rase cam­pagne

Car­net de l’instant

Cris d’ex­tase… Quelle cam­pagne ! Avec ses plaines embla­vées et ses che­mins boueux où la pierre affleure. Voi­ci la cam­pagne la moins ennuyeuse qui soit. Celle qui ne bouge pas et qui ne pro­met pas grand chose, qui ne fait pas de bruit et ne sort jamais du bois. Une cam­pagne telle qu’elle devrait tou­jours être.

Jamais la poli­tique ne m’au­ra autant ennuyé que cette année. Jamais je n’au­rais autant res­sen­ti de dégoût pour ce qui pour­rait res­sem­bler à un art et qui n’est à mon sens que l’ex­pres­sion la plus basse de la volon­té de puis­sance. En réa­li­té, ce dont la poli­tique est l’ob­jet finit par sor­tir tota­le­ment du champ de vision de la poli­tique ; l’in­té­rêt collectif.

Pour­tant, à de nom­breux égards, j’au­rais des rai­sons de ne pas en être dégoû­té. Mais c’est comme ça. Alors pour m’ex­traire des radars de cette rase cam­pagne, je bou­quine. Comme disait Socrate, il existe tant de choses dont je ne veux pas. Il est temps pour moi de com­men­cer à éclu­ser mes piles à lire. Elles sont désor­mais au nombre de cinq, entou­rant ma table de che­vet, tels les piliers d’un sanc­tuaire qui ne contien­drait rien d’autre que l’es­prit… Les piliers eux-mêmes seraient des objets de vénération.

Je lis actuel­le­ment Le der­nier ermite de Michael Fin­kel, l’in­croyable his­toire de Chris­to­pher Tho­mas Knight, cet homme qui a vécu seul dans les forêts du Maine, à quelques mètres seule­ment de la civi­li­sa­tion, mais dans une bulle invi­sible, ne croi­sant en tout et pour tout pen­dant les vingt-sept ans de sa réclu­sion volon­taire dans la nature qu’une seule per­sonne, avec qui il a échan­gé un “bon­jour”. Per­son­nage autant fas­ci­nant qu’ab­so­lu­ment com­mun, il étonne par cette atti­tude qui consiste à ne rien vou­loir, à n’a­voir pas de but, à sou­hai­ter s’ex­traire de la vie en communauté.

Éton­nam­ment, je me retrouve un peu dans la vie de cet ermite, met­tant par­fois moi-même un point d’hon­neur à ne pas recher­cher la com­pa­gnie, ce qui me pousse à évi­ter les contacts, à m’ex­traire, même men­ta­le­ment, des espaces com­muns, à évi­ter le regard des autres pour ne pas l’at­ti­rer. Je suis du genre à me conten­ter de cui­si­ner un stru­del et des made­leines au zeste d’o­range amère en écou­tant les suites pour vio­lon­celle de Bach, sans me poser plus de questions.

Sou­vent le lun­di matin, on me demande ce que j’ai fait de mon week-end. Que ce soit clair, je ne fais pas par­tie des per­sonnes qui font quelque chose le week-end, parce que je pré­fère ne rien faire plu­tôt que de faire n’im­porte quoi, ou faire des choses qu’on me repro­che­rait par la suite, ou de faire le clown. Je n’en­vi­sage pas mes week-ends sur les mar­chés. A la rigueur sur le mar­ché, mais guère plus. Mes week-ends sont consa­crés à moi, à ce que j’en fais, aux livres que je lis, au temps que je prends, au temps très lent des très petites choses.

Pho­to by Zugr on Uns­plash

Sen­tant le som­meil le gagner, il repo­sa son livre. Il pen­sait aux nuits de Reyk­ja­vik, si étran­ge­ment lim­pides, si étran­ge­ment claires, si étran­ge­ment sombres et gla­ciales. Nuit après nuit, ils sillon­naient la ville à bord d’une voi­ture de police et voyaient ce qui était caché aux autres : ils voyaient ceux que la nuit agi­tait et atti­rait, ceux qu’elle bles­sait et ter­ri­fiait. Lui-même n’é­tait pas un oiseau noc­turne, il lui avait fal­lu du temps pour consen­tir à quit­ter le jour et à entrer dans la nuit, mais main­te­nant qu’il avait fran­chi cette fron­tière, il ne s’en trou­vait pas plus mal. C’é­tait plu­tôt la nuit que la ville lui plai­sait. Quand, dans les rues enfin désertes et silen­cieuses, on n’en­ten­dait plus que le vent et le moteur de leur voiture.

Arnal­dur Indriða­son, Les nuits de Reykjavik

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