Dec 27, 2013 | Arts |
Voici une nouvelle Maestà de Cimabue, plus ancienne que la précédente puisque celle-ci, nous savons qu’elle a été composée en 1280. Je suis particulièrement attaché à celle-ci car c’est grâce à elle qu’un dimanche, il y a quelques années de cela, j’ai réellement découvert Cimabue. Flânant béatement, l’oeil encore un peu ensommeillé, je me suis arrêté devant cette chose immense de 427 × 280 cm, ce qui est réellement considérable pour un objet de cette richesse. Je rappelle les dimensions des deux dernières Maestà étudiées (nous sommes dans le même ordre de grandeur) :

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Dec 23, 2013 | Arts |
Cette très belle Maestà de Giovanni Cenni di Pepe, plus connu sous le nom de Cimabue (dont nous ne connaissons d’ailleurs pas le visage puisque l’illustration de son entrée — la première — des Vite de Giorgio Vasari n’a été composée que d’après une gravure d’époque) est conservée dans la même salle (la n°2) du Musée des Offices que la Maestà de Duccio, précédemment étudiée. La présence des deux tableaux (plus un autre que nous étudierons plus tard) n’est pas fortuite puisque ce sont des “tableaux de référence”. Référence car à la fois modèle issu des canons de la peinture byzantine et parangon de peinture pré-Renaissance ; elles sont révélatrices d’une vision momentanée de l’art, aussi bien que la référence de ce qui viendra après et qui le permettra.
Je reste persuadé qu’afin d’avoir une bonne vision des œuvres qu’on étudie, il faut avoir un minimum de connaissances sur plusieurs environnements ; d’abord la vie des artistes, ensuite l’histoire de la religion et l’histoire tout court, puis également s’intéresser aux commanditaires, et nous entrons ainsi dans une système économique dont la surface du bois peint n’est plus que l’expression ultime. Dressons le décor. Trois hommes nés à quelques années d’écart vont créer une dynamique picturale qui va faire basculer l’histoire de l’art du conservatisme byzantin à la modernité de la Renaissance.
- Cimabue (1240–1305)
- Duccio di Buoninsegna (1255–1319)
- Giotto di Bondone (1267–1337)
On le voit à leurs dates de naissance et mort, ils naissent tous les trois à plus ou moins dix ans d’écart et ce n’est pas un hasard qu’ils aient joué sur une telle scène et soient aussi déterminants car les trois hommes se connaissaient très bien ; en effet, les deux derniers ont été les élèves du premier. Cimabue occupe donc une place centrale qu’on a souvent du mal à lui restituer. Sur les trois, c’est Giotto qui remporte toujours les faveurs du plus grands nombres, mais j’ai toujours un peu de tristesse lorsque je constate à quel point on ne prend pas en compte l’influence des ainés, même si l’élève dépasse le maître. On devrait toujours dire Giotto, élève de Cimabue, comme un épithète indissociable. Donc après avoir parlé de Duccio et avant d’en venir à Giotto, il me semble normal, dans cette fresque sur les plus belles Maestà de l’histoire de la peinture, de faire un grand détour par Cimabue, que nous étudierons d’ailleurs à deux reprises au moins. Faisons fi de la chronologie pour aller où bon nous semble.

Voici donc une Maestà peinte aux alentours de 1280, mesurant 385 × 223 cm, légèrement plus petite donc, que celle de Duccio, mais immense tout de même. Lorsque l’on songe que ces tableaux étaient peints en tempera (c’est-à-dire avec cette technique immémoriale qui servait à peindre les icônes byzantines) sur des panneaux de bois, c’est-à-dire un matériau cher (le passage à la toile est implicitement un souci d’économie), et dont les parties les plus nobles étaient recouvertes de feuilles d’or, on a peine à imaginer à quel point ces œuvres sont avant tout œuvres de richesse avant d’être œuvres de religion. La tableau est donc peint, sur la commande de l’abbaye de Vallombrosa, pour l’église dont elle porte le nom, la petite basilique Santa Trinita de Florence (à deux pas du pont Santa Trinita et face à la Colonna della Giustizia, colonne monolithique en granit provenant des termes de Caracalla). Après une parcours dégradant, elle finit dans la salle n°2 de la Galerie des Offices. (more…)
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Dec 10, 2013 | Arts |
Nous voici face à une œuvre d’une force considérable. La Maestà (Vierge en majesté) portant le nom de la chapelle de Santa Maria Novella de Florence dans laquelle elle a longtemps été exposée, jusqu’en 1937, est en tout point conforme aux canons de la peinture byzantine. Le grand Siennois Duccio di Buoninsegna, Duccio pour les intimes, a réalisé là ce que la religion d’alors exigeait d’un peintre en matière d’art, ni plus, ni moins. C’est en tout cas ce qu’on certainement crû les commanditaires de ce tableau aux dimensions colossales (290x450 cm) puisque le tableau est longtemps resté accroché dans l’église.

Fond doré, taille et position des deux personnages principaux, principe isométrique de la perspective du trône, tout y est ; c’est une œuvre qui a voix au chapitre. Mais Duccio avait du génie et si l’on regarde ce tableau d’un peu plus près, on voit que le peintre n’a pas fait l’économie du parti pris esthétique. Évidemment, la Vierge est la plus belle des femmes, rien à redire là-dessus, mais la Vierge de Duccio a le regard de biais, le regard tendre et attendri, elle n’a en aucun cas ce regard froid de bourgeoise qui toise le monde, et ses joues sont légèrement rosies, son teint n’a rien à voir avec le teint cadavérique des peintures d’antan… Voilà enfin une Vierge à échelle humaine, même si ses dimensions la placent bien au-dessus du commun des mortels. La Vierge est donc une femme, une vraie, avec des émotions, de la tendresse, surtout, elle est capable d’émotion, ce n’est pas qu’une pleureuse qui s’effondre au pied de son fils crucifié. En voilà une sacrée nouvelle ! Pour faire bonne mesure et ne pas trop en dire, Duccio a également légèrement rosi les joues du potelé bambin futur Roi du Monde ainsi que celles des anges. Après tout, ce sont aussi des personnages d’essence divine… (more…)
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Dec 4, 2013 | Arts, Sur les portulans |
Objet phare des cultes à mystères, cette ciste destinée à recevoir des objets que les profanes n’avaient pas à voir dans la civilisation grecque, provient de la civilisation étrusque et avait certainement un usage plus féminin. On estime que son usage était de conserver les instruments de toilette des femmes de haut-rang. Découverte à Préneste (Palestrina), c’est un objet tout à fait unique par sa taille (575 mm dans sa hauteur totale) ainsi que par sa facture. Conservée actuellement à Rome, au Museo Nazionale Etrusco di Villa Giulia, ce bronze laminé datant de la fin du IVè siècle av. J.-C. fait partie de l’exposition actuelle que l’on peut voir au Musée Maillol et ce, jusqu’au 9 février 2014.
Posée sur trois pieds reposant eux-mêmes sur des grenouilles, c’est un objet assez massif, dont les pieds sont soutenues par trois génies féminins ailés. La poignée, imposante, représente une amazone nue, décédée, portée par deux amazones en armes. Les trois scènes représentées sur le corps de la ciste se décomposent ainsi : l’enlèvement de Crysippe, la consultation de l’oracle d’Apollon et le jugement de Pâris.

De taille moins imposante que la Ciste Ficoroni et moins connue, son originalité réside dans le dessin du corps de cet objet tardif. En regardant de près, on voit que les scènes centrales ont été gravées dans le métal et la scène de l’enlèvement qu’on peut voir en détail ci-dessous est dessinée de trois-quarts face, enroulée autour du corps de la ciste, avec un réalisme assez incroyable compte-tenu de l’époque où elle a été réalisée, puisque la plupart des scènes dessinées à l’époque l’étaient généralement de profil. Une œuvre d’art hautement symbolique de l’état d’avancement de la civilisation étrusque, que ce soit en matière de réalisation, ou en matière d’élaboration du dessin.

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Oct 18, 2013 | Arts, Sur les portulans |
Vertige de la liste minoen par Fernand Braudel.
A la grande époque de l’art crétois — celle des seconds palais —, avant la période mycénienne qui figera toute cette liberté, le naturalisme est triomphant : bêtes et plantes sont partout sur les murs ou au flanc des vases de céramique ; un brin d’herbe, une touffe de crocus ou d’iris, un jet de lys blancs sur l’ocre d’un vase ou sur le rouge pompéien d’un stuc mural, des roseaux qui se marient et un motif continu, presque abstrait, un rameau d’olivier fleuri, les bras tordus d’un poulpe, des dauphins, une étoile de mer, un poisson bleu ailé, une ronde d’énormes libellules, autant de thèmes en soi, mais jamais traités avec la minutie botanique des herbes ou des violettes de Dürer. Ils sont le décor irréel d’un monde irréel ou un singe bleu cueille des crocus, un oiseau bleu se perche sur des rochers rouges, jaunes, bleus, jaspés de blanc, où fleurissent des églantiers ; un chat sauvage guette à travers des branches de lierre aériennes un oiseau innocent qui lui tourne le dos, un cheval traîne le char de deux jeunes déesses souriantes… La céramique se prête comme la fresque à cette fantaisie inventive. Il est curieux de voir le même thème végétal ou marin traité de mille façons différentes, sur tant de vases multipliés par le tour du potier et exportés par centaines. Comme si le peintre, chaque fois, exigeait le plaisir de la création.
Fernand Braudel : Les Mémoires de la Méditerranée (préhistoire et antiquité)
Livre de poche, collection Références
Éditions de Fallois, 1998
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