’autres temps ici, tan­dis que plus de la moi­tié de la France n’é­tait qu’o­céans, l’eau cou­lait sous pres­sion, creu­sant à l’en­vi d’im­menses gale­ries, des cir­con­vo­lu­tions étranges et fan­tai­sistes. Le niveau de l’eau a bais­sé et ces gale­ries sont res­tées pour être visi­tées par les pre­miers hommes que la terre a por­té. On arrive dans une pre­mière gale­rie sur les murs de laquelle sont des­si­nés par de simples traits fins des mam­mouths se fai­sant face ou se sui­vant, un peu plus loin, on peut voir des striures ver­ti­cales, ser­rées et nom­breuses ; ce sont les traces des griffes des ours qui sont venus jus­qu’i­ci pour se réfugier.

Au pla­fond, des graf­fi­tis qu’on pour­rait croire récents, mais ils datent du XVè ou du XVIè siècle, pein­tur­lu­rés mal­pro­pre­ment dans ce lieu de mémoire.

On fait demi-tour ; la décep­tion me happe, je n’ai pas envie que le voyage se ter­mine déjà, mais on ne fait que se faire aiguiller dans une autre direc­tion pour repar­tir de plus belle par une pente impres­sion­nante, à toute vitesse, dans le noir le plus total, c’est un vrai dédale, plus de deux kilo­mètres séparent le lieu où nous nous ren­dons de l’ou­ver­ture ; on se dit qu’au­cun homme sen­sé ne se ren­drait dans un endroit aus­si recu­lé, quel que soit sa moti­va­tion ou son ins­pi­ra­tion du moment. Un coude part sur la droite et nous des­cen­dons encore. L’at­mo­sphère oppres­sante me grise, une étrange sen­sa­tion d’i­vresse m’en­va­hit ; l’air semble pour­tant sain mal­gré une hygro­mé­trie constante de 98%.
Le sol est mar­ron, fait d’une ocre com­pacte comme de la terre bat­tue, boueuse. De chaque côté de notre sillon, des niches creu­sées dans ce sol friable (des bauges), des sortes d’im­menses paniers à chien… qui sont en réa­li­té les litières des ours qui se sont frayés un che­min jus­qu’i­ci pour hiber­ner tran­quille­ment. De chaque côté le sol semble mon­ter tan­dis que le petit train conti­nue son che­min ; on a en fait creu­sé le sol qui se rap­proche du pla­fond, jus­qu’à ne plus en être dis­tant que de 75cm… Nous nous enfon­çons, le train ralen­tit, le moteur est cou­pé et on nous demande de des­cendre. Légère pro­tes­ta­tion, mais si vous venez, vous allez voir…
Nous sommes sous le grand plafond.

rouffignac

J’ai le souffle cou­pé… Au-des­sus de ma tête, des dizaines d’a­ni­maux ont été des­si­nés, enche­vê­trés, au char­bon ou au dioxyde de man­ga­nèse, sous un pla­fond que les hommes de l’é­poque ne pou­vait tou­cher qu’en étant allon­gés sur le dos. Une image me frappe immé­dia­te­ment ; un che­val est repro­duit gran­deur nature ; celui qui a mis tout son cœur et son savoir-faire d’ar­tiste n’a jamais pu voir son œuvre comme je la vois aujourd’­hui, avec un tel recul. L’é­mo­tion me trans­porte littéralement.
Au-des­sus de moi, ce sont des dizaines d’a­ni­maux aux contours noirs, enche­vê­trés, cer­tains grands comme une lar­geur d’empan, d’autres gran­deur nature.
Cet endroit, aus­si pro­fond soit-il a été maintes et maintes fois visi­tés par des per­sonnes plus ou moins bien inten­tion­nées. Les des­sins ont été recou­verts de graf­fi­tis, d’ins­crip­tion diverses, témoi­gnages ridi­cules de pas­sages suc­ces­sifs comme autant de défis ridi­cules envers soi-même et le res­pect du temps pas­sé. Tout ici a été net­toyé, res­tau­ré reli­gieu­se­ment pour offrir ce spec­tacle sur­gi de l’autre côté de la nais­sance du Christ, excep­tée cette ins­crip­tion repré­sen­tant une croix sous laquelle ont été ins­crites les trois lettres IHS, signi­fiant que le lieu a été exor­ci­sé ; ces des­sins d’a­ni­maux ne pou­vaient être que l’ex­pres­sion d’un culte hor­rible dédié à Satan et à Vénus (sic) — pour­quoi Vénus ? va comprendre…
Ceux qui viennent ici voir du spec­ta­cu­laire, du gran­diose, des cou­leurs et du fan­tas­tique seront for­cé­ment déçus. Ici est le règne de la plus belle des œuvres humaines.
Ici se ter­mine le tun­nel, mais sur la gauche, au fond, un puits, pro­fond d’une dou­zaine de mètres, au fond duquel parait-il — ce n’est pas moi qui irait véri­fier — se trouve des­si­née la tête d’un homme. C’est tou­jours le même rituel ; sur les parois et les pla­fonds des grottes — trans­ver­sa­le­ment donc — , des ani­maux, les repré­sen­ta­tions des humains dans les puits. Un mys­tère total. Je reste éba­hi devant ces des­sins d’une sim­pli­ci­té enfan­tine, mais d’une grande pré­ci­sion — on y voit même avec une par­faite net­te­té sur un des mam­mouths, la pré­sence claire de ce petit cla­pet anal en cuir des­ti­né à les pro­té­ger du froid — et au-delà de toutes les ques­tions qui se posent inévi­ta­ble­ment, que sont-ils venus faire au fond de cette gale­rie, à deux kilo­mètres de l’en­trée, et sur­tout pour­quoi ont-ils des­si­né ces ani­maux ?, on est sai­si par l’im­men­si­té de ce qui se trouve sous nos yeux ; le spec­tacle n’est pas gran­diose, il est tout sim­ple­ment émou­vant et nous rap­pelle com­bien nous venons de loin et com­bien éga­le­ment notre connais­sance a à s’en­ri­chir avec humi­li­té de ces œuvres dont nous maî­tri­sons si peu les significations.
Mal­gré tout, la grotte est rela­ti­ve­ment récente, l’or­ne­ment est daté à — 13000 ans, en plein Mag­da­lé­nien.

Pour en savoir un peu plus : Jour­ney to Ancient Civi­li­za­tions.
Loca­li­sa­tion Google Maps.

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