Dau­zat : « Tulipe; emprun­té au turc tül­bend, pro­pre­ment “(plante)-turban”. » […]
En 1562, Soli­man fait les hon­neurs de son jar­din à Ogier Ghis­lain de Bus­beck, ambas­sa­deur du Saint Empire ger­ma­nique, qui s’ex­ta­sie devant une fleur incon­nue, la tulipe et rentre chez lui avec quelques bulbes. L’an­née d’a­près, le baron de Bus­beck fait admi­rer les pre­mières tulipes de son jar­din à ses visi­teurs. Dans les années qui sui­virent, la répu­ta­tion de la tulipe gagne l’Eu­rope, les bulbes voyagent dans les malles de diplo­mates et des mar­chands, la fleur s’é­pa­nouit en Hol­lande, la demande aug­mente, le com­merce s’or­ga­nise, les prix montent (en 1637, mille pièce d’or pour un seul oignon), les spé­cu­la­teurs s’en mêlent, la pro­duc­tion se diver­si­fie, des gros­sistes engagent des for­tunes pour atta­quer le mar­ché anglais, qui boude les bulbes. Le flegme bri­tan­nique pro­voque un repli panique à la bourse de Haar­lem, c’est le krach.
En dehors de la bulle finan­cière, la folie-tulipe conti­nue ; sur les bords du Bos­phore, toute la popu­la­tion est tou­chée. Au début du XVIIIè siècle, un « registre des jar­dins de tulipes d’İst­anb­ul » réper­to­rie onze cent huit varié­tés. Quand com­mence une grande époque de fête et d’in­sou­ciance, qui coïn­cide avec la fin du règne d’Ah­med III, on l’ap­pelle l’ère des tulipes. Un vent de plai­sir souffle sur la ville, le sul­tan nomme un ministre des jar­dins et la tuli­po­ma­nie connaît son apo­théose. En 1720, des réjouis­sances sans pré­cé­dent sont orga­ni­sées dans toute la ville en l’hon­neur de la cir­con­ci­sion de quatre fils du sul­tan qui reçoit dans son palais de Beşik­taş, sur les bords du Bos­phore, avec des tor­tues-lam­pions dans les jar­dins de tulipes.

Daniel Ron­deau, İst­anb­ul
Folio Gal­li­mard pour NiL Edi­tions, 2002

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