Je ne rate jamais une occasion de dire à quel point j’admire le travail du paléontologue Jean Clottes, pour la multitude de découvertes dont il est l’auteur et l’inventeur mais également par son approche non conventionnelle qui a fait de lui un quasi paria dans la communauté scientifique, et a fortiori auprès de ses collègues. De par son expérience, il fut un de ceux, bien que premier sur la liste, qui décryptent et continuent d’étudier les deux hauts-lieux de la préhistoire que sont les grottes Chauvet et Cosquer.
En 2009 déjà, je faisais part de cette lecture d’un livre passionnant qu’il a co-écrit avec David Lewis-Williams, peut-être celui qui est à l’origine des recherches sur le chamanisme préhistorique dont Clottes se fait le chantre dans ses livres, au travers d’un article assez long et dans lequel j’exposai en détail les thèses du préhistorien : Ceux qui ornaient les parois de cavernes d’animaux, les chamanes de la préhistoire.
Clottes fait partie de ces intellectuels qui ne disent pas leur nom, qui avancent masqués et qui surtout n’imposent rien, s’en remettent à la magie de la transmission, et, l’oserais-je… procède comme un chamane en diffusant sa pensée telle une poignée de poudre magique. A celui qui s’en empare d’en lire les arcanes de la conscience humaine. Comme dans certains courants de pensée, il fait confiance à la permission de l’esprit de procéder par association (je ne parle pas ici de psychanalyse), de prendre des tangentes, d’obliquer sur le chemin. Les remarques qu’il étale sur la table, les idées qu’il avance, sont comme autant de cartes dont on peut se saisir pour transformer la connaissance en quelque chose d’autre.
Voici un extrait du très beau texte paru en 2011, Pourquoi l’art préhistorique ?, venant à la suite du livre Les chamanes de la préhistoire (1996). Il nous emmène à Rocky Hill au pied de la Forêt Nationale de Sequoia, dans le centre de la Californie, en plein territoire des Indiens Yokut. Il nous emmène déambuler dans la nature pour nous dire à quel moment il va falloir décrocher, se permettre de penser autrement et laisser tomber ces sales petites manies qui nous enferment dans la paresse. On dirait du Lévi-Strauss à l’époque de La pensée sauvage (1962).
La confiance était venue. David l’interrogea sur la signification des peintures. L’une d’elles représentait ce qui me parut être un humain un peu stylisé. Il tenait un objet ovale à la main. Je pensais qu’il pouvait s’agir d’un chamane avec son tambour. « C’est un ours », me dit Hector. Surpris, je répliquai : « Tiens, j’aurais cru qu’il s’agissait d’un homme » — « C’est la même chose ». Il n’en dit pas plus. David m’expliqua ensuite qu’au cours des visions hallucinatoires, recherchées dans les lieux isolés, il arrive souvent qu’un esprit de forme animale — appelé spirit helper, c’est-à-dire esprit auxiliaire — apparaisse à celui qui s’était préparé à la vision par le jeûne et la méditation. D’une certaine façon il devenait cet esprit. En l’espèce, il était donc à la fois homme et ours. La réponse de notre guide était parfaitement cohérente, dans sa logique à lui qu’il fallait connaître, révélatrice d’une conception du monde bien différente de la nôtre.
Jean Clottes, Pourquoi l’art préhistorique ?
Folio Essais, Gallimard 2011
Photo d’en-tête © Princess Lodges
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